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À la suite de Jean-Noël Robert, les écrits anciens de géographie qui nous sont parvenus peuvent être classés en trois types :
Comment les contemporains de Jésus envisageaient-ils la Terre ? Quelle vision physique du monde avaient des peuples comme les Juifs et d’autres territoires sous la double influence de Rome et de l’Orient ?
Au fond, les théories qui avaient connu le plus de succès à cette époque étaient celles d’Ératosthène.
Pour Ératosthène, qui avait calculé la circonférence de la Terre, le globe était divisé en cinq parties : deux zones glaciaires situées à chacun des pôles, une zone torride entre les tropiques et deux zones tempérées entre la zone torride et chacune des zones glaciaires. Sur ce globe, la terre habitée formait un seul et vaste continent situé dans l’hémisphère nord, principalement dans la zone tempérée, et entièrement entouré par la mer.
Ces théories furent également complétées par celles de Cratès de Mallos (vers le milieu du IIe siècle av. J.-C.), qui fut directeur de la bibliothèque de Pergame, rivale de celle d’Alexandrie.
La grande différence entre la Terre telle que la voit Ératosthène et celle imaginée par Cratès réside dans le fait que ce dernier admet – librement – l’existence d’autres mondes (probablement trois) situés autour de celui décrit par son rival. Parmi ces mondes inaccessibles, l’un se situe au centre du monde d’Ératosthène, c’est-à-dire au sud de l’équateur, et les deux autres de l’autre côté du globe, disposés comme les deux premiers à chaque extrémité de l’équateur. Les terres émergées donneraient ainsi l’impression d’être séparées par des bras de mer en forme de croix et entièrement entourées d’eau. Cratès émet également l’hypothèse qu’une partie de ces autres mondes pourrait être habitée, par exemple les régions bordant les tropiques où vivaient les « Éthiopiens ». (Le mot, qui signifie étymologiquement « visages brûlés » en grec, ne désignait pas dans l’Antiquité les habitants d’un pays particulier, mais s’appliquait à tous ceux qui avaient le teint hâlé.)
Comme indice de la popularité de ces théories sur la disposition des continents, nous avons un panégyrique de Messala, écrit par un jeune poète inconnu (probablement Tibulle, qui appartenait au cercle du consul de 31 av. J.-C.) :
La Terre est suspendue dans l’air qui l’entoure de toutes parts et forme un globe dont l’ensemble est divisé en cinq zones. Deux d’entre elles sont perpétuellement ravagées par un froid glacial, enveloppées de ténèbres ; les eaux qui commencent n’atteignent jamais leur cours, mais durcissent et deviennent d’épaisses couches de glace et de neige parce que le Soleil n’envoie jamais ses rayons vers elles. La zone centrale est soumise à la chaleur de Phébus, aussi bien en été lorsqu’il s’approche de la Terre en traversant le ciel qu’en hiver, lorsqu’il accélère son allure pour mettre fin aux jours ; de plus, le sol ne s’élève pas au passage de la charrue, il n’y a pas de champs semés qui produisent des récoltes ou des pâturages sur le terrain ; les dieux, Bacchus et Cérès, ne visitent pas ces champs et aucun être vivant n’habite ces régions complètement brûlées. Deux zones fertiles s’étendent entre celles-ci et les zones glaciaires, la nôtre et celle correspondante dans l’autre hémisphère, toutes deux similaires et tempérées grâce aux deux climats qui les entourent aux deux extrémités, neutralisant mutuellement leur influence ; paisiblement, l’année nous offre ses saisons ; le taureau a appris à soumettre son cou au joug ; la vigne, flexible, à élever ses branches ; les champs fournissent chaque année leurs récoltes mûres, la terre est pleine de fer et la mer de bronze ; les villes s’élèvent entourées de murs.
Ce poème dépeint les cinq zones du système d’Eratosthène. Virgile en donne une description identique dans ses Géorgiques (231-258), une vision du monde qui ne sera légèrement modifiée qu’au IIe siècle après J.-C.
La vision romaine du monde connu se centre principalement et avec une certaine précision sur le monde grec. Ératosthène attribue au continent asiatique une superficie réduite, de sorte qu’il n’y a pas une grande distance maritime entre les côtes orientales de l’Inde et le détroit de Gibraltar. Sénèque (Questions naturelles, I 13) estime qu’il ne faut que quelques jours pour rejoindre l’Inde depuis Gadès (Cadix). Cette approche sera beaucoup plus tard favorisée par le voyage de Christophe Colomb.
La cartographie est un moyen de décrire la Terre plus ancien encore que la géographie : il y eut d’abord les plans des Babyloniens et des Égyptiens, puis les Grecs créèrent les premières cartes du monde, vers 575 av. J.-C., suivant le modèle de projection plate et allongée qui prévaut encore aujourd’hui.
La carte la plus connue est la carte dite « de Peutinger », copie médiévale d’un original romain, qui montre les principales routes et villes qui traversaient l’empire. Les cartes étaient un outil pédagogique courant chez les Romains. Elles étaient également utilisées à des fins de propagande par un vainqueur au combat, en représentant les territoires conquis. Le célèbre et talentueux ministre d’Auguste, Agrippa, fut chargé d’accrocher aux murs du portique de Vipsania, dans le Champ de Mars, une carte du monde, mais uniquement du monde romain. Cette carte, aujourd’hui perdue, dont on sait qu’elle représentait la mer Caspienne, l’Arménie, la Mède, la Parthie, la Perse, la Mésopotamie, la mer Rouge, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Inde, ainsi que l’Empire romain, est sujette à de nombreux débats, mais on ignore si elle représentait la Sérique. Quoi qu’il en soit, cette carte représente les efforts des empereurs du temps de Jésus pour faire apparaître l’Empire romain, aux yeux de tous les visiteurs de Rome, comme le maître ultime du monde et l’architecte de la paix mondiale.
Jean-Noël Robert, De Rome à la Chine. Sur la route de la soie au temps de la Rome antique, Herder Publishing, 1993