© 2009 Jean-Claude Romeuf
© 2009 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
Il y a pas mal temps de cela, me raconta-il, un journaliste de renom, spécialiste de musique phonétique, fit admettre à la Télémusicvision, de son pays, qu’il était impensable qu’un mot chargé d’autant de richesse, puisse être aussi laid. Tout le monde acquiesça. Le roi dut céder à l’opinion publique et proclama que désormais, celui qui prononcerait le mot « Foi » serait immédiatement jeté en prison et torturé en cas de récidive, car la peine de mort venait d’être abolie. Pendant des décennies, le mot « Foi » fut mis aux oubliettes ! Ce que le roi et ses ministres n’avaient pas prévu, c’est que la spiritualité allait se dégrader petit à petit, car s’il restait encore possible de partager quelques croyances et quelques dévotions obsolètes, la Foi dépourvue de nom ne put se développer normalement dans le cour de chacun. Il faut toujours un mot pour comprendre un fait ou faire valoir une signification. Le Dieu de ce pays se sentit isolé car plus personne ne conversait avec lui. Il eut le sentiment d’être inutile, on ne lui demandait plus de faire pleuvoir quand l’herbe avait soif, ni d’envoyer le soleil pour que les fruits ou les légumes murissent. Privés de spiritualité, les gens commencèrent à devenir méchants, ils ne se fièrent qu’au hasard ou à la malveillance d’autrui. Autrui étant le seul responsable de leur mauvaise fortune, la vengeance et la rancune allaient bon train !
Comme nous le savons tous maintenant sur notre planète, Dieu n’est pas un être courroucé, il ne se venge pas ; il désire le bonheur des hommes. Ce n’est pas pour autant que les épreuves ne font pas partie de notre pain quotidien sans lequel nous n’aurions pas une croissance normale. Donc, sans pour autant vouloir punir sévèrement ses anciens adorateurs, Dieu voulut quand même leur donner une petite leçon afin qu’ils prennent conscience de l’erreur dans laquelle ils s’étaient plongés involontairement. Puisque la Foi est la seule véritable richesse éternelle que les hommes peuvent acquérir, pensat-il, je vais leur enlever toutes les richesses matérielles qui sont passagères mais pour lesquelles les hommes usent tant d’énergie. Cela leur permettra peut-être de se rendre compte de la futilité d’amasser or et rubis sans se soucier des vraies valeurs que sont les valeurs spirituelles.
Dieu s’adressa alors aux nuages. Il leur demanda de cesser leur travail : ils ne versèrent plus de pluie et l’éclair ne montra plus le chemin du ciel. Il demanda aux sources de se tarir et les oasis se transformèrent en sable. Bientôt les hommes eurent soif, les jarres étant vite épuisées ; mais ce qui est encore plus grave, c’est que les vignes ne donnèrent plus de fruits et c’est ainsi que la production de vin chuta complètement. L’hymne national fut changé ; on lui préféra une chanson à la mode d’un guitariste moustachu: « Parlez-moi de la pluie, parlez -moi du gros temps. Le bel azur me met en ra-a-ge ». Alors, un grand philosophe et théologien du royaume émit l’hypothèse que pour retrouver la félicité, il fallait faire une offrande gigantesque à Dieu. On décida de construire un immense temple à sa gloire.
Le seul matériau autorisé pour les fondations, les murs et le toit serait l’or pur. Les banques vidèrent totalement leurs coffres, les tirelires furent cassées et les bas de laine sortis des armoires. On pria les rivières asséchées de céder l’or qu’elles amassaient dans leur lit depuis des lustres et aux mines, d’extraire leur gisement, ce qu’elles firent de bonne grâce. Tout l’or du monde fut bientôt concentré en un seul point : le temple de Dieu! On amena aussi en ce point, il fallait bien que les ouvertures du temple aient des vitraux appropriés, les diamants les plus purs ainsi que tous les rubis, les émeraudes et les saphirs. Bientôt, plus personne ne put payer ses dettes « rubis sur l’ongle », les femmes pleurèrent leurs bijoux et les mariages, faute d’alliance, furent dissous.
Quand le temple fut terminé et brillait dans toute sa splendeur, on s’attendait à ce que Dieu apparaisse lui-même en personne participer à l’inauguration. Sans doute ferait-il un élogieux discours en guise de remerciement et prendrait illico, possession de sa nouvelle demeure. Mais ce qu’on aurait dû craindre arriva : le temple fut englouti par un tremblement de terre et toutes les richesses du monde avec. En plus de la famine et de la soif, le monde souffrit d’une nouvelle tribulation : la pauvreté.
Lorsque la spiritualité est en péril sur un monde, il existe toujours un moyen de la régénérer. Dans le coin le plus reculé de la planète, un lieu où seulement des hommes robustes et irréductibles peuvent vivre, un noyau d’individus, pour échapper à l’emprisonnement et à la torture, décida de changer le mot « Foi » en « Blé ». C’est ainsi que si l’on entendait : « J’ai du blé », cela voulait dire « J’ai la foi ». Il y a toujours un moyen de détourner la loi, c’était simple, mais il fallait y penser. Et le grand manitou, pour qui le mot n’est rien du tout, fut ravi qu’il existât des pèlerins comme cela ! Alors le Dieu de la planète se mit à rire. Il paraît que Dieu, c’est comme les femmes, lorsqu’on le fait rire, c’est gagné !
Dans ce coin de terre, isolé de toute part qu’on appelle Casanueva, le blé commença à pousser de façon inhabituelle, il n’était pas besoin de peiner pour le cultiver. Un seul grain vous donnait cent épis et comme faute de pluie, il n’y avait plus de saison, il y eut douze mois de juillet tous les ans. Puisque le mois de juillet est le mois où l’on fauche le blé, je vous laisse deviner le nombre de récoltes qu’on pouvait faire en une seule année. Le même Dieu qui avait demandé aux sources de se tarir, fit appeler en cachette la rosée et la pria de mouiller l’herbe tous les matins et de déposer assez d’eau de rose dans les puits pour abreuver hommes et bétail. La rosée, qui ne ménage pas en général sa peine, mouilla aussi les feuilles de vigne. Heureusement, il n’y eut pas que de l’eau à boire en Casanueva! Dans sa grande bonté, Dieu prit l’exemple de certains fonctionnaires qui sont payés treize mois par an : il y eut donc par année, douze mois de juillet et un mois de septembre qui est celui où l’on cueille le raisin.
Le roi envoya ses espions dans tous les coins et recoins de la planète pour savoir s’il existait un lieu épargné par le fléau de Dieu. C’est ainsi que certains arrivèrent en Casanueva et qu’ils rapportèrent au roi ce qu’ils avaient vu. Des Casanuevois furent faits prisonniers, mais il n’y eut pas besoin de torture pour leur faire avouer qu’ils avaient du blé. Le roi leur proposa d’en acheter, mais il lui fut répondu que le blé n’était pas à vendre, d’ailleurs « vous n’avez plus d’or ! » s’entendit-il dire. Il leur demanda quel était leur secret pour avoir de si abondantes récoltes. C’est simple, dirent-il, nous cultivons la Foi ! C’en était trop, le mot défendu venait d’être prononcé à la face du roi qui, à cause d’une colère soudaine, fut pris de malaise et mourut sur le champ.
Son remplaçant leva le tabou. Il paraît que sur cette planète, Blé est maintenant synonyme de Richesse et Richesse est synonyme de Foi.
Jean-Claude Romeuf