© 2016 Jean-Claude Romeuf
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Les circuits des esprits mentaux adjuvats | Le Lien Urantien — Numéro 73 — Mars 2016 — Table des matières | Histoire du mouvement francophone d'Europe |
Avant de conter cette histoire, il me revient à la mémoire la mélodie et les paroles d’une magnifique chanson sévillane ayant pour titre El Amigo. Chaque fois qu’un ami s’en va, il laisse derrière lui beaucoup de tristesse et de vide. Alors, lorsqu’on est près de lui à ses dernières heures, on vou drait le retenir encore un peu, juste un petit moment. La chanson dit en espagnol: « Ne t’en va pas encore, attends que ma guitare pleure en te disant adieu ».
Mais je n’ai pas pu retenir sur terre mon ami Pierrot. Il a vait onze ans de plus que moi. Je me souviens qu’il m’emmenait en prome nade lorsque j’étais enfant et m’avait ap pris à nager. S’il fut souvent absent pendant mon adolescence, notre amitié se développa à l’âge adulte jusqu’à ce que la mort nous sé pare. Je peux dire sans mentir que j’ai connu tous les évènements importants de sa vie. La pudeur m’a empêché pendant longtemps de raconter ses dernières heures. Après quelques hésitations, je les dirulgue aujourd’hui en comptant sur votre discré tion pour ne dévoiler ceci à personne!
Faut dire d’abord que Pierrot, même s’il avait été élevé dans le catholicisme, ce n’était pas un fana de la religion et qu’il avait fait souvent la messe buissonnière! Le livre d’Urantia que je lui avais présen té n’ était pas non plus son livre de chevet!
Après son divorce, à cinquante — cing ans, il avait fui la France et s’était converti à l’islam dans le seul but d’épouser une Indonésienne musulmane de la quelle il eut un troisième enfant.
Un jour de 1998, je reçus un coup de fil de lui me disant qu’il était malade. Il me demandait l’hospitalité et de hi trouver un bon médecin. C’est ce que je fis. Après la première consultation, le médecin me prit à part et m’ annonça que la vie de mon ami prendrait fin dans quatre mois.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir! Je fis donc de mon mieux pour rendre ses derniers. jours les plus ag réables possible. On banqueta, on sabra souvent le champagne, on fit des promenades dans la nature qu’il aimait tant, on continua à rive, à aller à la pêche, à jouer à la belote avec des amis communs, etc., etc.
Puis un jour, son cancer au cerveau commen ça à lui faire très mal. Alors, je demandai qu’ on l’hospitalise. À peine arrivé à l’hôpital, il tomba dans le coma. Pendant trois jours il resta inconscient et je pensais qu’il ne se réveillerait plus.
Ce matin — là, à sept heures du matin, je m’ appro chai de sa chambre lorsque je croisai dans le couloir un ami qui me dit « Pierrot est assis sur son lit, complètement conscient, il n’arrête pas de parler; on va pouvoir continuer à jouer à la belote!»
Je n’en croyais rien mais lorsque j’ouvris la porte, il était bien assis sur son lit; ses yeux bleus. rayonnaient d’une lumière faite de bonheur. En me voyant, il me dit « Je t’attendais!» Moi qui le connaissais bien, je m’aperçus que sa voix avait pris l’intonation de celle d’un enfant et je m’en étonnai. Je n’avais pratiquement rien à dire, sauf pour acquiescer, car il parlait sans cesse en faisant défiler sa vie au verbe présent. Mais c’était toujours au sujet de décisions d’envergure que parfois $j’avais été le seul à connaitre.
Par exemple, il me dit en ayant repris une voix adulte < si tu sentais le froid qu’il fait au jourd’hui en Angleterre! On se gèle! »Je savais qu’il n’était resté que trois jours en Angleterre, mais que ce peu de temps avait été un épisode de grande décision pour lui, nécessitant un choix moral important.
Quelques heures plus tard, il commença à parler en indonésien, langue qui m’est complète ment inconnue. Ensuite, il retomba dans l’in conscience. Alors, j’eus un étrange sentiment: la pièce me paraissait vide, je sentis qu’il n’y avait personne d’autre que moi dans cette chambre. En versant une larme j’embrassai le front de mon ami étendu et m’enfuis à toute vitesse.
Je me soucie peu des miracles et même m’en méfie. Je suis assez indifférent aux his- toires surnaturelles qu’ on entend parfois. Je préfère rester incrédule à leur sujet.
Mais je me souviendrai encore longtemps de ces quelques heures passées dans la chambre d’un ami qui s’en va. Il y a peu de temps, je me suis même demandé si je n’avais pas été le témoin d’un phénomène surnaturel qui arrive chaque fois qu’un humain se prépare à partir pour le monde des maisons, même si les moyens ne se ressemblent pas toujours. Je ne tire aucune conclusion de cette matinée mémorable, pourtant, je sais que les séraphins, avant de se séparer du mortel qu’ils ont aidé, trient dans le mental humain les. épisodes de leur vie ayant une valeur de survie.
Bonabo 6 février 2016
Jean-Claude Romeuf
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