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Amour, Gratitude et Lumière | Le Lien Urantien — Numéro 62 — Printemps 2013 — Table des matières | Le Semeur |
1. …
L’Amour est la plus universelle, la plus formidable, et la plus mystérieuse des énergies cosmiques. À la suite de tâtonnements séculaires, les institutions sociales l’ont extérieurement endigué et canalisé. Utilisant cette situation, les moralistes ont cherché à le réglementer, — sans dépasser, du reste, dans leurs constructions, le niveau d’un empirisme élémentaire, où traînent les influences de conceptions périmées sur la Matière, et la trace d’anciens tabous. Socialement, on feint de l’ignorer dans la science, dans les affaires, dans les assemblées, — alors que, subrepticement, il est partout. Immense, ubiquiste, et toujours insoumise, — il semble qu’on ait fini par désespérer de comprendre et de capter cette force sauvage. On la laisse donc (et on la sent) courir partout, sous notre civilisation, lui demandant tout juste de nous amuser, ou de ne pas nuire… Est-il vraiment possible à l’Humanité de continuer à vivre et à grandir sans s’interroger franchement sur ce qu’elle laisse perdre de vérité et de force dans son incroyable puissance d’aimer?
Du point de vue de l’Évolution spirituelle, admis ici, il semble que nous puissions donner un nom et une valeur à cette énergie étrange de l’Amour. Ne serait-elle pas, tout simplement, dans son essence, l’attraction même exercée, sur chaque élément conscient, par le Centre en formation de l’Univers? L’appel à la grande Union dont la réalisation est l’unique affaire actuellement en cours dans la Nature?.. Dans cette hypothèse, suivant laquelle (conformément aux résultats de l’analyse psychologique) l’Amour serait l’énergie psychique primitive et universelle, tout ne devient-il pas clair autour de nous, pour l’intelligence et pour l’action ? — On peut chercher à reconstruire l’histoire du Monde par le dehors, en observant, dans leurs processus divers, le jeu des combinaisons atomiques, moléculaires ou cellulaires. On peut essayer, plus efficacement encore, ce même travail, par le dedans, en suivant les progrès graduellement effectués, et en notant les seuils successivement franchis, par la spontanéité consciente. La manière la plus expressive, et la plus profondément vraie, de raconter l’Évolution universelle serait sans doute de retracer l’Évolution de l’Amour.
Sous ses formes les plus primitives, dans la Vie à peine individualisée, l’Amour se distingue difficilement des forces moléculaires: chimismes, tactismes, pourrait-on croire. Puis, peu à peu, il se dégage, mais pour rester, longtemps encore, confondu avec la simple fonction de reproduction. C’est avec l’Hominisation que se révèle, enfin et seulement, le secret et les vertus multiples de sa violence. L’Amour « hominisé » se distingue de tout autre amour parce que le « spectre » de sa chaude et pénétrante lumière s’est merveilleusement enrichi. Non plus seulement l’attrait unique et périodique, en vue de la fécondité matérielle; mais une possibilité, sans limite et sans repos, de contact par l’esprit beaucoup plus que par le corps: antennes infiniment nombreuses et subtiles, qui se cherchent parmi les délicates nuances de l’âme; attrait de sensibilisation et d’achèvement réciproques, où la préoccupation de sauver l’espèce se fond graduellement dans l’ivresse plus vaste de consommer, à deux, un Monde. — Vers l’Homme, à travers la Femme, c’est en réalité l’Univers qui s’avance. Toute la question (la question vitale pour la Terre…) c’est qu’ils se reconnaissent.
Si l’Homme ne reconnaît pas la véritable nature, le véritable objet de son amour, c’est le désordre irrémédiable et profond. Acharné à assouvir sur une chose trop petite une passion qui s’adresse à Tout, il cherchera forcément à combler, par la matérialité ou la multiplicité toujours accrues de ses expériences, un déséquilibre fondamental. Vaines tentatives, — et aux yeux de qui entrevoit la valeur inestimable du « quantum spirituel » humain, effroyable déperdition. — Laissons de côté, voulez-vous bien, toute impression sentimentale, et tous scandales vertueux. Mais regardons, très froidement, en biologistes ou en ingénieurs, l’atmosphère rougeoyante de nos grandes villes, le soir. Là, — et partout, du reste, — la Terre dissipe continuellement, en pure perte, sa plus merveilleuse puissance. La Terre brûle « à l’air libre ». Combien d’énergie, pensez-vous, se perd-il, en une nuit, pour l’Esprit de la Terre ?.. Que l’Homme, en revanche, aperçoive la Réalité universelle qui brille spirituellement à travers la chair. Il découvrira, alors, la raison de ce qui, jusquelà, décevait et pervertissait son pouvoir d’aimer. La Femme est devant lui comme l’attrait et le Symbole du Monde. Il ne saurait l’étreindre qu’en s’agrandissant, à son tour, à la mesure du Monde. Et parce que le Monde est toujours plus grand, et toujours inachevé, et toujours en avant de nous-mêmes, — c’est à une conquête sans limite de l’Univers et de lui-même que, pour saisir son amour, l’Homme se trouve engagé. En ce sens, l’Homme ne saurait atteindre la Femme que dans l’Union universelle consommée. — L’Amour est une réserve sacrée d’énergie, — et comme le sang même de l’Évolution spirituelle : voilà ce que nous découvre, en premier lieu, le Sens de la Terre… 2. L’Esprit de la Terre, Ceuvres, t. 6, p. 40 à 42 (Éditions du Seuil).
2.
L’attraction mutuelle des sexes est un fait si fondamental que toute explication (biologique, philosophique ou religieuse) du Monde qui n’aboutirait pas à lui trouver dans son édifice une place essentielle par construction est virtuellement condamnée. Fixer une pareille place à la sexualité est particulièrement aisé dans un système cosmique bâti sur l’union. Mais encore faut-il la définir clairement, dans l’avenir comme dans le passé. Quels sont donc exactement le sens et l’essence de l’amour-passion dans un Univers à étoffe personnelle ?
Sous ses formes initiales, et jusque très haut dans la Vie, sexualité semble identifiée avec propagation. Les êtres se rapprochent afin de prolonger, non point eux-mêmes, mais ce qu’ils ont gagné. Si intime est cette liaison entre couple et reproduction que des philosophes comme Bergson ont pu y voir un indice que la Vie existait plus que les vivants; et que des religions aussi achevées que le Christianisme ont jusqu’ici basé sur l’enfant le code presque entier de leur moralité.
Tout autres, du point de vue où nous a conduits l’analyse d’un Cosmos à structure convergente, se découvrent les choses. Que la sexualité ait eu d’abord comme fonction dominante d’assurer la conservation de l’espèce, ceci n’est pas douteux, aussi longtemps que n’était point arrivé à s’établir en l’Homme l’état de personnalité. Mais, dès l’instant critique de l’Hominisation, un autre rôle, plus essentiel, s’est trouvé dévolu à l’amour, — rôle dont il semble que nous commencions à saisir l’importance : je veux dire la synthèse nécessaire des deux principes masculin et féminin dans l’édification de la personnalité humaine. Aucun moraliste ni aucun psychologue n’ont jamais douté que les deux conjoints ne trouvassent une complétion mutuelle dans le jeu de leur fonction reproductrice. Mais cet achèvement n’était jamais regardé jusqu’ici que comme un effet secondaire, accessoirement lié au phénomène principal de la génération. Autour de nous, si je ne me trompe, l’importance des facteurs tient, conformément aux lois de l’Univers personnel, à se renverser. L’homme et la femme pour l’enfant, — encore et pour longtemps, tant que la vie terrestre ne sera pas arrivée à maturité. Mais l’homme et la femme l’un pour l’autre, de plus en plus, et pour jamais.
Afin d’établir la vérité de cette perspective, je ne puis faire autrement, ni mieux, que de recourir au seul critère qui guide notre marche au cours de cette étude : à savoir une cohérence aussi parfaite que possible de la théorie avec un domaine plus vaste de réalité. Si l’homme et la femme, dirai-je, étaient principalement pour l’enfant, alors le rôle et la puissance de l’amour devraient diminuer à mesure que s’achève l’individualité humaine, et que par ailleurs la densité de population approche sur Terre de son point de saturation. Mais si l’homme et la femme sont principalement l’un pour l’autre, alors nous concevons que, plus ils s’humanisent, plus ils sentent, de ce seul fait, un besoin accru de se rapprocher. Or c’est ceci, et non cela, qui est vérifié par l’expérience, — et qu’il faut expliquer.
Dans l’hypothèse, ici admise, d’un Univers en voie de personnalisation, le fait que l’amour grandisse, au lieu de diminuer, en s’hominisant, trouve très naturellement son interprétation — et son extrapolation. En l’individu humain, disions-nous plus haut, l’Évolution ne se boucle pas; mais elle continue plus loin, vers une concentration plus parfaite, liée à une différenciation ultérieure, obtenue elle-même par union. Eh bien, dirons-nous, la femme est précisément, pour l’homme, le terme susceptible de déclencher ce mouvement en avant. Par la femme, et par la femme seule, l’homme peut échapper à l’isolement où sa perfection même risquerait de l’enfermer. Il n’est dès lors plus rigoureusement exact de dire que la maille de l’Univers soit, pour notre expérience, la monade pensante. La molécule humaine complète est déjà autour de nous un élément plus synthétique, et partant plus spiritualisé que la personneindividu — elle est une dualité, comprenant à la fois du masculin et du féminin.
Ici apparaît dans son ampleur le rôle cosmique de la sexualité. Et ici, du même coup, se laissent apercevoir les règles qui nous guideront dans la conquête de cette énergie terrible où passe à travers nous, en ligne directe, la puissance qui fait converger sur soi-même l’Univers.
(à suivre)
Teilhard de Chardin
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