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Abondance d'articles | Le Lien Urantien — Numéro 63 — Été 2013 — Table des matières | Dieu donné l’Ajusteur |
La première de ces règles est que l’amour, conformément aux lois générales de l’union créatrice, serve à la différenciation spirituelle des deux êtres qu’il rapproche. Ni donc l’un ne doit absorber l’autre, — ni, moins encore, les deux se perdre dans les jouissances d’une possession corporelle qui signifierait chute dans le plural et retour au néant. Ceci est de l’expérience courante. Mais ceci ne se comprend bien que dans les perspectives de l’Esprit-Matière. L’amour est une aventureuse conquête. Il ne tient, et se développe, comme l’Univers lui-même, que par une perpétuelle découverte. Ceux-là donc seulement s’aiment légitimement que la passion conduit, tous les deux, l’un par l’autre, à une plus haute possession de leur être. Ainsi la gravité des fautes contre l’amour n’est pas d’offenser je ne sais quelle pudeur ou quelle vertu. Elle consiste à gaspiller, par négligence ou par volupté, les réserves de personnalisation de l’Univers. C’est cette déperdition qui explique les désordres de « l’impureté ». Et c’est elle encore qui, à un degré plus haut dans les développements de l’union, fait la matière d’une altération plus subtile de l’amour : je veux dire l’égoïsme à deux.
(…) Lorsque deux êtres, parmi le fourmillement des êtres, arrivent à se rencontrer, entre lesquels un grand amour est possible, ils tendent immédiatement à se refermer sur la possession jalouse de leur mutuel achèvement. Sous l’effet de la plénitude qui les envahit, ils cherchent instinctivement à se clore l’un dans l’autre, à l’exclusion du reste. Et même s’ils parviennent à vaincre la tentation voluptueuse de l’absorption et du repos, ils tâchent de limiter à leur découverte mutuelle les promesses de l’avenir, comme s’ils constituaient un Univers à deux.
Or, après tout ce que nous avons dit sur la structure probable de l’Esprit, il est clair que ce rêve n’est qu’une dangereuse illusion. En vertu du même principe qui obligeait les éléments personnels « simples »à se compléter dans le couple, le couple à son tour doit poursuivre au-delà de lui-même les achèvements que sa croissance requiert. Et ceci de deux manières. D’une part, il lui faut chercher, au-dehors, d’autres groupements de même ordre auxquels s’associer en vue de se centrer davantage (…) D’autre part, le Centre vers qui les deux amants convergent en s’unissant doit manifester sa personnalité au cœur même du cercle où voudrait s’isoler leur union. Sans sortir de soi, le couple ne trouve son équilibre que dans un troisième en avant de lui. Quel nom faut-il donner à cet « intrus » mystérieux ?
Aussi longtemps que les éléments sexués du Monde n’avaient pas atteint l’état de personnalité, la progéniture pouvait représenter à elle seule la réalité où se prolongeaient en quelque manière, les auteurs de la génération. Mais sitôt que l’amour eût commencé à jouer, non plus seulement entre deux parents, mais entre deux personnes, alors il a fallu que se découvre, plus ou moins confusément, en avant des amants, le Terme final où seraient à la fois sauvées et consommées, non pas seulement leur race, mais leur personnalité. Et alors recommence la « chute en avant » dont nous avons déjà suivi les péripéties. De proche en proche, il faut bien aller jusqu’au bout du Monde. Et finalement c’est le Centre Total lui-même, bien plus que l’enfant, qui apparaît comme nécessaire à la consolidation de l’amour. L’amour est une fonction à trois termes: l’homme, la femme et Dieu. Toute sa perfection et sa réussite sont liées à l’harmonieux balancement de ces trois éléments *.
* Esquisse d’un Univers personnel, CEuvres, t. 6, p. 91 à 95 (Éditions du Seuil).
3. … Une noble passion donne des ailes. Voilà pourquoi le meilleur réactif pour reconnaître dans quelle mesure un amour est élevé serait d’observer dans quelle mesure il se développe dans le sens d’une plus grande liberté d’esprit. Plus une affection est spirituelle, moins elle absorbe, — et plus elle pousse à l’action. (…)
… l’amour est le seuil d’un autre Univers. Par-delà les vibrations que nous connaissons, l’iris de ses nuances est encore en pleine croissance. Mais, en dépit de la fascination qu’exercent sur nous les teintes inférieures, c’est vers l’« ultra » seulement que progresse la création de la lumière. C’est dans ces zones invisibles, et comme immatérielles, que nous attendent les vraies initiations à l’unité. Les profondeurs que nous prêtons à la Matière ne sont que le reflet des hauteurs de l’Esprit.
Ce point nous paraît décidé par l’expérience et la pensée humaines. (…)
… du point où je suis parvenu il me semble distinguer autour de moi les deux phases suivantes dans la transformation créatrice de l’amour humain. — Au cours d’une première phase de l’Humanité, l’Homme et la Femme, reployés sur le don physique et les soins de la reproduction, développent graduellement, autour de cet acte fondamental, une auréole grandissante d’échanges spirituels. Ce nimbe était d’abord une frange imperceptible. Peu à peu, c’est en lui qu’émigrent la fécondité et le mystère de l’union. Et puis, finalement, c’est en sa faveur que l’équilibre se rompt. Mais, à ce moment précis, le centre d’union physique d’où la lumière émanait se révèle impuissant à soutenir de nouveaux accroissements. Le foyer d’attraction se rejette brusquement, comme à l’infini, en avant. Et, pour continuer à se saisir plus outre dans l’esprit, les amants ont à tourner le dos au corps, pour se poursuivre en Dieu. La virginité se pose sur la chasteté comme la pensée sur la vie : à travers un retournement, ou un point singulier. Bien entendu, une pareille transformation, sur la surface de la Terre, ne saurait être instantanée. Il y faut essentiellement le Temps. L’eau que l’on chauffe ne se vaporise pas tout entière à la fois. En elle, « phase liquide » et « phase gazeuse » coexistent longtemps. Il le faut. Toutefois, sous cette dualité, il n’y a qu’un seul événement en cours, — dont le sens et la « dignité »s s’étendent à l’ensemble. — Ainsi, à l’heure présente, l’union des corps garde sa nécessité et sa valeur pour la race. Mais sa qualité spirituelle est désormais définie par le type d’union plus haute qu’elle alimente, après l’avoir préparé. L’amour est en voie de « changement d’état » au sein de la Noosphère. Et c’est dans cette direction nouvelle que se prépare le passage collectif de l’Humanité en Dieu.
Telle je m’imagine l’évolution de la Chasteté.
Théoriquement, cette transformation de l’amour est possible. Il suffit, pour sa réalisation, que l’appel du centre personnel divin soit assez fortement senti pour dominer l’attraction naturelle qui tendrait à se faire précipiter l’une sur l’autre, avant le temps, les couples des monades humaines.
Pratiquement, je ne me le dissimule pas, la difficulté de la tentative paraît si grande que tout ce que j’ai écrit dans ces pages serait taxé par les neuf dixièmes des hommes de naïveté ou de folie. L’expérience n’est-elle pas universelle et concluante que les amours spirituelles ont toujours fini dans la boue? L’homme est fait pour marcher sur le sol. A-t-on jamais eu l’idée de voler!..
Oui, des fous ont fait ce rêve, répondrai-je. Et voilà pourquoi, aujourd’hui, l’air est à nous. Ce qui paralyse la vie, c’est de ne pas croire et de ne pas oser. Le difficile n’est pas de résoudre les problèmes, c’est de les poser. Or, nous le voyons maintenant : s’emparer de la passion pour la faire servir à l’esprit serait, d’évidence biologique, une condition de progrès. Donc, tôt ou tard, à travers notre incrédulité, le Monde fera ce pas. Car tout ce qui est plus vrai se trouve; et tout ce qui est meilleur finit par arriver.
Quelque jour, après l’éther, les vents, les marées, la gravitation, nous capterons, pour Dieu, les énergies de l’amour. — Et alors, une deuxième fois, dans l’histoire du Monde, l’Homme aura trouvé le Feu *.
* L’Évolution de la Chasteté, Inédit
4. Qu’est-ce à dire, Seigneur, sinon que par toute la largeur et l’épaisseur du Réel, par tout son Passé et tout son Devenir, par tout ce que je subis et tout ce que je fais, par les servitudes, les initiatives, et l’œuvre même de ma vie, je puis vous atteindre, m’unir à vous, et progresser indéfiniment dans cette union!
Le triple rêve de l’amour, vous le réalisez avec une plénitude inouïe, par votre Incarnation: — s’envelopper de l’Objet aimé jusqu’à y être noyé, — intensifier sans cesse sa présence, — et s’y perdre sans arriver à s’en rassasier…
Que la substantielle et mortifiante influence du Christ s’épande toujours plus dans tous les êtres, et qu’elle fonde de là sur moi pour me vivifier!..
Que le contact temporaire et circonscrit avec les espèces sacramentelles m’introduise à une communion universelle et perpétuelle avec le Christ, sa volonté omni-agissante, son Corps mystique illimité!.. *
* Le Prêtre, Écrits du Temps de la guerre 1916-1919, p. 297 (Éditions Grasset).
5. Ce que j’appelle, comme tout être, du cri de toute ma vie, et même de toute ma passion terrestre, c’est bien autre chose qu’un semblable à chérir: c’est un Dieu à adorer. Oh! adorer, c’est-à-dire se perdre dans l’insondable, se plonger dans l’inépuisable, se pacifier dans l’incorruptible, s’absorber dans l’immensité définie, s’offrir au Feu et à la Transparence, s’anéantir consciemment et volontairement à mesure qu’on prend de soi conscience davantage, se donner à fond à ce qui est sans fond! Qui pourrons-nous adorer ?
Plus l’Homme deviendra homme, plus il sera en proie au besoin, et à un besoin toujours plus explicite, plus raffiné, plus luxueux, d’adorer.
O Jésus, déchirez les nues de votre éclair! Montrez-vous à nous comme le Fort, Étincelant, le Ressuscité! Soyez-nous le Pantocrator qui occupait, dans les vieilles basiliques, la pleine solitude des coupoles! Il ne faut rien moins que cette Parousie pour équilibrer et dominer dans nos cœurs la gloire du Monde qui s’élève. Pour que nous vainquions avec vous le Monde, apparaissez-nous enveloppé de la Gloire du monde *.
* Le Milieu Divin, Œuvres, t. 4, p. 157-158 (Éditions du Seuil).
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Teilhard de Chardin
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