© 2023 Sophie Malicot
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Retour D'expérience | Le Lien Urantien — Numéro 103 — Septembre 2023 — Table des matières | Le Poême Du Chat |
Sophie Malicot
Un souci récurent taraude des lecteurs du Livre d’Urantia, à savoir comment diffuser la 5e révélation. Bien qu’il soit impossible de connaitre le nombre réel de lecteurs, un décalage difficile — voire douloureux — est ressenti, entre la richesse colossale donnée par le livre et le peu d’adhésion effective.
Le paradoxe est le suivant : Le Livre d’Urantia sera davantage lu lorsque ses concepts novateurs seront antérieurement acquis. Pour comprendre ce paradoxe, plusieurs points sont à aborder, dont celui sur le mécanisme du cerveau.
1 — L’intelligence humaine aime comprendre. Si le corps a besoin de nourritures terrestres, l’intelligence a besoin de nourritures mentales. Ainsi depuis l’aube de l’humanité, l’intelligence observe, cherche, classe, trie le monde dans lequel elle évolue et le vécu qui s’y déploie. Sous cette appétence au classement se cachent deux aspects fondamentaux : d’une part, face au visible, la compréhension du monde offre un gain considérable de préservation et de sécurité ; comprendre permet de prévoir, de maitriser le monde et l’humain. Le monde visible s’explique et sa maitrise rend service. D’autre part, face à l’invisible, la compréhension limite les peurs et accroit une connaissance qui répond à une soif intérieure à laquelle le visible ne répond pas.
Cependant, cette mise en ordre de l’inconnu coute au cerveau humain et nécessite une adaptation progressive. Le film de Jamie Uys « Les dieux sont tombés sur la tête », ou celui de J.M Poiré « Les visiteurs » illustraient en comédie la difficulté d’intégration mentale de connaissances très éloignées de celles déjà acquises. Nous fonctionnons par modèle et lorsque l’écart est trop important, le cerveau ne sélectionne ni ne retient le nouveau modèle proposé. Celui-ci ne pouvant se référer à rien de connu, il n’a au- cun sens ni aucune valeur ; aussi est-il vainement donné.
De nombreux artistes jouent sur cet écart, que ce soit en science-fiction, peinture, musique, calligraphie. Cependant ; bien que jouant d’écart, ils respectent aussi une limite, sans quoi leurs œuvres ne seraient pas retenues par le spectateur. Ainsi les extraterrestres ont une forme relativement similaire à la nôtre ; les monstres animaux sont souvent vertébrés, les personnages fantastiques ont des pouvoirs répondant à nos critères de bien et de mal. Les dessins animés pour enfants sont conformes à cette dysmorphie relative de la réalité.
Ainsi le cerveau peut se projeter dans ce qu’il ne connait pas, à condition qu’il y reconnaisse d’abord ce qu’il connait déjà. Il y a donc un processus de reconnaissance préalable et nécessaire pour l’ouverture à la méconnaissance.
Le Livre d’Urantia ne déroge pas à ce mécanisme humain ; les lois fondamentales sont respectées. Sur 2098 pages, n’allons pas plus loin que la 11e ligne : « Dans notre effort pour étendre la conscience cosmique et rehausser la perception spirituelle… ». La révélation s’appuie sur notre conscience cosmique déjà acquise, et propose de l’étendre ; de même elle s’appuie sur la perception spirituelle que l’humanité a conquise au fil des millénaires, pour seulement la « rehausser » davantage. Dans la même ligne d’appui sur nos connaissances, trois lignes plus avant (14 et 15), le langage utilisé se servira au maximum des « symboles verbaux de la langue anglaise ». Les nouveaux termes introduits n’auront place que si la terminologie déjà en place navait « aucune expression propre à illustrer ces nouveaux concepts, fût-ce partiellement ou même en en déformant plus ou moins le sens ». Jésus entre dans la même dynamique en disant :
« Ne commettez pas l’erreur de croire que je sois venu pour rejeter la loi et les prophètes. Je ne suis pas venu pour détruire, mais pour accomplir, élargir et illuminer. Je ne suis pas venu pour transgresser la loi, mais plutôt pour écrire ces nouveaux commandements sur les tablettes de votre cour. » LU 140:6.2
2 — Par ailleurs, nous sommes prévenus que la 5 e révélation est donnée en avance, « en fonction de cette ère nouvelle et meilleure…, ère qui succèdera immédiatement au combat idéologique — le jour où les hommes rechercheront véritablement la droiture et la vérité» (conseils des superviseurs invisibles pour la diffusion du Livre). Nous savons donc que le monde d’aujourd’hui est encore dans ce combat idéologique, et pouvons en déduire notre rôle participatif pour préparer le temps de demain. La question légitime est : pourquoi est-elle donnée si le temps nest pas à sa diffusion ? À ce lieu intervient le paradoxe énoncé plus haut : elle est donnée pour préparer sa diffusion ultérieure.
Nous savons qu’il serait suicidaire de modifier trop rapidement et violemment les concepts sur lesquels une civilisation, un monde se construisent. Ceux-ci doivent suivre un cours d’évolution lente — rien neetant plus difficile que de modifier les croyances, même lorsque cellesci vont vers un mieux. Non pas tout balayer pour implanter autre chose ; non pas jeter le bébé avec leau du bain mais suive patiemment la croissance du bébé vers son enfance, adolescence et maturité. La diffusion du Livre est donc progressive, s’inscrivant dans cette dynamique: « Le progrès est le mot de passe de l’univers » LU 4:1.2. Pour que cette modification des croyances et des connaissances soit effective, à léchelle planétaire, plusieurs générations sont sans doute nécessaires. Les premiers exemplaires du Livre datant d’octobre 1955, nous en sommes déjà à 2 générations. Rechercher véritablement la droiture et la vérité ne peut apparaitre qu’après une certaine maturité de l’humanité, à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus.
3 — Comme tout livre d’enseignement spirituel, il doit parler intérieurement à ceux qui le reçoivent, jusqu’à modifier leur existence, sans quoi il est réduit à un manuel auquel on peut se référer intellectuellement mais non spirituellement. Il appartient donc à ceux à qui il parle, quill fait vivre, d’avancer dans ces modifications, non pas en les criant dans nos nouveaux déserts — d’athéisme et de scientisme — mais en les intégrant jusqưà la moelle de l’âme afin que tout lêtre en rayonne au-delà des paroles. Ainsi pour celui modifié par ces enseignements, les concepts nouveaux s’inscrivent en mémoire et « rehaussent » la vie davantage que les concepts antérieurs ne le font. Il exhale une nouveauté, une liberté accrue, une assurance stable face aux houles sociétales qui bousculent notre monde. Et à travers les échanges verbaux, sans bien souvent ne pouvoir aller jusquaux discussions in situ de la spiritualité, il exhale malgré soi un évasement de certains concepts, provoquant l’interrogation, proposant une autre lecture de la vie et du monde qui fera repartir l’interlocuteur comme le jeune homme riche, non pas en adhésion immédiate mais touché dans son équilibre précédent, nécessitant une marche en avant pour recouvrer un nouvel équilibre par cet apport nouveau. Restons humbles ; nous ne sommes que des outils intermédiaires, Dieu seul change le cour de l’humain.
Quels sont ces révélations novatrices, ayant grande puissance de changement et parallèlement affrontant le plus de résistance individuelle et sociétale ? Ces concepts interagissent les uns sur les autres. Pour l’exposé, un arbitraire dénonciation est requis mais dans le vécu, ils sont totalement interdépendants. Et par conséquent, interinfluents.
A. La présence divine en l’humain. Un fragment du Père est déposé en chaque être, sans oubli d’aucun. Il dit la présence, l’intimité et l’accompagnement de la divinité dans nos vies. Présence aimante dont l’amour prévaut sur toute justice. Présence aidante dont le but est, en requérant notre adhésion plénière, de survivre à la mort et vivre éternellement.
Pas de dieux lointains, indifférents au sort des humains. Pas de dieux jaloux, courroucés et vengeurs si les agissements humains ne sont pas à leurs grés. Les civilisations se sont construites sur des images de divinité où l’amour ne prédomine pas. D’où la nécessite d’amadouer cet invisible, se fustiger pour mériter les bonnes faveurs célestes et ne pas sombrer dans le néant. Jésus a décousu totalement cette conception erronée en proposant un Père aimant et en supprimant la notion de mérite. Malheureusement, pour les raisons mentales susdites, la crucifixion a été réintégrée dans les concepts antérieurs de punition et rachat, détruisant considérablement le message christique. La Révélation défait totalement cette vision antithétique du monde divin, par la volonté divine de diffusion de la nature essentielle du Père : l’amour.
B. Il en découle la relation directe entre l’homme et Dieu. Cette présence divine directe dans l’humain donne le contact immédiat et sans nécessité de conditions externes pour être en relation avec la divinité. Ceci destitue la distance entre le monde visible et le monde invisible. L’un est avec l’autre, l’un dans l’autre. L’appel et la dépendance à des intermédiaires pour être en relation avec le divin sont caducs. La présence attentionnée constante de Dieu envers l’humain est assurée, ressentie en certitude intérieure.
C. Il en découle la création de l’âme. Le concept de l’âme n’est pas nouveau mais le nouveau vient de la précision de son origine, son développement et sa fonction: de la relation directe avec le fragment de Dieu en soi, il en nait l’âme, enfant de cette relation. Cette seconde naissance, cet enfant intérieur est celui qui nous permettra de poursuivre l’aventure éternelle lorsque le corps temporel aura « rendu l’âme »… au monde supramatériel auquel elle appartient. Nous sommes un des deux actionnaires de la création de l’âme, ce qui pose notre responsabilité plénière dans l’établissement et la poursuite de cette relation. Cette définition renverse les concepts d’âme existant avant la conception, ainsi que sa réincarnation après le décès. L’âme est fondamentalement unique, individuelle et personnelle. Ses métamorphoses successives ont bien lieu, non plus sur le plan de la matière, mais en nature supérieure, morontielle puis spirituelle.
D. La personnalité. Le terme est identique à celui utilisé en psychologie, mais n’a de commun que la terminologie. Elle ne saurait se définir précisément car, étant un don de Dieu, elle porte un mystère — elle est mystère. Sans prétendre la cerner, nous pouvons cependant avancer ces repères:
E. Concomitance de la création et de l’évolution. Concevoir la volonté divine primordiale parfaite et créative avec une création imparfaite et évolutive. Ni créationnisme ni évolutionnisme, exclusifs l’un de l’autre, mais création contenant l’évolution. L’humain est intégré dans ce processus de création évolutionnaire. Il intervient dans le développement de la chaine du vivant juste après les animaux, dont il est issu et se démarque par l’apparition de la volonté. Par conséquent la perfection est loin devant, et ne se trouve pas au lendemain des portes franchies de l’Hadès. Le plan divin conçoit un entrelacs où s’embrassent constamment créateurs et créatures, l’un renvoyant à l’autre et se tissant l’un avec l’autre, jusqu’aux noces. La création nest pas là pour faire évoluer l’humain mais au contraire pour l’accompagner au fil des âges, vers le plein déploiement de ses capacités et potentiels.
F. Il en découle l’absence de faute de l’humain. Le processus susdit implique que le développement créatif est en cours. L’humain apparait à un moment de l’évolution — apparition volontaire de la part de la divinité. Prenant le train en marche, l’humain chemine lui aussi, sans état paradisiaque antérieur. Il n’y a pas de chute, faute et péché originels justifiant un rachat. L’humain est seulement en voie de perfection.
G. Bien et mal. Cette création évolutive est la progression choisie par la divinité pour s’acheminer vers la perfection. Progression partant du relatif imparfait pour atteindre l’absolu parfait. Ce que nous appelons mal est la progression de cette imperfection vers la perfection. La création n’est pas un terrain de rixes où s’affrontent les forces de Lumière et les forces de l’Ombre. Le bien est en devenir, en formation graduelle. « Le mal est le bien en formation, mais pas encore prêt » Dialogues avec l’Ange.
H. L’absoluité du libre arbitre. Jésus garantit l’impossibilité pour quiconque de posséder un mental contre la volonté de celui-ci. Idée totalement novatrice, assurant que la divinité est garante du maintien absolu de la liberté humaine. Et son corollaire de responsabilité : ce même mental libre est totalement responsable des choix de sa destinée.
I. Dévoilement de la structure de la Trinité. L’Amour Originel ne sait que se donner. Par conséquent la Déité est distributive d’elle-même et nécessite, pour mener ses projets à bien, de nombreuses hiérarchies célestes ayant toutes une fonction précise. Dans ce mouvement, le plan divin a aussi besoin de l’humain pour se réaliser. La gravité de fonction individuelle implique que chaque être — dont chacun de nous — a une fonction particulière qui se dévoile et s’accomplit en lien avec la réalisation du plan divin. Autrement dit, la pleine réalisation du moi individuel ne peut advenir qu’en intégrant et se donnant au service du plan de Dieu.
J. Participation de la matière physique. La création est le support du développement du plan divin ; elle en est un pan, collaboratif et bienveillant. Comme toutes les Déités premières, elle a toujours existé, au-delà du temps, ce qui implique qu’il n’y a pas eu de point zéro de départ de la création.
De nombreux autres points novateurs sont subsidiaires aux principaux concepts énoncés ci-dessus, les développant.
Avec ce bagage, reprenons à chaudes âmes les difficultés de diffusion du Livre.
Le monde est tel qu’il est, pour certains en grande décadence, pour d’autres en pleine croissance de mutations prometteuses d’un futur novateur. Si nous estimons être chanceux de pouvoir lire le LU, cela se lie en parallèle avec une responsabilité accrue de l’ensemencement des concepts nouveaux qu’il ouvre. Nous aimerions qu’une jeunesse pleine de fougue vienne se joindre à nous, garante du flambeau transmis. Mais Jésus n’attendait pas sous un figuier que les gens viennent à lui ; au contraire, combien de kilomètres à pieds fit-il pour aller vers eux ? Combien d’énergie mentale déploya-t-il pour savoir comment s’adresser aux personnes et aux foules selon leur niveau de connaissance et de spiritualité, rehaussant leur perception spirituelle mais ne dépassant pas l’entendable de l’époque ?
Sans doute avons-nous à faire de même. Diffuser les concepts nouveaux depuis les concepts anciens. Non pas combattre les acquis des civilisations — religieux, institutionnels, philosophies, scientifiques — car ils eurent d’une part des rôles structurants du développement des civilisations au fil des millénaires, et d’autre part de nombreux concepts divins ont été pressentis malgré une déformation affirmée. Puis continuer l’aventure et ouvrir à un étonnement auquel « je n’avais pas pensé», entendrons-nous peut-être. Ou bien ces silences, souvent interprétés comme des fermetures ; les accueillir sans estimation d’opposition mais en espace-temps nécessaire d’intégration du nouveau dans le puzzle mental en place. Évoluer intérieurement se fait dans le silence de notre chambre intime.
Une révolution intérieure est nécessaire pour adopter ces nouveaux concepts et les harmoniser entre eux. Imaginons pouvoir les coupler et les présenter conjointement à une personne. Quelle nouvelle cartographie intérieure construirait-elle ? Que pourrait-elle se dire à l’interférence de ces nouveaux concepts ? Par exemple…
Qui que je sois, je suis aimé de Dieu. Cet amour est originel et s’étend à toutes créations sans que celles-ci ne doivent mériter cet amour. La création étant un phénomène progressif de perfection, dont je fais partie, la perfection est à venir, sans passé d’où elle fut perdue. Par conséquent, mes actes sont en cours de progrès, comme tout ce qui constitue le vivant dans lequel je vis. Je peux participer librement et volontairement à cet avènement de perfection si tel est mon choix, car rien ni personne ne peut s’y opposer. Mes actes et ceux du monde sont imparfaits, puisque l’imperfection est inévitable dans ce processus en accomplissement ; mais nous sommes alliés dans cette aventure inimaginable. Que ce soit pour rendre grâce ou pour m’accompagner dans le discernement nécessaire dans cette progression vers le bien, je peux être en lien direct avec Dieu, quoi que je fasse et où que je sois. Si d’aventure je chute, la miséricorde divine saura toujours prévaloir si je l’accepte.
Et lorsque la nuit je suis admirative de la magnificence de la voute céleste, je considère l’avenir en découvertes incessantes devant cette création infinie et éternelle, sans commencement ni fin, que nous ne cesserons d’explorer et mieux comprendre. Je suis incapable de réaliser la valeur de ma participation à cette aventure divine éternelle ; mais je peux dire oui. Derrière ce mystère insondable se cachent une infinité d’êtres et de divinités insoupçonnables de grandeur, de bonté, dont le fonctionnement me dépasse totalement.
Cette métamorphose nécessite du courage pour changer les croyances et la foi, car ce chemin va à l’encontre du courant du monde. Tout au moins en surface. « Mon Royaume n’est pas de ce monde » disait Jésus. Son enseignement non plus, pas plus que la 5e Révélation n’est dans l’air du temps. Cœurage nécessaire pour incarner l’enseignement sans le partager autant que l’abondance du cœur et de l’esprit le désireraient. Comprendre les enjeux de divergence profonde avec le chemin christique et renverser les fausses libertés en vérité franche.
Il est certain que ces nouveaux concepts spirituels — et leurs conséquences spirituelles et mentales — modifient lê̂tre, et en modifiant l’être, elles modifient totalement la structure des sociétés. Ceci ne peut pas et ne doit pas se faire trop rapidement.
L’enseignement du Livre n’a pas à être désincarné de l’expérience humaine ; il doit parler dans nos vies actuelles — actives —, afin d’offrir des réponses constructives à un malaise, une déstabilisation profonde, une non-adhésion aux courants qui nous emportent malgré nous. Comme ceuxci par exemple :
Ces questions, et tant d’autres, sont des sujets que nous côtoyons quotidiennement, ouvrant la possibilité « d’étendre la conscience cosmique et rehausser la perception spirituelle… ». Les groupes d’étude sont faits pour l’étude mais la diffusion des concepts du Livre ne se fait pas à ce moment-là.
Progressivement, ces nouveaux concepts se répandront, et seront reconnus dans le Livre lorsqu’ils auront été enfouis, préparés, diffusés au préalable, de façon plus ténue, légère, sensible.
La graine plantée en hiver attend lété pour fructifier.
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