[ p. 147 ]
La relation entre les Évangiles du Nouveau Testament a été établie avec clarté et certitude par les études historiques modernes. L’Évangile selon Marc fut le premier, écrit vers l’an 70. Quelques années plus tard, Luc et Matthieu firent largement appel à Marc, intégrant la quasi-totalité de l’Évangile.
Un fait important est que Luc et Matthieu s’accordent sur une formulation similaire, non seulement dans des passages tirés de Marc, mais aussi dans un nombre considérable d’autres passages. Une étude attentive montre clairement que Luc et Matthieu ont utilisé une autre source pour compléter ce qu’ils avaient tiré de Marc. Cette autre source, appelée indifféremment « Logia » ou « Q », est parfois considérée comme deux sources, « G » et « Pm ». Ce matériel ne se composait pas d’incidents et de récits comme dans Marc, mais principalement de paroles de Jésus. Les spécialistes reconnaissent généralement qu’il a été écrit à une date antérieure à l’Évangile selon Marc.
Français L’analyse des Évangiles telle que donnée par Burton et Goodspeed Harmony of the Synoptic Gospels, p. iv, est en partie la suivante : « 1. Notre deuxième évangile . . . a été utilisé comme source par nos premier et troisième évangiles. 2. Matthieu et Luc possédaient aussi en commun un document contenant le matériel non marcien qui se trouve maintenant dans Luc 3:1 à 9:50. . . . Par commodité, on peut l’appeler « G ». 3. Matthieu et Luc possédaient un troisième document constitué du matériel non marcien qui se trouve maintenant dans Luc 9:51 à 19:28. . . . La partie qui a été [ p. 148 ] utilisée par Luc seul et qui n’était peut-être pas entre les mains de Matthieu peut être appelée PI ; le reste Pm. »
D’autres sources utilisées par Matthieu ou Luc sont également mentionnées par Burton et Goodspeed. Cette analyse met clairement en évidence l’importance de ces premiers documents pour l’historien. L’évolution des récits et des récits chrétiens de Jésus est ainsi mise en perspective. L’Évangile de Jean est le plus récent des Évangiles du Nouveau Testament. Avant Jean, on trouve Matthieu, puis Luc, puis Marc, puis peut-être une édition antérieure de Marc, telle qu’elle apparaît dans Matthieu et Luc, puis la source lucanienne spéciale « PI », puis « Pm », puis « G », puis quelques paroles trouvées à la fois dans Marc et dans « G » ou « P » (paroles doublement attestées), et enfin la parole la mieux attestée, trouvée non seulement dans les quatre Évangiles, mais aussi dans les « Logia » (G et Pm). Ainsi, le contenu des Évangiles peut être facilement classé en dix classes, par ordre numérique d’attestation : (i) les paroles les mieux attestées (six fois), (2) les paroles doublement attestées (quatre ou cinq fois), (3) le document « G » (Matthieu et Luc), (4) « Pm » (Matthieu et Luc), (5) « PI » (Luc), (6) la « triple tradition » (Matthieu, Marc, Luc), (7) Marc, (8) Luc, (9) Matthieu, (10) Jean. Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, elle souligne l’importance de la distinction entre les paroles et récits les mieux et les moins attestés.
La parole la plus attestée de Thésée touche au cœur même de sa religion : « Quiconque cherche à préserver son âme perdra son âme ; mais quiconque se perd pour la cause de l’Évangile se retrouvera. » Le mot grec généralement traduit par « vie » (version standard américaine, « perdre sa vie ») désigne naturellement la personnalité ou l’âme. Il représente un mot de la langue juive généralement traduit par « soi » dans l’Ancien Testament. L’hébreu ou l’araméen possédait un vocabulaire beaucoup plus simple que l’anglais. Des mots aux sens multiples étaient très courants. Le mot « perdre » ne représente pas l’idée de mort ou de destruction. C’est le mot utilisé pour la brebis perdue dans la célèbre parabole. Le même mot est utilisé pour la pièce de monnaie que la femme a perdue et retrouvée (Lc 15, 8). Il est [ p. 149 ] le mot utilisé par le père à propos du fils prodigue (Lc 15, 32).
Cette parole de Jésus représente sa protestation contre l’égoïsme et son appel aux hommes et aux femmes à se jeter, leur âme, leur personnalité, leur vie, au service de tous les membres de la grande famille du Père, bons et mauvais.
Les paroles doublement attestées reflètent toutes les différentes couleurs sous lesquelles cet enseignement central se révèle : « Quiconque veut être mon disciple pratiquera l’abnégation et se chargera de sa croix. » La croix ne représentait pas seulement un fardeau, mais une disposition à affronter la mort et la persécution. « Celui qui allume une lampe ne la cache pas. » Cette parole pourrait avoir de nombreuses applications. L’une d’elles était certainement l’appel de Jésus à ceux qui voient la gloire et la beauté de l’Évangile de la fraternité, à ne pas laisser le feu s’éteindre, mais à porter le flambeau pour éclairer la vie d’innombrables personnes dans le besoin.
« Il n’y a rien de caché qui ne soit révélé. » Franchise et sincérité sont essentielles ; dissimulation et hypocrisie n’ont pas leur place dans la religion de Jésus. « Celui qui possède quelque chose acquiert davantage. » C’est l’encouragement de Jésus au progrès spirituel. L’homme qui ne désire pas s’améliorer dépérit ; celui qui a du bon en son âme grandit.
« C’est une époque mauvaise qui exige un signe. » Là où existe une réelle aspiration vers Dieu et la bonté, nul argument extérieur n’est nécessaire. C’est encore l’appel de Jésus à la simplicité de cœur et à la spiritualité. « Quiconque s’élève sera abaissé. » L’humilité est une caractéristique fondamentale de la religion de Jésus.
« Quiconque répudie sa femme pour en épouser une autre commet un adultère. » Hérode Antipas, le souverain de Jésus, avait fait exactement cela. Hérode avait particulièrement outragé le sentiment juif, car c’était la femme de son propre frère qu’il avait enlevée et épousée (Lév. 18 ; 16 ; Deut. 25:5). Jean-[ p. 150 ] Baptiste l’avait réprimandé pour son acte (Mc 6:18). [1] Jean-Baptiste avait perdu la vie à cause de sa réprimande. Néanmoins, Jésus ne s’est pas laissé décourager de dénoncer ouvertement l’égoïsme absolu d’Hérode.
« Beaucoup des premiers seront les derniers. » Jésus encourage à nouveau ses disciples, même les plus humbles, à reconnaître leur importance dans le service. « Si vous aviez de la foi grosse comme un grain de moutarde », est l’une des nombreuses paroles paradoxales de Jésus. Elle a toujours dû pousser l’auditeur à s’interroger sur sa signification et à réfléchir à la puissance de la foi. « Soyez constamment vigilants. » Cette parole reflète l’urgence qui caractérise les véritables chefs religieux. Les disciples de Jésus ne s’écartent jamais du chemin du devoir, persuadés qu’ils échapperont à la détection. Ils sont constamment sur leurs gardes. Quel que soit le moment de l’appel, ils sont prêts à répondre et à rendre compte d’eux-mêmes.
Ainsi, ces paroles, doublement attestées, révèlent une religion de service désintéressé, pratiquant l’abnégation, portant dans le monde le flambeau d’une sincère droiture. L’humilité, la pureté, le courage, la foi et une loyauté inébranlable sont des qualités qui, appliquées au service d’autrui, conduisent le disciple de Jésus vers une vie plus élevée et le rapprochent de la présence de Dieu.
En se référant aux paroles de Jésus contenues dans les sources les plus anciennes, « G » et « Pm », il est facile d’imaginer la manière dont Jésus attirait un auditoire dans un village ou un autre de Galilée. Le « Sermon sur la montagne » reflète la vie quotidienne des gens, constamment confrontés à la pauvreté et à la tristesse. Lorsque Jésus commençait à dire : « Heureux êtes-vous, pauvres », les uns et les autres se disaient, incrédules, surpris : « Il me parle ! » Quiconque commençait par de telles paroles était assuré d’être entendu. Jésus n’était pas un scribe assis sur la chaire de Moïse. Il avait de la compassion pour toutes les difficultés et tous les handicaps humains. Il était un messager d’espoir pour tous ceux qui étaient pauvres, affamés, dans la douleur, seuls ou persécutés.
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« Aimez vos ennemis. » Ces mots étaient saisissants. Ils imposaient attention et réflexion. Ils suscitaient la discussion. « Dites une prière pour ceux qui vous maltraitent. » Voilà une idée étrange et nouvelle. Le professeur était-il sincère ? « Si quelqu’un vous frappe sur la joue, tendez-lui l’autre. » Un tel conseil paraissait totalement impraticable à l’auditeur. Il le chassait de son esprit. Mais il ne restait pas lettre morte ; il revenait sans cesse.
Que dit ensuite le nouveau maître ? Il affirme que Dieu laisse briller son soleil sur les bons comme sur les méchants. Il est bon envers les ingrats et les méchants. Jésus exhorte ses auditeurs à vivre comme Dieu en étant pleins de bonté envers tous.
Ceux qui entendirent Jésus rentrèrent chez eux pleins de doutes et d’objections. Pourtant, quelque chose dans leur cœur résonnait à cet idéal de fraternité. C’était quelque chose qu’ils pouvaient facilement mettre à l’épreuve. Cela ne nécessitait aucun investissement financier, aucune connexion politique, aucune formation rabbinique. C’était trop élevé pour eux, et pourtant les mots étaient clairs. L’un après l’autre, ils l’essayèrent. Ils commencèrent à substituer l’amour à la haine, la bonté à la violence. Ils se sentirent grandir et se rapprocher de Dieu. Leur nombre augmenta jusqu’à ce qu’en quelques mois, des milliers de personnes trouvèrent un bonheur et une satisfaction nouveaux en testant la religion de Jésus.
Malheur à vous, pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue et de toute herbe, et qui négligez pourtant la justice et la bonté ! Voilà ce que vous devriez faire, sans négliger les petites choses (Lc 11, 42 ; Mt 23, 23).
Vous négligez la volonté de Dieu et observez les traditions des hommes (Mc 7, 9).
Comment me présenterai-je devant l’Éternel et m’inclinerai-je devant lui ? Présenterai-je des holocaustes ? . . . [ p. 152 ] Que demande l’Éternel de toi, sinon que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu (Michée 6: 6-8).
Ils observaient Jésus pour voir s’il guérirait l’homme le jour du sabbat, afin d’avoir un motif d’accusation contre lui (Mc 3, 2).
Aucune nourriture qui entre dans un homme ne peut le souiller. . . . C’est ce qui sort du cœur d’un homme qui le rend mauvais : mauvaises pensées, immoralité, vol, cupidité, arrogance (Mc 7, 19-22).
Un des scribes s’approcha… et lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19 : 18 ; Mc. 12 : 28-31).
Aimez vos ennemis et soyez toujours serviables, et votre récompense sera grande. Vous serez ainsi fils du Très-Haut, qui est bon envers les ingrats et les méchants. Soyez pleins de bonté, comme votre Père céleste est bon et bienveillant (Lc 6, 35-36 ; Mt 5, 44-45 ; 48).
La lecture des paroles de Jésus, telles que présentées dans le chapitre précédent, donnera une vision complète de sa religion. Ces paroles doivent être étudiées attentivement et revues à maintes reprises. Aucun commentaire ne saurait les remplacer. La connaissance du contexte historique et une lecture attentive des paroles de Jésus en relation avec ce contexte sont essentielles.
Si peu de paroles de Jésus ont été conservées dans nos Évangiles qu’il existe une forte tendance à les examiner individuellement. Mais les paroles de Jésus elles-mêmes mettent en garde contre toute interprétation littérale. Elles doivent être lues en longs passages et comprises comme des vecteurs du nouvel esprit de l’époque. Elles expriment des principes généraux et ne constituent ni une nouvelle loi ni une révision de la loi mosaïque.
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Lorsque les chrétiens juifs commencèrent à formuler la nouvelle religion qu’ils se proposaient de prêcher, on leur demanda naturellement d’expliquer la différence entre la nouvelle et l’ancienne. Ceci explique la nette distinction établie dans nos Évangiles entre la loi de Moïse et la nouvelle loi chrétienne. Jésus lui-même n’a pas dit que l’ancienne loi était périmée, comme Paul l’a dit plus tard. Jésus ne dénonça pas les pharisiens en tant que groupe, mais dénonça ceux d’entre eux qui étaient insincères ou hypocrites, ou qui, d’une manière ou d’une autre, ne respectaient pas l’esprit de la loi.
À l’époque de Jésus, on avait de plus en plus tendance à enfouir le glorieux héritage des prophètes hébreux dans une masse de traditions légalistes. Ces traditions, consignées ultérieurement par écrit et illustrées par les citations de la Mishna dans un chapitre précédent, étaient la cible des attaques de Jésus. Toute tendance à mettre l’accent sur l’observance du sabbat au point d’occulter le devoir ou la cause de la miséricorde était totalement contraire à l’esprit de la religion de Jésus.
Dans son petit livre, L’enseignement éthique de Jésus (p. 33), Scott écrit : « Dans le judaïsme, comme dans toutes les religions de l’époque, les devoirs cérémoniels et éthiques étaient placés sur un pied d’égalité. » Il ajoute que Jésus « faisait une distinction entre la loi du sabbat et la loi de miséricorde, et insistait sur le fait qu’en cas de conflit, la loi du sabbat devait toujours céder le pas. » Cela est vrai pour Jésus, mais est loin d’être juste envers le judaïsme de son époque. Il est probable que de nombreux rabbins juifs insistaient pour que la loi de miséricorde prime sur toutes les autres lois. Il serait peut-être plus juste de dire, comme le fait Scott dans une autre page, que Jésus était « en désaccord avec l’esprit même de la religion légale ». Jésus voyait un grand danger dans le légalisme croissant des Juifs de son époque. S’il ne s’opposait pas au respect de la loi, il reléguait ce ritualisme au second plan.
Par opposition à l’esprit légaliste, Jésus soulignait l’importance de la droiture du cœur. En cela, il rejoignait certains des plus grands prophètes hébreux, qui disaient que l’observance de la loi ne sert à rien si elle n’est pas accompagnée [ p. 154 ] d’une pureté intérieure de l’âme. Mais Jésus allait plus loin que les prophètes hébreux et les autres dirigeants juifs de son époque, en accordant la priorité à la droiture intérieure du caractère et la place secondaire à l’observance de la loi. Ce sont les paroles, les pensées et les projets d’un homme qui le profanent plus que toute nourriture qu’il pourrait consommer en violation des règles des Écritures hébraïques.
L’Église chrétienne a toujours eu du mal à suivre Jésus sur ce point. Du Ier au XXe siècle, de bons et consciencieux dirigeants chrétiens ont toujours affirmé que le chrétien devait avant tout obéir aux commandements des Écritures. Jésus a été clair sur ces questions. Il n’a condamné personne pour avoir observé la loi de Moïse, mais il a déclaré que la base première de l’acceptation auprès du Père céleste est un esprit fraternel et un cœur pur.
La nature de la religion de Jésus est très différente de celle du légalisme. Il n’a laissé à ses disciples aucun ouvrage officiel d’enseignement. Contrairement à Mahomet, il n’a pas écrit de Coran. Certes, Matthieu donne parfois l’impression que Jésus a révisé la loi de Moïse et donné à ses disciples de nouvelles règles de conduite. Mais dans les sources plus anciennes, Jésus apparaît de manière amicale et informelle, encourageant et inspirant ceux qui l’entourent. Il les exhorte à vivre pleinement et à être dignes de l’amour et de l’attention que le Père céleste déverse sur eux.
On lui demandait souvent comment prier ou combien de fois il fallait pardonner à quelqu’un pour une offense. Sa réponse prenait généralement la forme d’une histoire ou d’une parabole, facilement mémorisable. Plus d’une âme était encouragée à prier en écoutant la simple histoire du pharisien et du publicain (Lc 18, 9-14). Plus d’un homme était incité à pardonner à son frère en écoutant l’histoire du serviteur impitoyable (Mt 18, 21-35).
Les récits religieux de Jésus ne présentent aucun système complet. À notre connaissance, Jésus n’a jamais tenté de rassembler ses divers conseils dans un livre de préceptes. [ p. 155 ] On pourrait même dire que ses paroles sont des illustrations plutôt que des directives, et que ces illustrations correspondent à la vie de son époque plutôt qu’à toute autre période. Mais dans ces déclarations, l’historien perçoit clairement la grandeur de la personnalité de Jésus, discerne l’extraordinaire grandeur de son idéalisme, ressent les sommets inaccessibles de sa communion avec Dieu, et apprécie la manière simple et directe dont Jésus a rapproché les hommes de Dieu.
Tout l’enseignement éthique de Jésus était profondément religieux. De grands maîtres en éthique, anciens et modernes, ont bâti une philosophie et un programme éthiques sur des bases purement humaines. Ils ont démontré que l’homme est un être social et que la meilleure vie sociale est accessible grâce à certaines règles de coopération et de fraternité. Ou encore, ils ont démontré que cultiver le caractère le plus élevé est essentiel au bon ordre social. Pour Jésus, cependant, les pratiques éthiques étaient ancrées dans une expérience religieuse. La religion de Jésus commence et se termine par un sentiment personnel de parenté avec l’Esprit éternel. Lorsque Jésus exhortait ses auditeurs à faire un acte de bonté envers leur frère dans le besoin, il leur rappelait que ce frère était l’un des enfants du Père suprême.
Jésus a demandé à ses disciples d’être dignes de leur place d’enfants du Père céleste. Il voulait dire par là qu’ils devaient purifier leur cœur et leur esprit et s’exprimer comme le Père céleste s’exprime en déversant d’innombrables bénédictions sur la grande famille de l’humanité. C’est par cette pureté intérieure de l’âme et cette expression extérieure du bien que nous entrons en communion toujours plus étroite avec cet Esprit dans l’œuvre incessante de bénédiction de l’humanité et d’apport du bonheur à tous, bons comme mauvais, proches comme lointains.
On a tendance aujourd’hui à dire que l’Évangile social est tout ce dont l’homme a besoin. Nombreux sont les jeunes qui, inconsciemment, sont amenés à considérer la religion comme un soutien à la moralité sociale, et dont la principale justification réside dans un meilleur ordre social qu’elle prône. Certains hommes trouvent même leur plus grande inspiration dans le courage patient d’autrui et estiment ainsi qu’il n’y a pas de besoin [ p. 156 ] ultime de Dieu. Cependant, ces hommes découvrent tôt ou tard que celui qui leur donne l’inspiration est en communion fréquente avec une puissance invisible.
Quoi qu’il en soit, la religion de Jésus n’est pas un programme social, soutenu par des rituels et des adorations. C’est un moyen de trouver Dieu. Par le pardon des blessures, l’âme peut s’élever ; par la pureté du cœur, le caractère peut se fortifier ; par la fraternité et l’entraide, les qualités de la personnalité se développent et s’élèvent vers l’idéal et l’éternel.
Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord son royaume, et le reste vous sera donné par surcroît (Lc 12, 30-31 ; Mt 6, 32-33).
Que ton règne vienne. Donne-nous chaque jour notre pain quotidien (Lc 11, 3 ; Mt 6, 11).
Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perdait son âme ? (Mc 8, 36)
Celui qui cherche sa propre conservation perdra son âme ; mais celui qui se perd pour la cause du royaume se retrouvera (Mc 8, 35).
Il existe une idée répandue selon laquelle la religion de Jésus est avant tout un appel à renoncer au monde et à renoncer aux ambitions et aux joies naturelles de la vie. Cette idée est peu étayée par les premiers récits de Jésus. Ceux qui tentent de l’y retrouver la séparent parfois de l’idée complémentaire, plus importante, de la dévotion de la vie sous toutes ses formes au but suprême de la préparation au royaume de Dieu.
« Quiconque veut être mon disciple doit faire preuve d’abnégation, se charger de sa croix et me suivre » (Mc 8, 34). Sorti de son contexte et placé à part, ce dicton pourrait servir de base à un enseignement d’ascèse extrême. Les moines [ p. 157 ] médiévaux pensaient accomplir cette règle de Jésus lorsqu’ils quittaient leur foyer, leurs amis et leurs biens. Ils se privaient de tout confort imaginable, même en matière de nourriture et de vêtements. Ils portaient littéralement une croix sur une chaîne ou un lien autour du cou. Ils essayaient de « suivre » Jésus littéralement en marchant sur la route, d’un endroit à l’autre, comme Jésus le faisait.
Les mouvements ascétiques et monastiques, si importants dans l’histoire de l’Église, ne sont pas issus de Jésus. De nos jours, les religions de l’Inde révèlent le véritable berceau de ces pratiques. Dans l’Antiquité, les philosophies orientales se sont propagées vers l’Occident, jusqu’à l’Empire romain, et ont fortement influencé, par le biais du gnosticisme, diverses branches de l’Église chrétienne. L’ascétisme avait peut-être acquis une certaine acceptation parmi les Juifs. Jean-Baptiste est décrit en des termes qui pourraient signifier qu’il avait renoncé au monde. Marc 2:18 fait référence au jeûne pratiqué par les disciples de Jean et par les pharisiens.
Mais les disciples de Jésus ne jeûnaient pas (Mc 2, 18). « Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant comme les autres, et vous dites : “Il a un esprit mauvais.” Or, le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant comme les autres, et vous dites : “Il y a un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens du monde” » (Lc 7, 33-34 ; Mt 11, 18). Jésus ne considérait pas le jeûne ni le fait de manger comme ayant une valeur indépendante. Le renoncement à soi peut être bon ou mauvais, selon le but qui le motive. Le royaume de Dieu est comparable à « un marchand qui cherche des perles précieuses ; et, ayant trouvé une perle de grand prix, il est allé vendre tout ce qu’il avait et l’a achetée » (Mt 13, 45-46). Les biens matériels sont les perles les moins précieuses de la vie, mais peuvent être d’une grande valeur en permettant de s’emparer de la perle de grand prix.
Le Père céleste sait que ses enfants ont besoin du nécessaire (Matthieu 6:32). Le Notre Père reconnaît le besoin de nourriture pour notre subsistance quotidienne. Mais les valeurs spirituelles sont plus importantes. Il ne servirait à rien d’accumuler des biens terrestres, même au point de conquérir le monde entier, si ce faisant il perdait son âme.
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Une parole de Jésus, souvent mal comprise, suggère qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de trouver la vie supérieure (Mc 10, 25). Bien sûr, Jésus ne voulait pas dire que Dieu nourrissait des préjugés contre les riches, car il est bon envers tous. Si l’on lit le contexte de cette parole, il apparaît clairement que Jésus faisait référence à un homme riche qui venait de le trouver et qui avait eu beaucoup de mal à suivre ses paroles d’aller donner aux pauvres. L’homme riche « s’en alla tout triste ». Il est possible que le « trou d’aiguille » soit le nom d’une des portes de Jérusalem qu’un chameau détestait, car pour la franchir, il devait s’agenouiller. Quoi qu’il en soit, l’observation de Jésus s’appliquait à l’homme dont elle parlait initialement. Elle s’appliquerait également à quiconque a du mal à éprouver cette profonde sympathie pour ses semblables, qui seule peut faire la grandeur d’un homme.
L’abnégation est un moyen pour parvenir à une fin. L’entraide fraternelle, le dévouement de tous au bien d’autrui, constitue le bien suprême, auquel tout ce qui est inférieur doit être soumis. Celui qui se fixe comme règle de vie de pourvoir à son propre confort et de satisfaire tous ses désirs personnels perdra son âme. C’est en consacrant toutes ses capacités et tous ses biens à l’ambition supérieure que l’homme se trouvera véritablement.
Le lien entre abnégation et service social a suscité de nombreux débats. Nombre de leaders sociaux modernes affirment, comme Platon dans l’Antiquité, que le bien de l’individu doit toujours être subordonné à celui du groupe. Ces penseurs conçoivent une société perfectionnée par la contribution de chacun de ses membres. Si chaque acte de chaque individu vise le bien de tous, alors le résultat est forcément parfaitement bon.
Cette attitude, cependant, n’est pas du tout celle de Jésus. Il n’avait pas un tel programme social. Comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, Jésus attendait la venue du Royaume et il laissa à Dieu le soin d’instaurer ce nouvel ordre social. Jésus se souciait principalement de préparer les hommes et les femmes à ce grand jour où il viendrait. Il s’intéressait à l’âme [ p. 159 ] individuelle. Jésus appelait ses disciples à se consacrer entièrement au service des autres, non pas parce qu’il souhaitait subordonner l’individu à la communauté, mais parce qu’il savait que le service était le secret de la croissance. Il enseignait aux hommes comment développer leur moi le plus élevé et le meilleur.
La religion de Jésus est devenue la plus grande puissance mondiale en matière de service social. Cela s’explique par le fait qu’elle favorise le développement du caractère individuel le plus élevé. À quoi servirait un ordre social parfait si les individus qui le composent n’étaient que de simples mortels ? Nombre d’animaux inférieurs possèdent un ordre social bien développé. Le niveau de vie du groupe dépend des réalisations de ses membres. Jésus était très attaché à la vie en insistant sur le développement du caractère personnel le plus élevé.
Ne vous inquiétez pas pour votre vie, ne vous inquiétez pas de la nourriture que vous allez manger, ni pour votre corps, ni pour les vêtements que vous allez porter. Votre vie est plus importante que vos vêtements. Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment même pas de champs ni ne moissonnent ; ils n’ont ni greniers ni greniers ; pourtant, le Père céleste leur donne de la nourriture. Vous valez bien plus que les oiseaux.
L’inquiétude peut-elle aider l’un d’entre vous à prolonger ne serait-ce qu’une heure sa vie ? Si l’inquiétude ne vous aide en rien, à quoi bon ?
Tirez une leçon des lis des champs (Lc 12, 22-27 ; Mt 6, 25-28).
L’un des obstacles au progrès humain à travers les siècles a été la peur. Les populations des pays arriérés sont encore aujourd’hui largement dominées par la peur. Elles craignent la foudre, le tonnerre, l’obscurité. Elles sont terrifiées [ p. 160 ] par les éclipses, les éruptions volcaniques et autres phénomènes inhabituels. De nombreuses religions primitives reposent sur un sentiment indéracinable de peur et de superstition. La crainte respectueuse, par exemple, pousse les mères orientales à sacrifier leurs bébés à un dieu du fleuve, qui, pensent-elles, pourrait autrement leur apporter maladie, peste ou famine.
La prudence et la prévoyance, cependant, sont des vertus de premier ordre. C’est une certaine forme de peur inutile, poussée à l’extrême, que les hommes partagent avec les animaux inférieurs. Le plus beau cheval est saisi de peur lorsque son écurie prend feu, non pas une peur qui le pousse à rechercher la sécurité, mais une peur qui rend presque impossible tout sauvetage du danger.
Les êtres humains sont souvent sujets à une panique similaire en cas de catastrophe soudaine. C’est ce genre de peur que la religion de Jésus vise à éradiquer de la vie humaine. Jésus n’avait aucune peur qui puisse nuire à son utilité. Il ne reculait pas devant la mort elle-même. Son ministère constitue l’exemple le plus clair de l’histoire d’une vie sans peur.
On trouve une expression particulièrement destructrice de la peur dans la civilisation la plus noble et la plus accomplie des temps modernes. Dans nos grandes villes, l’individu est poursuivi et harcelé par un ennemi appelé « l’inquiétude ». Le patient hospitalisé qui doit subir une opération est poussé par l’anxiété à un tel point qu’il compromet souvent le succès de l’opération. L’homme qui ne peut pas payer son loyer commence à se réveiller la nuit. Et souvent, l’homme financièrement solvable rend sa vie malheureuse en s’inquiétant de son statut social.
La religion de Jésus ne laisse aucune place à l’inquiétude. Elle élimine la peur et l’anxiété. Si même les oiseaux du ciel et les fleurs des champs prospèrent dans le cours de la nature, quel fondement rationnel peut-on avoir pour penser que Dieu ne prendra pas soin de sa famille humaine ? Jésus insiste avec force sur la nécessité de la prudence et de la prévoyance. Dans la parabole des talents, sa dénonciation de l’homme qui a renoncé à son talent et n’a pas su exploiter sa chance est sans équivoque. Parmi les dix vierges, cinq étaient prudentes et vigilantes, tandis que les cinq autres étaient myopes et [ p. 161 ] mal préparées. L’intendant infidèle fut félicité pour sa prévoyance avisée.
L’enseignement de Jésus n’est pas de laisser l’avenir se résoudre tout seul, mais de ne pas laisser une anxiété excessive nous empêcher de nous concentrer pleinement sur la tâche présente et sur le programme plus vaste. Il convient également de noter que Jésus ne dit pas au paresseux ou à l’égocentrique de ne pas s’inquiéter. Il s’adresse à ceux qui ont consacré leurs capacités à un objectif noble et élevé. Il n’encourage jamais la paresse ni le manque d’économie.
Lorsque Jésus affirme, de manière apparemment absolue et extrême, que le Père prendra soin de ses enfants, il ne dit pas que les enfants n’ont rien à faire par eux-mêmes. Il exprime plutôt l’attitude et l’état d’esprit dans lesquels les enfants peuvent entreprendre leur propre salut. Les hommes ne doivent pas craindre que Dieu travaille contre eux. Ils peuvent plutôt considérer que les ressources naturelles de la vie regorgent de bonnes choses. Les hommes sont entourés d’abondantes possibilités de croissance et de bonheur.
Ces croyances de Jésus contrastent fortement avec l’attitude de nombreux philosophes antiques envers la nature. Ainsi, la philosophie de Platon s’est progressivement transformée en un dualisme qui concevait parfois la vie comme une lutte acharnée entre l’esprit de Dieu qui habite les hommes et l’élément contraire existant dans un monde hostile. Mais Jésus a enseigné à ses disciples à être amis avec la nature. Certes, il a exprimé avec force la valeur du travail, du service et de l’effort. Mais il a aussi fait prendre conscience aux hommes de l’importance d’une détente occasionnelle. Les fonctions du corps humain se détériorent rapidement sans détente et exercice physique.
La confiance en notre Père céleste est l’une des plus grandes vérités et nécessités de la vie la plus vaste. Elle élimine les soucis et l’anxiété inutiles. Elle permet aux hommes et aux femmes de développer les plus hautes et les plus belles qualités dont ils sont capables dans un environnement de plus en plus favorable.
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Aimez vos ennemis, faites preuve de bonté envers ceux qui vous haïssent, dites une prière pour ceux qui vous maltraitent (Lc 6, 27, 28 ; Mt 5, 44).
Si quelqu’un vous prend quelque chose, ne le réclamez pas (Lc 6, 30 ; Mt 5, 42).
Ne jugez pas les autres (Lc 6, 37 ; Mt 7, 1).
L’une des questions les plus débattues au sujet de Jésus concerne son attitude face à la guerre. La réponse est claire. Jésus n’a rien dit directement sur le sujet. Il s’adressait aux gens et aux conditions de son époque. La seule nation à laquelle les Juifs auraient pu déclarer la guerre à cette époque était l’Empire romain. Si Jésus a jamais parlé de guerre avec Rome, c’était, bien sûr, pour déconseiller une telle guerre, qui ne pouvait avoir qu’une seule issue possible : la destruction de Jérusalem. Simkovitch, dans son admirable petit livre sur Jésus, a exposé avec une grande clarté la situation politique qui était à l’origine de tout ce que Jésus aurait pu dire sur la non-résistance politique.
Un ou deux passages de l’Évangile de Matthieu ont été transformés en enseignement de pacifisme universel. « Celui qui prend l’épée périra par l’épée » (Mt 26, 52). Il est douteux que ces paroles doivent être sorties de leur contexte et appliquées à d’autres situations que celle pour laquelle elles ont été prononcées.
À de nombreuses reprises, Jésus s’est laissé blesser ou insulter sans riposter. En fait, il est clair qu’il n’a jamais répondu à une blessure personnelle par la force. Lors de la purification du temple, son recours à la violence ne visait pas à venger une blessure, mais à réparer un tort qu’il avait découvert. Une scène comme celle du temple donne une impression vigoureuse de la présence physique de Jésus. Bruce Barton, [ p. 163 ] dans son petit livre intitulé « Le Jésus du jeune homme », l’a dépeint comme musclé, athlétique et imposant. Il ne fait aucun doute que l’art chrétien a exagéré la notion de non-résistance dans la représentation de son apparence.
Néanmoins, il est certain que Jésus a dit à ses auditeurs d’aimer leurs ennemis et d’être bons envers ceux qui les haïssaient. Il leur a recommandé de rendre le bien pour le mal. Scott, dans son livre, consacre un paragraphe intéressant à ce sujet. Il affirme que la règle de ne pas rendre le mal pour le mal « est désormais intégrée aux coutumes de toutes les nations civilisées. Il est reconnu que, quelle que soit la gravité de l’offense subie, un homme ne doit pas se venger. Le monde a progressivement découvert que, dès lors que le droit à la vengeance personnelle est accordé, la porte est ouverte à toutes sortes de maux et d’injustices. Rien dans l’enseignement de Jésus n’a été aussi souvent tourné en dérision que son précepte de non-résistance ; pourtant, toute l’expérience a prouvé sa sagesse » (Enseignement éthique de Jésus, p. 72).
L’enseignement de Jésus contre la vengeance personnelle, comme celui concernant l’abnégation, ne doit pas être compris isolément, mais seulement en lien avec l’idéal plus important de faire le bien à tous, amis comme ennemis. « Aimez vos ennemis, soyez bon envers ceux qui vous haïssent. » Rendre le mal pour le mal ne fait qu’accroître la haine et l’hostilité. La véritable façon de vaincre et de bannir le mal est la bonté, la patience et la fraternité. Cet idéal supérieur de Jésus est le sujet d’un chapitre ultérieur.
Quiconque fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur et ma mère (Mc 3, 35).
Tout homme qui a quitté maison, femme, frères, parents ou enfants à cause du royaume de Dieu, recevra beaucoup plus dans ce monde et héritera de la vie éternelle (Lc 22, 30 ; Mc 10, 29 ; Mt 19, 29).
Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre [ p. 164 ] commet un adultère (Lc 16, 18 ; cf. Mt 5, 32).
À ceux qui sont mariés, je donne un conseil, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari ; mais si elle se sépare, qu’elle reste sans se marier (1 Cor. 7: 10, 11).
Et quelques pharisiens lui demandaient s’il était permis à un mari de répudier sa femme. . . . Moïse a permis à un homme d’écrire une déclaration et de renvoyer sa femme. Cette règle a été écrite en conséquence de votre endurcissement de cœur. . . . Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mc 10, 2-9).
De nombreux passages des Évangiles ont été interprétés comme signifiant que Jésus considérait le mariage comme inférieur à l’état supérieur du célibat. Il s’agit, pour la plupart, de passages où Jésus met l’accent sur un idéal spirituel plaçant Dieu et son royaume au-dessus de tout autre intérêt, même de son foyer et de sa famille. Jésus lui-même ne s’est pas marié. Son ministère rapide et actif, avec sa fin dangereuse et tragique, laissait peu de place à la vie de famille.
Mais il y a peu de fondement à l’idée que Jésus ait désapprouvé le mariage ou la vie conjugale. Il parle avec la plus grande sincérité du caractère sacré du lien conjugal. Il désapprouvait profondément les coutumes de divorce faciles de son époque. À l’époque de Moïse, il était de coutume pour un homme de renvoyer sa femme chez elle sans explication ni excuse. La législation de Moïse a inauguré une nouvelle ère dans l’histoire du mariage, en exigeant du mari qu’il rédige une déclaration et la lui remette (Deutéronome 24:1) lorsqu’il la renvoyait. Elle obtenait alors un statut définitif et avait le droit légal d’épouser un autre homme.
À l’époque de Jésus, beaucoup estimaient qu’une simple déclaration écrite du mari n’était pas suffisante. Il fallait une entente officielle en la matière et une reconnaissance du sentiment croissant que le mariage avait plus de sainteté qu’un simple caprice passager d’un mari. [ p. 165 ] Ce à quoi Jésus s’opposa le plus sérieusement était un acte comme celui d’Hérode Antipas, qui tomba amoureux d’une autre femme et décida de renvoyer sa propre épouse. Puis, face à l’opposition de Jean-Baptiste, Hérode avait cédé à la supplication d’Hérodiade et ordonné l’exécution de ce noble prophète de justice.
Il est évident que Jésus suggérait un grand principe, plutôt que d’établir une règle arbitraire. Il considérait l’institution du mariage comme sainte et belle, et estimait qu’elle était violée de manière flagrante. La signification de la parole « doublement attestée » de Jésus concernant le mariage a suscité de nombreuses discussions. Prise au sens littéral, elle signifie que quiconque « renvoie sa femme et en épouse une autre » – c’est-à-dire quiconque non seulement divorce, mais se remarie – enfreint la loi mosaïque. Autrement dit, c’est au remariage plutôt qu’au divorce que Jésus s’opposa. C’est dans ce sens que Paul appliqua la règle de Jésus à la situation de Corinthe.
Peut-être Jésus ne condamnait-il pas tant le divorce ou le remariage que la combinaison des deux dans un divorce obtenu en vue d’un remariage immédiat. Mais insister sur une application exacte de la règle de Jésus revient à devenir littéraliste, comme les scribes que Jésus dénonçait. L’esprit de l’attitude de Jésus ressort clairement de ce genre de discussion. Inculquer un plus grand respect de l’amour entre mari et femme faisait partie de sa religion.
L’Évangile selon Matthieu introduit un élément absent des autres Évangiles. Tout homme qui renvoie sa femme, « sauf pour infidélité » (Mt 19, 9 ; 5 ; 32), est un infidèle. Cet ajout de Matthieu reflète une période de l’Église primitive où les chrétiens cherchaient des règles de conduite précises dans les paroles de Jésus. Il leur semblait que Jésus avait dû faire une telle exception à sa règle interdisant le divorce. Cette exception n’est ni conforme à l’esprit de Jésus ni à sa manière de s’exprimer. Il s’exprimait en principes généraux, et non en règles précises. L’esprit moderne peut certainement s’élever au-dessus de cette idée et de cette attitude [ p. 166 ] préchrétiennes et non chrétiennes (cf. Jean 8, 1-11).
L’amour mutuel entre l’homme et la femme, dans l’esprit de Jésus, sera exalté de plus en plus au fil des siècles. Toutes sortes de changements dans les lois sur le mariage et le divorce peuvent survenir. Certains seront positifs, d’autres négatifs, mais tous ceux qui tendent à faire de l’amour mutuel entre l’homme et la femme une bénédiction divine sont dans l’esprit de Jésus.
Il n’y a rien de caché qui ne vienne à la lumière (Lc 8, 17).
Ne jurez ni par le ciel… ni par la terre… mais que votre parole soit « oui » et « non » (Mt 5, 34.37). Quand vous êtes invités à un festin, ne prenez pas la meilleure place… mais, quand vous êtes invités, allez vous asseoir à la dernière place, afin que votre hôte puisse vous dire : « Mon ami, monte plus haut » (Lc 14, 8.10).
Parce que tu as été trouvé fidèle dans une petite chose, tu auras gouvernement sur dix villes (Lc 19, 17).
Celui qui est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les grandes (Lc 16, 10).
Un arbre sain ne produit pas de mauvais fruits, ni un mauvais arbre ne donne de bons fruits (Lc 6, 43 ; Mt 7, 18).
Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu (Lc 12, 31 ; Mt 6, 33).
Jésus insiste sur le fait que la sincérité est une qualité primordiale du caractère personnel. Sa double affirmation : « Il n’y a rien de caché qui ne soit révélé » n’est qu’une de ses nombreuses déclarations à ce sujet. Il est rare que Jésus dénonce un péché aussi souvent et aussi vivement que l’hypocrisie. Toute fausseté de caractère, telle qu’il l’observait chez certains [ p. 167 ] pharisiens, lui était intolérable. Celui qui prétend être bon alors qu’il ne l’est pas et qui se trompe en se croyant le favori de Dieu pèche contre l’esprit même de bonté. Une telle attitude est « impardonnable » (Mc 3, 29).
« Si la lumière qui est en vous est ténèbres, combien seront grandes ces ténèbres ! » C’est un développement supplémentaire de l’insistance des prophètes de l’Ancien Testament sur la nécessité d’une justice de cœur pour gagner la faveur de Jéhovah. La religion n’est pas tant une question d’actes ou de cérémonies extérieures qu’une question de développement d’un caractère noble. La béatitude : « Heureux les cœurs purs » (Matthieu 5:8 ; Psaume 24:4) fait principalement référence, tant dans la pensée de Jésus que dans le Psaume, à cette même qualité de sincérité et de pureté d’intention et d’action.
De plus, pour être véritablement sincère, un homme doit éviter toute forme de mensonge. Le commandement « Tu ne mentiras pas » est un commandement résolument moderne. On dit que les anciens Spartiates estimaient qu’il valait mieux mentir que d’être pris en flagrant délit de vol. Le mensonge était, et est toujours, si courant en Orient que la coutume veut que, pour convaincre son interlocuteur de la vérité, un homme jure par le ciel (Galates 1:20) ou par un autre objet sacré qu’il ne ment pas. Jésus a poussé son enseignement de la sincérité à un tel point qu’il a supplié ses disciples d’éviter tout juron et de répondre aux questions par un simple « oui » ou « non » (Matthieu 5:34, 37).
L’humilité est une autre qualité fondamentale de l’idéal personnel de Jésus. Un pharisien qui remerciait publiquement Dieu de n’être pas comme les autres hommes (Lc 18, n) n’obtenait pas la faveur divine par une telle prière. C’est l’homme qui reconnaît ses propres défauts, celui qui a des idéaux qui le dépassent, celui qui fait preuve d’humilité face à de grands idéaux, qui a le plus de chances de grandir et de s’améliorer.
Cet enseignement de Jésus a été déformé et mal compris autant que tout autre. Jésus n’accordait aucune place au complexe d’infériorité dans sa religion. Un homme ou une femme souffrant d’un tel malheur peut trouver dans la religion de [ p. 168 ] Jésus le meilleur remède à un tel état. Jésus n’a jamais dit à personne de se considérer inférieur à ses semblables. Même en présence de rois et de gouverneurs, les premiers chrétiens ont gardé la tête froide et le cœur ferme et courageux. Scott a résumé l’essentiel en une seule phrase : « L’humilité que Jésus exige est l’humilité envers Dieu. » [2] Pour Jésus, l’humilité est avant tout une attitude religieuse. C’est la reconnaissance qu’il existe des idéaux de vie plus élevés que les hommes n’ont pas encore atteints.
La béatitude de Matthieu 5:5, « Heureux les doux », a souvent été interprétée comme signifiant que la douceur est une vertu chrétienne. Cette interprétation est coupable de trois erreurs. Premièrement, le mot « doux » dans sa connotation moderne est une mauvaise traduction. Goodspeed traduit « humble d’esprit », Moffatt traduit « les humbles ». L’humilité est l’un des éléments du caractère des plus grands dirigeants du monde. Washington et Lincoln, Jésus et Paul, ont tous été des exemples de la puissance et de la bénédiction de l’humilité. La deuxième erreur réside dans l’hypothèse selon laquelle les béatitudes faisaient l’éloge de certaines qualités. C’est peut-être vrai dans l’Évangile de Matthieu, mais selon Luc, les béatitudes, au moins certaines d’entre elles, avaient une application plus directe aux conditions réelles en Palestine. « Heureux les pauvres » (Lc 6:20) ne signifiait évidemment pas que la pauvreté était une bénédiction, mais plutôt que Jésus s’adressait aux pauvres et les exhortait à espérer une bénédiction future. En ce sens, Jésus a peut-être promis la bénédiction aux humbles. La troisième erreur consiste à ne pas comprendre que « les doux » est une expression courante dans l’Ancien Testament et désigne une classe ou un groupe particulier du peuple de Dieu. La Béatitude de Matthieu est en fait une citation directe du Psaume 37:11, dans lequel le psalmiste chante l’avenir glorieux réservé aux élus de Dieu.
Il y a, en effet, dans la religion de Jésus, une qualité dynamique qui développe la personnalité au plus haut point. Il n’invite jamais personne à éclipser sa propre personnalité. L’esprit de [ p. 169 ] Jésus fait plutôt comprendre à l’homme qu’il est un enfant de Dieu doté d’une destinée éternelle et que le monde est un atelier où le caractère peut se développer et s’épanouir jusqu’à ce qu’il soit apte aux grands projets que Dieu réserve à sa famille humaine.
On affirme souvent, en outre, que la bravoure, ou valeur personnelle, caractéristique universellement admirée, est négligée dans la religion de Jésus. Il s’agit là encore d’une erreur fondamentale. Jésus, certes, n’a pas encouragé ses disciples à prendre l’épée pour instaurer le royaume. La bravoure de ses disciples n’était pas de nature destructrice et, par conséquent, d’autant plus courageuse. Il leur recommandait fréquemment de ne craindre personne et, face au danger, d’aller guérir, aider et sauver.
Le courage est une qualité fondamentale de la religion chrétienne, un courage qui pousse les hommes des temps modernes à se rendre dans les laboratoires scientifiques, à risquer leur santé et leur vie pour trouver un remède à une maladie humaine. C’est ce même courage qui pousse les hommes à travers tous les pays et toutes les races du monde, afin de construire une meilleure masculinité et une meilleure féminité. Cette valeur personnelle est à nouveau au cœur de cette parole de Jésus, la plus attestée : « Celui qui cherche à préserver sa vie perdra son âme, mais celui qui donne sa vie à la cause de l’Évangile se trouvera lui-même » (Mc 8,35).
La fidélité et la loyauté constituent un autre élément du caractère personnel que la religion de Jésus développe. Nombreux sont les dictons et les récits des Évangiles qui illustrent cette vertu. L’homme qui accomplit sa tâche consciencieusement gagne la faveur de son Père céleste. Aussi minime soit-elle, c’est la qualité de fidélité qui prime. Autrement dit, ce n’est pas le travail accompli qui importe, mais plutôt la force de personnalité développée. La parabole des mines et celle des talents partagent le même enseignement : celui qui est fidèle dans les petites choses est considéré aux yeux de Dieu comme digne d’une grande responsabilité dans le royaume de Dieu.
Le développement du caractère personnel est donc le but [ p. 170 ] de toutes ces qualités que Jésus a enseignées et pratiquées. Tout au long de l’histoire de la religion chrétienne, les grands chefs religieux n’ont cessé de souligner cette vérité. Comme le déclarait Luther : « Les bonnes œuvres ne font pas un homme bon, mais un homme bon accomplit de bonnes œuvres. » Jésus l’a exprimé par une image : un mauvais arbre ne porte pas de bons fruits ; il faut un arbre sain pour porter de bons fruits. Le ministère de Jésus ne visait pas à enseigner une nouvelle religion, mais à développer chez ses disciples un type de caractère qui les inciterait à aller vers les autres et à reproduire en eux ce même type de personnalité exaltée. C’est pourquoi Jésus a insisté sur la valeur de l’âme individuelle aux yeux de Dieu. Son enseignement ne visait aucun programme social au sens habituel du terme. Il estimait que le plus grand besoin était de développer le type d’individu le plus élevé. Il n’a pas entrepris cette tâche à la manière des Grecs. Il n’a pas fixé aux hommes un objectif terrestre lorsqu’il les a instruits pour forger de meilleures personnalités. Il s’est plutôt efforcé de vivre en étroite communion avec l’Esprit éternel qui leur réserve un avenir meilleur.
L’approche de Jésus concernant le développement de la personnalité individuelle est résolument religieuse. Il a conduit les hommes à trouver Dieu et à se préparer à son royaume. Il s’est particulièrement opposé à l’idée répandue de son époque selon laquelle Dieu consigne les actes et les méfaits, et qu’il récompensera ou punira selon les traces qu’il consigne. Il est significatif que, lors du grand jugement (Matthieu 25:31 et suivants), les justes soient profondément surpris lorsque le juge les félicite. Ils ont mené une vie pieuse, mais n’ont pas compté leurs mérites. L’idéal de la religion de Jésus n’est pas de se construire une vie de mérite, petit à petit, mais de développer un caractère qui fait spontanément le bien. Le véritable disciple de Jésus ne travaille pas par peur de l’enfer ou par espoir du paradis. Il travaille non pas pour une récompense, mais inconsciemment, avec aisance. Parce qu’il est fils de Dieu, il vit la vie du royaume de Dieu.
Une telle vie est la perle de grand prix. La vie du siècle à venir vécue ici et maintenant. Cette vie du siècle à venir n’est [ p. 171 ] pas facile à atteindre. C’est par une prière constante et persistante que Jésus a pris conscience de cet ordre supérieur. Il pensait que si tous les hommes pouvaient vivre dès maintenant la vie de la fraternité parfaite, la grande récompense serait immédiatement obtenue. Cet enseignement est l’« Évangile », la Bonne Nouvelle. Jésus a exhorté ses disciples à le proclamer à tous les hommes et à leur donner la vision d’un royaume déjà en voie d’avènement et proche.
En établissant un contact avec cette vie du siècle à venir et en maintenant une communion étroite avec le plan du Père céleste pour ses enfants, la prière devient un élément essentiel et assume une part importante.
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