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[1] « Pourquoi fais-tu, _ etc. — Le Maître raconta cette histoire, alors qu’il résidait à Jetavana, à propos de l’observance des jours de jeûne [1].
Or, un jour, alors qu’un certain nombre de frères et sœurs laïcs, qui observaient un jour de jeûne, vinrent entendre la Loi et étaient assis dans la Salle de la Vérité, le Maître leur demanda s’ils observaient des jours de jeûne, et sur leur réponse affirmative, il ajouta : « Et vous faites bien d’observer des jours de jeûne : les hommes d’autrefois, en raison de l’observation d’un demi-jour de jeûne, ont atteint une grande gloire », et à leur demande, il raconta une histoire du passé.
Il était une fois, à Bénarès, Brahmadatta gouvernait son royaume avec justice. Croyant, il observait avec zèle les devoirs du jeûne, les commandements et les aumônes. Il incitait également ses ministres et les autres à faire vœu de charité, entre autres. Mais le prêtre de sa famille était un médisant, avide de pots-de-vin et prononçait des jugements injustes. Un jour de jeûne, le roi convoqua ses conseillers et leur ordonna de jeûner. Le prêtre ne s’acquitta pas des devoirs du jeûne. Ainsi, après avoir accepté des pots-de-vin et rendu de faux jugements, il se rendit à la cour pour lui présenter ses respects. Le roi, après avoir demandé à chacun de ses ministres s’il jeûnait, interrogea le prêtre : « Et vous, Seigneur, jeûnez-vous ? » Il mentit, répondit : « Oui », et quitta le palais. Alors un certain ministre le réprimanda, disant : « Tu ne jeûnes sûrement pas ? » Il répondit : « J’ai mangé tôt le matin, mais en rentrant chez moi, je me rincerai la bouche et, prenant sur moi les devoirs du jour de jeûne, [2] je ne mangerai rien le soir, et toute la nuit j’observerai la loi morale, et ainsi j’aurai observé la moitié du jour de jeûne. » « Très bien, Seigneur », dirent-ils. Et il rentra chez lui et fit ainsi. Or, un jour qu’il siégeait au jugement, une certaine femme, qui observait les préceptes moraux, avait une affaire en cours, et ne pouvant rentrer chez elle, elle pensa : « Je ne transgresserai pas l’observance du jour de jeûne », et comme l’heure approchait, elle commença à se rincer la bouche. À ce moment-là, un morceau de mangues mûres fut apporté au brahmane. Il s’aperçut que la femme jeûnait et dit : « Mange ceci et jeûne. » Elle s’exécuta. Voilà pour l’action du brahmane. Peu après, il mourut et renaîtit dans l’Himalaya, dans un endroit charmant au bord du bras Kosiki du Gange, dans une manguier de trois lieues de large, sur un splendide lit royal dans un palais doré. Il renaît tel un homme qui vient de se réveiller, bien habillé et paré, d’une beauté extrême, et accompagné de seize mille nymphes. Toute la nuit, il jouit de cette gloire, car en naissant comme un esprit dans un palais fantôme [2], sa récompense est à la mesure de son acte. Ainsi, à l’approche de l’aube, il entre dans une manguier, et au moment de son entrée, son corps divin disparaît, il prend une forme aussi grande qu’un palmier, haute de quatre-vingts coudées, et tout son corps s’embrase comme un arbre de Judée en pleine floraison. Il n’a qu’un doigt à chaque main, et ses ongles sont gros comme des pelles. Avec ces ongles, il s’enfonce dans la chair de son dos, l’arrache et la dévore. Fou de douleur, il pousse un grand cri. Au coucher du soleil, son corps disparaît et sa forme divine réapparaît. Des danseuses célestes, instruments de musique à la main, l’accompagnent.et, jouissant d’un grand honneur, il monte dans un palais divin, dans une charmante manguier. Ainsi, après avoir donné une mangue à une femme qui jeûnait, il acquit une manguier de trois lieues de superficie. Mais, à force de pots-de-vin et de jugements mensongers, il arrache et mange la chair de son dos, tandis que, du fait d’avoir observé la moitié du jeûne, il jouit chaque nuit de la gloire, entouré d’une escorte de seize mille nymphes dansantes.
À cette époque, le roi de Bénarès, conscient de la nature pécheresse des désirs, adopta la vie ascétique et s’installa dans une hutte de feuilles, dans un endroit agréable du bas Gange, se nourrissant de ce qu’il pouvait ramasser. Un jour, une mangue mûre de ce bosquet, de la taille d’un grand bol, tomba dans le Gange et fut emportée par le courant jusqu’à un endroit opposé au débarcadère utilisé par cet ascète. Alors qu’il se rinçait la bouche, il vit la mangue flotter au milieu du courant ; traversant, il la prit, la rapporta à son ermitage et la déposa dans la cellule où était conservé son feu sacré [3]. Puis, la fendant avec un couteau, il en mangea juste assez pour survivre, et recouvrant le reste de feuilles de plantain, il en mangea plusieurs fois par jour, tant qu’il en eut la possibilité. Et quand tout fut consommé, il ne put manger aucun autre fruit, mais, esclave de son appétit pour les friandises, il jura de ne manger que des mangues mûres, et [ p. 3 ] descendant au bord du fleuve, il s’assit à regarder le ruisseau, déterminé à ne jamais se lever avant d’avoir trouvé une mangue. Il jeûna donc là pendant six jours consécutifs, et resta assis à chercher le fruit, jusqu’à ce qu’il soit desséché par le vent et la chaleur. Or, le septième jour, une déesse du fleuve, en réfléchissant à la question, découvrit la raison de son acte, et pensa : « Cet ascète, esclave de son appétit, est resté assis à jeûner sept jours, à regarder le Gange : il est mal de lui refuser une mangue mûre, car sans elle il périra ; je vais lui en donner une. » Alors elle vint se tenir dans les airs au-dessus du Gange, et conversant avec lui, prononça la première strophe :
Pourquoi restes-tu sur cette rive pendant la chaleur de l’été ?
Brahmane, quel est ton secret espoir ? Quel but veux-tu atteindre ?
[4] L’ascète, entendant cela, répéta neuf strophes :
Flottant sur le ruisseau, belle nymphe, j’ai vu une mangue ;
la main tendue, j’ai saisi le fruit et l’ai rapporté chez moi.
Son goût et son odeur étaient si doux que je l’ai considéré comme un véritable trésor ;
sa forme élégante pouvait rivaliser avec la plus grande jarre à eau.
Je l’ai caché parmi des feuilles de plantain et l’ai coupé au couteau ;
un peu servi de nourriture et de boisson à un homme simple.
Mes provisions sont épuisées, mes angoisses apaisées, mais je dois encore regretter,
d’autres fruits que je pourrais trouver, sans aucun goût.
Je dépéris ; cette mangue sucrée que j’ai sauvée des vagues
entraînera ma mort, je le crains. Je ne désire aucun autre fruit.
Je vous ai dit pourquoi je jeûne, bien que vivant près d’un ruisseau
dont on dit que les vagues qui s’élargissent regorgent de tous les poissons qui nagent.
Et maintenant, je te prie de me dire, et de ne pas fuir de peur,
ô belle jeune fille, qui tu es et pourquoi tu es ici.
Belles sont les servantes des dieux,Ils sont comme de l’or bruni,
Gracieux comme des tigres qui couvent sur les pentes de leurs montagnes et jouent.
Ici aussi, dans le monde des hommes, les femmes sont belles à voir,
mais aucune parmi les dieux ou les hommes ne peut t’être comparée.
Je te demande donc, ô charmante nymphe, dotée d’une grâce céleste,
de me déclarer ton nom, ta famille et d’où vient ta race.
[5] Alors la déesse prononça huit stances :
Sur ce beau ruisseau, près duquel tu es assis, ô brahmane, je préside,
et j’habite dans les vastes profondeurs en contrebas, sous le flot tumultueux du Gange.
Tout recouverts de végétation forestière, je possède mille grottes de montagne,
d’où coulent autant de ruisseaux en crue qui se mêlent à mes vagues.
[6] Chaque bois et chaque bosquet, chers aux Nāgas, jaillissent de nombreux ruisseaux,
et déversent leurs réserves d’eaux bleues, pour remplir mon ample cours.
Souvent, sur ces flots de tributs, les fruits de tous les arbres,
pommes roses, fruits à pain, dattes et figues, avec des mangues que l’on peut voir, sont portés par ces flots de tributs.
Et tout ce qui pousse sur les deux rives et tombe à ma portée,
je le revendique comme une récompense légitime, et nul ne peut contester mon titre.
Sachant bien cela, écoute-moi, ô roi sage et savant,
cesse de satisfaire le désir de ton cœur, renonce à cette chose maudite.
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Ô souverain premier de vastes domaines, je ne peux louer ton acte,
désirer la mort, dans la fleur de l’âge, une grande folie, certes, trahit.
Brahmanes et anges, dieux et hommes, tous connaissent ton acte et ton nom,
et les saints qui, par leur sainteté, atteignent la gloire sur terre,
oui, tous ceux qui sont sages et célèbres, proclament ton acte coupable.
[7] Alors l’ascète prononça quatre strophes :
Celui qui sait combien notre vie est fragile et combien les choses des sens sont éphémères,
Ne pense jamais à tuer autrui, mais demeure dans l’innocence.
Honoré autrefois par les saints réunis en conseil, propriétaire d’un nom vertueux,
Maintenant que tu converses avec des hommes pécheurs, tu acquiers une mauvaise réputation.
Si je devais périr sur tes rives, nymphe à la belle apparence,
Une mauvaise réputation reposerait sur toi, comme l’ombre d’un nuage.
C’est pourquoi, belle déesse, je t’en prie, évite tout acte coupable,
De peur que, par un mot d’adieu du peuple, tu n’aies fait regretter ma mort.
[8] En l’entendant, la déesse répondit en cinq strophes :
Je connais bien le désir secret, le tien à supporter si patiemment,
Et je me rends à ta servante et te donne la mangue.
Voici ! Renonçant aux plaisirs coupables, plaisirs difficiles à abandonner,
tu as acquis, pour les conserver à jamais, la sainteté et la paix de l’esprit.
Celui qui, libéré de l’esclavage précoce, serre les chaînes qu’il a autrefois reniées,
empruntant imprudemment des voies impies, pèche toujours davantage.
J’exaucerai ton désir le plus sincère et te ferai cesser tes ennuis,
te guidant vers des recoins frais où tu pourras demeurer en paix.
Hérons, oiseaux maynah et coucous, accompagnés d’oies rousses qui aiment
butiner le nectar des fleurs, cygnes en vol,
oiseaux de riz et paons majestueux, réveillent le bosquet par leur chant.
Les fleurs de safran et de kadamba gisent comme de la paille sur le sol,
les dattes les plus mûres, ornées de palmiers, pendent en grappes tout autour,
et, parmi les branches chargées, vois comme les mangues abondent ici !
[9] Chantant les louanges du lieu, elle transporta l’ascète là-bas, et, lui ordonnant de manger des mangues dans ce bosquet jusqu’à ce qu’il ait satisfait sa faim, elle s’en alla. L’ascète, mangeant des mangues jusqu’à ce qu’il ait apaisé son appétit, se reposa un moment. Alors, alors qu’il errait dans le bosquet, il aperçut cet Esprit en état de souffrance et il n’eut pas le cœur de lui adresser la parole, mais au coucher du soleil, il le vit accompagné de nymphes et jouissant d’une gloire céleste et s’adressa à lui en trois strophes :
Toute la nuit, oint, fêté, une couronne sur ton front,
le cou et les bras ornés de joyaux – tout le jour, tu es dans l’angoisse !
Des milliers de nymphes t’accompagnent. Quel pouvoir magique !
Comme c’est étonnant de passer ainsi d’un état de malheur à la félicité !
Qu’est-ce qui a conduit à ta perte ? Quel péché te repents-tu ?
Pourquoi, de ton propre dos, manges-tu toujours la chair chaque jour à nouveau ?
[10] L’Esprit le reconnut et dit : « Tu ne me reconnais pas, mais j’étais autrefois ton chapelain. Ce bonheur dont je jouis la nuit te est dû, car j’ai observé la moitié du jeûne ; tandis que la souffrance que j’éprouve chaque jour est le résultat du mal que j’ai commis. Car j’ai été placé par vous sur le siège du jugement, et j’ai accepté des pots-de-vin et rendu de fausses décisions, et j’ai été un médisant, et en conséquence du mal que j’ai commis chaque jour, je subis maintenant cette souffrance », et il prononça quelques strophes : «
Autrefois, dans la sainte tradition, me délectant de travaux pécheurs, j’ai été jeté,
faisant le mal pour mon prochain, pendant les longues années que j’ai passées.
Celui qui, médisant des autres, aime à s’en prendre à leur bonne réputation,
déchirera et mangera toujours la chair de son propre dos, comme moi aujourd’hui. »
Et disant cela, il demanda à l’ascète pourquoi il était venu ici. L’ascète raconta longuement son histoire. « Et maintenant, saint seigneur », dit l’Esprit, « voulez-vous rester ici ou partir ? » « Je ne resterai pas, je retournerai à mon ermitage. » L’Esprit dit : « Très bien, saint seigneur, je vous fournirai constamment une mangue mûre. » Par un exercice de son pouvoir magique, il le transporta à son ermitage et, l’invitant à y demeurer avec contentement, il exigea de lui une promesse et s’en alla. Dès lors, l’Esprit lui fournit constamment la mangue. L’ascète, savourant le fruit, accomplit les rites préparatoires pour induire la méditation mystique et fut destiné au monde de Brahma.
[11] Le Maître, ayant terminé sa leçon aux laïcs, révéla les Vérités et identifia la Naissance : — À la conclusion des Vérités, certains atteignirent le Premier Sentier, d’autres le Second, et d’autres encore le Troisième Sentier : — « À cette époque, la déesse était Uppalavaṇṇā, l’ascète était moi-même. »