1. « Lumière » comme Lumière Physique ; comme l’Œil ; comme l’Intelligence
La véritable Lumière est Allah, et le nom « lumière » n’est autrement que prédiqué métaphoriquement et ne véhicule aucune signification réelle.
Pour expliquer ce thème, sachez que le mot lumière est employé dans un triple sens : le premier par les Nombreux, le second par les Peuplés, le troisième par les Très Petits. Vous devez ensuite connaître les différents degrés de lumière qui se rapportent à ces deux dernières classes, et les degrés de la réalité qui leur sont propres, afin qu’il vous soit révélé, à mesure que ces degrés deviennent clairs, qu’Allah est la Lumière suprême et ultime ; et de plus, à mesure que la réalité qui leur est propre se révèle, qu’Allah est Seul la Vraie Lumière, et qu’en dehors de Lui il n’y a pas de lumière du tout.
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Prenons maintenant la première signification. Ici, le mot lumière désigne un phénomène. Or, phénomène, ou apparence, est un terme relatif, car une chose apparaît nécessairement à quelque chose d’autre qu’elle-même ou lui est cachée ; ainsi son apparition et sa non-apparition sont toutes deux relatives. De plus, son apparition et sa non-apparition sont relatives aux facultés perceptives ; et parmi celles-ci, les plus puissantes et les plus visibles, selon l’opinion de la multitude, sont les sens, dont l’un est le sens de la vue. De plus, les choses qui sont en rapport avec ce sens de la vue se répartissent en ces catégories : 1) ce qui n’est pas visible par lui-même, comme les corps obscurs ; 2) ce qui est visible par lui-même, mais qui ne peut rien rendre visible d’autre, comme les luminaires comme les étoiles, et le feu avant qu’il s’allume ; 3) ce qui est visible par lui-même et qui rend aussi visible, comme le soleil et la lune, et le feu quand il s’allume, et les lampes. Or c’est à cette troisième catégorie que l’on donne le nom de lumière : tantôt à ce qui est émis par ces luminaires et tombe sur l’extérieur des corps opaques, [p. 81] comme quand on dit : « La terre est éclairée », ou « La lumière du soleil tombe sur la terre », ou « La lumière de la lampe tombe sur un mur ou sur un vêtement » ; tantôt aux luminaires eux-mêmes, parce qu’ils sont lumineux par eux-mêmes. En somme, la lumière est donc une expression de ce qui est visible par lui-même et qui rend visibles les autres choses, comme le soleil. Telle est la définition et la réalité de la lumière, selon sa première signification.
Nous avons vu que l’essence même de la lumière est l’apparence à un percepteur, et que la perception dépend de l’existence de deux choses : la lumière et un œil qui voit. Car, bien que la lumière soit ce qui apparaît et fait apparaître, elle n’apparaît ni ne fait apparaître à l’aveugle. Ainsi, l’esprit percepteur est aussi important que la lumière perceptible en tant qu’élément nécessaire de la perception ; il est même plus important, car c’est l’esprit percepteur qui appréhende et par lequel l’appréhension a lieu ; tandis que la lumière n’est pas appréhensive, et l’appréhension n’a pas lieu par son intermédiaire, mais seulement quand elle est présente. En fait, le mot lumière est plus proprement entendu pour la lumière visualisante que nous appelons œil. Ainsi les hommes appliquent le mot lumière à la lumière [p. 82] de l’œil, et disent du faible voyant que « la lumière de son œil » est faible, et de l’œil brouillé que « la lumière de sa vision » est altérée, et de l’aveugle que « sa lumière » est éteinte. De même, on dit de la pupille de l’œil qu’elle concentre la lumière de la vision et la renforce, les cils étant de couleur noire par la sagesse divine et disposés de manière à entourer l’œil de tous côtés afin de concentrer sa lumière. Et du blanc de l’œil, on dit qu’il disperse la lumière de l’œil et l’affaiblit, de sorte que regarder longtemps une surface blanche et brillante, ou encore la lumière du soleil, éblouit la lumière de l’œil et l’efface, tout comme le faible est effacé à côté du fort. Vous comprenez donc que l’esprit perceptif est appelé lumière, et pourquoi il est appelé ainsi, et pourquoi il est plus justement appelé ainsi. Et c’est la seconde signification, celle employée par le Peu.
Il faut savoir en outre que la lumière de la vue physique est marquée par plusieurs sortes de défauts. Elle voit les autres, mais ne se voit pas elle-même. Elle ne voit pas non plus ce qui est très éloigné, ni ce qui est très proche, ni ce qui est derrière un voile. Elle ne voit que l’extérieur des choses, non leur intérieur [p. 83] ; les parties, non le tout ; les choses finies, non les choses infinies. Elle commet beaucoup d’erreurs dans sa vision, car ce qui est grand lui paraît petit ; ce qui est loin, proche ; ce qui est au repos, en mouvement ; ce qui est en mouvement, au repos. Voilà sept défauts inséparablement attachés à l’œil physique. S’il existe donc un œil exempt de tous ces défauts physiques, ne lui donnerait-on pas plus justement le nom de lumière ? Sachez donc qu’il y a dans l’esprit de l’homme un œil caractérisé par cette perfection précise, celle qu’on appelle diversement Intelligence, Esprit, Âme humaine. Mais nous laissons de côté ces termes, car la multiplicité des termes trompe l’homme de petite intelligence en lui faisant imaginer une multiplicité correspondante d’idées. Nous entendons simplement ce par quoi l’homme raisonnable se distingue de l’enfant dans les bras, de la bête brute et du fou. Appelons-le l’intelligence, suivant la terminologie courante. Ainsi donc, l’intelligence est plus proprement appelée Lumière que l’œil, précisément parce qu’elle transcende ces sept défauts.
Prenons la première. L’œil ne se voit pas lui-même, mais l’intelligence se perçoit comme étant [p. 84] aussi bien que les autres, et elle se perçoit comme douée de savoir, de pouvoir, etc., et perçoit sa propre connaissance, et perçoit sa connaissance de sa propre connaissance, et sa connaissance de sa connaissance de sa propre connaissance, et ainsi de suite à l’infini. Or, c’est là une propriété qu’on ne peut pas concevoir d’attribuer à quoi que ce soit qui perçoit au moyen d’un instrument physique comme l’œil. Mais derrière cela, [p. 7] se cache un mystère dont la révélation prendrait longtemps.
Considérons maintenant le second défaut : l’œil ne voit ni ce qui est très proche ni ce qui est très éloigné, mais pour l’intelligence, proche et lointain sont indifférents. En un clin d’œil, elle s’élève au plus haut des cieux, en un instant, jusqu’aux confins de la terre. Bien plus, lorsque les faits sont réalisés, l’intelligence se révèle transcender l’idée même de « loin » et de « proche », qui se produit entre les corps matériels ; ceux-ci ne cessent pas de circonscrire sa sainteté, car elle est un modèle ou un échantillon des attributs d’Allah. Or, l’échantillon doit être proportionnel à l’original, même s’il n’atteint [p. 85] pas le degré d’égalité[1] avec lui. Et cela peut vous inciter à réfléchir à la véritable signification de la tradition : « Allah a créé Adam à sa propre ressemblance ». Mais je ne pense pas qu’il soit opportun pour le moment d’approfondir ce sujet.
Troisième défaut : l’œil ne perçoit pas ce qui est derrière le voile, mais l’intelligence se meut librement autour du Trône, du Siège et de tout ce qui est au-delà du voile des Cieux, ainsi que de l’Armée céleste et du Royaume céleste, tout autant que de son propre monde et de son propre royaume. Les réalités des choses sont dévoilées à l’intelligence. Son seul voile est celui qu’elle prend pour elle-même, qui ressemble au voile que l’œil prend de lui-même en fermant les paupières. Mais nous expliquerons cela plus en détail dans le troisième chapitre de cet ouvrage.
Quatrième défaut : l’œil ne perçoit que les surfaces extérieures des choses, mais non leur intérieur ; il peut ne percevoir que les moules et les formes, non les réalités ; tandis [p. 86] que l’intelligence pénètre dans l’intérieur des choses et dans leurs secrets ; elle saisit la réalité des choses et leurs esprits essentiels ; elle en tire leurs causes et leurs lois : leur origine, comment elles ont été créées, de combien de formes idéales elles sont composées, quel rang d’être elles occupent, quelle est leur relation à toutes les autres choses créées, et bien d’autres choses dont l’exposition serait très longue ; je crois qu’il est bon d’être bref.
Cinquièmement, l’œil ne voit qu’une fraction de ce qui existe, car tous les concepts et de nombreuses perceptions sont au-delà de sa vision ; il ne perçoit pas non plus les sons, ni les odeurs, ni les goûts, ni les sensations de chaud et de froid, ni les facultés perceptives, c’est-à-dire les facultés d’entendre, d’odorat, de goûter. Bien plus, toutes les qualités psychiques intérieures lui sont invisibles : la joie, le plaisir, le déplaisir, le chagrin, la douleur, le plaisir, l’amour, la luxure, le pouvoir, la volonté, la connaissance et d’innombrables autres existences. Ainsi, son champ d’action est [p. 87] limité, il ne peut dépasser les limites du monde de la couleur et de la forme, qui sont les plus grossières de toutes les entités ; car les corps naturels sont en eux-mêmes les plus grossières des catégories d’êtres, et la couleur et la forme sont les plus grossières de leurs propriétés. Mais le domaine de l’intelligence est la totalité de l’existence, car elle saisit les entités que nous avons énumérées et a libre cours parmi toutes les autres (et elles en constituent la majeure partie), portant sur elles des jugements à la fois certains et vrais. C’est pourquoi les secrets intérieurs des choses lui sont manifestes et les formes cachées des choses sont claires. Alors dites-moi de quel droit l’œil physique est-il donné à l’intelligence sur un pied d’égalité avec l’œil pour revendiquer le nom de Lumière ? Non, en vérité ! il n’est que relativement clair ; mais par rapport à l’intelligence il est obscurité. La vue n’est qu’un des espions de l’intelligence qui lui confie la surveillance du plus grossier de ses trésors, à savoir le trésor des couleurs et des formes ; elle lui ordonne d’en rapporter des rapports à son Seigneur, qui en juge alors selon les préceptes de sa pénétration et de son jugement. De même, toutes les autres facultés, à part les espions de l’intelligence, sont des facultés qui ne sont pas des espions de l’intelligence : l’imagination, la fantaisie, la pensée, la mémoire, le souvenir ; et derrière eux se trouvent des serviteurs et des vassaux, contraints à son service dans ce monde présent qui est le sien. Ceux-là, dis-je, il les contraint, [p. 88] et parmi eux il se déplace à sa guise, aussi librement que le monarque contraint ses vassaux à son service, oui, et plus librement encore. Mais il nous faudrait beaucoup de temps pour expliquer cela, et nous en avons déjà traité dans le livre de mon Ihyâ’ al-'Ulûm, intitulé « Les merveilles de l’esprit ».
Sixièmement, l’œil ne voit pas l’infini. Il ne voit que les attributs des corps connus, et ceux-ci ne peuvent être conçus que comme finis. Mais l’intelligence saisit les concepts, et les concepts ne peuvent être conçus comme finis. Il est vrai que, pour ce qui est de la connaissance effectivement acquise, le contenu réellement présenté à l’intelligence n’est que fini, mais elle saisit en puissance l’infini. Il serait trop long de l’expliquer complètement, mais si vous voulez un exemple, en voici un tiré de l’arithmétique. Dans cette science, l’intelligence saisit la série des nombres entiers, qui est infinie ; elle saisit les coefficients de deux, de trois et de tous les autres nombres entiers, et pour ceux-ci aussi aucune limite ne peut être conçue ; elle saisit toutes les différentes relations entre les nombres, et pour celles-ci aussi aucune limite [p. 89] ne peut être conçue ; et enfin elle saisit sa propre connaissance d’une chose, et sa connaissance de sa connaissance de sa connaissance de cette chose, et ainsi de suite, en puissance, jusqu’à l’infini.
Le septième : l’œil perçoit le grand comme le petit. Il voit le soleil de la taille d’un bol et les étoiles comme des pièces d’argent éparpillées sur un tapis d’azur. Mais l’intelligence perçoit que les étoiles et le soleil sont des fois plus grands que la terre. Pour l’œil, les étoiles semblent immobiles et le garçon ne grandit pas. Mais l’intelligence voit le garçon se déplacer constamment à mesure qu’il grandit, l’ombre s’allonger constamment et les étoiles se déplacer à chaque instant, sur des distances de plusieurs milles. Comme le Prophète dit à Gabriel, demandant : « Le soleil a-t-il bougé ? » Et Gabriel répondit : « Non, oui. » « Comment cela ? » demanda-t-il ; et l’autre répondit : « Entre le moment où je dis non et celui où je dis oui, il a parcouru une distance égale à cinq cents ans. » Ainsi les erreurs de vision sont multiples, mais l’intelligence les transcende toutes.
Peut-être direz-vous que nous voyons des gens doués d’intelligence commettre des erreurs. [p. 90] Néanmoins, je réponds que leurs facultés imaginatives et fantasmatiques émettent souvent des jugements et forment des convictions qu’elles croient être les jugements de l’intelligence. L’erreur est donc à attribuer à ces facultés inférieures. Voyez le compte rendu de toutes ces facultés dans mon Mî’âr al-'Ilm et dans mon Mahakk an-Nazar. Mais lorsque l’intelligence est séparée des tromperies de la fantaisie et de l’imagination, l’erreur de sa part est inconcevable ; elle voit les choses telles qu’elles sont. Cette séparation est cependant difficile et n’atteint la perfection qu’après la mort. Alors l’erreur est dévoilée, et alors les mystères sont mis en lumière, et chacun rencontre le bien ou le mal qu’il s’est déjà préparé, et « voit un Livre qui compte chaque péché véniel et chaque péché mortel, sans en omettre un seul »[1]. A cette heure-là, il lui sera dit : « Nous avons arraché de toi le Voile qui te couvrait et ta vision d’aujourd’hui [p. 91] est de fer »[2]. Or ce Voile qui te couvre est même celui de l’imagination et de la fantaisie ; et donc l’homme qui a été trompé par ses propres fantaisies, ses fausses croyances et ses vaines imaginations, répond : « Notre Seigneur ! Nous t’avons vu et entendu ! » [p.11] « O renvoie-nous et nous ferons le bien »[3]. « En vérité, maintenant, nous avons une certaine connaissance » !
De tout cela vous comprenez que l’œil peut être appelé plus justement Lumière que la lumière (ainsi nommée) qui est perçue par les sens, et de plus que l’intelligence devrait être appelée plus justement Lumière que l’œil. Il serait même vrai de dire qu’entre les deux il existe une si grande différence de valeur, que nous pouvons, et même devons, considérer que seule l’INTELLIGENCE mérite le nom de Lumière.
2. Le Coran comme Soleil de l’Intelligence
Il faut remarquer ici encore que, si l’intelligence humaine voit vraiment, les choses qu’elle voit ne sont pas toutes sur le même plan. Sa connaissance est dans certains cas, pour ainsi dire, donnée, c’est-à-dire présente dans l’intelligence, comme dans le cas de vérités axiomatiques, par exemple que la même chose ne peut être à la fois avec et sans origine, ou existante et non existante, ou que la même proposition ne peut être à la fois vraie et fausse, ou que le jugement qui est vrai [p. 92] d’une chose est vrai d’une chose identiquement semblable, ou que, l’existence du particulier étant admise, l’existence de l’universel doit nécessairement s’ensuivre.
Par exemple, si l’on admet l’existence du noir, il en résulte l’existence de la « couleur », et il en est de même pour l’« homme » et l’« animal » ; mais la réciproque ne se présente pas à l’intelligence comme nécessairement vraie, car la « couleur » n’implique pas le « noir », ni l’« animal » l’« homme ». Et il y a bien d’autres propositions vraies, certaines nécessaires, d’autres contingentes, d’autres encore impossibles. D’autres propositions encore ne trouvent pas toujours l’intelligence avec elles, quand elles y reviennent, mais doivent la secouer, la réveiller, faire éclater le silex sur l’acier, pour en faire jaillir l’étincelle. Des exemples de telles propositions sont les théorèmes de la spéculation, pour la saisir, il faut que l’intelligence soit réveillée par la dialectique (kalâm) des philosophes. Ainsi, lorsque la lumière de la philosophie se lève, l’homme voit effectivement, après avoir vu auparavant en puissance. Or, la plus grande des philosophies est la parole (kalâm) d’Allah en général, et le Coran en particulier.
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Les versets du Coran, par rapport à l’intelligence, ont donc la valeur de la lumière solaire par rapport à la vue, c’est-à-dire que c’est par cette lumière solaire que s’accomplit l’acte de voir. C’est pourquoi le Coran est appelé à juste titre Lumière, tout comme la lumière du soleil est appelée lumière. Le Coran nous est donc représenté par le soleil, et l’intelligence par la lumière de l’œil, et c’est ainsi que nous comprenons le sens du verset qui dit : « Croyez donc en Allah, en Son Prophète et en la lumière que Nous avons fait descendre »[5] ; et encore : « Une preuve certaine vous est venue de votre Seigneur, et Nous avons fait descendre une lumière évidente »[6].
3. Les mondes visibles et invisibles : avec leurs lumières
Tu sais maintenant qu’il y a deux sortes d’yeux, l’un externe et l’autre interne. Le premier appartient à un monde, le monde des sens, et la vision interne appartient à un autre monde, le monde du royaume céleste. Chacun de ces deux yeux possède un soleil et une lumière par lesquels sa vision est parfaite. L’un de ces soleils est externe, l’autre interne, le premier [p. 94] appartenant au monde visible, à savoir le soleil, qui est un objet de perception sensorielle, et l’autre interne, appartenant au monde du royaume céleste, à savoir le Coran et les autres livres inspirés d’Allah. Si donc cela t’a été dévoilé complètement et complètement, alors l’une des portes de ce royaume céleste t’a été ouverte. Dans ce monde-là, il y a des merveilles, en comparaison desquelles ce monde de la vue est totalement condamné. Celui qui ne va jamais dans ce monde, mais qui laisse les limitations de la vie dans ce monde inférieur des sens s’installer sur lui, n’est encore qu’une bête brute, un excommunié de ce qui constitue les hommes ; il est égaré plus que toute autre bête brute, car les brutes ne sont pas dotées d’ailes pour voler vers ce monde invisible. « De tels hommes », dit le Coran, « sont du bétail, et même ils sont encore plus égarés ! »[13] Comme l’écorce est au fruit, comme la moisissure ou la forme par rapport à l’esprit, comme les ténèbres par rapport à la lumière, comme l’infernal au céleste, ainsi est ce monde [p. 95] des sens par rapport au monde du royaume céleste. Pour cette raison, ce dernier est appelé le monde supra-terrestre ou le monde de l’esprit, ou le monde de la lumière, par opposition au monde inférieur, le monde de la matière et des ténèbres. Mais ne croyez pas que j’entende par Monde Suprême le Monde des Sept Cieux, bien qu’ils soient « au-dessus » par rapport à une partie de notre monde de perception sensible. Ces cieux sont également présents à notre compréhension et à celle des animaux inférieurs. Mais un homme trouve les portes du Royaume Céleste fermées pour lui, et il ne devient pas de ce Royaume, ni n’appartient à ce Royaume, à moins que « cette terre ne soit changée pour lui en quelque chose qui n’est pas terre, et de même les cieux »[4] ; à moins, en bref, que tout ce qui entre dans la portée de ses sens et de son imagination, y compris les cieux visibles, ne fasse de sa terre sa terre, et que de son ciel ne devienne tout ce qui transcende ses sens. C’est la première Ascension de tout Pèlerin [p. 96] qui s’est mis en route pour se rapprocher de la Présence Dominicale. Ainsi l’humanité a été renvoyée au plus bas des bas, et doit de là s’élever vers le monde de la plus haute hauteur. Il n’en est pas de même des Anges ; car ils font partie du Monde du Royaume Céleste, flottant toujours dans la Présence de la Transcendance, d’où ils contemplent notre Monde Inférieur. C’est à ce propos que le Prophète a dit dans la Tradition : « Allah a créé la création dans les ténèbres, puis a envoyé sur elle une effusion de Sa lumière », et « Allah a des Anges, des êtres qui connaissent les œuvres souvent mieux qu’eux-mêmes ». Or, les Prophètes, lorsque leurs ascensions ont atteint le Monde du Royaume Céleste, ont atteint le but ultime, et de là ont contemplé une totalité du Monde Invisible ; car celui qui est dans le Monde du Royaume Céleste est avec Allah, et a les clefs de l’Invisible. Je veux dire que de là où il est, les causes des choses existantes descendent dans le Monde des Sens ; Le monde sensible est un des effets du monde causal, comme l’ombre résulte d’un corps, comme [p. 97] le fruit de ce qui fructifie, ou comme l’effet d’une cause. Or, la clef de cette connaissance de l’effet se trouve dans la cause. C’est pourquoi le monde sensible est un type du monde céleste, comme nous le verrons quand nous expliquerons la NICHE, la LAMPE et l’ARBRE. Car le tien, comparé, est en quelque sorte parallèle et ressemble à la chose à laquelle il est comparé, que cette ressemblance soit lointaine ou proche : une question, encore une fois, qui est insondable, de sorte que quiconque en a sondé le sens profond a pu découvrir les vérités des types du Coran par une voie facile.
J’ai dit que tout ce qui voit le soi et le non-soi mérite plus proprement le nom de Lumière, tandis que ce qui ajoute à ces deux fonctions celle de rendre visible le non-soi, mérite plus proprement encore le nom de Lumière que ce qui n’a aucun effet en dehors de lui-même. C’est cette lumière qui mérite le nom de « Lampe Illuminante »[10], parce que sa lumière est répandue sur le non-soi. Or c’est là la propriété de l’esprit prophétique transcendantal, car par son moyen sont répandues les illuminations des sciences sur le monde créé. Ainsi s’explique le nom donné par Allah à Mahomet, « Illuminante »[11]. Or tous les Prophètes sont des Lampes, ainsi que les Savants, mais la différence entre eux est incalculable.
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4. Ces lumières comme lampes terrestres et célestes : avec leur ordre et leurs degrés
Si l’on peut appeler « Lampe Illuminatrice » ce d’où émane la lumière de la vision, alors ce d’où la Lampe elle-même est allumée peut être symbolisé par le Feu. Or, toutes ces Lampes terrestres furent allumées à l’origine par la seule Lumière Suprême ; et de l’Esprit transcendantal de la prophétie, il est écrit que « Son huile était presque lumineuse, bien que le feu ne la touchât pas » ; mais elle devient « très légère sur lumière » lorsqu’elle est touchée par ce Feu[11]. Assurément, donc, la source d’allumage de ces Esprits terrestres est l’Esprit divin Suprême, décrit par Ali et Ibn Abbas, lorsqu’ils disent : « Allah a un Ange avec soixante-dix mille visages, sur chaque visage soixante-dix mille bouches, dans chaque bouche soixante-dix mille langues avec lesquelles il loue Dieu le Très-Haut ». C’est lui qui est opposé à toute l’armée angélique, dans ces paroles : « Le jour où se lève l’Esprit et les Anges, rang sur rang. »[4] Ces Esprits Célestes, alors, s’ils sont considérés comme la source d’allumage des [p. 99] Lampes Terrestres, peuvent être comparés seuls au « Feu »[5]. Et cet allumage n’est perçu que « du côté de la Montagne »[6].
Prenons maintenant ces lampes célestes qui allument les lampes terrestres et classons-les dans l’ordre où elles s’allument elles-mêmes, les unes par rapport aux autres. Alors, celle qui est la plus proche de la source sera de toutes celles qui mériteront le plus le nom de lumière, car elle est la plus élevée par ordre et par rang. Or, l’analogie de cette hiérarchie dans le monde sensible ne peut être saisie que par celui qui voit la lumière de la lune qui entre par la fenêtre d’une maison et tombe sur un miroir fixé sur un mur, qui la renvoie sur un autre mur, d’où elle se reflète à son tour sur le sol, de sorte que le sol en est éclairé. La lumière du sol est due à celle du mur, la lumière du mur à celle du miroir, la lumière du miroir à celle de la lune, et la lumière de la lune à celle du soleil, car c’est le soleil qui rayonne sa lumière sur la lune. Ainsi, ces quatre lumières sont placées les unes au-dessus des autres, chacune plus parfaite [p. 100] que l’autre ; et chacune a un certain rang et un degré propre qu’elle ne dépasse jamais. Je veux donc que vous sachiez qu’il a été révélé aux hommes de clairvoyance que de même les Lumières du Royaume Céleste sont placées dans un ordre ; et que la plus élevée est celle qui est la plus proche de la Lumière Ultime. Il se peut donc bien que le rang de Séraphiel soit au-dessus du rang de Gabriel ; et que parmi elles se trouve le Plus Proche d’Allah, celui dont le rang se rapproche le plus de la Présence Dominicale qui est la Source de toutes ces lumières ; et que parmi celles-ci se trouve le Plus Proche de l’Homme, et qu’entre les deux il y a d’innombrables degrés dont on sait seulement qu’ils sont nombreux, et qu’ils sont ordonnés en rang et en grade, et qu’ils sont tels qu’ils se sont décrits eux-mêmes, ainsi en effet : « Pas un d’entre nous qui n’ait sa place et son rang déterminés »[15] et « Nous sommes vraiment les rangés ; nous sommes ceux dans la bouche desquels est la louange.”[7]
5. La Source de tous ces Grades de Lumière : ALLAH
La seconde chose que je voudrais que vous [p. 101] sachiez, c’est que ces degrés de lumière ne montent pas en une série infinie, mais montent vers une Source finale qui est Lumière en elle-même et par elle-même, sur laquelle aucune lumière ne vient d’une source extérieure, et de qui toute lumière est diffusée selon son ordre et son degré. Demandez-vous maintenant si le nom Lumière est plutôt dû à ce qui est illuminé et emprunte sa lumière à une source extérieure, ou à ce qui en soi est lumineux, illuminant tout le reste ? Je ne crois pas que vous puissiez ne pas voir la vraie réponse, et ainsi conclure que le nom lumière est surtout dû à cette LUMIÈRE SUPRÊME, au-dessus de laquelle il n’y a aucune lumière du tout, et de qui la lumière descend sur toutes les autres choses.
Je n’hésite pas à dire avec audace que le terme « lumière » appliqué à autre chose qu’à cette lumière première est purement métaphorique ; car toutes les autres, considérées en elles-mêmes, n’ont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, aucune lumière du tout. Leur lumière est empruntée à une source étrangère ; cette illumination empruntée n’a aucun support en elle-même, mais seulement en quelque chose qui n’est pas elle-même. [p. 102] Mais appeler l’emprunteur du même nom que le prêteur n’est qu’une simple métaphore. Pensez-vous que l’homme qui emprunte un habit, une selle, un cheval ou une autre monture, et monte dessus quand et comme le prêteur le décide, est réellement, ou seulement métaphoriquement, riche ? Ou est-ce le prêteur qui est seul riche ? Le dernier, assurément ! L’emprunteur reste en lui-même aussi pauvre que jamais, et la richesse ne peut être attribuée qu’à celui qui a prêté et qui exige le retour, à celui qui a donné et qui peut reprendre. Par conséquent, la véritable lumière est Celui dans la main de qui reposent la création et ses destinées ; Celui qui donne la lumière le premier et la soutient ensuite, ne partage avec personne la réalité de ce nom, ni le plein titre de ce nom, sauf dans la mesure où il appelle quelqu’un de ce nom, daigne l’appeler ainsi, de la même manière qu’un suzerain daigne donner un fief à son vassal, et lui confère ainsi le titre de seigneur. Or, lorsque ce vassal réalise la vérité, il comprend que lui et les siens sont la propriété de son suzerain, et de lui seul, propriété qu’il partage avec aucun partenaire au monde.
Tu sais maintenant que la Lumière se résume à l’apparition et à la manifestation, et tu as reconnu les différentes gradations de [p. 103] cette lumière. Tu dois savoir encore qu’il n’y a pas de ténèbres plus intenses que celles du non-être. Car une chose obscure est appelée obscure simplement parce qu’elle ne peut apparaître à la vue de personne ; elle n’existe jamais pour la vue, bien qu’elle existe en elle-même. Or, ce qui n’existe ni pour les autres ni pour elle-même est assurément l’extrême des ténèbres. A l’opposé, il y a l’Être, qui est donc Lumière ; car si une chose n’est pas manifeste en elle-même, elle n’est pas manifeste aux autres. De plus, l’Être lui-même se divise en ce qui a l’être en soi et en ce qui tire son être du non-soi. L’être de ce dernier est emprunté, n’ayant pas d’existence par lui-même. Bien plus, si on le considère en et par lui-même, il est pur non-être. Tout ce qu’il possède d’être est dû à sa relation avec un non-soi ; Et ceci n’est pas du tout l’être réel, comme vous l’avez appris de ma parabole du riche et du vêtement emprunté. Par conséquent, l’être réel est Allah le Très-Haut, de même que la vraie lumière est Allah.
6. La Vérité Mystique des Vérités
C’est à partir de ce point de départ que les gnostiques d’Allah s’élèvent des métaphores aux [p. 104] réalités, comme on monte des plaines aux montagnes ; et au terme de leur Ascension ils voient, comme par la vue directe des témoins oculaires, qu’il n’y a rien d’existant en dehors d’Allah seul, et que « tout périt sauf Sa Face, Son Aspect »17 ; non pas que cela périsse à un moment particulier[18], mais plutôt qu’il est sempiternellement une chose périssable, car on ne peut la concevoir que comme périssant. Car chaque chose en dehors d’Allah est, lorsqu’elle est considérée en elle-même et par elle-même, un pur non-être ; et si on la considère depuis « l’aspect » (wajh) vers lequel l’existence découle de la Réalité Première, elle est considérée comme existante, mais non pas en elle-même, uniquement depuis « l’aspect » qui accompagne Celui qui lui donne l’existence. Par conséquent, l’aspect de Dieu est la seule chose qui existe. Car toute chose a deux aspects, l’un pour elle-même et l’autre pour son Seigneur : quant au premier, elle est le Non-être ; mais quant à l’aspect [p. 105] divin, elle est l’Être. C’est pourquoi il n’y a d’autre Existence que Dieu et l’aspect divin, et donc toutes choses périssent, hormis l’aspect divin, de toute éternité. Ces gnostiques n’ont donc pas besoin d’attendre l’apparition du Dernier Soulèvement pour entendre le Créateur proclamer : « A qui appartient la puissance aujourd’hui ? A ALLAH, l’Unique, l’Invincible »[19] ; car cet appel résonne à leurs oreilles toujours et pour toujours. Ils ne comprennent pas non plus, par le cri « Allah est le plus grand » (Allâhu akbar), qu’Il est seulement « plus grand » que les autres. Dieu nous en préserve ! Car dans tout ce qui existe, il n’y a rien à côté de Lui qui puisse surpasser en grandeur. Aucun autre n’atteint le degré de coexistence, d’existence séquentielle, voire d’existence tout court, sauf celui de l’Aspect qui L’accompagne. Toute existence est exclusivement Son Aspect. Or, il est impossible qu’Il soit « plus grand » que Son propre Aspect. Le sens est plutôt qu’Il est trop Grand pour être appelé Grand ou Très Grand, par voie de relation ou de comparaison - trop Grand pour que quiconque, qu’il soit Prophète ou Ange, puisse saisir la véritable nature de Sa Grandeur. Car nul ne connaît Allah avec une connaissance réelle sinon Lui-même ; car tout ce qui est connu tombe nécessairement sous l’emprise et dans la province du Connaisseur ; un état : [p. 106] qui est la négation même de toute Majesté, de toute « Grandeur ». J’en ai donné la preuve complète dans mon al-Maqsad al-Asnâ fî ma’ânî asmâ’i llâhi-l Husnâ.
Ces gnostiques, au retour de leur Ascension au ciel de la Réalité, confessent d’une seule voix qu’ils n’y ont vu rien d’existant, sauf l’Unique Réel. Certains d’entre eux, cependant, y sont parvenus scientifiquement, d’autres expérimentalement et subjectivement. De ces derniers, la pluralité des choses s’est évanouie dans son intégralité. Ils se sont noyés dans l’Unité absolue, et leurs intelligences se sont perdues dans Son abîme. Ils y sont devenus comme des êtres médusés. Il ne leur restait plus en eux que la capacité de se souvenir d’Allah ; et même pas la capacité de se souvenir d’eux-mêmes. Il ne leur restait donc plus rien, sauf Allah. Ils s’enivrèrent d’une ivresse où l’emprise de leur propre intelligence disparut ; de sorte que l’un[20] s’écria : « Je suis l’Unique Réel ! » et un autre : « Gloire à MOI ! Quelle est grande MA gloire ! »[8] et un autre : « Dans cette robe il n’y a rien d’autre qu’Allah ! »[8:1] … Mais les paroles des [p. 107] Amants Passionnés dans leur ivresse et leur extase [p. 20] doivent être cachées et tues… Puis, lorsque cette ivresse s’apaisa et qu’ils revinrent sous l’emprise de l’intelligence, qui est la balance d’Allah sur terre, ils surent que ce n’était pas une véritable Identité, mais seulement quelque chose ressemblant à une Identité, comme dans ces paroles de l’Amant au plus fort de sa passion : —
« Je suis Celui que j’aime, et Celui que j’aime, c’est moi ;
Nous sommes deux esprits immanents dans un seul corps. »[9]
Car il est possible à un homme qui n’a jamais vu de miroir de sa vie, d’être soudain confronté à un miroir, de le regarder et de penser que la forme qu’il voit dans le miroir est la forme du miroir lui-même, « identique » à lui. Un autre peut voir du vin dans un verre et penser que le vin n’est que la tache du verre. Et si cette pensée devient pour lui une habitude, comme une idée fixe, elle l’absorbe entièrement, de sorte qu’il chante :
« Le verre est fin, le vin est clair !
Les deux sont pareils, la question est perplexe :
[p. 108]
Car c’est comme s’il y avait du vin et pas de verre à vin,
Ou comme si nous n’étions qu’un verre de vin et rien de vin !
Il y a une différence entre dire : « Le vin est le verre à vin » et dire : « C’est comme si c’était le verre à vin ». Or, lorsque cet état prévaut, on l’appelle, par rapport à celui qui l’éprouve, Extinction, ou plutôt, Extinction de l’Extinction, car l’âme s’est éteinte à elle-même, éteinte à sa propre extinction ; car elle devient inconsciente d’elle-même et inconsciente de sa propre inconscience, car si elle était consciente de sa propre inconscience, elle serait consciente d’elle-même. Par rapport à l’homme immergé dans cet état, l’état est appelé, dans le langage de la métaphore, « Identité » ; dans le langage de la réalité, « Unification ». Et sous ces vérités se trouvent aussi des mystères que nous ne sommes pas libres de discuter.
7. L’« Aspect Divin » : une explication « avancée » de la Relation de ces Lumières à ALLAH
Il se peut que tu désires ardemment connaître [p. 109] le rapport (wajh) entre la lumière d’Allah et les cieux et la terre, ou plutôt le rapport par lequel Il est en Lui-même la Lumière des cieux et de la terre. Et cela ne te sera certainement pas nié, maintenant que tu sais qu’Allah est Lumière, et qu’en dehors de Lui il n’y a pas de lumière, et qu’Il est toute lumière, et qu’Il est la lumière universelle. Car la lumière est une expression de ce par quoi les choses sont révélées ; ou, plus haut encore, de ce par quoi et pour quoi elles sont révélées ; oui, et plus haut encore, de ce par quoi, pour quoi et à partir de quoi elles sont révélées. Et maintenant que tu sais aussi, de tout ce qui est appelé lumière, seul ce par quoi, pour quoi et à partir de quoi les choses sont révélées est réel – cette Lumière au-delà de laquelle il n’y a pas de lumière pour allumer et alimenter sa flamme, car Elle s’allume et s’alimente en Elle-même, de Elle-même et pour Elle-même, et d’aucune autre source. Une telle conception, une telle description, vous en êtes maintenant assuré, ne peuvent [p. 110] s’appliquer qu’au Grand Primaire. Vous êtes également assuré que les cieux et la terre sont remplis de lumière appartenant à ces deux plans lumineux fondamentaux, notre Vue et notre Introspection, c’est-à-dire nos sens et notre intelligence. La première sorte de lumière est celle que nous voyons dans les cieux, le soleil, la lune et les étoiles, et celle que nous voyons sur la terre, c’est-à-dire les rayons qui se répandent sur toute la surface de la terre, rendant visibles toutes les différentes couleurs et nuances, particulièrement au printemps, et sur tous les animaux, les plantes et les choses, dans tous leurs états : car sans ces rayons aucune couleur n’apparaîtrait ni n’existerait même. De plus, toute forme et toute taille visibles à la perception sont appréhendées en conséquence de la couleur, et il est impossible de concevoir de les appréhender sans couleur. Quant aux autres Lumières intelligentes idéales, le Monde Suprême en est [p. 111] rempli, à savoir la substance angélique, et le Monde Inférieur en est aussi plein, à savoir, la vie animale et la vie humaine successivement. L’ordre du Monde Inférieur se manifeste au moyen de cette lumière humaine inférieure, tandis que l’ordre du Monde Suprême se manifeste au moyen de cette lumière angélique. C’est l’ordre auquel fait allusion le passage du Coran : « C’est Lui qui vous a formés de la terre et l’a peuplée de vous, afin de vous appeler successeurs sur la terre… » et « Il fait de vous des successeurs sur la terre », et « En vérité, j’ai placé sur la terre un successeur » (Khalîfa).[23]
Ainsi vous voyez que le monde entier est tout rempli des lumières extérieures de la perception et des lumières intérieures de l’intelligence ; aussi que les lumières inférieures sont diffusées ou émanent l’une de l’autre, comme la lumière émane ou est diffusée d’une lampe ; tandis que la Lampe elle-même est la Lumière transcendantale de la Prophétie ; et que les Esprits transcendentaux de la Prophétie sont allumés par l’Esprit Suprême, comme la lampe est allumée par le feu ; et que les Suprêmes sont allumés l’un par l’autre ; et que leur ordre est un ordre de degrés ascendants ; de plus, que tous ceux-ci s’élèvent vers la Lumière des Lumières, l’Origine et la Source des lumières, et c’est ALLAH, seul et unique ; et que toutes les autres lumières sont empruntées à Lui, et que la Sienne seule est la vraie lumière ; et que tout vient de Sa lumière, non, Il est tout, non, IL EST CE QU’IL EST, nul autre que Lui n’a [p. 112] d’ipséité ou d’héité du tout, sauf par métaphore. Il n’y a donc pas de lumière en dehors de Lui, et toutes les autres lumières ne sont que des lumières provenant de l’aspect qui L’accompagne, et non d’elles-mêmes. Ainsi, l’aspect et la face de toute chose sont tournés vers Lui et se tournent dans Sa direction ; et « partout où ils se tournent, là est la Face d’Allah »[24]. Ainsi, il n’y a pas de divinité en dehors de Lui ; car « divinité » est une expression par laquelle est connotée ce vers quoi tous les visages sont tournés[25] dans l’adoration et dans la confession – qu’Il est la Déité ; mais je veux dire les visages des cœurs des hommes, car ils sont en vérité des lumières et des esprits. Bien plus, de même qu’« il n’y a pas de divinité en dehors de Lui », de même il n’y a pas de divinité en dehors de Lui, car « il » est une expression pour quelque chose que l’on peut [p. 113] indiquer ; mais dans tous les cas, nous ne pouvons que L’indiquer. Chaque fois que vous indiquez quelque chose, votre indication est en réalité vers Lui, même si par votre ignorance de la vérité des vérités que nous avons mentionnées vous ne la connaissez pas. De même qu’on ne peut pas désigner la lumière du soleil, mais seulement le soleil, de même la relation de la somme des choses à Allah est, dans l’analogie visible, comme la relation de la lumière au soleil. Par conséquent, « Il n’y a de divinité qu’Allah » est la déclaration d’Unité du Nombreux ; celle du Peuple est « Il n’y a de divinité qu’Allah » ; la première est plus générale, mais la seconde est plus particulière, plus complète, plus exacte et plus apte à donner à celui qui la déclare l’entrée dans l’Unité et l’Unité pures et absolues. Ce royaume de l’Un-et-l’Un-et-l’Un est le point ultime de l’Ascension des mortels : il n’y a pas d’étape ascendante [p. 114] au-delà ; car « l’ascension » implique la pluralité, étant une sorte de relation impliquant deux étapes, une ascension depuis et une ascension vers. Mais quand la Pluralité a été éliminée, l’Unité est établie, la relation est effacée, toute indication d’« ici » à « là » disparaît, et il ne reste plus ni hauteur ni profondeur, ni personne pour monter ou descendre. Le Progrès vers le haut, l’Ascension de l’âme, devient alors impossible, car il n’y a pas de hauteur au-delà du Très-Haut, pas de pluralité à côté de l’Un, et, maintenant que la pluralité est terminée, pas d’Ascension pour l’âme. S’il y a, en effet, un changement, c’est par la « Descente au Ciel le plus Bas », le rayonnement d’en haut vers le bas ; car le Très-Haut, bien qu’Il puisse avoir le plus haut, a un plus bas. Tel est le but des buts, le dernier objet de la recherche spirituelle, connu de celui qui le sait, nié par celui qui l’ignore. Il appartient à cette connaissance qui est selon la forme de la chose cachée, et que personne ne connaît sauf les Savants[26] est Allah. Si donc ils le prononcent, il n’est nié que par ceux qui L’ignorent.
Il n’y a pas d’invraisemblance dans l’explication donnée par ces savants à cette « descente au ciel le plus bas », à savoir qu’il s’agit de la descente d’un ange ; bien qu’un de ces gnostiques[27] ait, en effet, imaginé une explication moins probable. Lui, immergé comme il l’était dans l’Unité divine, a dit qu’Allah a « une descente au ciel le plus bas », et que cette descente est Sa descente, afin d’utiliser les sens physiques et de mettre en mouvement les membres corporels ; et qu’Il est celui indiqué dans la Tradition dans laquelle le Prophète dit : « Je suis devenu Son ouïe par laquelle Il entend, Sa vision par laquelle Il voit, Sa langue par laquelle Il parle[28]. » Or, si le Prophète était l’ouïe, la vision et la langue d’Allah, alors [p. 115] Allah et Lui seul est l’Audient, le Voyant, l’Orateur ; et c’est Lui qu’il désigne dans sa propre parole à Moïse : « J’étais malade et tu ne m’as pas visité »[29]. D’après cela, les mouvements corporels de ce Confesseur de l’Unité divine viennent du ciel le plus bas ; sa sensation d’un ciel immédiatement supérieur ; et son intelligence du ciel immédiatement supérieur. De ce ciel de l’intelligence, il s’élève jusqu’à la limite de l’Ascension des choses créées, le royaume de l’Un et de l’Unité, par un chemin septuple ; après cela, il « s’installe sur le trône » de l’Unité divine, et de là « prend le commandement »[30] à travers ses cieux étagés. On pourrait bien, en regardant un tel homme, lui appliquer la parole : « Allah a créé Adam à l’image du Miséricordieux » ; jusqu’à ce qu’après avoir médité plus profondément sur ce mot, il se rende compte qu’il a une interprétation comme ces [p. 116] autres mots, « Je suis le SEUL VRAI », « Gloire à MOI ! »[10] ou ces paroles du Prophète, selon lesquelles Allah a dit, « J’étais malade et tu ne M’as pas visité », et « Je suis Son ouïe, Sa vision et Sa langue ». Mais je trouve bon maintenant de m’arrêter sur cette exposition, car je pense que vous ne pouvez pas entendre plus de ce genre que ce que j’ai maintenant communiqué.
8. La relation de ces lumières à ALLAH : illustrations et explications plus simples
Il se peut que malgré toutes vos peines, vous ne parveniez pas à atteindre la hauteur de ces paroles ; il se peut que malgré toutes vos peines, vous n’y parveniez pas. Voici donc quelque chose qui se rapproche davantage de votre compréhension et de votre faiblesse. La signification de la doctrine selon laquelle Allah est la Lumière des Cieux et de la Terre peut être comprise en relation avec la lumière phénoménale et visible. Lorsque vous voyez des teintes printanières – le vert tendre, par exemple – en pleine lumière du jour, vous n’avez aucun doute que vous ne regardez que des couleurs, et vous supposez très probablement que vous ne voyez rien d’autre à côté d’elles. C’est comme si vous disiez : « Je ne vois rien à côté du vert. » En fait, beaucoup ont obstinément soutenu cela. Ils ont affirmé que la lumière est un terme dénué de sens et qu’il n’y a rien d’autre que de la couleur avec [p. 117] les couleurs. Ils niaient donc l’existence de la lumière, bien qu’elle fût la plus manifeste de toutes les choses. Comment ne serait-ce pas, puisque c’est par elle seule que tout devient manifeste ? Car c’est elle qui est elle-même visible et qui rend visible, comme nous l’avons dit plus haut. Mais lorsque le soleil se coucha, que la lampe du ciel disparut et que l’ombre de la nuit tomba, alors ces hommes comprirent qu’il y avait une différence essentielle entre l’ombre inhérente et la lumière inhérente. Ils confessèrent que la lumière est une forme qui se trouve derrière toute couleur et qu’elle est saisie avec la couleur, de sorte que, pour ainsi dire, par son intense union avec les couleurs, elle n’est pas saisie, et par son intense évidence elle est invisible. Et il se peut que cette intensité même soit la cause directe de son invisibilité, car ce qui dépasse un extrême passe à l’extrême opposé.
Si cela est clair pour vous, sachez aussi que ceux qui ont cette clairvoyance n’ont jamais vu un seul objet sans voir Allah avec lui. Il se peut que l’un d’entre eux soit allé plus loin et ait dit : « Je n’ai jamais vu un seul objet sans avoir vu Allah en même [p. 118] temps. » Car certains d’entre eux ne voient les objets qu’à travers et en Allah, tandis que d’autres voient d’abord les objets et voient ensuite Allah dans et à travers ces objets. C’est à la première catégorie que le Coran fait allusion dans les mots : « Ne suffit-il pas que mon Seigneur voie tout ? »[32] et à la seconde dans les mots : « Nous leur montrerons Nos signes dans le monde entier et en eux-mêmes. » Car la première catégorie a l’intuition directe d’Allah, et la seconde Le déduit de Ses œuvres. Le premier est le rang des Saints-Amis de Dieu, le second celui des Savants « qui sont établis dans la science »[11]. Après ces deux grades, il ne reste plus que celui des insouciants, sur le visage desquels est le voile.
Ainsi, de même que tout est manifeste à la vue de l’homme par la lumière, de même tout est manifeste à la vue de l’homme par l’intermédiaire d’Allah, car Il est avec chaque instant avec chaque chose et par Lui tout apparaît. Mais ici, l’analogie cesse et nous avons une différence radicale : à savoir que la lumière phénoménale peut être conçue comme disparaissant avec le coucher du soleil [p. 119] et comme se couvrant d’un voile pour laisser apparaître l’ombre ; tandis que la lumière divine, qui est la condition de toute apparition, ne peut être conçue comme disparaissant. Le soleil ne peut jamais se coucher ! Il demeure éternellement avec toutes choses. Ainsi, la méthode de la différence (comme méthode pour démontrer l’existence de Dieu à partir de Ses œuvres) n’est pas à notre disposition. Si l’apparition d’Allah était concevable, le ciel et la terre s’effondreraient et de là, par la différence, serait appréhendé un effet qui forcerait simultanément à reconnaître la cause par laquelle toutes choses sont apparues. Mais, telle qu’elle est, toute la Nature demeure la même et invariable à notre vue à cause de l’unité de son Créateur, car « toutes choses chantent ses louanges »[34](./et non pas certaines choses) à tout moment (et non pas parfois) ; et ainsi la méthode de la différence est éliminée, et le chemin vers la connaissance [p. 120] de Dieu est obscurci. Car le moyen le plus évident de connaître les choses est par leurs contraires : la chose qui ne possède ni contraire ni opposé, ses traits étant toujours exactement identiques lorsque vous la regardez, échappera très probablement à votre attention. Dans ce cas, son obscurité résulte de son évidence même, et son insaisissabilité du rayonnement même de sa clarté. Alors gloire à Celui qui se cache à sa propre création par sa totale évidence, et est voilé à leur regard par l’éclat même de sa propre lumière !
Mais il se peut que même cet enseignement ne soit pas intelligible pour certaines intelligences limitées [27], qui, à partir de notre déclaration (qu’« Allah est avec tout », comme la lumière est avec tout), comprendront qu’Il est en tout lieu. Il est trop élevé et trop saint pour être lié à un lieu ! Loin de commencer cette veine d’imagination, nous vous affirmons qu’Il est antérieur à tout, et au-dessus de tout, et qu’Il rend tout manifeste. Or, ce qui est manifeste est inséparable de, manifesté, subjectivement, dans la connaissance du penseur ; et c’est ce que nous voulons dire en disant qu’Allah accompagne ou est « avec » tout. Vous savez, en outre, que ce qui est manifeste est antérieur à, et au-dessus de ce qui est manifesté, bien qu’Il [p. 121] soit « avec » tout ; mais il est « avec » tout sous un aspect, et « au-dessus » de tout sous un autre. Vous ne devez donc pas supposer qu’il y ait ici une contradiction. Ou bien, considérez comment, dans le monde des sens, qui est le plus haut auquel votre connaissance puisse s’élever, le mouvement de vos mains va « avec » le mouvement de son ombre, et pourtant lui est aussi antérieur. Et quiconque n’a pas assez d’esprit pour voir cela, devrait abandonner complètement ces recherches ;
« À chaque science son peuple ;
Et chaque homme trouve facilement ce pour quoi il a été créé apte.