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1850 À NOS JOURS
L’ère Meiji commence officiellement avec l’accession au trône en 1868 de l’empereur actuel, sous la direction auguste duquel une nouvelle épreuve, sans précédent dans les annales de notre pays, a dû être affrontée.
Ce jeu constant de couleurs qui caractérise la vie religieuse et artistique de la nation, telle que nous l’avons décrite dans les pages précédentes – tantôt scintillant dans le crépuscule ambré de la Nara idéaliste, tantôt resplendissant de l’automne cramoisi de Fujiwara, se perdant à nouveau dans les vagues vertes de Kamakura, ou miroitant dans le clair de lune argenté d’Ashikaga – nous revient ici dans toute sa splendeur, telle la verdure fraîche d’un été balayé par la pluie. Pourtant, [ p. 206 ] les vicissitudes de cette nouvelle ère, dont les trente-quatre années se sont écoulées, apportant à chaque instant un programme nouveau et plus ambitieux, nous entourent d’un labyrinthe de contradictions, au milieu desquelles il devient extrêmement difficile d’abstraire et d’unifier l’idée sous-jacente.
Et en effet, le critique qui parle d’art contemporain court toujours le risque de marcher sur sa propre ombre, s’attardant avec émerveillement sur ces figures gigantesques, voire grotesques, que les rayons obliques du coucher de soleil projettent sur le sol derrière lui. Il existe aujourd’hui deux puissantes chaînes de forces qui captivent l’esprit japonais, s’enroulant comme des dragons sur leurs propres anneaux, chacune luttant pour devenir seule maîtresse du joyau de la vie, toutes deux perdues par moments dans un océan d’effervescence. L’une est l’idéal asiatique, rempli de grandes visions de l’universel balayant le concret et le particulier, et l’autre la science européenne, avec sa culture organisée, armée de tout son arsenal de connaissances différenciées [ p. 207 ], et animée par l’énergie de la compétition.
Les deux mouvements rivaux ont pris conscience presque simultanément, il y a un siècle et demi. Le premier a débuté par une tentative de ramener le Japon à cette unité que les différentes vagues culturelles chinoise et indienne – aussi riches et puissantes qu’elles aient pu apporter – avaient eu tendance à obscurcir.
La vie nationale japonaise est centrée sur le trône, sur lequel plane, dans une pureté transcendante, la gloire d’une succession ininterrompue depuis l’éternité. Mais notre étrange isolement et notre absence prolongée de relations avec l’étranger nous avaient privés de toute occasion de nous reconnaître. Et, en politique, la vision de notre unité organique sacrée avait été quelque peu occultée par la succession de l’aristocratie Fujiwara, cédant la place à la dictature militaire du shogunat sous les Minamoto, les Ashikaga et les Tokugawa.
Parmi les diverses causes qui contribuèrent à nous tirer de cette torpeur séculaire, on peut citer, tout d’abord, le renouveau confucéen des érudits Ming, tel qu’il se reflète dans l’érudition du début de la période Tokugawa. Le premier empereur Ming qui renversa la dynastie mongole en Chine était lui-même un moine bouddhiste. Pourtant, il considérait le néoconfucianisme des érudits Song – avec son individualisme fondé sur les idées indiennes – comme dangereux pour l’unification d’un grand empire. Il découragea donc ce néoconfucianisme et chercha également à balayer le labyrinthe du tantrisme tibétain que les Mongols avaient apporté en Chine, avant de tenter de régénérer la suprématie politique indigène. Puisque le néoconfucianisme est du confucianisme interprété bouddhistement, cela signifie que l’empereur tenta de revenir au confucianisme pur. Ainsi, les érudits Ming revinrent aux commentateurs Hâng, et une ère de recherche archéologique commença qui atteignit son point culminant dans [ p. 209 ] les travaux gigantesques de l’actuelle dynastie mandchoue sous Kanhi et Kenliu.
L’érudition japonaise, suivant ce grand précédent, se tourna vers son histoire ancienne. De beaux ouvrages historiques parurent en chinois, parmi lesquels Dainihonshi, ou « Histoire du puissant Japon », compilé sur ordre du prince Mito il y a deux cents ans. Ces ouvrages exprimaient un culte passionné pour ces héroïques personnifications de la loyauté qui avaient péri, comme Masashige, dans un glorieux sacrifice personnel, à la fin de l’époque de Kamakura, et le lecteur était déjà poussé à espérer la restauration du pouvoir impérial.
Un dialogue significatif de cette période est celui dans lequel un éminent érudit, connu pour sa révérence envers les sages indiens et chinois, se vit demander par un antagoniste : « Que feriez-vous, vous qui avez un amour irrésistible pour ces grands maîtres, si une armée envahissait le Japon, avec [ p. 210 ] Bouddha comme généralissime et Confucius comme lieutenant ? » Il répondit sans hésiter : « Décapitez Sakya-Muni et trempez la chair de Confucius dans de la saumure ! »
C’est ce flambeau qui brûlait dans la main de Sannyo, quand, un siècle plus tard, il écrivit ce récit épique du pays à partir des pages poétiques desquelles la jeunesse japonaise apprend encore l’intensité de la fièvre rageuse qui poussa leurs grands-pères à la révolution.
L’étude de la littérature ancienne purement japonaise est devenue à la mode, menée par les génies de Motoori et Harumi, dont les travaux colossaux sur la grammaire et la philologie ne suscitent pas beaucoup d’intérêt chez les érudits modernes.
Cela a conduit tout naturellement au renouveau du shintoïsme, cette forme pure de culte des ancêtres qui existait au Japon avant le bouddhisme, mais qui a été depuis longtemps recouverte, notamment par le génie de Kukai, d’interprétations bouddhiques. Cet élément de la religion nationale est toujours centré sur la personne de l’empereur, descendant de la divinité. Son renouveau doit donc toujours signifier l’avènement d’une conscience patriotique.
Les sectes bouddhistes, affaiblies par l’attitude pacifique et mondaine du shogunat, qui leur avait accordé des privilèges héréditaires, furent incapables d’assimiler cette énergie éveillée du shintoïsme. C’est à cela que l’on doit la triste destruction et la dispersion des trésors des temples et monastères bouddhistes, lorsque les moines et prêtres furent contraints de se convertir au shintoïsme sous la menace d’une annihilation immédiate. De fait, le zèle des nouveaux convertis ajouta souvent le flambeau de la destruction à ce bûcher funéraire de conversion forcée.
La seconde cause du réveil national fut sans aucun doute le danger considérable que représentaient pour notre indépendance nationale les empiètements occidentaux sur le sol asiatique. Grâce aux marchands hollandais [ p. 212 ] qui nous tenaient informés des événements extérieurs, nous connaissions le puissant bras de conquête que l’Europe étendait vers l’Orient.
Nous avons vu l’Inde, terre sainte de nos plus précieux souvenirs, perdre son indépendance à cause de son apathie politique, de son manque d’organisation et des jalousies mesquines d’intérêts rivaux – une triste leçon qui nous a fait prendre conscience de la nécessité de l’unité à tout prix. La guerre de l’opium en Chine et la succombation progressive des nations orientales, une à une, à la force magique subtile que les navires noirs apportaient sur les mers, ont ramené l’image redoutable de l’Armada tartare, appelant les femmes à prier et les hommes à polir leurs épées, gémissant maintenant dans la rouille de trois siècles de paix. Il existe un sonnet court mais significatif de Komeitenno – l’auguste père de l’actuelle Majesté, à la clairvoyance duquel le Japon doit beaucoup [ p. 213 ] de sa grandeur moderne – qui dit : « Fais de ton mieux, au maximum de tes forces. Puis agenouille-toi seul et prie pour le vent divin d’Isé, qui repoussa la flotte tartare », empreint de la virilité indépendante de la nation. Les belles cloches des temples, habituées à vibrer la musique du repos et de l’amour, furent arrachées de leurs beffrois séculaires pour couler les canons destinés à défendre les côtes. Les femmes jetèrent leurs miroirs dans la même fournaise ardente, bouillonnante de feu patriotique. Pourtant, les puissants détenteurs des cordes à la barre de l’État étaient bien conscients des dangers qui attendaient le pays, s’il se lançait imprudemment ou sans équipement dans une défiance guerrière contre les soi-disant barbares occidentaux. Il leur incombait de lutter et d’endiguer lentement le torrent fougueux de l’enthousiasme des samouraïs, tout en essayant néanmoins d’ouvrir le pays aux relations occidentales. Nombreux sont ceux, comme Iikamon, qui ont sacrifié leur vie en déclarant que la nation n’était pas prête à une affirmation téméraire. Nous leur devons une profonde gratitude, ainsi qu’à l’ambassade armée des États-Unis, dont la politique nationale nous a ouvert les portes dans un esprit de lumière, sans ambition personnelle.
Un troisième et dernier élan fut donné par les daimyos du Sud, descendants de l’aristocratie de Hideyoshi et compagnons d’Iyeyasu, constamment tourmentés par l’absolutisme du shogunat Tokugawa, qui les avait presque réduits au rang de vassaux héréditaires. Les princes de Satsuma et de Choshu, de Hizen et de Tosa, avaient toujours conservé le sentiment de leur grandeur passée et avaient offert refuge aux réfugiés qui s’étaient réfugiés chez eux pour échapper à la colère de la cour d’Edo. C’est donc sur leurs territoires que le nouvel esprit révolutionnaire put respirer librement. C’est sur leurs territoires que naquirent les puissants hommes d’État qui reconstruisirent le nouveau Japon ; c’est sur leurs terres que les grands esprits qui le gouvernent encore aujourd’hui doivent retracer leur lignée. Ces clans puissants ont fourni les généraux et les soldats qui ont renversé le Shogunat, bien que l’honneur soit également dû à la maison princière de Mito et à Echizen du Shogunat lui-même, qui se sont unis pour apporter une paix rapide à l’Empire, et pour faire cette grande renonciation à laquelle tous les daimyos et les samouraïs se sont joints, sacrifiant leurs fiefs séculaires au trône, et devenant égaux devant la loi, en tant que concitoyens avec le plus humble paysan du pays.
Ainsi, la restauration Meiji rayonne du feu du patriotisme, grande renaissance de la religion nationale de la loyauté, avec l’auréole transfigurée du Mikado en son centre. Le système éducatif des Tokugawa, qui avait propagé l’alphabétisation à tous, garçons et filles, dans les écoles de village [ p. 216 ] sous la direction des prêtres villageois, avait posé les bases de cette éducation élémentaire obligatoire qui fut l’un des premiers actes du règne actuel. Ainsi, haut et bas ne firent plus qu’un dans la grande énergie nouvelle qui enthousiasma la nation, permettant au plus humble conscrit de l’armée de se glorifier dans la mort, tel un samouraï.
Malgré les querelles politiques – enfants naturels et contre nature d’un système constitutionnel tel que celui qui lui a été librement accordé par le monarque en 1892 – un mot du trône conciliera encore le gouvernement et l’opposition, les réduisant tous deux à une révérence muette, même pendant leurs dissensions les plus violentes.
Le Code de moralité, pierre angulaire de l’éthique japonaise telle qu’elle est enseignée dans les écoles, a été donné par un mandat impérial, lorsque toutes les autres suggestions n’ont pas réussi à atteindre la note de la vénération universelle qui était nécessaire.
D’autre part, les merveilles de la science moderne, depuis plus d’un siècle, s’étaient manifestées dans l’esprit émerveillé des étudiants de Nagasaki, seul port où les commerçants hollandais arrivaient. Les connaissances géographiques qu’ils y avaient acquises leur avaient ouvert de nouvelles perspectives sur l’humanité. La médecine et la botanique occidentales furent d’abord étudiées avec les plus grandes difficultés. Les méthodes de guerre européennes, que les samouraïs souhaitaient naturellement acquérir, les conduisirent à de graves dangers, le shogunat considérant que toutes ces tentatives étaient dirigées contre leur suprématie. Il est déchirant de lire l’histoire de ces pionniers de la science occidentale, qui se consacrèrent en secret au déchiffrement du lexique hollandais, tandis que les archéologues perçaient les mystères des civilisations anciennes grâce à la pierre de Rosette.
Le souvenir de l’invasion jésuite du XVIIe siècle, qui s’était terminée par le terrible massacre de la population chrétienne de Shimabara, avait entraîné l’interdiction de construire des navires de mer dépassant un certain tonnage et avait fait peser la peine de mort sur quiconque, n’étant pas un fonctionnaire désigné pour traiter avec les Hollandais, oserait communiquer avec des étrangers. Cette situation isolait le monde occidental comme derrière un mur de fer, de sorte qu’il fallait le plus grand sacrifice et le plus grand héroïsme pour inciter la jeunesse aventureuse à chercher passage sur ces navires européens égarés qui, de temps à autre, touchaient nos côtes.
Mais la soif de savoir ne fut pas étanchée. La préparation de la guerre civile qui allait opposer les puissances rivales du Shogunat et des daimyos du Sud donna lieu à l’arrivée d’officiers français, motivés par l’ambition des Français de freiner l’expansion des Anglais en Asie.
L’avènement du Commodore américain [ p. 219 ] Perry ouvrit enfin les vannes du savoir occidental, qui déferla sur le pays au point de presque balayer les jalons de son histoire. À ce moment, le Japon, dans la conscience éveillée de sa vie nationale, était impatient de se revêtir d’un nouvel habit, se débarrassant des vêtements de son passé ancien. Se débarrasser de ces entraves de la culture chinoise et indienne qui l’enchaînaient dans la maya de l’orientalisme, si dangereuse pour l’indépendance nationale, semblait être un devoir primordial pour les organisateurs du nouveau Japon. Non seulement dans leurs armements, leur industrie et leurs sciences, mais aussi dans la philosophie et la religion, ils recherchaient les nouveaux idéaux de l’Occident, aussi flamboyants qu’ils fussent d’un éclat merveilleux à leurs yeux inexpérimentés, encore indifférents à ses lumières et à ses ombres. Le christianisme fut embrassé avec le même enthousiasme qui accueillit la machine à vapeur ; Le costume occidental fut adopté comme ils adoptèrent la mitrailleuse. Les théories politiques et les réformes sociales, usées dans leur pays natal, furent accueillies ici avec le même plaisir nouveau qu’elles éprouvaient pour les produits démodés et désuets de Manchester.
Les voix de grands hommes d’État comme Iwakura et Okubo n’ont pas tardé à condamner les ravages massifs que cet amour frénétique des institutions européennes infligeait aux anciennes coutumes du pays. Mais même eux estimaient qu’aucun sacrifice n’était trop grand pour que la nation soit capable de relever le défi. Ainsi, le Japon moderne occupe une position unique dans l’histoire, ayant résolu un problème sans doute incomparable à aucun autre, si ce n’est celui auquel fut confrontée la vigoureuse activité de l’esprit italien aux XVe et XVIe siècles. Car, à ce stade de son développement, l’Occident devait également s’atteler à la double tâche d’assimiler, d’une part, la culture gréco-romaine imposée par l’essor des Turcs ottomans, et, d’autre part, le nouvel esprit scientifique et libéral qui, [ p. 221 ] dans la découverte d’un monde nouveau, la naissance d’une foi réformée et l’essor de l’idée de liberté contribuaient à dissiper le nuage médiéval. Et c’est cette double assimilation qui constitua la Renaissance.
Comme aux grands jours des petites républiques italiennes, quand chacune luttait pour trouver une nouvelle solution de vie et n’éclatait à la surface que pour être balayée par les vents de la discorde, cette ère Meiji, bouillonnante de ses bulles d’affirmation de soi, regorge d’un intérêt sans précédent pour le monde, bien que teinté à la fois de pathétique et de ridicule.
Le tourbillon sauvage de l’individualisme, cherchant toujours à faire de sa propre volonté orageuse sa loi, déchirant maintenant les cieux dans ses agonies de destruction, se déchaînant à nouveau dans un accueil furieux de tout nouveau morceau de religion et de politique occidentale, aurait mis la nation en pièces dans sa tourmente bouillonnante, si le roc solide de la loyauté inflexible n’avait pas formé sa base inébranlable.
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L’étrange ténacité de la race, nourrie à l’ombre d’une souveraineté intacte depuis ses origines, cette même ténacité qui préserve parmi nous les idéaux chinois et indiens dans toute leur pureté, même là où ils ont été depuis longtemps rejetés par leurs créateurs, cette ténacité qui se délecte de la délicatesse de la culture Fujiwara et se complaît simultanément dans l’ardeur martiale de Kamakura, qui tolère le faste fastueux de Toyotomi, tout en appréciant la pureté austère des Ashikaga, maintient le Japon intact aujourd’hui, malgré cet afflux soudain et incompréhensible d’idées occidentales. Rester fidèle à elle-même, malgré la nouvelle couleur que la vie d’une nation moderne l’oblige à prendre, est, naturellement, l’impératif fondamental de cette idée Adwaita à laquelle elle a été éduquée par ses ancêtres. C’est à l’éclectisme instinctif de la culture orientale qu’elle doit la maturité de jugement qui l’a conduite à sélectionner parmi diverses sources [ p. 223 ] les éléments de la civilisation européenne contemporaine dont elle avait besoin. La guerre de Chine, qui a révélé notre suprématie dans les eaux orientales et qui nous a rapprochés plus que jamais par une amitié mutuelle, était le résultat naturel de la nouvelle vigueur nationale qui s’efforçait de s’exprimer depuis un siècle et demi. Elle avait également été pressentie dans toutes ses dimensions par la remarquable perspicacité des anciens hommes d’État de l’époque, et nous met aujourd’hui face aux grands problèmes et aux responsabilités qui nous attendent en tant que nouvelle puissance asiatique. Non seulement revenir à nos idéaux passés, mais aussi ressentir et raviver la vie endormie de la vieille unité asiatique devient notre mission. Les tristes problèmes de la société occidentale nous poussent à rechercher une solution plus élevée dans la religion indienne et l’éthique chinoise. La tendance même de l’Europe, dans la philosophie allemande et la spiritualité russe, dans ses derniers développements, vers l’Est, nous aide à retrouver ces visions plus subtiles [ p. 224 ] et plus nobles de la vie humaine qui ont rapproché ces nations elles-mêmes des étoiles dans la nuit de leur oubli matériel.
La double nature de la restauration Meiji se manifeste dans le domaine artistique, qui lutte, à l’instar de la conscience politique, pour atteindre ses sommets. L’esprit de recherche historique et le renouveau des lettres anciennes ont ramené l’art aux écoles pré-Tokugawa, transcendant la notion démocratique populaire de l’Ukioye et renouant immédiatement avec les méthodes des Tosa de l’époque héroïque de Kamakura. La peinture historique, enrichie par les recherches archéologiques des érudits, devint à la mode. Tameyasu et To-tsugen furent les pionniers de ce renouveau de Kamakura, qui imprégna l’école naturaliste de Kyoto à travers les œuvres de Yosai, et se reflétait même dans le style populaire d’Hokusai. Un mouvement parallèle se produisit simultanément dans la fiction et le théâtre.
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Français La chute du caractère sacré des monastères bouddhistes et la dispersion des trésors des daimyos, par cette apathie envers l’art qui le considérait comme un luxe, fatal dans un moment de sacrifice patriotique suprême, ont ouvert l’esprit artistique à un aspect jusqu’alors inconnu de l’art ancien, tout comme les chefs-d’œuvre gréco-romains ont été révélés aux premiers Italiens de la Renaissance. Ainsi, le premier mouvement de reconstruction de l’ère Meiji fut la préservation et l’imitation des maîtres anciens, menée par l’Association d’art Bijitsu Kyo-Kai. Cette société, composée de l’aristocratie et de connaisseurs, ouvrait des expositions annuelles de chefs-d’œuvre anciens et organisait des salons compétitifs dans un esprit de conservatisme qui sombre naturellement peu à peu dans le formalisme et la répétition insignifiante. D’autre part, l’étude de l’art réaliste occidental qui avait lentement gagné du terrain sous la fin du règne de Tokugawa, une étude dans laquelle les tentatives [ p. 226 ] de Shibakokan et d’Ayodo sont remarquables et ont désormais trouvé l’occasion de se développer sans entrave. Cet enthousiasme et cette profonde admiration pour le savoir occidental, qui confondaient beauté et science, culture et industrie, n’hésitaient pas à accueillir les plus humbles chromos comme des spécimens de grands idéaux artistiques.
L’art qui nous est parvenu était européen à son plus bas niveau – avant que l’esthétique fin de siècle n’ait racheté ses atrocités, avant que Delacroix n’ait levé le voile du clair-obscur académique durci, avant que Millet et les Barbizon n’apportent leur message de lumière et de couleur, avant que Ruskin n’interprète la pureté de la noblesse préraphaélite. Ainsi, la tentative japonaise d’imitation occidentale, inaugurée à l’École d’art du gouvernement – où des professeurs italiens étaient nommés – rampa dans l’obscurité dès ses débuts, et pourtant réussit, dès ses débuts, à imposer cette dure croûte de maniérisme [ p. 227 ] qui entrave son progrès jusqu’à nos jours. Mais l’individualisme actif de Meiji, bouillonnant de vie dans d’autres cycles de pensée, ne pouvait se contenter de suivre les sillons fixes que le conservatisme orthodoxe ou l’européanisation radicale imposaient à l’art. Une fois la première décennie de l’époque passée et la reconstruction plus ou moins complète après la guerre civile, un groupe de travailleurs dévoués s’efforça de fonder une troisième zone d’expression artistique. Cette dernière, par une meilleure compréhension des possibilités de l’art japonais ancien et visant à aimer et à connaître les mouvements les plus favorables de la création artistique occidentale, tenta de reconstruire l’art national sur une base nouvelle, dont le mot d’ordre serait « Vivre fidèlement à soi-même ». Ce mouvement aboutit à la création d’une école d’art publique à Ueno, Tokyo, et, depuis la dissolution de la faculté en 1897, est représentée par le Nippon Bijitsuin à Yanaka, dans la banlieue de la ville, [ p. 228 ] dont les expositions biennales révèlent, espérons-le, l’élément vital de l’activité artistique contemporaine du pays.
Selon cette école, la liberté est le plus grand privilège de l’artiste, mais toujours au sens d’un développement personnel évolutif. L’art n’est ni idéal ni réel. L’imitation, qu’elle soit de la nature, des maîtres anciens, ou surtout de soi-même, est suicidaire à l’épanouissement de l’individualité, qui se réjouit toujours de jouer un rôle original, tragique ou comique, dans le grand drame de la vie, de l’homme et de la nature.
Pour cette école, encore une fois, l’art ancien d’Asie est plus valable que celui de toute école moderne, dans la mesure où le processus d’idéalisme, et non d’imitation, est la raison d’être de l’impulsion artistique. Le flux d’idées est le réel ; les faits ne sont que des incidents. Ce n’est pas la chose telle qu’elle était, mais l’infinitude qu’elle lui suggérait, voilà ce que nous exigeons de l’artiste. Il s’ensuit que le sens de la ligne, du clair-obscur comme beauté, et de la couleur comme incarnation de l’émotion, sont considérés comme une force, et qu’à toute critique du naturalisme, la recherche de la beauté, la démonstration de l’idéal, est considérée comme une réponse suffisante.
Des fragments de la nature dans ses aspects décoratifs ; des nuages noirs de tonnerre endormi ; le puissant silence des forêts de pins ; la sérénité immuable de l’épée ; la pureté éthérée du lotus s’élevant des eaux sombres ; le souffle des fleurs de prunier étoilées ; les taches de sang héroïque sur les robes de la virginité ; les larmes que le héros peut verser dans sa vieillesse ; la terreur mêlée de pathétique de la guerre ; ou la lumière déclinante d’une grande splendeur - tels sont les états d’âme et les symboles dans lesquels la conscience artistique s’enfonce, avant de toucher de mains révélatrices ce masque sous lequel se cache l’universel.
L’art devient ainsi le moment de repos de la religion, ou l’instant où l’amour s’arrête, à moitié inconscient, dans son pèlerinage à la recherche de l’Infini, s’attardant à contempler le passé accompli et l’avenir vaguement entrevu - un rêve de suggestion, rien de plus fixe - mais une suggestion de l’esprit, rien de moins noble.
La technique n’est donc que l’arme de la guerre artistique ; la connaissance scientifique de l’anatomie et de la perspective, le commissariat qui soutient l’armée. L’art japonais peut sans crainte s’inspirer de ces éléments de l’Occident, sans pour autant altérer sa propre nature. Les idéaux, quant à eux, sont les modes d’action de l’esprit artistique, un plan de campagne que la nature du pays impose à la guerre. En leur sein et derrière eux se trouve toujours le souverain-général, immobile et indépendant, arborant du front la paix ou la destruction.
La gamme des sujets et leurs méthodes d’expression s’élargissent sous cette nouvelle conception de la liberté artistique. Le regretté Kano Hogai, Hashimoto Gaho, le plus grand maître vivant de l’époque, et les nombreux génies qui suivent sa trace, sont non seulement connus pour la polyvalence de leur technique, mais aussi pour leur conception élargie du sujet de l’art. Ces deux maîtres, eux-mêmes professeurs renommés de la principale académie de Kano à la fin du Shogunat, ont inauguré le renouveau des maîtres Ashikaga et Song dans leur pureté ancestrale, ainsi que l’étude des coloristes Tosa et Korin, sans pour autant perdre le naturalisme délicat de l’école de Kyoto.
L’esprit ancien des mythes raciaux et des chroniques historiques a soufflé sur ces peintres, comme à chaque grande époque de renouveau artistique, depuis l’époque d’Eschyle jusqu’à celle de Wagner et des poètes d’Europe du Nord, et leurs tableaux donnent un feu et un sens nouveaux à ces grands thèmes.
Le dernier chef-d’œuvre de Kano Hogai représente Kwannon, la Mère Universelle, sous son aspect de maternité humaine. [ p. 232 ] Elle se tient dans les airs, son triple halo perdu dans le ciel d’une pureté dorée, et tient à la main un vase de cristal d’où s’écoule l’eau de la création. Une seule goutte, en tombant, devient un bébé qui, enveloppé dans son manteau de naissance tel un nimbe, lève vers elle des yeux inconscients, tandis qu’il est emporté vers les pics enneigés et accidentés de la terre, émergeant d’une brume d’obscurité bleue tout en bas. Dans ce tableau, une puissance de couleur semblable à celle de l’époque Fujiwara s’associe à la grâce de Maruyama, pour exprimer une interprétation de la nature aussi mystique et respectueuse que passionnée et réaliste.
Le portrait de Chokaro par Gaho allie le style puissant de Sesshu à la masse généreuse de Sotatsu. Il reprend et réexprime l’idée taoïste désuète du magicien qui observe avec un sourire mélancolique l’âne qu’il vient de faire sortir de sa calebasse, image de l’attitude joueuse du fatalisme.
Le « Bûcher funéraire de Bouddha » de Kanzan [ p. 233 ] nous rappelle la grandiose composition de l’époque Heian, enrichie par les contours fortement accentués des premiers Song et un modelé digne des artistes italiens. Il représente les grands Arhats et Boddhi-Sattvas autour du bûcher, observant avec une crainte mystérieuse la flamme éthérée qui s’élève sur ce cercueil mystique, destiné un jour à emplir le monde de la lumière du renoncement suprême.
Taikan apporte sur le terrain son imagerie sauvage et ses conceptions tumultueuses, comme le montre son « Kutsugen Wandering on the Barren Hills » parmi les narcisses soufflés par le vent – la fleur de la pureté silencieuse – ressentant la tempête qui fait rage dans son âme.
Les héros épiques de Kamakura sont aujourd’hui dépeints avec une compréhension plus profonde de la nature humaine. La mythologie est interprétée dans sa signification solaire, et les ballades anciennes, tant chinoises que japonaises, nous ouvrent un champ jusqu’alors inexploré.
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La sculpture et d’autres arts suivent de près cette voie. La merveilleuse glaçure de Kozan non seulement ravive les secrets perdus des premières céramiques chinoises, mais crée également de nouveaux rêves colorés, à la manière de Korin.
La laque s’affranchit de la délicatesse des derniers Tokugawa et se complaît dans une palette plus large de couleurs et de matières. Ses arts frères, la broderie et la tapisserie, le cloisonné et le travail du métal, retrouvent une nouvelle vie dans leurs vastes domaines. Ainsi, malgré les nouvelles conditions de mécénat et les difficultés de l’industrie mécanique, l’art s’efforce d’atteindre une vie supérieure, qui exprimera la vitalité contemporaine de nos aspirations nationales. Mais le temps n’est pas encore venu d’en dresser un bilan exhaustif. Chaque jour ouvre de nouveaux horizons, porteurs de possibilités et d’espoir, qui réclament une place dans le schéma d’une nationalisation renouvelée. La Chine et l’Inde, sans parler de l’activité artistique occidentale, qui lutte également pour une nouvelle expression, présentent leurs perspectives grandioses, encore à explorer par les explorateurs du futur.
Sannyo. — Écrivain du Nippon-Gaishi et du Nippon-Seiki, il est également connu pour ses poèmes historiques et patriotiques. Il vécut au début du XIXe siècle et passa de nombreuses années à parcourir le pays à la recherche des matériaux nécessaires à son histoire, matériaux rendus difficiles à obtenir par l’acharnement des Tokugawa à réprimer la conscience nationale.
Idée adwaita. — Le mot adwaita désigne l’état de non-doublement et désigne la grande doctrine indienne selon laquelle tout ce qui existe, bien que multiple en apparence, est en réalité un. Par conséquent, toute vérité doit pouvoir être découverte dans une différenciation singulière, l’univers entier étant enveloppé dans chaque détail. Ainsi, tout devient également précieux.