Domaine public
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Il est vrai que les gens de bonne volonté peuvent se tromper eux-mêmes en toute honnêteté. Il existe un mécanisme bien défini qui peut être utilisé par une partie de notre esprit (le subconscient) pour tromper et induire en erreur l’autre moitié de notre intelligence (le conscient). Examinons maintenant de près ce mécanisme qui se prête si facilement à l’étrange affaire de l’auto-illusion. Afin de mettre en évidence cette tendance du subconscient à tromper son seigneur et maître, retournons à la crèche et recherchons certaines des origines de la pensée malhonnête et du comportement psychique insincère.
La plupart des difficultés que rencontrent les névrosés pour faire face aux réalités de la vie sont dues au fait qu’ils ont conservé à l’âge adulte la tendance qu’ils avaient à confondre faits et fantaisie, héritée de leur enfance. Quand nous sommes jeunes, notre ego en développement a tendance à se considérer comme le centre du monde. Notre personnalité pendant l’enfance est très réelle et nous en venons à confondre le monde extérieur avec les créations imaginaires de notre propre monde imaginaire.
Les parents racontent des contes de fées à leurs enfants dans l’idée de développer leur imagination. Dans le cas de l’enfant moyen, cependant, l’imagination n’a pas besoin d’être développée ; elle doit être éduquée, entraînée, maîtrisée et disciplinée. La vie de l’enfant est en grande partie une vie de fantaisie. Il vit dans le royaume de sa propre imagination. Au lieu de lui raconter des contes de fées, il faut lui parler de faits et de personnages intéressants et stimulants. Dès le plus jeune âge, il faut encourager la « pensée directrice ». En grandissant, l’enfant ne peut pas réaliser l’imagination qu’il a imaginée dans les contes de fées ; il est destiné à découvrir que la vie est réelle, que le monde est un atelier aussi bien qu’une salle de spectacle. Je pense que les contes de fées à l’ancienne sont simplement quelque chose que les parents trouvent facile et facile à raconter à leurs enfants. Il est trop difficile de rendre les faits de la vie réelle et les expériences de personnes réelles suffisamment intéressantes et attrayantes pour ces jeunes esprits si largement enclins à la fantaisie et si complètement préoccupés par l’imagination.
Il faut apprendre aux enfants très tôt à contrôler leurs pensées et à se concentrer sur la technique de la concentration mentale. Or, c’est l’échec de la crèche qui est à l’origine de la plupart de nos troubles psychiques. Ce sont les enfants de ces crèches qui, plus tard, une fois adultes, se présentent comme autant d’épaves névrotiques chez nos neurologues, hantent les cabinets d’autres médecins et se pressent dans nos divers sanatoriums. Trop tôt, on nous encourage à penser que nous pouvons peut-être esquiver les réalités de la vie. Trop tôt, nous nous laissons aller à l’illusion que nous pourrions frotter la lampe d’Aladin et avoir réalisé tous nos souhaits. Trop tard, les parents cherchent à transformer l’esprit de leurs enfants en « pensée directrice », en pensée contrôlée.
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A la maternelle, si l’on ne peut pas avoir de vrai poney, on peut choisir un cheval de bataille ou enfourcher un manche à balai et laisser libre cours à son imagination tandis que le poney de la fantaisie se pavane dans les prés ou grimpe au sommet des montagnes. Mais il arrive un moment où il faut dire adieu à ces fantaisies. Si, une fois adulte, il veut voyager, ce garçon devra se procurer un vrai cheval, une automobile ou peut-être un avion. Il ne pourra plus faire le tour du monde en faisant naviguer ses petits bateaux dans la baignoire, à l’aide de son imagination et des images séduisantes fournies par les agences de tourisme. Il lui faudra de l’argent et un vrai bateau à vapeur.
L’esprit du névrosé a toujours tendance à considérer les choses comme un enfant, à reculer devant la réalité et à fuir les responsabilités comme le ferait un jeune homme sans expérience. Nos névrosés n’aiment pas affronter les réalités de la vie réelle. Au lieu de se livrer à une « pensée directrice » et de faire face intelligemment aux difficultés de chaque jour, ils se dérobent à la moindre responsabilité et recourent pour résoudre leurs problèmes aux fantaisies et aux imaginations de l’enfance. La pensée contrôlée est pénible pour ces névrosés ; il leur est vraiment pénible de se concentrer. Ils sont remplis de désarroi et de panique lorsqu’ils sentent qu’ils doivent réellement affronter et résoudre un problème. Ils voudraient résoudre les problèmes de la vie adulte et du monde réel par les méthodes de la chambre d’enfant, par la technique des contes de fées ; ils aspirent à une lampe d’Aladin glorifiée ou à une version moderne du tapis volant. Le médecin qui s’occupe de ces cas en vient à voir le mal qu’il y a à abuser de cette histoire de contes de fées des premiers jours de la chambre d’enfant.
Les rêveries sont une bonne chose, nous en tirons des bénéfices de temps à autre, mais lorsqu’un homme adulte se donne pour mission de désherber son jardin en faisant appel à des fées, il n’a que des ennuis à venir. Quand une femme névrosée essaie de résoudre ses problèmes en faisant simplement des vœux, elle ne peut s’attendre qu’à des chagrins et à des échecs.
Il faut surtout apprendre aux enfants nerveux à faire face aux faits, à jouer le jeu, à apprendre très tôt à être de bons perdants. À cette fin, je pense qu’il est bien mieux de donner aux enfants des jouets utiles, des jouets qui les incitent à « penser de manière directive ». Combien plus de bien pour un enfant nerveux qu’une brouette dans laquelle il peut déplacer des pierres dans la cour et son tas de sable, plutôt qu’une locomotive en jouet et s’imaginer qu’il se promène comme passager ou qu’il conduit une locomotive à travers la campagne. Je ne suis pas en train de préconiser que les enfants ne reçoivent pas de jouets qui stimulent l’imagination, mais plutôt qu’ils reçoivent également des jouets qui stimulent la pensée directive et constructive.
C’est dans ce contexte que je voudrais attirer l’attention sur la folie qu’il y a à prolonger trop longtemps les histoires du Père Noël et de la cigogne. Les fables de ce genre peuvent devenir si ancrées dans l’esprit de l’enfant en pleine croissance qu’il en sera profondément bouleversé lorsque ces associations sentimentales seront brisées par une désillusion ultérieure. Il a souvent le sentiment d’avoir été trompé par ceux en qui il avait le plus confiance, et le résultat est bouleversant pour son tempérament névrotique. Il vaut mieux s’appuyer tôt sur les faits et apprendre à rendre le monde réel plus attrayant pour les petits êtres imaginatifs ; il y a beaucoup de choses qu’un enfant n’aura jamais à désapprendre, qui sont à la fois fascinantes et satisfaisantes pour l’imagination.
La grande illusion du malade nerveux est de croire que quelqu’un va résoudre ses problèmes à sa place. Il refuse d’accepter le fait que lui [ p. 30 ] seul peut guérir. Il refuse obstinément d’admettre que ses problèmes doivent être résolus par une réflexion et une action réelles, et qu’ils ne peuvent être résolus par la technique fantaisiste du simple souhait et de l’espoir.
L’imagination est en réalité la puissance créatrice de l’esprit, et elle est toujours à l’œuvre pour créer de nouvelles expériences à partir de nos anciennes. C’est le domaine de l’imagination de prendre nos idées et de les façonner en idéaux ; c’est là le travail le plus élevé de l’imagination créatrice. Une autre fonction de cette puissance mentale est l’imagination reproductrice, qui est étroitement liée à la mémoire.
Le pouvoir de la fantaisie est étroitement lié à l’imagination, mais il en est tout à fait distinct. Il ne faut cependant pas confondre fantaisie et imagination, car les deux termes ne sont en aucun cas interchangeables. La fantaisie représente ce que l’on pourrait appeler la soupape de sécurité de l’esprit. C’est le théâtre de l’âme. Nos pouvoirs de fantaisie trouvent généralement leur expression dans nos rêveries diurnes. La fantaisie représente la conscience à la dérive. C’est l’état d’esprit dans lequel on se trouve lorsqu’on se repose dans un hamac par un bel après-midi d’été, inconscient de tout ce qui l’entoure, bien éveillé, et pourtant laissant les pensées dériver au gré du courant de l’esprit, sans guide, sans aide, ni obstacle.
Il ne fait aucun doute que certains êtres humains possèdent une « bosse » d’imagination extrêmement importante. En d’autres termes, ils ont une faculté de rêverie développée au point d’avoir presque acquis les proportions d’une personnalité distincte. Tel doit être le cas de nombreux névrosés, hystériques, clairvoyants, médiums et autres praticiens de l’occultisme. On pourrait dire qu’ils possèdent un pouvoir d’imagination automatique – qui agit tout à fait indépendamment de leurs processus mentaux ordinaires – et qui forme ses conclusions et formule ses affirmations tout à fait sans que les pouvoirs supérieurs de l’esprit de ces individus en aient conscience.
A mesure que nous nous élevons dans le domaine de la pensée, nous atteignons des possibilités de plus en plus grandes de confusion mentale et de tromperie mentale. Il est souvent tout à fait impossible à un enfant de trois ans de faire la distinction entre l’imagination et le souvenir de la réalité. Il décrira avec vivacité ses rencontres avec des lions et d’autres bêtes sauvages dans la cour de derrière et pourra les raconter comme des expériences réelles qui viennent de se produire. En réalité, il se souvient des images de lions de ses livres d’histoires ou ravive les images-souvenirs des bêtes observées au zoo ; et beaucoup de nos médiums et clairvoyants sont si constitués d’esprit que leur propre subconscient leur joue le même tour subtil. Ils voient, entendent, sentent, perçoivent et décrivent comme des faits les créations de leur propre imagination. Ces expériences sont les fantasmes d’une mémoire court-circuitée agissant sous l’impulsion et l’inspiration d’une imagination égarée.
Chez certains hystériques et certains médiums, l’esprit a grandi sous certains aspects, mais sur ce point particulier, ils sont restés juvéniles, et nous savons tous que plus nous sommes jeunes, plus l’imagination est active, vive et incontrôlable. Et c’est là un champ fertile, chez les individus nerveusement instables, pour la naissance de maladies imaginaires, la création de fausses difficultés et la confusion de l’esprit par les sophismes de l’occultisme.
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Quand l’imagination exerce une influence excessive sur l’esprit, il n’est pas difficile d’imaginer des perversions mentales dans lesquelles le moi psychique dérive sans but sur une mer imaginaire assiégée de dangers irréels, harcelé par des esprits fantastiques, menacé par de faux récifs, ballotté par les tempêtes, battu et battu par des vents imaginaires, vivant dans le danger momentané de naufrage et de mort éternelle – tout cela n’est que pure imagination, en tout ou en partie. Qu’est-ce qui empêche une imagination surdéveloppée de mettre en œuvre des sentiments et des impressions fictifs et, par ses pouvoirs bien connus de reconstruction, de créer des formes spirites, des apparitions irréelles et les concepts fantastiques du monde spirituel ? Le pouvoir créateur de l’imagination humaine ne s’exerce pas toujours à développer des machines permettant d’économiser du travail et d’améliorer les conditions de vie. Il est souvent utilisé pour produire des dégâts dans le domaine de la tromperie psychique.
Les sentiments et les émotions sont réels, ce sont des expériences qu’il faut reconnaître et prendre en compte dans le courant de la conscience. En revanche, les vérités démontrées, les faits scientifiques, ne font pas nécessairement partie du courant de la conscience. Les sentiments et les émotions sont plutôt l’énoncé ou l’expression des lois de relation qui régissent les qualités qui existent et fonctionnent dans le courant de la conscience. Et c’est là que nos patients nerveux échouent. Ils prennent certaines qualités de la conscience pour des faits. Ils interprètent les sentiments et les émotions, projetés par le subconscient, comme des réalités, et, étant ainsi tombés dans une grave erreur si tôt dans leur processus de raisonnement, ils poursuivent leurs déductions successives de cette manière sauvage et téméraire qui ne peut que conduire au triste sort des psychonévroses.
J’ai récemment assisté à une séance au cours de laquelle une des femmes très suggestives présentes a dit avoir vu une table se soulever de plusieurs centimètres du sol. Je n’ai pas vu la table se soulever. Je ne vais cependant pas accuser cette brave femme de mensonge délibéré. Il serait injuste de l’accuser ainsi, car je suis convaincu qu’elle a éprouvé toutes les émotions et sensations que provoquait la vue de la table se soulever. L’événement était en tous points réel pour elle, c’est-à-dire réel pour son courant de conscience. Mais il n’était pas réel pour moi. Je ne crois pas que la table se soit soulevée du sol. D’autres personnes présentes étaient d’accord avec moi sur ce point. Je suis donc disposé à dire, dans l’acceptation courante du terme, que je sais que la table ne s’est pas soulevée. Je pense donc que si de nombreux spiritualistes, comme nos névrosés, sont victimes d’auto-illusion, ils ne sont pas consciemment fraudeurs. Je crois vraiment qu’ils sont souvent sincères dans leurs déclarations ; pour eux, l’incident s’est produit, mais pas pour le reste du monde. Les souffrances du névrosé, de la même manière, sont réelles pour lui. Il sera alors clair pour le lecteur que les sentiments et les sensations – les émotions – sont en un sens réels et que nous pouvons facilement devenir victimes de nos propres sentiments.
Dans le cas d’un individu névrosé ordinaire ou lors d’une séance spirite, le courant de conscience se compose de deux éléments distincts : les émotions, les sensations, les messages, etc., subjectifs et objectifs. Or, les sensations pénètrent dans l’esprit par le corps après avoir été suscitées par quelque chose du monde extérieur. Les sensations ont aussi une origine interne ou psychique. Elles peuvent être suscitées par des souvenirs, des associations d’idées et d’autres influences agissant [ p. 32 ] dans l’esprit et le système nerveux lui-même. Les seuls critères dont nous disposons pour juger les sensations sont les sentiments et autres expériences conscientes suscités par des sensations externes venant de l’extérieur du corps dans l’esprit. Il en résulte donc que nous avons tendance à juger, à reconnaître et à classer nos sensations d’origine interne en grande partie en fonction des réactions que nous éprouvons à des sensations similaires qui ont une véritable origine externe. C’est pourquoi nous en venons à construire dans notre esprit ce que quelqu’un a appelé le « sentiment de réalité » en rapport avec une image intérieure et les émotions qui lui sont associées, à mesure que cette image navigue dans le courant de la conscience, exactement de la même manière que nous associons de tels sentiments aux images et émotions réelles qui ont leur origine dans le contact sensoriel avec les objets réels du monde matériel – avec pour résultat que nous sommes conduits à une monstrueuse auto-illusion.
Il n’y a pas longtemps, j’ai assisté à une séance au cours de laquelle, j’en suis tout à fait convaincu, la médium a réellement vu et entendu ce qu’elle prétendait voir et entendre. Je suis convaincu que beaucoup de croyants du cercle spirituel ont également vu et entendu ce qu’ils prétendaient voir et entendre. Mais je n’ai pas pu voir ou entendre ce qu’ils ont vu et entendu. De plus, j’ai vu des choses qu’aucun d’eux n’a vues : j’ai vu la médium nous tromper délibérément à trois reprises. La dernière fois, j’ai failli ne pas le voir, car elle se livrait à un tel flot de paroles que mon attention était sur le point d’être détournée, et j’ai presque raté la technique de son habile tour. J’ai été très près de voir ce qu’elle a vu et ce que ses fidèles ont vu ; mais en guidant soigneusement mon attention le long du courant de la conscience, j’ai évité le rocher, je me suis rapproché du centre du courant et j’ai surpris la médium en flagrant délit – j’ai détecté la méthode de sa fraude. Pendant ce temps, d’autres naviguaient avec elle vers un côté du courant de conscience et voyaient exactement ce qu’elle leur décrivait : les belles choses qui se trouvaient sur l’autre rive de leurs courants de conscience suggestifs et collectifs.
Nous pouvons entendre et voir des choses sans aller à une séance. Je ne suis pas un grand musicien, mais je peux m’asseoir et imaginer des airs que j’ai entendus une fois. Je peux imaginer que j’entends des groupes jouer, et je ne me livre pas à une farce insensée ; vous, lecteur, pouvez entendre la même chose. Je peux même entendre dans mon esprit des mélodies que, pour autant que ma mémoire consciente s’étende, je n’ai jamais entendues ; mais j’ose dire qu’elles sont constituées de mélodies et de chants que j’ai entendus à un moment de ma vie. Je peux voir des visions de paysages que je n’ai jamais vus. Si cela n’était pas possible, comment l’artiste pourrait-il nous offrir de nouvelles peintures, et comment le musicien pourrait-il nous offrir de nouvelles mélodies ? On observera que la plupart des médiums sont des personnes extrêmement sensibles et nerveuses, qui pourraient, dans leur propre imagination et à volonté, se laisser entraîner dans leur fantaisie à parcourir presque toute la gamme de la souffrance et de la douleur physiques, du plaisir mental et de la joie psychique.
Si j’ai le « sentiment de la réalité » qui me conduit à croire que j’ai conversé avec un esprit ou vu des apparitions qui sont des réalités spirituelles, alors, en raisonnant à partir de l’expérience, je peux citer de tels phénomènes psychiques comme preuve positive pour ma propre conscience de la réalité des phénomènes spiritualistes. Si je peux décrire honnêtement de telles émotions et sentiments à d’autres, j’offre une preuve scientifique de l’existence d’une imagination créatrice – du [ p. 33 ] pouvoir psychique de la mémoire, de la fantaisie, de la rêverie, etc. ; mais je ne peux pas offrir une telle expérience aux scientifiques comme preuve scientifique de la réalité des esprits désincarnés. Et c’est là que nos amis, les spiritualistes, échouent dans leur logique. Ils nous offrent des phénomènes qui fournissent une preuve abondante de l’existence de ces esprits dans leur propre conscience, et ils nous demandent, en tant que scientifiques, d’accepter cette preuve valable dans le domaine de la conscience, comme une preuve scientifique dans le monde matériel. Nous ne pouvons pas le faire. Les sensations et les émotions sont des choses réelles dans la conscience ; mais elles ne constituent pas une preuve matérielle de l’existence réelle des esprits que ces phénomènes psychiques incarnent.
De même qu’un médium honnête peut se tromper lui-même au point de croire à la réalité de ses expériences psychiques, qui sont entièrement d’origine subconsciente, de même la vaste armée de malades névrosés peut en arriver à croire complètement à la réalité de leurs souffrances, de leurs douleurs fictives et d’autres formes de maladies imaginaires. Il est tout aussi difficile de convaincre ces névrosés de la réalité de leurs plaintes que de convaincre un médium spirite honnête et sincère, mais néanmoins illusoire, que ce qu’il voit et entend n’est pas en réalité une apparition spirituelle, mais plutôt une création projetée vers l’extérieur de son propre subconscient falsificateur.
La technique par laquelle le subconscient est capable de tromper si complètement son possesseur sera mieux comprise à mesure que nous examinerons les nombreuses et diverses méthodes par lesquelles un subconscient incontrôlé peut en venir à dominer la conscience d’un individu névrosé et finalement à asservir tout son esprit.
Nous en arrivons donc à reconnaître que le « sentiment de réalité » est un fragment de conscience transférable et flottant, qui peut être rattaché tantôt à un groupe de sensations et d’images, tantôt à un autre. Nous apprenons que le « sentiment de réalité » peut être rattaché à une image réfléchie par la rétine de l’œil de l’extérieur vers l’intérieur – l’image d’une chose réelle, matérielle, qui a un poids, des dimensions et une substance ; de même, que ce « sentiment de réalité » peut être rattaché à une image projetée vers l’extérieur, à partir des archives de la mémoire, sur une créature créée par la conscience – par l’association d’idées. Il semblerait que certains « psychiques » et « sensitifs » soient capables de déplacer facilement les engrenages de la conscience en ce qui concerne le « sentiment de réalité » et ainsi faire en sorte que cet état d’esprit soit rattaché à des choses à la fois réelles et irréelles.
Nos types les plus profonds de névrosés chroniques et d’hystériques confirmés sont victimes de ce « changement de vitesse » par rapport au « sentiment de réalité ». Ils sont capables de « changer de vitesse » avec une profusion presque infinie en ce qui concerne une étonnante variété de symptômes alarmants et de maladies insaisissables.
La conscience du « sentiment de réalité » tend à suivre les canaux de nos désirs de plaisir et de nos complexes de désir. En d’autres termes, le désir inconscient tend toujours à rattacher ce sentiment de réalité à quelque chose de son propre choix. Or, dans la salle de séance, il faut remarquer que nous avons un groupe de personnes qui désirent ardemment communiquer avec les morts. Cela est vrai aussi bien pour le médium que pour les spectateurs croyants. Dans des [ p. 34 ] conditions aussi extraordinaires, il doit être évident que ce « sentiment de réalité », tel qu’il flotte dans la conscience, est dans un état hautement instable et détaché, et qu’il est prêt à saisir le moindre phénomène probant et à lui donner le caractère sacré d’une preuve réelle.
La séance favorise l’émergence de l’inconscient des images et des complexes qui servent à prouver que les êtres vivent après la mort et sont capables de revenir dans ce monde et de se manifester aux vivants. De cette façon, de nombreux sentiments de réalité détachés sont suscités et peuvent rapidement se fixer sur ces images et émotions qui sont le produit de l’inconscient dans l’environnement particulièrement favorable et suggestif d’une séance spirite moyenne.
Le désir inconscient, le désir insatisfait de communication spirituelle, en l’absence de tout stimulus extérieur réel, se trouve facilement rattachable aux images et émotions internes suscitées par le désir profond de prouver la domination de la vie sur la mort, ainsi que par l’atmosphère psychique particulière de la séance elle-même.
Il est maintenant admis que nos expériences sont toutes plus ou moins parfaitement conservées sous forme de souvenirs dans le subconscient, et il ne fait aucun doute que de nombreux médiums et victimes d’hystérie possèdent des voies d’accès au subconscient que les individus normaux n’utilisent pas. En bref, les véritables médiums psychiques sont capables, à volonté, d’exploiter plus ou moins pleinement leurs réserves subconscientes. Les hystériques majeurs sont capables de faire la même chose dans certaines circonstances favorables.
Une autre preuve de la présence de souvenirs dans le subconscient est révélée par nos rêves. Une grande partie du contenu de notre vie onirique n’est qu’un camouflage, une parade symbolique de choses supprimées mais néanmoins existant littéralement dans notre réservoir psychique subconscient. Mais ces rêves se présentent tout au long de la nuit, même chez les personnes qui ne s’en souviennent pas. Cela se manifeste de plusieurs manières, par exemple par ce que l’on dit quand on parle dans son sommeil ; et, en travaillant sur un tel indice de mots prononcés dans le sommeil, on a également découvert que grâce à la vision cristalline, à l’écriture automatique et à l’hypnose, des rêves entiers peuvent être reproduits dans toute leur vivacité d’origine, bien que le rêveur ne puisse pas s’en souvenir à l’état de veille.
A mesure que nous progressons dans notre étude de la psychologie du subconscient, nous découvrirons qu’un grand nombre d’hommes et de femmes névrosés sont plus ou moins sincères en ce qui concerne leurs propres expériences intérieures. En tant que névrosés, ils sont tout à fait honnêtes dans la présentation de leurs plaintes au médecin. En tant que médiums, ce sont des imposteurs, c’est vrai, et ils trompent le public ; mais ce ne sont pas des imposteurs conscients. Ces « psychiques » croient réellement et véritablement en eux-mêmes – tout aussi certainement que le névrosé croit à la réalité de ses maux. Cette classe de médiums se trompe elle-même ; ils ignorent la technique du fonctionnement de leur propre esprit particulier, et bien qu’ils ne voient pas les formes spirituelles et n’entendent pas les êtres invisibles d’un monde délivrer des messages aux voyageurs d’un autre monde, ils semblent, dans leur propre esprit, grâce à la technique de la psychologie que j’ai expliquée ici, voir réellement les formes et entendre [ p. 35 ] les voix qu’ils décrivent à leurs disciples superstitieux. Ils sont trompés par les ruses de leur propre esprit, trompés par le fonctionnement complexe de leur propre intellect.
Les névrosés ressentent réellement les sensations et souffrent des souffrances qu’ils décrivent avec tant d’éloquence et de pathétique à leurs médecins. Leur imagination peut les tromper, mais ils sont fondamentalement honnêtes : ce sont les malheureuses victimes d’une auto-monitoring subconscient. C’est pourquoi, lorsque nous traitons ces esclaves des psychonévroses, nous devons reconnaître le fait que leur situation toujours présente et lamentable est atrocement réelle.