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La « terre entre deux rivières » abritait certaines des civilisations humaines les plus anciennes et les plus importantes (sumérienne, akkadienne, assyrienne et babylonienne) depuis la période néolithique. Environ quatre mille ans avant notre ère, les premières cités sumériennes furent établies sur ce territoire. Pendant plus de trois mille ans, ces quatre cultures prospérèrent, caractérisées par l’utilisation d’une langue écrite (cunéiforme) préservée jusqu’à nos jours par de nombreuses tablettes et gravures. C’est précisément cette capacité à transmettre l’information – scientifique, sociale et administrative – par un système durable qui détermina le développement culturel des premières colonies sumériennes et permit aux historiens ultérieurs de reconstituer leur héritage. Le
principal témoignage du mode de vie des civilisations mésopotamiennes se trouve dans le Code d’Hammourabi, un recueil de lois et de règlements administratifs compilé par le roi babylonien Hammourabi, gravé sur un bloc de diorite d’environ 2,50 m de haut sur 1,90 m de base et placé dans le temple de Sippar. Il définit, en treize articles, les responsabilités des médecins dans l’exercice de leur profession.ainsi que les sanctions prévues en cas de faute professionnelle.
Grâce à ce texte et à un ensemble de quelque trente mille tablettes compilées par Assurbanipal (669-626 av. J.-C.), provenant de la bibliothèque découverte à Ninive par Henri Layarde en 1841, il a été possible de mieux comprendre la conception de la santé et de la maladie à cette époque, ainsi que les techniques médicales utilisées par ses guérisseurs. Parmi ces tablettes, environ 800 sont spécifiquement consacrées à la médecine, et parmi elles figure la description de la première prescription connue. Le plus frappant est l’organisation sociale complexe autour des tabous et des obligations religieuses et morales, qui déterminaient le destin de l’individu. Une conception surnaturelle de la maladie prévalait : il s’agissait d’une punition divine imposée par différents démons après la violation d’un tabou. Ainsi, la première chose que le médecin devait faire était d’identifier lequel des quelque six mille démons possibles était à l’origine du problème. Pour y parvenir, il utilisait des techniques divinatoires basées sur l’étude du vol des oiseaux, de la position des étoiles ou du foie de certains animaux. La maladie était appelée shêrtu. Mais ce mot assyrien signifiait aussi péché, impureté morale, colère divine et châtiment.
N’importe quel dieu pouvait provoquer la maladie par une intervention directe, abandonnant l’homme à son sort, ou par des enchantements lancés par des sorciers. Durant le processus de guérison, tous ces dieux pouvaient être invoqués par des prières et des sacrifices pour éloigner leur influence néfaste et permettre la guérison du malade. Parmi tout le panthéon des dieux, Ninazu était connu comme le « seigneur de la médecine » pour sa relation privilégiée avec la santé.
Le diagnostic incluait ensuite une série de questions rituelles visant à déterminer l’origine de la maladie : « Avez-vous opposé le père au fils ? Ou le fils au père ? Avez-vous menti ? Avez-vous abusé de l’équilibre ? » Et les traitements n’échappaient pas à ce modèle culturel : exorcismes, prières et offrandes sont des rituels de guérison courants qui visent à attirer les faveurs du patient auprès de la divinité ou à le libérer du démon qui le traque. Il convient toutefois de noter un important arsenal phytothérapeutique, consigné dans plusieurs tablettes : quelque 250 plantes médicinales y sont répertoriées, ainsi que l’utilisation de minéraux et de diverses substances d’origine animale.
Le nom générique du médecin était asû, mais on trouve des variantes, comme le bârû, ou devin chargé des interrogatoires rituels ; le âshipu, spécialisé dans les exorcismes ; ou le gallubu, un barbier-chirurgien de caste inférieure qui préfigurait la figure du barbier européen médiéval et qui trouve un équivalent dans d’autres cultures (comme le Tepatl aztèque). Ce guérisseur était chargé d’opérations chirurgicales simples (extraction de dents, drainage d’abcès, phlébotomies, etc.).
Au musée du Louvre, on peut admirer un sceau babylonien en albâtre vieux de plus de quatre mille ans, portant une légende mentionnant le premier nom connu d’un médecin : « Ô Edinmungi, serviteur du dieu Girra, protecteur des femmes en travail, Ur-Lugal-edin-na, le médecin, est ton serviteur ! » Ce sceau, utilisé pour signer documents et ordonnances, représente deux couteaux entourés de plantes médicinales.
L’invasion perse de 539 av. J.-C. marqua la fin de l’empire babylonien, mais il faut remonter trois mille ans en arrière pour évoquer l’autre grande civilisation du Proche-Orient ancien qui possédait une langue écrite et une culture médicale remarquablement avancée : les Égyptiens.
Une tradition médicale longue, variée et fructueuse s’est développée au cours des plus de trois mille ans d’histoire de l’Égypte ancienne. Hérodote qualifiait autrefois les Égyptiens de « peuple le plus sain » en raison de leur remarquable système de santé publique et de l’existence d’« un médecin pour chaque maladie » (la première référence à la spécialisation dans les domaines médicaux). L’Odyssée d’Homère décrit l’Égypte comme un pays « dont la terre fertile produit une grande quantité de médicaments » et où « chaque homme est médecin ». La médecine égyptienne a largement conservé une conception magique de la maladie, mais elle a commencé à développer un intérêt pratique pour des domaines tels que l’anatomie, la santé publique et le diagnostic clinique, ce qui a représenté une avancée significative dans notre compréhension de la façon dont nous tombons malades (LU 81:2.9).
Le climat égyptien a favorisé la préservation de nombreux papyrus contenant des références médicales écrites en hiéroglyphes (hierós, sacré, et glypho, graver, c’est-à-dire « mots sacrés ») ou en écriture hiératique :
Parmi les nombreuses descriptions anatomiques offertes par les textes égyptiens, celles relatives au cœur et au système circulatoire se distinguent, rassemblées dans le traité « Le secret du médecin : la connaissance du cœur », incorporé au papyrus Edwin Smith : « Le cœur est une masse de chair, origine de la vie et centre du système vasculaire (…) Par le pouls, le cœur communique avec tous les membres du corps par l’intermédiaire des vaisseaux. »
Les premières références remontent au début de la période monarchique (2700 av. J.-C.). Selon Manéthon, prêtre et historien égyptien, Atotis ou Aha, pharaon de la première dynastie, pratiquait l’art de la médecine et rédigeait des traités sur la technique d’ouverture des corps. De cette époque datent également les écrits d’Imhotep, vizir du pharaon Necherjet Dyeser, prêtre, astronome, médecin et premier architecte connu (LU 80:6.4). Sa renommée de guérisseur était telle qu’il fut finalement déifié, considéré comme le dieu égyptien de la médecine. Parmi les autres médecins notables de l’Ancien Empire (2500-2100 av. J.-C.), on peut citer Sachmet (médecin du pharaon Sahourê) et Nesmenau, directeur d’une des maisons de vie, temples dédiés à la protection spirituelle du pharaon, mais aussi proto-hôpitaux où les étudiants en médecine recevaient des cours pendant que les malades étaient soignés.
Plusieurs dieux veillaient sur la pratique de la médecine : Thot, dieu de la sagesse ; Sekhmet, déesse de la miséricorde et de la santé ; Duau et Horus, protecteurs des ophtalmologistes ; Tueris, Heget et Neit, protecteurs des femmes enceintes lors de l’accouchement ; ou encore Imhotep lui-même après sa déification.
On trouve des traces d’institutions médicales dans l’Égypte antique depuis au moins la Première Dynastie. Dès la XIXe Dynastie, leurs employés bénéficiaient de certains avantages (assurance maladie, retraites et congés maladie), et leurs horaires de travail étaient de huit heures.
La première femme médecin connue, Peseshet, était également égyptienne. Elle exerça sous la IVe Dynastie. Outre son rôle de supervision, Peseshet évaluait les sages-femmes dans une école de médecine de Saïs.
Dans l’Égypte antique, la médecine était enseignée dans les Maisons de Vie rattachées aux temples. Des soins particuliers étaient prodigués aux malades, et les médecins étaient spécifiquement formés grâce à des pratiques supervisées par des prêtres, pratiques que ces derniers pratiquaient ensuite sur leurs patients.
La maladie était la manifestation physique de la possession du corps du patient par des agents surnaturels : ennemis dotés de pouvoirs magiques, dieu en colère, défunt mécontent, etc. C’est pourquoi médecins et enchanteurs travaillaient côte à côte : d’abord l’enchanteur, puis le médecin.
Le revêtement du corps est un élément nécessaire à l’obtention de la vie éternelle, et sa destruction l’empêcherait. La pire situation pour un Égyptien de l’Antiquité était de mourir noyé ou brûlé, auquel cas son corps était perdu.
La vision du monde du XXIe siècle nous amène à comparer la médecine égyptienne aux services actuels, mais il faut d’abord garder à l’esprit que, à notre connaissance, le système dépendait du temple, considéré comme une institution.
Le système de soins médicaux de l’Égypte antique était un service public présentant les caractéristiques suivantes : gratuit, donc accessible à tous ; général, à toutes les classes sociales ; national, disponible dans tout le pays ; disponible à tout moment. Il s’inscrivait dans un service communautaire plus large, qui prenait également en charge les canaux d’irrigation, l’éducation, la justice, les réserves de céréales, tout ce qui était nécessaire à la population égyptienne, et était placé sous l’autorité du temple. Dans la Maison de la Vie, le temple gère, entre autres, l’école de scribes, ouverte à tous, qui forme les futurs scribes mais ne retient que les meilleurs. Il assure également la formation des médecins et des prêtres. Cette institution gère également les structures de soins médicaux au sein du temple, et notamment un espace de soins, appelé plus tard « sanatorium », qui n’était pas un spa comme on l’a cru, mais plutôt des espaces sacerdotaux avec des bassins remplis d’eau sacrée, où les malades étaient plongés dans l’espoir d’une guérison divine.
Les lois sanitaires étaient strictes, l’hygiène scrupuleusement observée et des ordonnances médicales surveillaient les eaux, non seulement pour la propreté des vivants, mais aussi pour l’hygiène des morgues. Tout cela témoigne d’une grande évolution de la médecine.
Apparemment, les normes d’apprentissage et de pratique étaient promulguées par le médecin du pharaon, qui se trouvait au sommet de la hiérarchie médicale ; en dessous de lui se trouvaient les médecins du palais, dont le médecin-chef du Nord et du Sud, une sorte de ministre de la Santé. Sous leurs ordres se trouvaient les inspecteurs, les superviseurs et les professeurs de médecine. À un échelon inférieur se trouvait la grande majorité des médecins en exercice.
Les normes d’apprentissage et de pratique étaient dictées par le médecin du pharaon, et il lui était interdit de s’écarter de l’orthodoxie ou d’utiliser des méthodes thérapeutiques autres que celles indiquées dans les manuels ; en suivant ces directives, même si les résultats n’étaient pas ceux escomptés, le médecin était à l’abri de tout reproche. Cette rigidité constituait un obstacle majeur à l’innovation et à l’apprentissage par ses propres observations. Nous ignorons si l’un d’entre eux s’est engagé dans la recherche, mais s’ils l’ont fait, ils devaient occuper des postes plus élevés pour que leurs découvertes soient acceptées.
Leur connaissance du corps humain était très poussée, en partie grâce au processus de momification des cadavres. Ils ne traitaient que les maladies qu’ils pouvaient guérir. Ils classaient les affections ainsi : « Voici une maladie que je connais et que je guérirai », « Voici une maladie que je connais et que je ne traiterai pas », « Voici une maladie que je ne connais pas et que je ne traiterai pas. »
Apparemment, les normes d’apprentissage et de pratique médicales étaient promulguées par le médecin du pharaon, qui se trouvait au sommet de la hiérarchie médicale. En dessous de lui se trouvaient les médecins du palais, dont l’un servait de superviseur. Les autres, inspecteurs médicaux, constituaient un groupe moins important. À un niveau inférieur se trouvait la grande majorité des médecins en exercice.
La formation des médecins se déroulait à la Maison de Vie. Les jeunes étudiants étaient recrutés après une période d’observation, et les médecins grecs venus compléter leur formation en Égypte, réputée pour ses excellents médecins, bénéficiaient également d’une formation complémentaire. Cette formation complémentaire pouvait durer dix ans. Le système éducatif est inconnu, mais il semble avoir reposé sur un partenariat maître-apprenti.
Le papyrus Ebers décrit trois types de médecins dans la société égyptienne :
Les méthodes étaient variées. Il y avait des médecins pour toutes les parties du corps, pour l’esprit, pour les femmes, les hommes, les enfants, et même pour différentes saisons. Le cas de l’ophtalmologiste, qui opérait la cataracte, et celui d’une femme médecin qui pratiquait des tests de grossesse, notamment pour prédire le sexe de l’enfant (papyrus de Berlin) ont survécu à la postérité.
La médecine était réglementée depuis l’époque d’Imhotep, comme l’atteste une inscription sur un mur de Saqqarah, avec des règles éthiques clairement définies régissant la profession : l’emplacement des centres de soins, leur supervision, la supervision de l’activité du sun-nu, l’évaluation de leurs performances et les sanctions disciplinaires. Il n’était pas autorisé à utiliser des méthodes thérapeutiques qui s’écartaient de l’orthodoxie ; Il ne pouvait utiliser que ceux définis par l’autorité des traités classiques, et dans ce cas, même si les résultats obtenus n’étaient pas satisfaisants, il était exempt de tout reproche.
Le système de diagnostic est décrit dans le papyrus Ebers. La séquence est la suivante :
Les moyens thérapeutiques utilisés par les Égyptiens étaient simples, multiples et variés, surprenants pour le public d’aujourd’hui. Ils appartiennent à différentes catégories :
Les médicaments étaient préparés sur ordonnance, selon des protocoles rigoureux. Ils étaient utilisés sous diverses formes : préparations locales (pommades, emplâtres, onguents) ; préparations à absorber (macérées dans de la bière) ; sous forme de fumigations (qui impliquaient de brûler différents éléments et d’inhaler la fumée résultante).
La pharmacie était très développée. Dans les papyrus Grapow et Deines, jusqu’à sept cents formules pour la préparation de remèdes et de parfums sont enregistrées. Le papyrus Ebers contient jusqu’à mille recettes, et parmi les remèdes les plus couramment utilisés figurent l’oignon, l’ail, le miel, la bière, les figues, les graines de lin, le fenouil, la myrrhe, l’aloès, le safran, l’opium et la laitue. Ils utilisaient le café comme stimulant, ainsi que certaines préparations à base de plomb, de cuivre et d’antimoine. L’utilisation de purgatifs était très courante.
Médecine et magie étaient étroitement liées dans l’Égypte antique, où la maladie résultait souvent de l’intervention d’esprits maléfiques, d’humains mal intentionnés ou d’autres divinités. Ils étaient les messagers de Sekhmet, la déesse à tête de lion, qui répandait la maladie et la mort. Puisqu’elle possédait également le pouvoir de guérir, elle était la déesse des médecins, qui lui servaient souvent de prêtres.
La magie possède une résonance particulière, issue du mythe d’Osiris. Isis, « la Grande Magicienne », après avoir reconstitué le corps de son époux divin, le ramena à la vie grâce à sa puissante magie et fut « miraculeusement » fécondée, donnant naissance à Horus.
Les sorts sont souvent associés à d’autres remèdes ; il s’agissait d’incantations qu’un dieu avait lancées dans des conditions similaires et qui étaient récitées pour garantir l’efficacité du remède. À chaque maladie était associée une formule spécifique à réciter.
Quant aux méthodes prophylactiques, pour éviter la maladie, les patients utilisaient des amulettes, des stèles prophylactiques (les stèles représentant Horus chevauchant un crocodile étaient considérées comme protectrices contre les morsures et les piqûres d’animaux venimeux) et des images de dieux guérisseurs.
De nombreux patients visitaient les sanctuaires de dieux guérisseurs, tels qu’Imhotep et Amenhotep, tous deux déifiés, dans l’espoir d’être guéris. D’autres cherchaient la guérison au sanatorium, au temple d’Hathor à Dendérah et au temple d’Hatchepsout.
Les dieux associés à la médecine étaient : Isis, déesse de la santé et inventrice de remèdes ; Horus, souvent invoqué en cas de morsures d’animaux ; Hathor, déesse de l’amour, protectrice des femmes ; Thot, dieu des scribes et patron des ophtalmologistes ; Sekhmet, déesse guérisseuse ; Bès, protège le sommeil des dormeurs et le bon esprit des femmes enceintes ; Selkis, protège des morsures.
Et les hommes déifiés : Imhotep, chaty et architecte du pharaon Dyeser (IIIe dynastie), fondateur de la médecine égyptienne et auteur du papyrus Edwin Smith sur les guérisons, les maladies et les observations anatomiques ; et Amenhotep (fils de Hapu), architecte du pharaon Aménophis III (XVIIIe dynastie), était considéré comme un magicien bienveillant qui intercédait auprès d’Amon et des autres divinités et qui possédait également des pouvoirs de guérison et de protection.
Min est le dieu de la fertilité, et la déesse Tueris protège la mère et l’enfant au moment de la naissance en effrayant les mauvais esprits qui pourraient nuire à l’enfant. Elle est souvent accompagnée du dieu Bès.
La déesse Hathor, déesse de la maternité et de la fertilité, était utilisée pour venir en aide à l’enfant et à la mère par des sortilèges : « Placez de l’orge et du blé dans deux sacs de toile avec du sable et des dattes ; urinez dessus chaque jour ; si l’orge et le blé germent, elle accouchera ; si l’orge germe en premier, ce sera un garçon ; si le blé germe en premier, ce sera une fille ; s’ils ne germent pas, elle n’accouchera pas. »
Mais les médecins réfutaient l’idée que la grossesse soit due à l’intervention de puissances surnaturelles, de dieux ou de démons. Les papyrus égyptiens contiennent, entre sortilèges, conceptions mythiques et superstitions, une tentative de rationalisation.
Le papyrus Kahun, datant de la XIIe dynastie, est un traité précis de gynécologie et mentionne une maladie dévoreuse de tissus (le cancer). Les médecins égyptiens avaient constaté les effets bénéfiques du miel sur la gynécologie.
Ils connaissaient les méthodes contraceptives ou abortives, décrites simplement comme « l’abandon de la grossesse » dans les papyrus de Kahun, d’Ebers, de Berlin, de Carlsberg et du Ramesseum. Ces méthodes consistaient en divers types de lavages, notamment ceux effectués avec de l’huile très chaude.
Le premier texte médical sur les méthodes contraceptives a été retrouvé dans les papyrus de Kahun, qui contenaient des conseils et des prescriptions tels que l’utilisation de crottes de crocodile mélangées à une pâte servant de véhicule, et l’irrigation avec des substances comme le carbonate de sodium. Au XIVe siècle avant J.-C., des préservatifs étaient fabriqués à partir de vessies d’animaux comme moyen de contraception. Certains papyrus contiennent plusieurs recettes de contraceptifs intravaginaux, à base d’ingrédients tels que la résine d’acacia, le lait caillé et les épis d’acacia. Des composés dérivés de l’acacia se sont révélés spermicides lors de recherches in vitro modernes, avec un effet immobilisant les spermatozoïdes. Son utilisation pourrait être une conséquence de l’observation par les bergers que les animaux qui mangeaient certaines plantes ne se reproduisaient pas.
Parmi les méthodes de diagnostic de grossesse, on comptait le nombre de vomissements d’une femme placée sur un mélange de bière et de dattes. Cette aversion pour les odeurs fortes est aujourd’hui étudiée comme preuve de grossesse.
Lors de l’accouchement, qui avait lieu à domicile, les femmes s’accroupissaient sur quatre briques rituelles, représentant Meskhet, sous l’assistance des sages-femmes. Le placenta était conservé pour la fabrication de remèdes médicinaux. Ensuite, les femmes étaient séparées pendant quatorze jours pour se purifier, car elles étaient considérées comme impures après l’accouchement.
Certains écrits suggèrent que les déchirures périnéales étaient suturées après l’accouchement, comme un papyrus qui évoque la « réunion du vagin ».
. On utilisait des remèdes à base de caroube, de pin ou de pastèque. Des études récentes indiquent que la caroube est riche en histidine, un composant majeur de l’histamine. Des études en laboratoire ont montré que les souris carencées en histamine présentaient un faible taux de reproduction en raison d’une baisse de la libido mâle.
Le papyrus Brugsh est le plus ancien document connu sur la pédiatrie. Cette spécialité était limitée aux nourrissons ; tous les autres enfants étaient traités par des médecins adultes.
Les pleurs et le tonus musculaire du nouveau-né étaient utilisés comme indicateurs de santé. Le papyrus établit que si le nouveau-né disait « nai », il vivait, et s’il disait « mibi », il mourrait. On croyait également que si l’enfant gémissait ou baissait la tête, il mourrait. Les pleurs et le tonus musculaire sont deux des cinq paramètres utilisés au XXe siècle pour déterminer l’état des nouveau-nés selon le score d’Apgar.
L’infanticide était sévèrement puni. Le Livre des Morts interdit notamment l’avortement. Et bien que puni par la loi, cet avortement était justifié dans certains cas.
En cas de naissance présentant des malformations physiques ou une maladie chronique, l’infanticide n’était pas pratiqué et les enfants étaient acceptés, considérés comme touchés par la grâce divine et intégrés à la société avec un grand respect.
Les connaissances en ophtalmologie dans l’Égypte ancienne se limitaient à la pupille, à la sclérotique et aux aspects externes : paupières, cils et sourcils ; les Égyptiens ignoraient largement la structure interne de l’œil. Cependant, l’ophtalmologie s’est développée car les maladies oculaires étaient très courantes, en particulier « l’ophtalmie du désert », connue aujourd’hui sous le nom de trachome, qui est encore endémique en Égypte. L’une des défenses contre cette maladie était l’utilisation du khol, qui agissait sur deux fronts : pour réduire la lumière intense, car il était noir, et comme désinfectant efficace, car il était fabriqué à partir de sulfate d’antimoine.
Les paupières étaient appelées le « fond de l’œil » ; le blanc de l’œil était déjà appelé la sclérotique. L’iris était étudié ; Certains textes indiquent que son examen permettait de déterminer le sexe du fœtus ; et la pupille était appelée « la fille dans l’œil » en raison de l’image des personnes se reflétant dans la cornée sur le fond noir de la pupille. (pupil : poupée).
Malgré l’habileté des artisans de l’Ancien Empire, qui fabriquaient des répliques parfaites d’yeux en cristal et en émail pour les statues, rien ne suggère que ces objets aient été utilisés comme prothèses.
Dès la Première Dynastie, des textes mentionnent les soins apportés aux yeux, avec des pratiques mêlées de magie : Thot, dieu des sciences et de la médecine, est l’ancêtre des ophtalmologistes ; selon la mythologie, il aurait remplacé l’œil qu’Horus avait perdu lors de son combat contre Seth, et aurait déclaré : « Je suis Thot, le médecin de l’œil d’Horus. »
Plus tard, sous le règne de Pépy Ier de la VIe dynastie, une stèle funéraire représentait un homme, tantôt assis, tantôt marchant, avec l’inscription dédicatoire suivante : « Pépy Anj Iri, directeur des médecins royaux, médecin des yeux du palais, gardien de l’orifice intestinal, préparateur de documents, dresseur de scorpions. »
Les papyrus d’Ebers et de Londres contiennent plusieurs formules magiques invoquant Thot, qu’il fallait répéter plusieurs fois tout en appliquant des gouttes pour les yeux : « Celui qui sauva l’œil d’Horus lors de son combat contre Seth pourra redonner la lumière à ceux qui ont des problèmes oculaires. »
Il n’existe aucune preuve de soins dentaires ; le mauvais état des dents est connu et s’explique par la présence de minuscules grains de sable dans la farine (sable provenant du grès utilisé pour le broyage), responsable d’une usure dentaire importante. Il existe un exemple de prothèse dentaire (deux molaires reliées par un fil d’or) qui semble davantage une solution à un problème qu’une solution esthétique, mais il n’existe aucune autre preuve, comme l’aurait permis d’établir l’étude des momies. Un
fragment de panneau de bois provenant de la tombe d’Hésy-Rê à Saqqarah (IIIe dynastie), conservé au Musée égyptien du Caire, mentionne son titre de dentiste en chef et de médecin. Il est décrit comme « le plus grand des médecins qui soignent les dents ». Il s’agit de la plus ancienne trace d’un médecin se consacrant à la dentisterie, datant de 3000 av. J.-C. Il était un dignitaire important à Memphis à l’époque de Djézer et détenait plusieurs autres titres. Leur position élevée témoigne de la réputation et du respect dont jouissaient les médecins qui traitaient les maladies dentaires.
La partie inférieure d’une stèle commandée par le pharaon Sahourê pour son médecin préféré témoigne de la séparation des soins dentaires et de la médecine générale. Elle représente une petite figure, identifiée par une inscription hiéroglyphique comme étant Men-Kaura-Ankh, « l’homme de la dent ».
Houi était un guérisseur de l’Ancien Empire qui soignait les maladies des dents et de l’anus ; cela est logique si l’on considère que l’anus (protodeum) et la bouche (stomodeum) dérivent embryologiquement des mêmes systèmes tissulaires.
La question de savoir si les dentistes avaient une formation distincte a récemment fait l’objet de nombreuses controverses. Il semble y avoir eu deux types de personnes se consacrant à l’art dentaire : ceux qu’on appelait « sinu » (médecin) et d’autres qui ne portaient pas cette appellation.
La majeure partie de nos connaissances sur la médecine hébraïque du premier millénaire avant J.-C. provient de l’Ancien Testament. Ce dernier cite plusieurs lois et rituels liés à la santé, tels que l’isolement des personnes infectées (Lévitique 13:45-46), la toilette après manipulation des cadavres (Nombres 19:11-19) et l’enfouissement des excréments loin des habitations (Deutéronome 23:12-13). Ces prescriptions incluent la prévention et la suppression des épidémies, la répression des maladies vénériennes et de la prostitution, les soins de la peau, le bain, l’alimentation, le logement et l’habillement, la réglementation du travail, la sexualité, la discipline, et bien d’autres. Nombre de ces commandements ont un fondement rationnel, comme le repos du sabbat, la circoncision, les lois alimentaires (interdiction du sang et du porc), les mesures concernant les menstruations, les femmes en travail et les personnes atteintes de gonorrhée, l’isolement des lépreux et l’hygiène domestique.
Entre 2800 et 1600 av. J.-C., une société urbaine présentant certaines similitudes avec la civilisation de la cité-État sumérienne existait dans la vallée de l’Indus (aujourd’hui le Pakistan).
Avant le IVe siècle av. J.-C. (date du plus ancien manuscrit connu), l’Ayur Veda (« La vérité sur la longévité ») a été écrit, qui considérait la santé comme l’harmonie entre le corps, l’esprit et l’âme. Les deux textes les plus célèbres de ce système appartiennent aux écoles Charaka et Sushruta. Selon Charaka, ni la santé ni la maladie ne sont prédéterminées, et la vie peut être prolongée moyennant quelques efforts. Sushruta, quant à lui, conçoit la médecine comme l’ensemble des techniques utiles pour guérir les maladies, protéger la santé et prolonger la vie.
L’Ayur Veda comprend huit disciplines différentes : kayachikitsa (médecine interne), shalyachikitsa (chirurgie et anatomie), shalakyachikitsa (ORL), kaumarabhritya (pédiatrie), bhutavidya (psychiatrie), agada tantra (toxicologie), rasayana (science du rajeunissement) et vajikarana (science de la fertilité).
Outre l’apprentissage de ces huit disciplines, l’Ayur Veda exigeait la connaissance de dix arts indispensables à la préparation et à l’application des médicaments, à savoir : la distillation, les techniques opératoires, la cuisine, l’horticulture, la métallurgie, la fabrication du sucre, la pharmacie, l’analyse et la séparation des minéraux, la composition des métaux et la préparation des alcalis. Certains enseignements étaient dispensés lors de l’enseignement des matières cliniques les plus importantes. Par exemple, l’anatomie faisait partie de l’enseignement de la chirurgie, l’embryologie de la pédiatrie et de l’obstétrique, et la physiologie et la pathologie découlaient de l’enseignement des matières cliniques.
La médecine traditionnelle chinoise est apparue comme une façon fondamentalement taoïste de comprendre la médecine et le corps humain. Le Tao est à l’origine de l’Univers, maintenu dans un équilibre instable résultant de deux forces primordiales : le Yin (terre, froid, féminin) et le Yang (ciel, chaud, masculin), capables de modifier les cinq éléments qui le composent : l’eau, la terre, le feu, le bois et le métal. Cette conception cosmologique détermine un modèle de la maladie basé sur la rupture de l’équilibre et son traitement pour le rétablir. L’un des premiers vestiges de cette médecine est le Nei Jing, un recueil d’écrits médicaux datant d’environ 2 600 av. J.-C. qui allait représenter l’un des piliers de la médecine traditionnelle chinoise pour les quatre millénaires suivants. L’une des premières et des plus importantes révisions est attribuée à l’Empereur Jaune, Huang Di. Ce recueil contient des concepts médicaux intéressants pour l’époque, notamment chirurgicaux, même si la réticence à étudier les cadavres humains semble avoir diminué l’efficacité de ses méthodes. La médecine chinoise a développé une discipline à mi-chemin entre la médecine et la chirurgie, l’acupuncture. Selon cette discipline, l’application d’aiguilles sur l’un des 365 points d’insertion (ou jusqu’à 600 selon les écoles) permettrait de rétablir l’équilibre perdu entre le yin et le yang.
Plusieurs historiens de la médecine se sont interrogés sur la raison pour laquelle la médecine chinoise est restée ancrée dans cette vision cosmologique sans atteindre le niveau de « science technique » malgré sa longue tradition et son vaste corpus de connaissances, contrairement au modèle gréco-romain classique. La raison, selon ces auteurs, réside dans le développement du concept de logos par la culture grecque, comme explication naturelle détachée de tout modèle cosmologique (mythos).
Avec l’arrivée de la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.) et l’essor du taoïsme (du IIe siècle av. J.-C. au VIIe siècle apr. J.-C.), l’accent a commencé à être mis sur les remèdes à base de plantes et de minéraux, les poisons, l’alimentation, ainsi que les techniques de respiration et l’exercice physique. De cette dynastie, et jusqu’à la dynastie Sui (VIe siècle), les sages suivants se sont distingués :
Le terme classique inventé par les Grecs pour définir la médecine, tekhne iatriké (la technique ou l’art de guérir), ou les termes utilisés pour nommer le « médecin des maladies » (ietèr kakôn) et le chirurgien (ouvrier des mains ou kheirourgein) résument cette conception de la médecine comme science. L’homme commence à dominer la nature et se permet (même à travers ses propres mythes) de défier les dieux (Anchise, Pélée, Lycaon ou Ulysse lui-même).
Les plus anciennes œuvres grecques écrites contenant des connaissances médicales sont les poèmes homériques : L’Iliade et L’Odyssée. La première décrit, par exemple, comment Phéréclus fut transpercé par Mérion à la fesse, « près de la vessie et sous l’os pubien », ou le traitement que subit le roi Ménélas après avoir été touché au poignet par une flèche lors du siège de Troie. Le chirurgien s’avère être Asclépios, le dieu grec de la médecine, formé à la science médicale par le centaure Chiron. De son nom vient Esculape, ancien synonyme de médecin, et le nom de sa fille Hygée a inspiré la branche actuelle de la médecine préventive connue sous le nom d’Hygiène. On attribue également à Asclépios la création du Bâton d’Asclépios, symbole médical universel aujourd’hui.
Au VIe siècle avant J.-C., Alcméon de Crotone, philosophe pythagoricien dévoué à la médecine, élabora une théorie de la santé qui s’éloignait progressivement des rituels de guérison pré-techniques qui avaient jusque-là sous-tendu la médecine grecque : prière (eukhé) aux dieux de la santé (Asclépios, Artémis, Apollon, Pallas Athéna, Hygie, etc.) ; danses ou rites de guérison (Dionysos) ; et connaissance empirique des remèdes de base. Alcméon fut l’auteur du premier ouvrage connu sur l’anatomie, fonda la première école de médecine connue de la Grèce antique, à Cnide, et instaura également la pratique de l’observation des patients. Des écoles de médecine suivant le concept d’Alcméon, fondées sur les sciences naturelles, ou physiologie, commencèrent à prospérer à Crotone, Cos et Cnide.
Mais la figure médicale par excellence de la culture grecque classique est Hippocrate. Nous savons de ce médecin, grâce à la biographie écrite par Soranos d’Éphèse quelque 500 ans après sa mort, qu’il est né à Cos vers 460 av. J.-C. et que sa vie a coïncidé avec l’âge d’or de la civilisation hellénistique et de sa vision du monde novatrice, opposant la raison au mythe. Galien, puis l’école alexandrine, le considéraient comme « le médecin parfait », ce qui lui a valu d’être salué par la tradition comme le père de la médecine moderne. En réalité, l’ouvrage attribué à Hippocrate est une compilation d’une cinquantaine de traités (Corpus Hippocraticum) rédigés sur plusieurs siècles (principalement entre le Ve et le IVe siècle av. J.-C.). Il est donc plus approprié de parler d’une « école hippocratique », fondée sur les principes du serment d’Hippocrate. Les domaines médicaux couverts par Hippocrate dans ses traités comprennent l’anatomie, la médecine interne, l’hygiène, l’éthique médicale et la diététique.
Hippocrate fut le premier à affirmer que les maladies étaient causées par des éléments naturels. L’existence du serment d’Hippocrate implique que cette « médecine hippocratique » était pratiquée par un groupe de professionnels de la santé liés, au moins entre eux, par un code éthique strict. Les futurs étudiants en médecine, qui payaient généralement pour leur formation, nouaient une relation quasi familiale avec leur professeur. Cette formation comprenait un enseignement oral et, probablement, une expérience d’assistant du professeur, puisque le serment suppose que l’étudiant ait eu des interactions avec les patients. Le serment impose également des limites aux actes du médecin et suggère l’existence d’une autre classe de professionnels spécialisés, peut-être similaire aux chirurgiens.
L’une des caractéristiques de la médecine hippocratique est la théorie des quatre humeurs, apparentée à la théorie des quatre éléments (proposée par Empédocle). Hippocrate et certains contemporains s’accordaient sur le fait que les maladies se trouvaient dans le sang. C’est ainsi qu’est née la pratique de prélever un peu de sang sur les bras des patients. Cependant, dans la plupart des cas, on leur prescrivait différentes plantes, dont voici quelques exemples :
L’équilibre entre les quatre humeurs est synonyme de santé, selon Hippocrate.
De nombreuses substances utilisées par les anciens Égyptiens dans leur pharmacopée furent exportées en Grèce et leur influence s’accrut après la création d’une école de médecine grecque à Alexandrie.
Les premières opérations apparurent également en Grèce, rares et pratiquées sans anesthésie (et avec des instruments simples). Elles étaient très douloureuses et presque tous les patients mouraient d’infection ou de choc.
Malgré tous les progrès de la médecine et la pratique du sport dans les gymnases, l’espérance de vie moyenne était très faible ; les hommes vivaient généralement jusqu’à 44 ans et les femmes jusqu’à 35 ans.
Les deux siècles suivants (IVe et IIIe siècles av. J.-C.) marquèrent l’essor des courants philosophiques grecs. Aristote apprit la médecine auprès de son père, mais il n’existe aucune trace de sa pratique régulière de cette discipline. Cependant, son école péripatéticienne vit naître plusieurs médecins importants de l’époque : Dioclès de Caryste, Praxagore de Cos et Théophraste d’Érèse, entre autres.
Vers 300 av. J.-C., Alexandre le Grand fonda Alexandrie, ville qui allait bientôt devenir un centre culturel de la Méditerranée et du Proche-Orient. L’école alexandrine compila et développa toutes les connaissances médicales (ainsi que de nombreuses autres disciplines) connues à l’époque, contribuant ainsi à la formation d’éminents médecins. Certaines sources suggèrent que les Ptolémées mettaient à leur disposition des condamnés à mort pour des vivisections.
L’un des médecins les plus remarquables de l’école alexandrine fut Érasistrate de Céos, découvreur du canal cholédoque (le canal qui déverse la bile dans l’intestin grêle) et de la circulation porte (un système veineux qui traverse le foie avec le sang du tube digestif). Hérophile de Chalcédoine fut un autre grand médecin de cette école : il décrivit avec précision les structures connues sous le nom de méninges, de plexus choroïdes et du quatrième ventricule cérébral.
Parallèlement, l’école empiriste se développa, dont le principal représentant médical fut Glaucus de Tarente (Ier siècle av. J.-C.). Glaucus pourrait être considéré comme le précurseur de la médecine factuelle, car pour lui, il n’y avait qu’une seule base fiable : les résultats basés sur sa propre expérience, celle d’autres médecins ou sur l’analogie logique, lorsqu’il n’y avait pas de données antérieures pour la comparaison.
À partir de l’incorporation de l’Égypte comme province romaine (30 av. J.-C.), la période alexandrine prit fin et l’âge d’or de la médecine romaine commença.
La médecine dans la Rome antique était une extension du savoir médical grec. Avant d’importer des connaissances de la culture grecque, la civilisation étrusque n’avait guère développé de corpus médical intéressant, à l’exception d’une compétence notable dans le domaine de la dentisterie.
Mais l’importance croissante de la métropole au cours des premières périodes d’expansion attira d’importantes figures médicales grecques et alexandrines qui finirent par former à Rome le principal centre de connaissances médicales, cliniques et pédagogiques de la région méditerranéenne.
Les figures médicales les plus importantes de la Rome antique étaient Asclépiade de Bithynie (124 ou 129 av. J.-C. – 40 av. J.-C.), Aulus Cornelius Celsus (25 av. J.-C. – 50 apr. J.-C.), Pedanius Dioscoride d’Anazarbée (40 apr. J.-C. – 90 apr. J.-C.) et Galien de Pergame (129 ou 130 apr. J.-C. – 200 ou 216 apr. J.-C.). Le premier, ouvertement opposé à la théorie hippocratique des humeurs, développa une nouvelle école de pensée médicale, l’école méthodique, fondée sur les travaux de Démocrite et qui explique la maladie par l’influence des atomes traversant les pores du corps, anticipant ainsi la théorie des germes. Parmi les médecins appartenant à cette école figuraient Thémison de Laodicée, Thésale de Tralles et Soranos d’Éphèse, auteur de la première biographie connue d’Hippocrate.
Entre 25 av. J.-C. et 50 apr. J.-C., une autre figure médicale importante vécut : Aulus Cornelius Celsus. Rien ne prouve qu’il ait réellement pratiqué la médecine, mais un traité médical (De Re Medica Libri Octo) est conservé, inclus dans un ouvrage encyclopédique plus vaste intitulé De artibus (Des Arts). Ce traité inclut la définition clinique de l’inflammation, qui a survécu jusqu’à nos jours : « Chaleur, douleur, gonflement et rougeur ».
Au début de l’ère chrétienne, une autre école de médecine se développa à Rome : l’école pneumatique. Alors que les Hippocrates attribuaient les maladies aux humeurs liquides et que les Atomistes mettaient l’accent sur l’influence des particules solides appelées atomes, les Pneumatiques voyaient le pneuma (gaz) qui pénètre dans l’organisme par les poumons comme la cause des troubles pathologiques dont souffraient les humains. Parmi les adeptes de cette école de pensée figuraient Athénée d’Attalia et Arétée de Cappadoce.
À Rome, la caste médicale était déjà organisée (d’une manière qui rappelle la division actuelle par spécialité) en médecins généralistes (medici), chirurgiens (medici vulnerum, chirurgi), oculistes (medici ab oculis), dentistes et spécialistes des oreilles. Il n’existait aucune réglementation officielle pour être considéré comme médecin, mais suite aux privilèges accordés aux médecins par Jules César, un quota maximum était établi par ville. De plus, les légions romaines disposaient d’un chirurgien de campagne et d’une équipe capable d’établir un hôpital (valetudinaria) sur le champ de bataille pour soigner les blessés au combat. L’un de ces médecins légionnaires, enrôlé dans les armées de Néron, était Pedanius Dioscoride d’Anazarbe (Cilicie), auteur du manuel de pharmacologie le plus utilisé et le plus connu jusqu’au XVe siècle. Ses voyages avec l’armée romaine lui permirent de rassembler une importante collection d’herbes (environ six cents) et de substances médicinales pour écrire son œuvre maîtresse : De Materia Medica (Hylikà, plus connu sous le nom de « Dioscorides »). Le texte décrit quelque 600 plantes médicinales, dont la mandragore, quelque 90 minéraux et une trentaine de substances d’origine animale.
Mais la figure médicale romaine par excellence fut Claude Galien, dont l’influence (et les erreurs anatomiques et physiologiques) perdura jusqu’au XVIe siècle (Vésale fut le premier à le corriger). Galien de Pergame naquit en 130 après J.-C., sous l’influence grecque et sous la protection de l’un des plus grands temples dédiés à Esculape (Asclépios). Il étudia la médecine auprès de deux disciples d’Hippocrate, Straconius et Satyrus, et fréquenta plus tard les facultés de médecine de Smyrne, Corinthe et Alexandrie. Il se rendit finalement à Rome, où sa renommée de médecin gladiateur lui valut d’être choisi comme médecin de l’empereur Marc Aurèle. Cependant, les autopsies étant interdites à Rome, ses connaissances en anatomie reposaient sur des dissections animales, ce qui lui valut quelques erreurs. Il apporta néanmoins des contributions notables : il corrigea l’erreur d’Érasistrate, qui croyait que les artères transportaient l’air, et est considéré comme l’un des premiers expérimentateurs médicaux : « Court et habile est le chemin de la spéculation, mais il ne mène nulle part ; long et ardu est le chemin de l’expérimentation, mais il nous conduit à la vérité. »
Principal représentant de l’école hippocratique, son œuvre constitue une synthèse de toutes les connaissances médicales de l’époque. Ses traités furent copiés, traduits et étudiés pendant les treize siècles suivants, ce qui lui vaut d’être considéré comme l’un des médecins les plus importants et les plus influents de la médecine occidentale. Son ouvrage principal, Methodo medendi (De l’art de guérir), joua un rôle crucial en médecine pendant quinze siècles.
Arétée de Cappadoce n’atteignit pas la renommée et la reconnaissance publique de Galien, mais les rares écrits qui nous sont parvenus témoignent de son immense savoir et de son bon sens encore plus développé. On sait peu de choses sur ce modeste médecin romain, si ce n’est qu’il était originaire de l’actuelle province turque de Cappadoce et qu’il vécut au Ier siècle après J.-C. Il dut se former à Alexandrie (où les autopsies étaient autorisées), car sa connaissance de l’anatomie viscérale est très approfondie. Il fut le premier médecin à décrire le tableau clinique du tétanos, et on lui attribue les noms modernes d’épilepsie et de diabète.
Il convient de souligner une contribution majeure à la médecine publique romaine. Parmi les principaux architectes romains (Columelle, Marc Vitruve et Marc Vipsanius Agrippa), on croyait que le paludisme se transmettait par les insectes ou l’eau des marais. Forts de ce principe, ils entreprirent des travaux publics tels que des aqueducs, des égouts et des bains publics afin d’assurer un approvisionnement en eau potable de qualité et un système d’évacuation des eaux usées adéquat. La médecine moderne leur donnera raison près de vingt siècles plus tard, lorsqu’il sera démontré que l’approvisionnement en eau potable et le système d’évacuation des eaux usées sont deux des principaux indicateurs de la santé d’une population.