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JE SUIS et le Principe de causalité | Le Lien Urantien — Numéro 107 — Septembre 2024 — Table des matières | Réunion Européenne 2025 |
Jean Claude Romeuf
14 avril 2024.
Quatre jours après avoir atterri à l’aéroport José Marti de la Havane, je languissais de revoir mes amis de Trinidad. L’an dernier Dayani et sa fille Roxane m’avait loué le premier étage de leur casa particular au 79 rue José Menéndez, rue que tout le monde appelle Alameda.
Là, pendant quinze jours, sur la terrasse ombragée qui m’était réservée, j’avais écrit quelques poèmes.
Il se passe quelquefois entre les hommes et les femmes, de véritables flashs mentaux amoureux qui vont au-delà de ce que l’on peut appeler un simple coup de foudre ; il existe des lieux, des maisons où l’on a envie de retourner. Je languissais aussi de revoir mon amigo pequeño de deux ans et demi à qui j’avais ramené de France un chien en peluche.
C’est ainsi que de bonne heure, le matin du six mars, Daily et moi, nous partîmes de Viñales en taxi compartido, pour rejoindre la maison de mes amies, à Trinidad.
L’an dernier, tous les soirs un peu avant la tombée de la nuit, je remontai I’Alameda, quand la plupart des habitants ouvrent fenêtres et portes pour laisser entrer dans leurs appartements la fraîcheur du soir. Et quand, du haut de la grande place centrale, la salsa, la rumba, la bachata viennent faire danser et réchauffer votre cœur.
Tout le monde m’avait vu passer. On avait fini par me reconnaître. On échange un Hola, un sourire, une buena noche. Puis on s’arrête, on bavarde.
La Calle Alameda était devenu mon jardin.
Dans une République socialiste comme celle de Cuba, on préfère voir flotter la bandera que de s’agenouiller devant les reliques d’un saint! Pourtant des chapelets sont suspendus aux rétroviseurs des voitures. Les gens sont avides de spiritualité même si elle est la plupart du temps reliée à des superstitions ou au chamanisme.
Ils se posent des questions, ils aiment les idées nouvelles et pas toujours celles du curé du coin, identique à celui qui soutenait el dictador Fulgencio Batista contre lequel leurs parents ont lutté en s’engageant dans la Revolución, souvent en perdant la vie.
Le héros national, c’est Ché Guevara.
Viva la Revolución. Viva el Ché!
Alors moi, dans la vieille ville de Trinidad, je semais des graines de Dieu au coin d’une fenêtre, au raz d’une porte, sur une marche d’escalier, tout en discutant à l’un ou à l’autre, de la pluie ou du beau temps, souvent le long de la Calle Alameda qui remonte jusqu’au point central de la Ciudad, mais que personne ne connaît sous son nom véritable, autrement que par cette appellation, bien qu’elle ne figure sur aucun plan.
Ce n’était souvent pas grand chose:
— Tu y crois, toi en Dieu?
— Claro que si!
— Moi, il est ma passion. Je peux en parler pendant des heures.
Puis, je continuais mon chemin.
La fois suivante, je savais si le regard qu’ on me tendait, était une invitation à m’arrêter et à fournir plus de précision : sinon je faisais le même salut en passant et continuais mon chemin.
C’est la petite serveuse du restaurant situé au sommet de la place rectangulaire faisant suite à l’Alameda, qui était la plus curieuse. Elle posait des tas de questions auxquelles je répondais selon ses attentes, sans la brusquer.
Je parlais surtout d’une petite lumière reflétant la bonté de Dieu, qui venait pendant l’enfance habiter le cœur des êtres humains ; qui nous accompagnait toute la vie et avec laquelle nous serions unis pendant toute l’éternité, si tel était notre désir.
Je lui disais que dans l’intimité, avec tendresse je la surnommais ma petite graine de Dieu. Il avait bien fallu que quelqu’un la sème en moi pour qu’elle grandisse.
Alors que je mangeais une langouste, des camarones ou une ropa vieja, en buvant une bière ou un mojito, la petite serveuse ne me laissait jamais partir sans venir s’asseoir un bon moment à côté de moi, pour que je lui parle de sa graine.
Elle avait compris que comme moi, elle en possédait une en train de germer dans son cœur.
Je ne lui ai jamais jeté le Livre d’Urantia en pleine tête pour la convaincre de le lire.
C’est aussi en partie, à cause de cette fille, aussi frêle et légère qu’une feuille d’automne emportée par le vent, que je suis retourné cette année à Trinidad avec Daily.
Je lui avais promis de lui ramener la même mochilla que la mienne, un petit sac à dos qui lui faisait envie.
Mais les feuilles d’automne emportées par le vent, ne passent pas toutes l’hiver! Peut-être, qu’au moment d’offrir à Dieu son âme fragile, et en laissant sa tête petite se courber pour un dernier souffle de vie, elle se souviendra de moi en disant :
— Je suis sûre qu’il m’a aimée! Ce sera vrai.
Je voudrais qu’on grave sur la tombe où il ne restera plus que ses os:
— Ici gît une feuille morte, une jeune fille qui n’a perdu la vie que légèrement!
Ce sera vrai aussi. Je ne me fais aucun souci pour son avenir.
De toutes les graines de Dieu que j’avais semées, je ne sais pas si une seule d’entre-elles a germé, car dans la rue caillouteuse de l’Alameda, pavée de galets, où les talons-hauts sont déconseillés, et où il est prudent d’emporter des béquilles pour les pattes cassées, je n’ai rencontré aucune personne connue.
On aurait dit que les volets des fenêtres restaient fermés pour cacher les trésors antiques des Conquistadors.
Et les portes entrebâillées de l’an dernier, ne laissaient plus pénétrer la fraîcheur du soir, car Trinidad vivait aujourd’hui, au rythme de la temporada d’hiver.
Quant à la petite serveuse, elle était malade et n’a pas pu me rendre visite, mais je lui ai téléphoné.
Elle était contente de savoir que j’avais tenu ma promesse et regrettait de ne pas pouvoir se déplacer.
J’ai donc laissé la mochilla à la patronne du restaurant, pour qu’elle la lui remette, car j’ai appris qu’elles étaient cousines.
Même si je ne sais pas si les graines que j’avais semées le long de l’Alameda ont poussé, ce dont je suis sûr, c’est qu’une petite graine de Dieu, lorsqu’elle a germé dans le cœur de quelqu’un, elle devient vite une fleur, puis, elle monte jusqu’au Paradis pour l’inonder de son parfum.
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