© 2012 Jean-Claude Romeuf
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De nombreux débats ont eu cours par le passé à propos du sexe des anges. Le doute subsiste encore de nos jours. C’est pour faire toute la lumière sur ce sujet de grande importance que je me décide enfin à dévoiler un secret personnel afin que le monde entier ne reste plus dans l’obscurantisme et l’ignorance.
Je peux vous affirmer, pour l’avoir vérifié et la fin de ce récit en sera la preuve certaine, que les anges n’ont pas de sexe! On peut dire quand même, que leur apparence se rapproche de celle d’une femme ; c’est logique car les anges sont originelles d’une Fille de l’Esprit : la Mère de l’univers local. D’ordinaire les anges, à la manière des hommes et des femmes, vivent en couples. Cela n’implique pas que les anges soient homosexuelles; elles sont simplement réceptives à une bipolarité difficile à comprendre pour nous, mais en schématisant, comme explication on peut émettre l’idée que les anges à polarité négative, ni mâles ni femelles, sont attirantes pour un complément angélique positif qui n’a pas de sexe non plus. Une grande amitié peut naître entre ces personnes différentes mais associables. C’est ainsi que des couples d’anges se forment et gravissent les échelons du superunivers, atteignant en fin de compte, le Père Universel. Pourtant il n’y a pas de règle absolue! Comme pour les hommes et les femmes, il existe dans leurs rapports, des frictions et des divorces! Comme la nôtre, leur histoire ne se déroule pas dans la facilité et leur destin est assujetti à une école d’apprentissage qui ne laisse aucune place à la monotonie et à l’indolence. Les anges et les hommes sont des espèces intelligentes saprophytes : ils s’aident mutuellement dans la lente ascension vers Dieu!Nous n’avons pas en général conscience de l’utilité que nous leur apportons ; mais la preuve en est que la majorité des esprits tutélaires choisissent la carrière d’ange gardien dans l’espoir de franchir en même temps que leur pupille terrestre, les différents étages de progression spirituelle et mentale qui jalonnent le chemin de l’espace et du temps.
Bien sûr, je ne suis pas un spécialiste des questions angéliques et il n’est pas dans mon habitude de vouloir faire une généralité d’un cas particulier. Mais je possède une certaine expérience en ce domaine et, je considère qu’il est un devoir pour moi de la faire connaître à autrui, car je me suis trouvé quelquefois dans une situation privilégiée et exceptionnelle en présence d’anges gardiens. Je sais que ma crédibilité n’a pas l’équivalence de mon imagination, mais l’histoire qui va suivre est tout à fait véridique. Je suis prêt à le jurer devant n’importe quelle relique de Saint exposée dans une de nos églises !
C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit, mon ange Jézabel devant moi s’est montrée. Même elle eut soin de peindre et d’orner son visage pour réparer ma difficulté à ressentir et voir sa présence.
« J’ai faim, j’ai faim, j’ai faim, j’ai faim! » Nanti d’une petite éducation médicale, il me fut facile de reconnaître dans cette façon de se présenter, un certain besoin boulimique que moralement je désapprouve, mais qu’il me parut difficile de ne pas satisfaire en ce temps-là, car il était la preuve d’une souffrance réelle qu’il me fallait à tout prix soulager! Moi qui étais en train de me brûler les pieds, chaudement installé devant la cheminée de mon salon, tout en réfléchissant à un concept des plus ardus du livre d’Urantia, je dus me lever d’un bond. Justement, la veille, par chance, j’avais pêché une magnifique dorade royale. Ce serait pour moi un grand plaisir que de la faire griller pour recevoir à ma table, mon ange gardienne!
« Quelle horreur! », dit-elle. « Une dorade! Tu veux me faire manger une dorade! » Ses yeux firent le tour de la pièce, puis je la vis se jeter sur une guitare qui traînait par là et qui avait sans doute été volée le matin même à un ami! Je crus tout d’abord qu’elle allait la croquer goulûment mais c’était mal connaître les anges ! Elle la prit dans ses bras comme on prend un enfant, la caressa et ensuite fit glisser tout doucement sur ses cordes, des doigts d’une insoupçonnable agilité. Elle essaya quelques accords, la sonorité lui parut acceptable ; alors elle se mit à accompagner de sa voix céleste, les notes qui s’échappaient de ses mains. L’enchantement musical commença par ce qu’on aurait pu prendre pour une danse espagnole de Manuel de Falla, mais bientôt et par un coup de baguette magique, la guitare se transforma en une sorte de violon triturant l’harmonie comme l’aurait fait celui du jeune Sergueï Prokofiev (mais je ne sais pas si Prokofiev jouait du violon. Si c’est oui, tant mieux! Si c’est non, qu’il copie cent fois la phrase suivante: « Je ne sais pas jouer du violon »). Elle accéléra ensuite le rythme de ses doigts et des milliers de notes se superposèrent si bien, que la musique devint inaudible pour moi tant elle croissait en pureté et se transforma enfin en une lumière blanche suspendue à l’air de la pièce, pareille à une source ondulante et limpide éclatée d’un rocher. Bientôt le violon se creusa d’une énorme ouverture d’où s’échappaient des milliers d’oiseaux-notes multicolores tels des chauves-souris sortant d’une caverne à la tombée de la nuit et se précipitaient dans la bouche de l’ange qui les avalait avec gourmandise et satisfaction. J’étais terrorisé ! L’ange improvisa encore une musique étrange dépourvue semblait-il de sonorité, mais pleine de blancheur. Bientôt un vrombissement métallique soulevant le plancher, me fit éclater les tympans et un hélicoptère conduit par Stockhausen traversa la pièce pour s’échapper par le plafond emportant les restes du repas que mon hôte n’avait pas mangés. Quelques oiseaux-lyres qui avaient voulu par orgueil participer au concert furent engloutis par le vent et réussirent à n’échapper à l’hélice que par miracle.
« Ouf, s’écria Jézabel, ma faim est apaisée ! La musique est vraiment une saine nourriture pour l’âme!Je suis repue! Quel bonheur de se laisser bercer par les vibrations sonores mises en circuit depuis le Paradis! Capter un seul de ces échos lointains, c’est se rapprocher un peu de l’absolu ! J’ai soif ! ».
« Tu as soif ? Je peux te donner une flûte ». Certes, je ne voulais pas commettre l’erreur précédente et par une équivoque habile, je proposai à mon ange gardienne le nom d’un objet qui pouvait être un instrument de musique ou un verre de champagne. Mais elle ne se laissa pas abuser et avec une espièglerie toute féminine, elle renversa la situation en la tournant à son avantage, les bulles n’étant pas bonnes ni pour sa ligne ni pour sa célérité ! « Car tu sais, me dit la scélérate, lorsque je me déplace, ma vitesse dépasse celle de la lumière ! J’ai lorgné un coin de ta cave et j’ai vu où tu caches un délicieux vin blanc, réservé aux grandes occasions. Buvons-en ensemble s’il te plaît ».
C’est ainsi qu’un verre à la main, nous fîmes un brin de causette. Le vin aidant, la belle devint un peu plus familière. Légèrement grisée, elle s’abandonna à un peu de tristesse. C’est une larme au fond de ses yeux qui me valut d’entrevoir les cieux et qui me fit comprendre que les anges sont très proches des humains car ils partagent avec eux des sentiments communs. « Mon Dieu, ce que c’est tout de même que de nous », soupira-elle en s’asseyant sur mes genoux, et puis ayant posé son verre sur sa lèvre, elle resta muette un moment. Plus tard, dans un instant de chaude confidence, elle m’avoua que son complément ne la désirait plus et que leur relation était un peu tendue. « Il a peur, me dit-elle, de ne pas arriver à une biunification intime avec moi ». C’est pourquoi, à cause des soucis qu’elle avait, m’avoua-t-elle, elle m’avait délaissé un peu ces derniers temps. Selon ce que j’entendis, au lieu de me rendre le service que j’étais en droit d’attendre d’elle pour mon salut, elle ne m’avait pas provoqué une vie assez difficile car dit-elle : « la souffrance et les épreuves sont indubitablement liées à la croissance spirituelle, faute de quoi l’âme humaine végète au lieu de grandir. S’ils veulent devenir parfaits, les hommes doivent subir des tribulations. Je reconnais ne pas avoir été à la hauteur de mon devoir, s’excusa-t-elle, mais pour soigner ma légère dépression mentale, le médecin m’a ordonné de prendre un peu de repos et m’a prescrit quelques trimestres de congés maladies. »
N’étant pas masochiste, elle fut tout excusée et je lui conseillai d’essayer de se renseigner pour savoir si elle n’avait pas droit à une invalidité permanente.
Elle devait trouver la position sur mes genoux assez confortable, car nous continuâmes à bavarder de tout et de rien encore un bon moment. Cela ne me déplaisait pas, au contraire! Je savais qu’un jour, à ma dernière heure, c’est elle qui viendrait me chercher et me transporterait là-haut dans un pays que je ne connais pas mais où je ne suis pas impatient d’aller. Je m’empressai de la remercier pour cela à l’avance et lui demandai aussi la permission d’emporter mon bateau et mon billard car j’étais beaucoup attaché aux deux. « Puis-je prendre en plus quelques pièces d’or pour soudoyer le portier, car je ne suis pas sûr qu’on veuille me laisser entrer gratuitement ? » Mais la belle ne m’entendait plus, elle venait de s’endormir dans mes bras.
Alors, je ne pus résister à la curiosité qui me tenaillait depuis l’instant où elle s’était assise : « Ne me jetez pas la pierre, vous auriez fait pareil ! », j’écartai quelques plumes, et, sans penser le moins du monde qu’elle aurait pu m’autoriser à faire un peu d’alpinisme, je vis qu’il n’y avait pas de vallée sous le mont de Vénus.
Jean-Claude Romeuf
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