© 2003 Joseph Le Dain et Séverin Desbuisson
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Ignorance | Le Lien Urantien — Numéro 25 — Printemps 2003 — Table des matières | Réveil soudain (deuxième partie) |
Il y a quelques semaines de mauvaises nouvelles nous étaient parvenues — Jacques était très malade. Souvent à l’approche du départ définitif d’un proche le remord nous prend de ne pas lui avoir rendu visite, ne pas avoir suffisamment fraternisé avec lui, ne pas avoir fait tous ce que nous aurions dû bref ne pas avoir fait ce qu’aurait fait Jésus…
Personnellement face à cette nouvelle je ne savais que faire mais Séverin eu l’idée de lui rendre visite pour pouvoir rédiger un article après son départ. Un rendez vous fut pris et le 24 février 2001. Nous nous rendîmes à Recloses. Sans doute avait-il quelque chose à dire, un dernier message à l’attention des ses frères qui continuent leur travail sur terre.
Il y a environ 1 an, conscient de son état de santé qui risquait de se dégrader rapidement, nous avions décidé de rencontrer Jacques Dupont. Nous ne le savions pas encore à ce moment, mais cela devait être la dernière fois sur cette terre. Voici le récit de cette expérience unique de vie et de fraternité :
Cet après-midi de février 2001 Jacques nous reçut pendant un peu plus de trois heures, nous le quittâmes à la tombée du jour non sans avoir vider, à trois, une bonne bouteille de cidre artisanal. Nous étions installés dans la salle à manger, un feu convivial était allumé. Tout l’entretien se déroula sous le regard des pinsons, moineaux, mésanges et autres passereaux qui virevoltaient puis se posaient à tour de rôle sur le bord de la fenêtre pour picorer quelques graines, tandis que d’autres profitaient des boules de graisse disposées idéalement sur le muret en face de nous. Grâce à une grande baie vitrée, nous avions une vue magnifique sur le sud-est de Recloses: la nature ne demandait qu’à être contemplée… La journée était plutôt froide et c’est sans surprise qu’à plusieurs reprise nous aperçûmes quelques flocons de neige.
« Bonjour Joseph, eh non ! c’est Séverin, Joseph c’est lui. Au fait lequel d’entre vous vient de Grenoble ? »
C’est ainsi que la conversation a conduit Jacques à nous parler de ses origines puis de sa vie.
Pour ma part je connais très peu Jacques mais j’en entends parler par d’autres lecteurs du livre, nombreux, qui ont été impressionnés par l’homme. Le mouvement Urantia français lui doit beaucoup. C’est donc avec beaucoup de respect que nous sommes venus lui rendre visite.
Jacques est né en 1914 à Paris. Il avait donc 87 ans. Bien que sa famille, d’origine alsacienne, ne fut pas très riche, les parents de Jacques avaient décidé de donner à leurs trois rejetons la plus haute formation possible. C’est ainsi que Jacques termina ses études à la Sorbonne par une licence en physique. Très tôt, le garçon s’intéressa à la religion mais la situation difficile de ses parents et de sa mère en particulier le révolta, la récession économique des années 20 sévissait.
Un événement tragique se produisit dans la petite famille vers 1935. La mère de Jacques avait pour habitude de garder le jeune fils de son frère. Alors que de l’eau bouillante venait d’être versée dans la baignoire du petit enfant ce dernier échappa à la surveillance de la grand mère et se brûla mortellement en plongeant dans la baignoire. Jacques ne comprenait pas comment Dieu pouvait permettre qu’une si bonne personne, généreuse et intelligente puisse subir une telle injustice. Il se rebella: lui qui souhaitait devenir prêtre, décida de placer Dieu au second plan! C’est aussi pendant ses dernières année d’étude qu’il lui fût proposé, comme à beaucoup d’étudiants de cette époque, de piloter des avions; la France manquait de pilotes. Il apprécia beaucoup ces moments et bâtit, dans son mental, l’espoir d’en faire un jour son métier.
Plus tard, il fit son service militaire en tant qu’officier de cavalerie. Globalement, il apprécia cette année qui lui permit, entre autre, d’apprendre à monter à cheval.
De retour dans la vie active, il lui fallut rapidement gagner sa vie. Il donna donc des cours dans une école parisienne.
Trois ans après, la seconde guerre mondiale éclata. Jacques se trouva affecté comme officier dans un régiment d’artillerie. Mais il refusa d’obéir aux ordres d’attaque qui lui furent transmis. Le jeune homme n’acceptait pas de tuer ses frères, fussent-ils allemands. On le transféra aux transmissions. Pendant ces quelques mois de guerre il subit un soir un bombardement particulièrement pénible. Chacun cherchait alors à sauver sa vie et Jacques, comme beaucoup de ses camarades, courait à tout va dans l’espoir d’échapper aux obus. Une profonde réflexion naquît tout d’un coup dans son mental: « Pourquoi ai-je peur? Je suis un poltron! De toute façon, je ne peux pas prédire les points d’impact des bombes!» Il se maîtrisa, s’arrêta de courir, et s’entendit dire « mon Dieu protège moi ». C’est alors que sa raison se mit à réagir: « Comment toi, qui a mis Dieu au second plan il y a quelques années, à la première escarmouche tu prie Dieu de te donner la vie sauve? Non, il faut être logique jusqu’au bout il n’y a pas de Dieu !.. » et la raison, avait une fois encore, eu raison de son cœur.
Quelques mois plus tard, de retour à Paris, il reprit ses fonctions de professeur. En 1942 la France était occupée : des militaires allemands débarquèrent dans la maison familiale. Ils cherchaient son frère qu’ils soupçonnaient d’appartenir à la résistance et de préparer des embuscades parfois mortelles pour les Allemands. Son frère n’étant pas à la maison les nazis donnèrent un délai pour qu’il se rende au commissariat. S’il ne se présentait pas, la famille toute entière serait déportée. Le frère revint à la maison et une discussion s’engagea entre lui et Jacques. La décision à prendre était grave: en allant au commissariat, son frère serait sans aucun doute tué mais, pire, il endurerait un interrogatoire infernal au cours duquel il risquait de divulguer les noms de tous ses camarades résistants. Les deux frères tombèrent d’accord: Jacques se présenterait aux allemands.
Après de longues heures d’attente Jacques fut envoyé à la prison de Fresnes, on le plaça au cachot pour y rester 3 mois. Les premiers jours furent difficiles mais Jacques nous dit s’y être adapté. Pourtant, la zone d’emprisonnement dans laquelle il se trouvait était en quelque sorte la zone de la mort. En effet, pour tout allemand tué dans Paris où à proximité, l’un des prisonniers était fusillé. Souvent, le matin, très tôt, il entendait le bruit des bottes descendre vers sa zone, se diriger vers l’une des cellules proches, prendre le prisonnier, puis le conduire avec des cris de désespoir, au poteau d’exécution. Jamais, les bottes ne s’arrêtèrent à sa cellule.
Les jours passèrent, Jacques reçut le livre des prisonniers: une bible avec les messes en latin. Il nous dit l’avoir appris par cœur, pour passer le temps. Et puis, il eu une révélation: avant, il ne croyait pas, puis, il recouvra la foi, elle lui apportait la paix et la joie. Alors, peu lui importait de mourir, il croyait. Il fit néanmoins un vœu: s’il s’en sortait il communierait pendant une semaine.
Trois mois après, il sortit, et regagna le foyer de ses parents. Le lendemain il se rendit dans une église et chercha à se confesser. Après quelques paroles le prêtre lui demanda des détails sur ses relations amoureuses. Jacques était offensé, il quitta promptement l’église non sans avoir dit au prêtre ce qu’il pensait de cet interrogatoire stupide et du peu d’intérêt que Dieu pouvait lui porter.
Pour la sécurité de sa famille, il se rendit alors en zone libre, à Vichy. C’était en 1942, il prit la direction de Vichy où il trouva un travail de fonctionnaire. Là, il encadra une équipe qui s’occupait de la région Alsace.
En réponse à l’appel de son cœur, il trouva une nouvelle église et proposa ses services comme enfant de cœur. Il connaissait le livre de messe par cœur à la suite de son séjour en prison et souhaitait honorer la promesse de communier pendant une semaine qu’il avait faite à Dieu. Le prêtre consentit et rendez vous fut pris à 6 h 00 le lendemain matin.
La messe se déroula normalement et alors que les deux hommes allaient se séparer, Jacques fit part au prêtre de son souhait de répondre à la messe du lendemain. Le prêtre refusa, il reprocha à Jacques de ne pas avoir agité la clochette correctement! Jacques se sentit une fois de plus profondément déçu par cette église pourtant seul lien connu avec Dieu.
Ce fut le déclic d’un nouveau point de départ: la connaissance des autres religions. Il y avait sûrement, sur cette planète, des groupes de croyants vraiment sincères, capables de partager une expérience spirituelle digne et non accrochés à des traditions puériles. Il chercha assidûment et découvrit les belles philosophies des religions du monde et notamment la philosophie hindoue de Krishnamurti. Mais, aucune ne satisfaisait réellement cette âme assoiffée de vérité.
Pendant la guerre son frère docteur et résistant fut finalement pris par les allemands et déporté dans un camp de la mort avant d’être libéré. Il eut beaucoup de difficultés à avoir des nouvelles de son frère.
La guerre cessa et rapidement Jacques regagna Paris et retrouva sa famille et son frère. Il y travailla en tant que professeur. Et, pour arrondir les fins de mois il parcourut Paris, entre les cours, pour vendre toutes sortes d’objets à commencer par des couteaux. Les affaires marchaient si bien qu’il gagnait plusieurs fois son salaire entre les heures de cours. Il décida rapidement de stopper les cours et de consacrer sa carrière à la vente. Les fins de mois étaient honorables, son travail honnête. Jacques n’était pas de ceux qui profitaient d’autrui Généralement il fixait même son prix en dessous de la moyenne. En fait la France manquait de tout et le commerce fleurissait.
Mais son grand objectif était de devenir ingénieur pilote dans l’industrie — sa passion du pilotage d’avion revenait. Pour cela il repris les cours et obtint sa licence en mécanique des fluides. Puis il se présenta à différents employeurs en aéronautique. Il fut alors déçu d’apprendre qu’à cause de sa faible vue le pilotage lui serait interdit, qu’il était contraint de travailler au sol. Il revint donc à ses activités commerciales. La vie devint matériellement plus facile et décida l’achat d’une traction pour parcourir la France. Il fut pendant un temps responsable d’une région française pour la vente d’un produit.
Un jour l’idée lui vint de réaliser luimême certaines opérations qu’il sous traitait comme le polissage. Il acheta une machine et l’installa dans la cave d’une copine. La nouvelle activité était telle que rapidement il embaucha un puis deux puis trois employés. Après le polissage il s’intéressa à la protection des métaux. Elle devint sa principale activité sa profession, sur le plan matériel.
Sa quête spirituelle se poursuivit après la guerre. Il prit l’habitude de fréquenter une librairie à l’Odéon pour y rechercher la nourriture que son âme réclamait. En 1962, alors qu’il était sur le point de stopper toute recherche se résignant à vivre avec un concept personnel insatisfaisant de la réalité spirituelle, son ami libraire l’informa d’une toute prochaine parution dont il ne possédait que le sommaire. Jacques le lut, puis, s’adressa au libraire : « ce livre est comme les autres, il ne m’apportera jamais ce que je cherche. » En fait, c’était l’inverse: ce sommaire répondait à sa soif de vérité mais Jacques n’y croyait pas et se méfiait de tant d’espoirs si souvent déçus. Jacques travaillait désormais dans le domaine de la protection des métaux, il s’en retourna à l’atelier. Puis, le lendemain, alors qu’il polissait en ressassant ces heures de réflexion sur les événements de la veille, il décida de retourner à la libraire. Coïncidence, une fois sur place, le traducteur, Jacques Weiss, était également présent. Ce dernier cherchait une source de financement pour la première édition grâce à l’intérêt suscité par la lecture d’exemplaires du sommaire dans différentes librairies. Arrivé chez ce dernier il lui fit part de son souhait de rencontrer le traducteur. Comme par hasard le traducteur était là, et Jacques fit pour la première fois connaissance avec Jacques Weiss. Le livre d’Urantia était en fin de traduction et le traducteur cherchait, en déposant le sommaire chez le libraire, trouver quelque financement pour sa première édition. Jacques, confiant dans les propos du traducteur et pressé de lire le livre contribua à cette édition qu’il découvrit achevée quelques mois plus tard. Toujours en 1962, le livre était dans les mains de Jacques. La longue lecture commençait.
Nul doute, cet ouvrage était une réponse magistrale à ce qu’il cherchait depuis tant d’années, mais, soucieux de s’approcher au plus prés du texte original il se procura la version américaine et entreprit, parallèlement, l’étude de la langue de Shakespeare.
Des incohérences apparaissaient dans le fond de son cœur — sûrement des erreurs de traduction se disait Jacques. Il acheta donc la version originale en langue anglaise et se documenta sur la langue de Shakespeare. Il remarqua nombre d’erreurs. Parallèlement il participa à tous les groupes d’étude organisés par le traducteur et ils devinrent amis pour un temps.
Sa passion du livre le conduisit jusqu’aux Etats-Unis où il rencontra, accompagné de Jacques Weiss, la communauté américaine et en particulier le docteur Sadler. Les relations de JW se brouillèrent avec la Fondation. Cette dernière souhaitait avoir un contrôle sur la diffusion du livre en France, et en particulier une limitation de la première édition à 500 livres. Or JW en fit environ 2000 ce qui ne tarda pas à parvenir aux oreilles de la Fondation.
Plus le temps passait plus la Fondation était, selon le traducteur, l’auteur de tous les maux — il en venait même à les accuser de voleurs, menteurs…lors des groupes d’étude. Un chapitre noir commençait pour la toute nouvelle communauté Urantienne française. La tentative de falsification du copyright par JW mit fin à la relation entre les deux hommes.
D’après Marlène, vers 1982, Jacques finança une machine pour imprimer le LU en français. La machine fut installée chez M. Hiess, chargé de la reproduction. La fondation accorda 5000 exemplaires. Quelques mois plus tard elle découvrit qu’il en avait été imprimé le double. Il s’en suivit une enquête par les avocats de la Fondation qui récupérèrent les plaques
Au cours de la décennie 80 Jacques participa activement à la correction de la traduction et à de nouvelles éditions du livre. Parallèlement, il s’impliqua dans le CERDH et dans la revue francophone « La lettre ». Le mouvement Urantien en France lui doit beaucoup.
Jacques reprit alors contact avec les Américains et entreprit une nouvelle édition en corrigeant la traduction initiale. Les premiers livres de cette version officielle sortirent vers la fin des années 1980. Après cette séparation, vers 1982-83, Jacques créa également l’association CERDH centre d’étude et de recherche sur la destinée humaine – et la revue « La lettre » dont les contenus sont accessibles sur le site francophone de la Fondation.
Un événement pénible se produisit vers 1987, le frère de J mourut. Son corps fut utilisé par la science en accord avec ses dernières volontés. Sa dernière visite, à l’hôpital, à son frère médecin le choqua particulièrement — le corps encore vivant était déjà l’objet d’expérimentation. Ce souvenir était si douloureux que Jacques choisit d’oublier son frère en l’effaçant de sa mémoire.
Au début des années 1990 l’AFLLU remplaça le CERDH, Jacques en profita pour se retirer de ses activités de groupes d’études afin d’être d’avantage disponible pour Dieu. Il nous dit: « Plus l’âge avance, plus les activités matérielles d’un individu diminuent au profit de ses activités spirituelles. » Il resta encore, néanmoins actif et contribua encore à des études et à des ouvrages sur les thème des fascicules.
Les activités de groupe d’étude et de revue locale furent reprises par son fils Georges. Puis en 1996, elles ont été transférées à FlR pour que Georges puisse se consacrer complètement à ses nouvelles responsabilités de trustee.
Depuis la fin du CERDH, Jacques s’est consacré à plusieurs activités : réponses aux questions des lecteurs, réalisation d’un mémoire pour les générations plus jeunes. Ainsi « Le voile se lève » est né. Actuellement Jacques se consacre à des réflexions et à une lecture complète du livre afin d’essayer de spécifier le nouveau culte que la révélation nous demande de bâtir.
Vers 17 h 30 s’est terminée une discussion de trois heures. Puis Jacques nous a invité à trinquer avec lui avant de nous séparer. Et nous avons discuté encore quelques instants en abordant les problèmes de transmission des enseignements du livre puis nous nous sommes séparés vers 17 h 45 .
De cet échange nous n’avons retenu que les expériences et anecdotes propres au sujet spirituel. La vie de Jacques est évidemment bien plus riche et inclut des domaines personnels, familiaux et professionnels. En dernier mot nous voudrions lui souhaiter « bon voyage » dans l’aventure qui l’attend et citer le livre d’Urantia en précisant qu’il illustre parfaitement à nos yeux, par son courage et sa persévérance, les propos qui suivent :
« Aujourd’hui, mon fils, tu dois naître à nouveau, rétabli en tant qu’homme de foi, de courage et de service dévoué aux hommes pour l’amour de Dieu. Quand tu seras ainsi réadapté en toi-même à la vie, tu seras également réadapté à l’univers ; tu seras né de nouveau né de l’esprit — et désormais toute ta vie ne sera plus qu’un accomplissement victorieux. Les malheurs te fortifieront, les déceptions t’éperonneront, les difficultés te poseront des défis et les obstacles te stimuleront. Lève-toi, jeune homme! Dis adieu à la vie de peur servile et de fuite lâche. Retourne vite à ton devoir et vis ta vie charnelle comme un fils de Dieu, un mortel dévoué au service ennoblissant de l’homme sur la terre et destiné au magnifique et perpétuel service de Dieu dans l’éternité. ». (LU 130:6.4) Fascicule nº 130 — Sur le Chemin de Rome — Le jeune homme qui avait peur.
Joseph Le Dain et Séverin Desbuisson
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