© 2014 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
L’amour de soi n’encourage pas au recroquevillement égoïste. C’est un amour destiné à s’épanouir dans un ébrasement à l’autre. C’est l’amour que je me dois au quotidien pour jouir de la vie et aimer les autres.
Mais quel rapport avec mon autodéfense et cette implacable éjection ?
Si je n’observe pas le conseil d’Aristote, si je ne m’aime pas un tant soit peu, en l’occurrence si je me méprise parce qu’on m’a jeté, alors tout lien, toute attache me paraît haïssable, tant envers moi qu’envers les autres. Je risque de devenir à mon tour une machine à éjection, une catapulte inflexible. Toute cette fragilité que je méprise en moi, je la rejette chez les autres ; chaque faiblesse est une prochaine victime. Chaque détresse une irritante aversion. Mais si je parviens à m’aimer dans la verdeur comme dans l’abattement, je renoue avec le miracle du cœur. Ma tendresse s’évase à l’infini, elle dépose sur chacun une poussière étincelante telle la douce caresse d’un vent bienveillant.
Alors plus rien ne se clôt en moi, rien ne s’arrête ni se cadenasse. Je garde une amitié pour tout ce qui vacille, tout ce qui fléchit, jusqu’au vertige incessant de ma fragilité. Je me découvre comme je découvre l’autre, autrement. Je le regarde tel qu’il se donne; ce n’est plus l’autre comme une chose utile, à éjecter ou à bazarder, mais l’autre dans sa singulière fraîcheur, dans son unicité débordante, dans son inestimable singularité. Bientôt, j’aperçois sur son visage une lueur providentielle, lucarne pleine d’espérance, promesse d’infini : « Tout visage qui me fait-face est une ouverture vers l’infini, et c’est cette ouverture qui non seulement m’impose une attitude morale mais également me désenclave de l’être dans lequel je suis embourbé en me guidant vers cet autrement qu’être que sont l’amour et la responsabilisation à l’égard de l’autre homme [^1]. »
Cette parenthèse d’infini se répand en moi dans une évidence lumineuse ; elle m’étire à l’autre infiniment, m’y relie dans un véritable essor. Loin des rencontres que la seule consommation appelle. Loin des amitiés interchangeables. Loin des prévenances intéressées, mais près, beaucoup plus près.
Plus près de moi, plus près de l’autre.
1. Morad El Hattab, Chroniques d’un buveur de lune dur le mal et l’amour, Albin Michel, 2006 p 241
Publié aux Presses de la renaissance
Alexandra Ahouandjinou