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Les Funérailles Célestes | Le Lien Urantien — Numéro 55 — Été 2011 — Table des matières | Lumière 05-08 mai 2011 |
Moi, je suis juif, de Tarse en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom … Cette apparente fierté de Paul par rapport à sa ville natale est bien légitime. En effet, située au sudest de l’Asie Mineure (aujourd’hui en Turquie), en Cilicie, dans une plaine basse, non loin de la chaîne montagneuse du Taurus qui culmine à 3’585 m, Tarse est, à cette époque, un carrefour commercial et culturel entre l’Orient et l’Occident.
La Cité est nichée juste à la sortie du défilé du Calycadnos, appelé les « Portes Ciliciennes ». Cette gorge profonde, creusée laborieusement par la rivière Cydnus à travers les massifs abrupts du Taurus, est l’unique lieu de passage entre la plaine côtière et le plateau anatolien.
Sur les contreforts du Taurus, on élève des troupeaux de moutons et surtout des chèvres dont les poils servent à fabriquer une toile solide et rugueuse qui a gardé jusqu’à nos jours le nom de « cilice ». Si la plaine de Cilicie a la réputation d’être humide et insalubre, elle est aussi très fertile. On y cultive le blé, la vigne, l’olivier et aussi le lin. Á côté du commerce des parfums, des aromates et du vin, un artisanat de tissus de laine et de lin y est particulièrement réputé et florissant.
De plus, Tarse est située à une quinzaine de kilomètres de la mer Méditerranée, sur la rive droite de la rivière Cydnus. Ses eaux alimentent une petite lagune aménagée en port.
Certains bateaux, chargés entre autres du blé et du lin d’Égypte pouvaient donc remonter le Cydnus, aménagé et rendu navigable jusque sous les remparts mêmes de la ville de Tarse. Cette ouverture sur la mer Méditerranée et, par les Portes Ciliciennes, sur les plateaux de Cappadoce et de l’actuelle Anatolie, font de Tarse un carrefour de routes et de civilisations.
A l’époque de Paul, une partie de la Cilicie est encore soumise à un roi local, tandis que la ville de Tarse et son territoire immédiat sont gouvernés par un intellectuel, un philosophe stoïcien, Athénodore, originaire de Tarse, ancien précepteur de l’empereur Octave Auguste. Sa population est très hétérogène… Si dans cette Cité cosmopolite, les Grecs sont les plus nombreux, la colonie juive, groupée autour de la synagogue, comme dans toutes les grandes villes du bassin méditerranéen, est très importante, puissante et prospère.
Quand Paul y est né, vers l’an 6, Tarse a le privilège de posséder une université, aussi réputée que celle d’Athènes ou d’Alexandrie, où enseignent des maîtres de renom. Et de fait, presque toutes les grandes figures du mouvement de philosophie morale que l’on appelle le « stoïcisme » sont originaires de Tarse.
C’est aussi une ville où la religion tient une place prépondérante, car ce monde gréco-romain, dit païen, est en fait très religieux. Dans la religion officielle cohabitent des divinités diverses. On y vénère surtout Sandon, divinité locale, originaire d’Anatolie, antique dieu agraire, identifié successivement avec Héraclès, Zeus, puis Jupiter.
Au cours de son enfance, Paul a nécessairement entendu parler et même probablement assisté aux débordements publics des différentes religions initiatiques, ésotériques — d’où leur nom de « religions des mystères » — tel le culte de Mithra, en grande vogue dans tout l’Orient. Cet engouement pour de telles pratiques s’explique par le fait que le culte officiel, formel et stéréotypé, ne comble plus les aspirations profondes d’une population en quête de réponses sur le salut de l’homme et de la vie dans l’au-delà.
Non seulement Paul affirme sans complexe: Je suis moi-même israélite, de la descendance d’Abraham mais il se dit encore plus explicitement « Hébreu » et « fils d’Hébreu ». Ce qui laisse supposer qu’il est de souche palestinienne et que chez ses parents on parle encore en famille la langue hébraïque ou l’araméen. D’ailleurs, ils lui ont donné un prénom hébreu « Shaoul ». « Paulus » sera son nom romain (Paulos en latin grécisé). La coutume du double nom, hébreu et romain, est un usage répandu à l’époque chez les Juifs.
Il est fort vraisemblable que ses parents sont des négociants en textile. De fait, Paul, au cours de ses voyages, entrera spontanément en relation avec des artisans et des commerçants du textile : Lyddie, une marchande de pourpre, à Phillippes, des tisserands, à Corinthe, des teinturiers ou des marchands de laine à Éphèse.
Et lorsque, plus tard, il entreprendra l’évangélisation de la Lycaonie, il suivra spontanément la route commerciale qu’empruntaient habituellement les artisans et les marchands de Tarse pour aller y acheter la fameuse laine de chèvre élevées sur les pentes du Taurus.
Enfin Paul, lors de ses longues escales, tiendra à assurer sa subsistance en « fabriquant des tentes ». C’est probablement le métier qu’il a appris au sein du cadre familial. Et il exprimera toujours sa plus haute estime pour le travail manuel qu’il exerça comme ouvrier salarié. Il tiendra à gagner sa vie pour ne pas être à charge des communautés.
La famille de Paul fait donc partie de ces notables juifs immigrés, enrichis dans l’import-export, dont certains membres, implantés dans tout le bassin méditerranéen, dans les ports et les grands carrefours commerciaux, sont devenus transporteurs ou dirigent des comptoirs.
Ce système de fonctionnement — appelé « parentèle » -permet à un clan familial de développer ses affaires à l’échelle internationale, sous la forme d’une entreprise à succursales multiples, administrées par des « parents ».
Et il semble bien que Paul — comme l’indiquent certains détails au fil de ses lettres — ait de la famille dispersée, aussi bien en Cilicie qu’en Macédoine, à Jérusalem ou à Rome, avec qui il entrera facilement en contact au cours de ses voyages. Juif de la Diaspora, Paul bénéficiera donc, de par ses origines, d’un véritable réseau d’échanges et de solidarités internationales qui lui sera bien utile dans son itinérance apostolique.
Sa vocation missionnaire n’est pas non plus étrangère à ce terreau familial, car certains de ces marchands juifs de la Diaspora sont, non seulement de grands voyageurs, mais aussi à l’occasion — surtout s’ils sont pharisiens — de zélés propagateurs de leur religion.
Paul n’est pas fils unique. Nous savons qu’il a au moins une sœur.
Paul insiste aussi fortement sur ses origines pharisiennes Dans un discours devant le Sanhédrin, il s’affirmera encore pharisien et fils de pharisiens. Il appartient donc à une famille observante et lettrée.
Paul est aussi « citoyen romain ». S’il n’en fait aucune allusion dans ses lettres, selon les Actes des Apôtres, il n’hésitera pas en certaines circonstances à se prévaloir de ce « droit de naissance ». Il le revendique fièrement face au centurion de service quand, en l’an 58, après avoir été arrêté sur l’esplanade du Temple et emmené de force dans la forteresse Antonia, les soldats s’apprêtent à le flageller.
Si Paul est « citoyen romain » de naissance, cela veut dire que l’un de ses ancêtres a mérité cette honorable distinction. Il y a deux manières pour un juif de la Diaspora d’obtenir la citoyenneté romaine. Être emmené à Rome comme esclave, puis une fois affranchi, devenir citoyen romain et revenir en Orient. Ou bien obtenir cette faveur en récompense de services importants rendus à l’État.
Dans ce cas, le nouveau citoyen prend le nom du magistrat ou de l’Empereur qui lui accorde ce privilège. Les noms et les qualités des nouveaux citoyens sont enregistrés dans les archives du pouvoir central de Rome. C’est probablement de cette manière que le grand-père de Saul est devenu citoyen romain.
Par ce « privilège », vous devenez citoyen romain à part entière aussi bien à Rome que dans la ville où vous habitez. Vous avez le droit de porter la toge blanche, voix active et passive dans les élections, vous êtes dispensés des peines corporelles déshonorantes, telle que la flagellation, vous avez « droit d’appel », c’est-à-dire que dans un cas grave, vous pouvez revendiquer d’être jugé uniquement par le tribunal impérial. Et dans le cas d’une condamnation à mort, le supplice infamant de la crucifixion est remplacé par la décapitation.
Ce privilège comporte aussi des devoirs : l’obligation de payer l’impôt, du service militaire, du culte aux divinités de l’Empire… Mais dans les villes, les juifs bénéficient de nombreuses exemptions obtenues pour leur peuple.
Les pharisiens étaient convaincus de l’universalisme du salut annoncé par les prophètes. Ils avaient une grande subtilité d’esprit et avaient constitué une tradition casuistique, une loi orale qui finissait par régir les consciences avec autant de force que la Torah écrite de Moïse. Peu nombreux (environ 6000 ), ils étaient néanmoins l’élément le plus actif et le plus influent de la société juive.
Saul a certainement fait de longues études. Ayant grandi et reçu sa première éducation dans sa famille de Tarse, son enfance, comme celle de tout enfant juif, est marquée par l’étude de la Bible hébraïque dans laquelle il a appris à lire.
L’éducation biblique étant la première préoccupation de tout père juif, Paul connaît quasi par cœur le Pentateuque, les Psaumes et les Prophètes. Ses écrits témoignent qu’il est pétri de Bible. Né « Hébreu et fils d’Hébreux », il appartient à une famille où l’on continue à parler habituellement l’hébreu, par opposition aux Juifs hellénistes qui n’utilisent plus que le grec. Maîtrisant parfaitement cette langue sacrée et liturgique, il est donc capable de lire directement, à la synagogue, les rouleaux de parchemin de la Parole de Dieu.
En plusieurs circonstances, Paul manifeste qu’il est aussi capable de parler l’araméen qui se maintient encore en Palestine comme langue parlée et littéraire. C’est aussi en famille ou à Jérusalem qu’il a appris à le lire et même à l’écrire, pour pouvoir utiliser les « targoums » (recueils d’interprétations des livres sacrés en langue vulgaire).
Paul parle aussi le grec, la langue commune internationale, appelée la « koiné» et utilisée dans tout l’Empire. Á Tarse, comme partout dans la plupart des régions hellénisées, même sous juridiction romaine, les enfants de la Diaspora juive reçoivent une éducation bilingue ou même trilingue. Selon l’usage courant de l’époque dans les familles aisées, ses parents ont probablement dû faire appel aux services d’un esclave de bonne origine.
Le grec de Paul est celui des gens cultivés de son temps, qui bien entendu n’emploient plus la langue de Démosthène, mais celle des gens d’affaires. C’est aussi la langue véhiculaire des milieux intellectuels en Palestine. Car si, à cette époque, les couches populaires parlent encore en araméen, la population cultivée a une bonne connaissance du grec parlé courant. Paul aura recours à cette langue pour entrer en contact aussi bien avec les juifs de la Diaspora qu’avec les juifs hellénistes installés à Jérusalem. Il maîtrise assez bien le grec car, apparemment, on ne lui reprochera jamais, même à Athènes, une faute de langage. Et même, vers la fin de sa vie, sans doute rôdé au cours de ses nombreux voyages et au contact des communautés hellénistiques, son grec parvient à être parfois éloquent.
De plus, les citations de l’Ancien Testament qu’il utilise dans ses lettres manifestent qu’il se sert souvent de la Bible dans sa traduction grecque.
Paul empruntera encore bien d’autres concepts tels que « conscience », « maîtrise de soi », » liberté », «église » (ecclésia) et même parfois un vocabulaire emprunté aux religions, à des mystères auxquels il donnera une signification nouvelle et qui lui serviront à élaborer la première réflexion théologique chrétienne.
Il n’est pas non plus surprenant que Paul soit capable de citer des vers de poètes grecs Grecs, car tous les prédicateurs juifs possédaient quelques notions élémentaires sur la littérature et les principaux courants de la philosophie grecques, que l’on trouve dans les manuels populaires, tels que le stoïcisme ou le platonisme.
Mais, tous ceux qui ont tenté de démontrer que Paul, par détournement intellectuel, a édulcoré la fraîcheur du message évangélique et a été le véritable fondateur du christianisme dogmatique, ont échoué. Car, nous le verrons, le point de départ de la réflexion paulinienne n’a jamais été une doctrine déterminée, juive ou hellénique, mais un Événement qui l’a bouleversé : la « révélation » du Christ ressuscité qui sauve l’humanité du mal et de la mort.
Mais il est évident que cette culture hellénistique a complété heureusement celle du jeune Juif et a préparé le futur apôtre des païens à plus d’ouverture, d’universalisme.
L’influence culturelle du grec est aussi manifeste dans certaines de ses références fréquentes au thème de l’athlétisme : l’effort, la course, la couronne que remporte le vainqueur, le prix du combat.
Paul fréquente-t-il les stades, dans sa jeunesse à Tarse, et plus tard au cours des Jeux olympiques à Corinthe ? On sait que les Juifs évitent de participer à ces concours où les athlètes courent et s’affrontent nus. Mais, ce qui est sûr, c’est que Paul est parfaitement au courant de cette dimension importante de la vie de ses concitoyens.
Comme cela se fait aussi très couramment dans les familles immigrées, dès l’âge de 12 ou 14 ans, le père de Saul doit l’envoyer assez vite poursuivre ses études à Jérusalem. Il l’aurait confié au plus hellénisé et au plus libéral des maîtres de ce temps, Gamaliel… En fait, Paul se reconnaîtra toujours deux patries : Tarse, sa ville natale et Jérusalem, la ville de ses études universitaires. Paul reçoit également une solide formation de juriste. Il apparaîtra, aux yeux de ses compatriotes, comme un redoutable débatteur et un plaideur quasi professionnel, auquel il vaut mieux opposer un homme de métier Il acquiert aussi quelques rudiments de médecine, puisqu’il se montre capable, lors de l’escale à Malte, d’aider à soigner les malades. Doué d’une intelligence vive et d’une grande sensibilité, il tirera le meilleur parti d’un enseignement encyclopédique et de ses connaissances linguistiques. Il sera spontanément curieux de tout apport pluriculturel, interreligieux. Ceci dit, Paul demeurera toujours et profondément juif. Sa conception de l’homme, par exemple, restera parfaitement sémitique.
Paul s’est-il marié ? Ce n’est pas impossible. Les rabbins, hier comme aujourd’hui, n’ont jamais apprécié le célibat!
Mais en général le mariage est considéré comme un devoir. Paul est-il veuf? Sa femme est-elle juive lorsqu’il est devenu chrétien ? Nous ne savons rien en ce domaine.
Par contre, autour des années 53-54, quand il rédige la première lettre aux Corinthiens, il est manifestement sans femme, car il y fait une brève apologie du célibat et conseille aux non mariés et aux veuves de demeurer comme lui (1 Co 7,7-8), sans pour autant en faire un « modèle » qui s’imposerait à tous. Il considère même son célibat comme un « don du Seigneur » qu’il trouve parfaitement accordé à sa vie d’apôtre itinérant (1 Co 7).
Quoi qu’il en soit, celui qui est capable, comme Paul, de nager sans interruption un jour et une nuit après un naufrage, ne doit pas être du genre chétif ! Quant à la fameuse « écharde dans sa chair » à laquelle il fait lui-même allusion toutes les hypothèses ont été envisagées, depuis les migraines ou la malaria jusqu’à l’épilepsie!En fait on ne sait pas. Ce qui est certain, c’est qu’il faut avoir un tempérament plutôt robuste pour supporter tous les voyages qu’il va entreprendre et surtout les conditions dans lesquelles il les fera! Sans parler des mauvais traitements qu’il aura à subir !
Homme de petite taille, à la tête chauve, aux jambes arquées, vigoureux, aux sourcils joints, au nez légèrement crochu, plein de charme. Car tantôt il paraissait un homme, tantôt il avait le visage d’un ange.
Tout de son milieu familial, de son enfance et de son éducation, laisse entrevoir combien cet homme est particulièrement préparé pour la mission que Dieu va lui confier.
Paul, bien que d’une dizaine d’années plus jeune, est contemporain du Christ qu’il ne rencontra pourtant jamais avant l’éblouissement de Damas, comme il l’indique lui-même. Ce qui ne l’empêchera pas de lui vouer une passion ardente. Pourtant que de choses les séparent!
Paul est un citadin, Jésus est un rural ! Nazareth n’est qu’une bourgade juive, quasi inconnue, dans les collines de Galilée. Paul est citoyen d’une prestigieuse et grande ville de l’Empire et étudiant à Jérusalem. Paul, enfant de la ville, en aura l’allure décidée, le goût de l’organisation, la verve parfois sarcastique.
Jésus, lui, est un villageois. Il se réfère sans cesse aux images de la nature : le souffle du vent, les champs et les vignes, le laboureur et le berger avec ses troupeaux. Ses paraboles sont l’écho des collines, du ciel et du lac de Galilée. Paul est l’homme de la cité, du droit, des jeux du stade et de la discipline militaire. Il gardera aussi cette inquiétude de l’homme de la cité trépidante. Il sera un brasseur d’idées et de foules.
Créatif, il pourrait faire une brillante carrière d’avocat. Il sait se mettre à portée de son auditoire et épouser ses préoccupations. Il a l’art des formules, parfois obscures.
Selon « Sur les traces de saint Paul », Guide historique et spirituel c/ º Desclée De Brouwer
Michel Hubaut
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