© 2004 Olga López
© 2004 Association Urantia d'Espagne
Il y a quelques mois, dans l’édition du 23 avril du journal « La Vanguardia », j’ai lu une interview de Mario Liverani, historien et archéologue italien spécialiste du Proche-Orient ancien. Cet entretien portait sur l’émergence de l’écriture, que l’historien datait d’environ 3 200 av. J.-C. en Mésopotamie. En voici un extrait :
—Et l’écriture ? Est-elle connue quand elle apparaît ?
—Vers 3 200 av. J.-C.
—Où ?
—Juste là, en Mésopotamie. Et, au même moment, on le retrouve aussi en Égypte.
—En parallèle et sans contact entre les deux ?
—Il s’agit de deux écritures distinctes, sans influence mutuelle. Il y a cependant eu contact, comme en témoignent les motifs décoratifs mésopotamiens en Égypte.
—Peut-on attribuer à quelqu’un l’honneur d’être l’inventeur de l’écriture ?
Non. Il existe deux théories… L’une soutient que l’écriture est une invention progressive. L’autre soutient qu’un système aussi complexe, mais complet et cohérent, a dû être l’œuvre d’un seul esprit humain.
—Et qu’en dis-tu ?
—Tous deux ont raison : depuis la préhistoire, il y a eu des tentatives d’enregistrer les choses, et il arrive un moment où quelqu’un fait un saut colossal et organise méthodiquement ces tentatives.
—Existait-il une « écriture préhistorique » ?
—Il y avait quelques petits morceaux d’argile cuite (ou de pierre) avec un signe gravé dessus : une croix, par exemple.
Chaque petit morceau symbolisait un mouton, et ils étaient placés dans un récipient en argile, qui symbolisait un troupeau de moutons.
—Une préhistoire de l’écriture, alors…
—Alors ce signe du petit pied a été utilisé comme un signe isolé, sur une surface : une croix signifiera alors « mouton » ! Ce processus graduel mènera à l’écriture.
—Quel est le plus ancien document écrit connu ?
—Les tablettes d’Uruk, datant de 3200 av. J.-C., en Mésopotamie. Les signes étaient inscrits sur des tablettes d’argile tendre à l’aide d’un roseau. Il s’agit d’une écriture cunéiforme, ou en forme de coin.
—Pourquoi ça s’appelle comme ça ?
—Parce que les signes ressemblaient à de petits clous, à des coins, en raison de l’angle sous lequel le roseau frappait l’argile molle. Les signes étaient des dessins stylisés, faits de lignes, et représentaient des objets concrets, sans verbes.
—Quelle langue contenait cet écrit ?
—Sumérien. Il s’est ensuite répandu dans toute la région et a été utilisé pour désigner le babylonien, le hittite (en Anatolie, aujourd’hui en Turquie), le cananéen (en Syrie)…
—L’invention de l’écriture a-t-elle modifié le cours de l’histoire humaine ?
—Cela l’a radicalement transformé ! Écrire impliquait un changement mental. Cela impliquait une nouvelle façon de concevoir le monde. Cela impliquait de l’ordonner en une série fermée de catégories représentables par des signes : « mouton », « brebis femelle », « mouton mâle », « mouton reproducteur », « mouton non reproducteur », « mouton gestant », « mouton non gestant »…
—La réalité est « informatisée ».
—Eh bien, oui. Cela nous permet de le maîtriser, et pour cela, il faut le simplifier. C’est là tout l’exploit de l’écriture ! L’écriture n’était pas seulement un outil ; elle impliquait une révolution mentale. Elle est à l’origine de la grande révolution urbaine.
—Les grandes villes apparaissent-elles ?
États complexes, grandes civilisations : l’écriture est l’instrument indispensable : comment organiser autrement une économie complexe ? Ces premières tablettes écrites enregistrent les inventaires, les transactions commerciales, les recensements, les archives administratives…
—Où l’écriture s’est-elle répandue ?
De la Mésopotamie vers l’ouest : la Syrie, la Palestine… Et aussi vers l’Iran. Et aussi vers la péninsule arabique. Et, deux mille ans après l’invention de l’écriture, survint l’autre grande révolution…
—Lequel ?
—L’invention de l’alphabet ! C’est l’alphabet proto-cananéen, vers 1200 av. J.-C. Les autres alphabets en dériveront : phénicien, ibérique, grec, hébreu, latin…
—Celui que j’ai utilisé pour cette interview…
—C’était une invention géniale ! Avec seulement une vingtaine de signes, nous pouvions représenter tous les mots. Elle a popularisé l’écriture, jusque-là réservée aux scribes, qui devaient mémoriser des centaines de mots après de nombreuses années d’apprentissage.
Après avoir lu l’interview, j’ai commencé à chercher dans le Livre des références à l’origine de l’écriture, qui se situe bien avant cette date, à l’époque du Prince Planétaire. Dans le Fascicule 66, « Le Prince Planétaire d’Urantia », page 746, à propos de la faculté de diffusion et de préservation du savoir, présidée par Fad, on peut lire :
« Fad formula le premier alphabet et introduisit un système d’écriture. Son alphabet comprenait vingt-cinq caractères. Ces peuples primitifs écrivaient sur des écorces d’arbres, des tablettes d’argile, des plaques de pierre, un genre de parchemin fait de peaux martelées et une sorte de papier rudimentaire tiré des nids de guêpes. La bibliothèque de Dalamatia, détruite peu après la révolte de Caligastia, contenait plus de deux-millions de manuscrits séparés ; on l’appelait la « maison de Fad ». » LU 66:5.9
Autrement dit, l’écriture avec un alphabet comportant un nombre relativement réduit de signes a été introduite, sans doute pour des raisons d’économie : c’est un système qui permet de représenter tous les mots en apprenant un nombre limité de signes et de règles de combinaison. Mais le document poursuit ainsi, dans le dernier paragraphe de la page citée :
« Les hommes bleus avaient une prédilection marquée pour l’écriture alphabétique ; ce sont eux qui firent les plus grands progrès dans cette direction. Les hommes rouges préféraient l’écriture picturale, tandis que les races jaunes s’orientèrent vers l’emploi de symboles pour les mots et les idées, très semblables à ceux qu’elles emploient actuellement. Mais l’alphabet et bien d’autres choses importantes furent ensuite perdus pour le monde pendant les désordres qui accompagnèrent la rébellion. L’apostasie de Caligastia détruisit l’espoir d’un langage universel, au moins pour des âges innombrables. » LU 66:5.10
Après la disparition de l’écriture comme moyen de communication, le Livre évoque l’apparition « mystérieuse et soudaine » en Mésopotamie du peuple sumérien, fruit de l’union des Nodites et des Adamites. Dans le document 77, « Les Êtres intermédiaires », page 860, paragraphe 2, on nous dit à propos des Sumériens :
«…Sans avoir de traces d’origine ailleurs dans le monde, ces anciennes tribus se silhouettent soudain sur l’horizon de la civilisation avec une culture adulte et supérieure comprenant des temples, le travail des métaux, l’agriculture, l’élevage, la poterie, le tissage, des lois commerciales, un code civil, un cérémonial religieux et un ancien système d’écriture. Au commencement de l’ère historique, elles avaient perdu depuis longtemps l’alphabet de Dalamatia et adopté l’écriture particulière provenant de Dilmun. Bien que pratiquement perdu pour le monde, le langage sumérien n’était pas sémitique ; il avait de nombreux éléments communs avec les langues dites aryennes. » LU 77:4.7
Le document 69, « Institutions humaines primitives », fait référence à l’origine de l’écriture moderne, c’est-à-dire l’écriture qui a donné naissance et a évolué jusqu’à notre époque :
« L’écriture moderne a son origine dans les premiers enregistrements commerciaux ; la première littérature de l’homme fut un document poussant au commerce, une publicité pour le sel. Beaucoup de guerres primitives furent livrées pour la possession de gisements naturels, par exemple de silex, de sel ou de métaux. Le premier traité officiel signé entre des tribus concernait l’exploitation en commun d’un gisement de sel. Ces lieux de traités fournirent à des tribus variées des occasions de se mêler et d’échanger amicalement et pacifiquement des idées. » LU 69:4.6
« L’écriture progressa en passant par les stades « du bâton-message », des cordes à nœuds, des dessins figuratifs, des hiéroglyphes et des wampums (ceintures de coquillages) avant d’atteindre les alphabets symboliques primitifs. La transmission des messages se fit d’abord au moyen de signaux de fumée, puis de coureurs, de cavaliers, de chemins de fer et d’avions, de même que par le télégraphe, le téléphone et les radiocommunications. » LU 69:4.7
En combinant les propos de l’interview avec ceux du Livre, nous pouvons comprendre l’avancée que l’émergence de l’écriture a représentée dans l’évolution de la civilisation. En résumé, on pourrait dire qu’il y a eu une tentative de mise en œuvre de l’écriture à l’époque du Prince Planétaire, et une autre, d’une certaine manière liée à celle-ci, réalisée par le peuple sumérien, probablement grâce à son ascendance nodite. Il est clair que l’écriture est un élément important du développement des civilisations. Il serait impensable de maintenir une civilisation avancée sans aucune forme d’écriture, même s’il est vrai, comme le souligne Mario Liverani dans l’interview, qu’il existe des cultures sans écriture.
Ce qui est vraiment dommage, c’est que les enseignements de l’époque dalmate ont été ruinés par la rébellion, ce qui a entraîné l’échec du développement d’un système d’écriture unique et, par extension, d’une langue mondiale unique.