© 2010 Patricia Brambilla
© 2010 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
Une grande tunisienne blanche et un châle immaculé jeté sur l’épaule gauche. Une croix scintillante autour du cou et deux madones aux oreilles. Elizabeth Sombart apparaît. Comme une vision, sortie de nulle part, soudain elle est là. Elle a le halo d’un ange, mais quand elle parle, sa voix est grave. Des mots pris dans les octaves du bas qui révèlent une immense force intérieure.
Sûr que cette pianiste virtuose, 51 ans, a une volonté hors du commun. Une vie de gammes et de concerts, d’honneurs et de galas, entièrement dédiée à la musique classique, qu’elle a portée dans les plus grandes salles du monde, à Paris, Londres, New York. Mais pas seulement. Plus attirée par l’ombre des humbles que les projecteurs de la gloire, elle a vite choisi d’autres lieux. Comme les EMS, les hôpitaux, les prisons.
Convaincue que la bataille de l’orgueil ne mène nulle part et que la musique est un accomplissement, bien au-delà d’un faire-valoir ou d’une seule démonstration de technicité., Une beauté qu’elle — rêve encore d’amener en un lieu précis : en Israël, le temps d’un concert pour la paix, avec l’Orchestre Solidarité Resonnance, qu’elle est justement en train de créer. « La musique est le lieu, si elle est bien jouée, d’une communion possible de ce qu’il y a d’universel entre tous les hommes. »
Elle est comme ça, Elizabeth Sombart, virevoltante et austère, lumineuse et empreinte d’une profonde conviction. A peine incarnée, discrète sur sa vie terrestre, comme si elle habitait ailleurs. Dans la musique, sans aucun doute. « Oui, le piano a été ma première maison, et l’est toujours. C’est un espace poétique et le laboratoire intérieur de toutes les découvertes et émerveillements. »
Gamine, elle se réfugiait sous le piano de sa mère et se laissait envelopper par les sons. Elle n’en est jamais vraiment ressortie. « La musique consolait et me faisait entrer dans un monde au-delà des limites. C’est une invitation royale à laquelle j’ai voulu répondre toute ma vie. » A 17 ans, celle qui a grandi dans une famille de quatre enfants, au pied d’un château à Strasbourg, n’a pas hésité à prendre la route pour suivre son premier maître, Bruno Leonardo Gelber, jusqu’en Argentine.
Et puis, un chemin de croix. Un divorce, un enfant perdu. Mais, comme une contrepartie, elle s’est remplie d’énormes quantités d’amour. Mystique, un peu. Croyante, assurément. Illuminée? « J’essaie d’ettre moi-même-un pont, un instrument le plus transparent possible. Quand je joue, je dis toujours que c’est un quatre mains céleste. » Elte est entrée en musique comme on entre dans les ordres. Avec la même ferveur. Se penche sur une partition de Mendelssohn comme si elle allumait un cierge… Les yeux mi-clos, les mains qui respirent, comme des offrandes sur le clavier du Fazioli noir laqué. « Le travail du pianiste, c’est comme une liturgie, un sacerdoce. On fait chanter le piano, on transforme la matière, la finitude des sons en poésie et on retourne au silence. » Comme Saint François d’Assise, elle se soumet aux trois væux, de pauvreté, d’obéissance, de chasteté. Avec une évidente simplicité. « Oui, il faut être obéissant aux lois qui gèrent les relations sonores. S’appauvrir de tout ce qui voudrait se dire en nous, enlever le mauvais moi pour que la musique puisse s’exprimer. Alors on devient chaste, c’est-à-dire unifié corps et âme. »
Portée par cette foi vibrante, elle a créé la Fondation Résonnance à Morges en 1998, et en plusieurs villes du monde. Une école qui prend le contre-pied des conservatoires traditionnels, puisqu’il n’y a ni concours d’admission, ni examens, ni limites d’âges et que les cours y sont gratuits. « Il faut arrêter de juger, je n’aime pas parler de génie. On doit être porteur de bénédictions pour nos élèves. Chacun est doué à sa juste mesure. » Six professeurs pour une centaine de participants, dont une de 85 ans. Avec cette pédagogie du souffle, élément clé de son enseignement musical.
« On ne joue pas du piano avec les doigts, mais avec le diaphragme. Le geste sur le clavier n’est pas une chose en soi, mais la conséquence d’une respiration intérieure. Une respiration qui permet de vivre l’unité entre soi, l’instrument et la musique. »
Ses mots se font marteaux quand il s’agit de parler de la modernité. Pour elle, la musique ne peut être que tonale et s’arrête à Bartok, sans parler du rock, « cette gangrène malfaisante ». « Dès qu’elle est déstructurée, il n’y a plus d’harmonie. J’ai étudié la musique contemporaine, j’en ai écouté, tout le monde connaît Boulez, mais personne ne peut siffler deux notes. Alors que Chopin, je le situe tout en haut de la porte du Ciel.
Elle rayonne, compare encore la musique à la cuisine, « cet art qui transforme la matière en quelque chose d’éphémère, qui nous donne le goût de l’éternité». Et tout en fouettant délicatement les baies de cassis avec le même sens de la perfection qu’elle met à interpréter un choral de Bach, elle semble à peine de notre temps. Ne cede pas à la tentation de goûter la crème, elle qui jeûne regulièrement pour affiner son oreille. Ne possède ni compte en banque ni carte bancaire, a toujours vécu de la charité de ses amis, parfois dormi dans sa voiture, parfois dans des châteaux. « J’ai fait vou de gratuité. Je n’ai jamais donné une leçon ni un concert pour de l’argent.
J’ai eu la chance de toujours trouver des gens qui m’ont aidée, des banquiers tombés du ciel, des mécènes. Toujours il y a eu la Providence pour la fondation et pour moi. »
Elizabeth Sombart, on doute, ne s’éloigne jamais longtemps de son piano. Juste Et assurer la survie de son école. Une tâche ingrate qui ne lui enlève pas une once d’émerveillement. « Les grâces sont plus grandes que les croix dans nos vies. Je me réjouis d’avoir encore un jour devenir meilleure. Vous savez, je vis avec le remords perpétuel de ne pas donner assez. »
«Le travail du pianiste, c’est comme une liturgie, un sacerdoce. On fait chanter le piano, on transforme retourne au silence. »
Elizabeth compare la musique à la cuisine, « cet art qui transforme la matière en quelque chose d’éphémère, qui nous donne le goût de l’éternité. »
Patricia Brambilla