© 2022 Sophie Malicot
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La Sagesse De Créer Des Races Inégales | Le Lien Urantien — Numéro 99 — Septembre 2022 — Table des matières | Pourquoi Je Crois en Dieu |
Sophie Malicot
Jésus enseigna que la foi, la simple croyance enfantine, est la clef de la porte du royaume, mais il enseigna également qu’après avoir passé la porte, il y a les degrés successifs de droiture que chaque enfant croyant doit gravir pour grandir jusqu’à la pleine stature des robustes fils de Dieu.
C’est par l’étude de la technique pour recevoir le pardon de Dieu que se révèle la manière d’atteindre la droiture du royaume. La foi est le prix que vous payez pour entrer dans la famille de Dieu ; mais le pardon est l’acte de Dieu acceptant votre foi comme prix d’admission. Et la réception du pardon de Dieu par un croyant au royaume implique une expérience précise et réelle comprenant les quatre étapes suivantes, les étapes du royaume de la droiture intérieure :
- L’homme peut disposer effectivement du pardon de Dieu et en faire l’expérience personnelle dans la mesure exacte où il pardonne à ses semblables.
- Un homme ne pardonne pas véritablement à ses semblables, à moins de les aimer comme lui-même.
- Le fait d’aimer ainsi son prochain comme soi-même est l’éthique la plus élevée.
- La conduite morale, la vraie droiture, est alors le résultat naturel de cet amour. » Livre d’Urantia » Extrait du fascicule 170 section 3 UB 170:3.3-7
Peut-être n’y a — t-il que l’expérience du vrai pardon pour parler dignement du pardon? On ne pardonne pas du bout des lèvres ou du coeur, mais dans l’entièreté de lềtre. Il appelle tant notre globalité que tirer sur son fil d’Ariane est entrer en plénitude dans la spiritualité. Toutes les hautes valeurs sont contenues en lui. En cela le pardon nest pas un acte, même s’il le contient, et encore moins l’oubli d’une offense. Sauf amnésie, rien ne soublie et encore moins ce qui blesse l’âme au point d’avoir à pardonner.
Prenons le fil d’Ariane. La foi est nécessaire et suffisante pour entrer au Royaume des Cieux. Une foi confiante comme la confiance d’un enfant — enfantine mais non infantile. Cette nuance sous-entend sans le dire la considération du Père à notre égard. La confiance d’un enfant en ses parents est un moyen de grandir. Ils lélèvent, le dirigent vers un but qu’il ne peut appréhender : la plus haute éminence de lui-même. Notre foi enfantine déposée dans les mains célestes revêt une même simplicité dêtre, la simplicité de l’unité de soi où grandir en âme se fait au-delà des duplicités. Nous sentons de certitude (d’où le savons-nous?) que cette confiance enfantine est le moyen par lequel le Père dirige notre croissance spirituelle vers la quintessence de nous-même. Nous nous laissons modeler, confiant que ce modelage est pour notre bien.
Nous donnons notre foi pour entrer au Royaume et l’initiation céleste débute par ce don. Donner est un attribut divin. Dieu ne prend rien ; il nest pas capture mais offrande, délègue tout ce qu’il peut et se donne lui-même incessamment, infiniment, éternellement. Au seuil du Royaume, l’humain donne sa foi en prix d’entrée et Dieu donne son pardon désignant notre prix dadmission. Il est étonnant de par- ler de la foi et d’admission au Royaume en termes de prix — repris deux fois (prix que vous payez + prix d’admission). Cependant ce nest pas un troc mais l’instauration immédiate que, dans l’univers divin, tout est relation, relations établies par le don de chaque protagoniste. Impossible de s’installer en consommateur passif; dès le seuil, léchange dynamique est la loi.
Une fois le seuil franchi, la dynamique divine se poursuit. Pas de repos au Royaume ; tout est vivant et mouvement. Le souffle divin souffle sans cesse, lêtre de foi se voit pris dans une dynamique active inéluctable. On sattendrait à ce que le pardon soit une demande faite au Père et donc quelque chose à recevoir. À nouveau il ne s’agit pas de recevoir mais entrer dans un mouvement où le don est constant, à l’image et la ressemblance divines. Le Père opère un retournement de notre regard, le détournant de lui pour l’orienter vers notre semblable, et donner.
Le « semblable ». Le terme est suffisamment générique pour avoir à considérer tout être sur terre comme mon semblable. Nous sommes tous corps, mental, âme, esprit et personnalité ; qui que soit ce semblable et quoi qu’il fasse de « bon » ou « pire ». Cela place nos actes — bons ou pires — en second plan. S’ils restent témoins des fruits de l’esprit, ils ne sont pas les seuls à être pris en compte au Royaume. La justice pèse les actes ; la miséricorde pèse l’intention. Ainsi le larron peut escompter entrer au Royaume le soir même de la crucifixion.
Le processus du pardon converge vers aimer son semblable. Cela veut dire que l’offense considérée touche à la quintessence donnée par le Père : l’amour. Puisque le pardon revient à aimer son prochain, la nécessité de pardonner vient du manquement d’amour. On comprend mieux pourquoi chacun est concerné, indépendamment de ses actes, car nous sommes tous insuffisants en amour à l’aune du Royaume. Aussi bien qualitativement que quantitativement. Ainsi la « mesure exacte » du pardon est la mesure exacte de notre capacité d’aimer à linstant du pardon. Mesure exponentielle avec notre maturité spirituelle. En cela le pardon perdurera au-delà de la mort, en bâton de pèlerin d’un apprentissage d’une qualité dềtre et de relation les uns avec les autres. Tant que nous ne nous aimerons pas en perfection — tel que le Père nous aime-, nous aurons à pardonner et être pardonné.
Il est difficile dadmettre l’équivalence entre loffenseur et l’offensé, et sortir du tandem victime / bourreau. Cependant lexpérience du pardon y amène. Lorsque lon passe par une réelle et profonde offense vécue, blessé, meurtri dans son corps, dans son être, des étapes se succèdent : le choc du traumatisme, la révolte, l’effondrement intérieur, la progressive prise de conscience, la désidentification de ce que lon était et n’est plus, l’interrogation de quil l’on devient avec cette expérience ; et aussi les ruminations qui avilissent, la haine qui ronge, les accusations sans fin, les vengeances déshonorantes, les procès le besoin de réparation etc. Le processus est long, le temps est nécessaire, un temps souvent très étiré pour passer ces étapes et essayer de les dépasser. Cependant le dépassement ne se fait ni à coup de procès, ni à coup d’indemnisation de réparation. Le Père va plus loin.
La souffrance est toujours un effondrement de la personne, et le pardon sa réhabilitation. En cela la souffrance est offense au Royaume. Souffrir ne fait pas partie du plan divin car l’effondrement de la personne ne fait pas partie du plan divin. Dans la confiance enfantine vouée au Père par notre foi, nous avons la garantie que rien ne se fait à l’encontre de notre personne. Or la souffrance est destructrice et va à notre encontre. Le passage par le pardon en fait prendre conscience. Lorsque l’on pardonne à son semblable, et que d’un même geste nous sommes pardonnés par le Père, nous prenons conscience de la déstructuration par laquelle nous sommes passés et combien elle outrage la Vie. Que nous soyons offenseur ou offensé. Ceci se vit lorsque loffensé s’effondre au moment de sa délivrance ; ceci se témoigne par le silence et la honte profonde des grands persécutés (les prisonniers des camps de concentration) ; cela nous déstructure devant les exactions extrêmes (génocides). Nous n’avons pas le droit, quelle que soit notre position dans le champ de bataille. Nous ne pouvons qu’avoir honte et sentir la nécessité du pardon devant tant d’inconscience et davanie. Plus encore : la conscience pousse à demander pardon à la place des offenseurs, en coresponsabilité des exactions.
Alors la droiture du Royaume devient léthique que lamour mène: plus que le respect, plus que l’honorabilité de l’autre, il s’agit d’aimer le semblable comme le Père aime, divinement. Au-delà des erreurs et errements, c’est-à-dire au-delà de ce qui perd lê̂tre. Car il sagit de le trouver, pleinement, bellement. Le pardon réhabilite la personne dans la gloire divine : il est la transformation du regard, non plus aveuglé par l’exaction et réduisant quiconque à celle-ci, mais émerveillé par la grandeur lumineuse de lorigine divine qui habite tout être, quoi qu’il fasse.
Cette éthique de lamour fait croitre notre responsabilité. Lamour rend responsable. Autant lorsque l’on aime que lorsque lon est aimé. Puisque le pardon donné au semblable est simultané à celui reçu par le Père, cela veut dire qu’au moment où nous réhabilitons le semblable et entrons dans l’amour pour lui, nous sommes réhabilités et réintégrons la conscience de l’amour du Père pour nous. Au moment où j’accède au regard de grandeur sur mon semblable, je perçois le regard de grandeur du Père sur moi. Cette grandeur fait grandir : on ne peut pas être aimé — et avoir conscience de lêtre — sans conscience accrue de ce que cet amour implique. Voir la grandeur de l’âme donne suscite l’impulsion à honorer et répondre en retour à cette grandeur.
Ainsi le pardon n’est pas un processus de culpabilisation de l’être mais exactement son contraire : une élévation. Lorsqu’il surgit, il inonde la personne et la pose à la fois en grandeur sacrée et humilité grave. La joie déborde, transcende les douleurs. Comme toujours, le Divin donne simultanément la prise de conscience des errances et la réintégration dans la droiture céleste. Le constat de l’erreur contient à la fois le jugement et la miséricorde — toujours dominante. Dans le chemin spirituel, le pardon devient une façon d’être en équilibre entre une humilité dans l’imperfection et une bonté jaillissante car cette imperfection révèle la perfection.
La grâce du pardon ne se fait ni dans la raideur ni dans la rigidité. Elle se vit au cœur de la vulnérabilité profonde de lêtre, là où tous les mécanismes de défense sont destitués. Lorsque les rancœurs, les amertumes, les outrages et les jugements sont épuisés, ne laissant derrière eux que l’évidement de l’être, et que, malgré eux, aucune réparation n’est efficiente, alors soudain, une ouverture au semblable peut se faire. Au-delà de tout ; et de tout ce qu’il fit. Si le cheminement pour accéder au pardon est une longue pérégrination, le pardon est instantané. Il jaillit — inattendu — même si on lattendait ; brusque — voire brutal — bouscule et renverse lêtre d’un souffle. Le regard change irrémédiablement, transperce jusquen lumière, rétablissant le semblable dans son honorabilité tout comme se rétablit sa propre honorabilité. Car elles sont sours siamoises ; elles sombrent ou se restituent au même joug. Aussi le pardon est-il souvent bilatéral.
« Dieu est spontanément bienveillant, compatissant par nature et perpétuellement miséricordieux. Il n’est jamais nécessaire d’avoir recours à l’intervention d’une quelconque influence auprès du Père pour obtenir son affectueuse bienveillance. Le besoin des créatures est entièrement suffisant pour que le Père donne libre cours à sa tendre miséricorde et à sa grâce salvatrice. Puisque Dieu sait tout ce qui concerne ses enfants, il lui est facile de pardonner. Mieux l’homme comprend son prochain, plus il lui est facile de lui pardonner et même de l’aimer » LU 2:4.2
Alors ce nouveau regard ne peut qu’aimer. Aimer l’autre, divinement. Il passe en un revers d’ennemi à frère-soeur d’âme, dans une dimension glorieuse daccomplissement du Royaume, transcendant le temps actuel. Regard de préfiguration de lêtre cosmique. Les frontières sont abolies; le pardon n’a aucune frontière, race, couleur ou religion. Il n’a pas d’âge non plus. D’où jaillit-il ? De quelle source ? Soi ? Dieu ? La simultanéité répondrait les deux. Le cheminement pour accéder à lui invite à l’intégration d’un niveau de relations où les valeurs divines en sont la substance.
Parfois, le pardon reste unilatéral. Il nest pas de notre capacité ni responsabilité d’évaluer leffet du pardon ; et cela ne nous est pas demandé. Mais nous ne savons pas quel travail intérieur il suscite. Ainsi de cet homme qui écrivait chaque semaine depuis des années à son gendre, emprisonné pour avoir tué sa fille. Sans réponse. Sans retour. Lui avait pardonné ; son gendre ne pouvait pas recevoir ce pardon ; où plutôt pas encore. Car laccepter implique un total bouleversement intérieur. Il nous suffit de savoir que la possibilité de lacceptation reste entière, longtemps dans la survie.
Quant à son refus net, tel Lucifer, tel Judas, il met en évidence que le choix de la vie divine est bien étrange : soit nous acceptons cette collaboration avec Dieu — et vivons éternellement — soit nous la refusons et sommes anéantis. Le libre arbitre n’st pas une alternative médiane avec ou sans Dieu, mais l’acceptation totale de cette collaboration ou totalement rien. Dieu est absolu. Aussi l’interrogation se situe plutôt à : comment peut-on choisir « rien » plutôt que la vie?
L’expérience du pardon est sans doute la plus couteuse par laquelle un être passe (un prix à payer). Elle est profonde, puissante, marquante et suffisamment éprouvante pour que sa teneur soit scellée en une fois et modifie irrémédiablement la considération de tout semblable. Elle ne demande pas seulement à dépasser l’égo et l’orgueil, mais transperce le plan de la matière pour percer le lumineux. À notre niveau, nous pouvons dire que le pardon est une brèche ouverte sur le monde morontiel. L’âme ne peut pas être rancunière, vengeresse, ni souffrante. L’âme ne souffre pas ; elle aime. Pardonner est se placer d’âme à âme où tout est grâce.
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