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Le DR MORRIS, qui avait emprunté les manuscrits Phayre et Turnour du Magghima Nikâya à la bibliothèque de l’India Office, a eu la gentillesse de transcrire le texte de ce Sutta pour moi.
J’avais espéré que l’analyse du Sutta par le révérend David da Silva, parue dans le Ceylon Friend de 1872, permettrait de déterminer le sens exact du mot complexe Âsava, tel qu’il est employé dans la théorie de l’Arahant, et dans le passage important (le paragraphe « Foi, Raison et Œuvres ») si souvent répété dans le Mahâparinibbâna Sutta. On verra que ce n’est guère le cas, mais comme elle éclaire les idées contenues dans ce mot et contient un passage très intéressant[1] sur la valeur particulière attachée dans le bouddhisme à l’habitude mentale que nous appellerions aujourd’hui agnosticisme, j’ai maintenu l’intention de l’inclure dans ce volume.
Le mot Âsava semble être utilisé dans ce Sutta dans un sens général, non seulement limité aux Âsavas de la sensualité, de l’individualité, de l’illusion et de l’ignorance, mais incluant les souillures ou imperfections de l’esprit les plus diverses, d’où ces souillures particulières proviendront.
Il est fait référence à la célèbre doctrine bouddhiste selon laquelle la bonne chose à faire est de rechercher le Nirvânâ d’une vie parfaite dans l’état d’Arahant, et de ne pas s’embarrasser ni se troubler en discutant de questions spéculatives sur l’existence passée ou future, ou même sur la présence d’une âme dans le corps. Le bouddhisme est non seulement indépendant de la théorie de l’âme, mais considère la prise en compte de cette théorie comme plus qu’inutile, comme source de multiples illusions et superstitions. En pratique, cela revient cependant à nier l’existence de l’âme ; tout comme l’agnosticisme n’est, au mieux, qu’une forme d’athéisme sérieux et modeste. Et nous avons vu plus haut que l’anattam, l’absence d’âme ou de soi comme principe permanent, est l’une des trois parties de la sagesse bouddhique (viggâ)[2] et de la perception bouddhique (saññâ)[3]. La réconciliation de ces deux doctrines, de l’agnosticisme et du déni, est, je pense, que l’absence d’âme n’est prédite que par ces cinq agrégats de parties et de pouvoirs auxquels un bon bouddhiste devrait limiter son attention. Il ne devrait considérer qu’eux ; et il a tort de se soucier de savoir si, au-delà et à côté d’eux, une âme a, ou n’a pas, une existence réelle.
Je peux ajouter que l’importance des Âsavas apparaît du fait qu’ailleurs la connaissance d’eux, de leur origine, de leur cessation et du chemin qui mène à leur cessation est placée sur la route de l’Arahat, immédiatement après et parallèlement à la connaissance de la Souffrance, de son origine, de sa cessation et du chemin qui mène à sa cessation - la connaissance, c’est-à-dire, des quatre Nobles Vérités[^4].
Français Les Âsavas dont il est question ici sont la sensualité, l’individualité (ou la vie) et l’ignorance ; et les expressions « à celui qui sait, à celui qui voit » (gânato passato) y sont employées à peu près de la même manière que dans notre § 3. C’est peut-être ce passage que Burnouf avait à l’esprit lorsqu’il dit à tort[^5] avoir trouvé dans le Mahâparinibbâna Sutta une énumération de trois classes d’Âsavas, alors que ce Sutta les divise toujours en quatre classes.
Je ne suis pas en mesure de suggérer une bonne traduction du terme lui-même, aussi simple soit-il. Il signifie littéralement « un courant ou un écoulement », ou (de là) « une fuite » ; mais comme cette figure n’est pas utilisée en français dans un sens spirituel, il est nécessaire d’en choisir une autre, et il n’est pas facile d’en trouver une qui convienne. « Péché » serait très trompeur, l’idée chrétienne du péché étant incompatible avec l’éthique bouddhiste. Une « faute » dans l’usage géologique du mot s’en rapproche un peu plus. « Imperfection » est trop long, et pour « souillure », le Pâli a un mot différent[^6]. Dans le Livre de la Grande Mort, j’ai choisi « mal » ; ici, je laisse le mot non traduit.
[^4] : Sâmañña Phala Sutta, p. 152.
[^5] : Lotus de la Bonne Loi, p. 823.
[^6] : Rago. Voir les vers traduits dans « Récits de naissance bouddhistes », p. 164.