« Qui entreprend témérairement », etc. — Cette histoire, le Maître la raconta alors qu’il séjournait dans sa chambre à pignon, à propos d’un barbier qui vivait à Vesāli.
Cet homme, nous dit-on, rasait, coiffait et tressait les cheveux de la maison royale, des rois et des reines, des princes et des princesses ; il faisait tout ce qui était nécessaire. C’était un vrai croyant, abrité dans les Trois Refuges [1], déterminé à observer les Cinq Préceptes ; et de temps à autre, il écoutait les discours du Maître.
Un jour, il partit travailler au palais, emmenant son fils avec lui. Le jeune homme, voyant une jeune Licchavi parée avec élégance, telle une nymphe, tomba amoureux d’elle. Alors qu’ils quittaient le palais en groupe, il dit à son père : « Voilà une jeune fille ! Si je la prends, je vivrai ; sinon, je ne mourrai que. » Il refusa de toucher à une bouchée de nourriture, mais resta allongé, les bras serrés contre le lit. Son père le trouva et lui dit : « Mon fils, ne pense pas au fruit défendu. Tu n’es qu’un moins que rien, le fils d’un barbier ; cette jeune Licchavi est une dame de haute naissance. Tu ne lui vaux rien. Je te trouverai quelqu’un d’autre, une jeune fille de ton rang. » Mais le jeune homme ne l’écouta pas. Alors arrivèrent sa mère, son frère, sa sœur, sa tante, son oncle, toute sa famille, ses amis et ses compagnons, essayant de l’apaiser ; Mais ils ne purent le calmer. Il languit, languit, et resta étendu là jusqu’à sa mort.
Le père célébra alors ses obsèques et fit ce qu’on fait habituellement pour les esprits des morts. [6] Peu à peu, lorsque le chagrin se fut dissipé, il pensa qu’il irait rendre visite au Maître. Prenant un généreux présent de fleurs, de senteurs et de parfums, il se rendit à Mahāvana, rendit hommage au Maître, le salua et s’assit à l’écart. « Pourquoi es-tu resté hors de vue tout ce temps, laïc ? » demanda le Maître. L’homme lui raconta alors ce qui s’était passé. Le Maître dit : « Ah, laïc, ce n’est pas la première fois qu’il périt en s’attachant à ce qu’il ne devait pas avoir ; c’est seulement ce qu’il a déjà fait. » Puis, à la demande du laïc, il raconta une histoire ancienne.
_____________________________
[ p. 5 ]
Il était une fois, alors que Brahmadatta était roi de Bénarès, le Bodhisatta vint au monde sous la forme d’un jeune lion dans la région de l’Himalaya. De la même famille, il y avait quelques frères cadets et une sœur ; tous vivaient dans une grotte dorée.
Tout près de cette grotte se trouvait une Grotte de Cristal, sur une colline argentée, où vivait un Chacal. Peu à peu, les Lions perdirent leurs parents, frappés par la mort. Ils avaient alors l’habitude de laisser leur sœur, la Lionne, dans la grotte, tandis qu’ils cherchaient de la nourriture ; une fois obtenue, ils la lui rapportaient.
Le Chacal avait aperçu cette Lionne et en était tombé amoureux ; mais tant que le vieux Lion et la vieille Lionne vivaient, il ne pouvait y accéder. Alors, lorsque les sept frères partirent chercher de la nourriture, il sortit de sa Grotte de Cristal et se hâta vers la Grotte Dorée. Là, se postant devant la jeune Lionne, il lui adressa sournoisement ces paroles séduisantes et tentatrices :
« Ô Lionne, je suis une créature d’un mètre vingt, et toi aussi. Sois donc ma compagne, et je serai ton époux ! Nous vivrons ensemble dans l’amitié et la complicité, et tu m’aimeras toujours ! »
En entendant cela, la Lionne pensa : « Ce Chacal est vil parmi les bêtes, vil et digne d’un homme de basse caste ; mais je suis considérée comme une descendante royale. Qu’il me parle ainsi est inconvenant et maléfique. Comment pourrais-je vivre après avoir entendu de telles choses ? Je retiendrai mon souffle jusqu’à ma mort. » Puis, réfléchissant un instant, « Non », dit-elle, « mourir ainsi ne serait pas convenable. Mes frères seront bientôt de retour ; je vais d’abord le leur dire, puis je me suiciderai. »
Le Chacal, ne voyant aucune réponse venir, fut sûr qu’elle ne se souciait pas de lui ; alors il retourna dans sa grotte de cristal et s’allongea dans une grande misère.
Or, l’un des jeunes Lions, ayant tué un buffle, un éléphant ou autre, en mangea lui-même et en rapporta une part à sa sœur, qu’il lui donna en l’invitant à manger. « Non, frère », dit-elle, « je n’en mangerai pas une bouchée, car je dois mourir ! » « Pourquoi cela ? » demanda-t-il. Et elle lui raconta ce qui s’était passé. « Où est ce Chacal maintenant ? » demanda-t-il. Elle le vit étendu dans la Grotte de Cristal, et le croyant dans le ciel [2], elle dit : « Pourquoi, frère, ne le vois-tu pas là-haut sur la Montagne d’Argent, étendu dans le ciel ? » Le jeune Lion, ignorant que le Chacal gisait dans une Grotte de Cristal, et pensant qu’il était bel et bien dans le ciel, fit un bond, comme font les lions, pour le tuer et frappa le cristal : ce qui lui brisa le cœur et, tombant au pied de la montagne, il périt aussitôt.
[ p. 6 ]
Puis un autre arriva, à qui la lionne raconta la même histoire. Ce lion fit comme le premier et tomba mort au pied de la montagne.
Lorsque six des frères Lions eurent péri de cette façon, le Bodhisatta entra en dernier. Après avoir raconté son histoire, il demanda où était le Chacal maintenant. « Le voilà », dit-elle, « là-haut dans le ciel, au-dessus de la Montagne d’Argent ! » Le Bodhisatta pensa : « Des chacals gisant dans le ciel ? Absurde. Je sais ce que c’est : il gît dans une Grotte de Cristal. » Il se rendit donc au pied de la montagne et y vit ses six frères étendus morts. « Je comprends », pensa-t-il ; « ils étaient tous insensés et dépourvus de la plénitude de la sagesse ; ignorant que c’était la Grotte de Cristal, ils s’y sont battus à tout rompre et ont été tués. Voilà ce qui arrive à ceux qui agissent avec témérité et sans réfléchir. » Et il répéta la première strophe :
« Quiconque entreprend une entreprise avec témérité,
Sans compter tous les problèmes qui peuvent survenir,
Comme quelqu’un qui se brûle la bouche en mangeant
Il devient victime des plans qu’il a conçus.
[8] Après avoir répété ces lignes, le Lion continua : « Mes frères voulaient tuer ce Chacal, mais ils ne savaient pas comment élaborer leurs plans ; ils se sont donc précipités sur lui et ont ainsi trouvé la mort. Je ne le ferai pas ; mais je ferai éclater le cœur du Chacal, qui gît là, dans la Grotte de Cristal. » Il aperçut alors le sentier par lequel le Chacal avait l’habitude de monter et de descendre, et se retourna dans cette direction, il rugit trois fois, comme les lions rugissent, que la terre et le ciel ne formaient qu’un seul et même rugissement ! Le Chacal, gisant dans la Grotte de Cristal, fut effrayé et stupéfait, si bien que son cœur éclata ; et il périt sur place, incontinent.
_____________________________
Le Maître continua : « Ainsi périt ce Chacal en entendant le rugissement du Lion. » Et, parfaitement éclairé, il répéta la deuxième strophe :
Sur Daddara le Lion poussa un rugissement,
Et fit résonner à nouveau le mont Daddara.
Tout près vivait un chacal ; il craignait une douleur intense
Pour entendre le son, et faire éclater son cœur en deux.
_____________________________
[9] C’est ainsi que notre Lion fit mourir ce Chacal. Puis il assembla ses frères dans une même tombe, annonça à sa sœur qu’ils étaient morts et la consola. Il vécut le reste de ses jours dans la Caverne Dorée, jusqu’à son retour à l’endroit que ses mérites lui avaient valu.
_____________________________
[ p. 7 ]
Lorsque le Maître eut terminé ce discours, il révéla les Vérités et identifia la Naissance : à la conclusion des Vérités, le laïc fut établi dans le Fruit du Premier Sentier : « Le fils du barbier d’aujourd’hui était alors le Chacal ; la fille Licchavi était la jeune Lionne ; les six Lions plus jeunes sont maintenant six Anciens ; et je suis moi-même le Lion le plus âgé. »