[15] « Gagga, vis cent ans », etc. — Cette histoire, le Maître la raconta alors qu’il séjournait dans le monastère construit par le roi Pasenadi devant Jetavana ; il s’agissait d’un éternuement qu’il avait fait.
Un jour, raconte-t-on, alors que le Maître était assis et discutait avec quatre personnes autour de lui, il éternua. « Longue vie au Bienheureux, longue vie au Bouddha ! » s’écrièrent tous les Frères à haute voix, et ils firent grand bruit.
Le bruit interrompit le discours. Le Maître dit alors aux Frères : « Pourquoi, Frères, si l’on crie « Longue vie ! » en entendant un éternuement, vit-on ou meurt-on davantage pour autant ? » Ils répondirent : « Non, non, Monsieur. » Il poursuivit : « Vous ne devriez pas crier « Longue vie ! » pour un éternuement, Frères. Quiconque le fait commet un péché. »
On raconte qu’à cette époque, lorsque les Frères éternuaient, les gens criaient : « Longue vie à vous, Monsieur ! » Mais les Frères, embarrassés, ne répondirent pas. Tous, irrités, demandèrent : « Je vous en prie, pourquoi les prêtres qui entourent Bouddha, le prince Sakya, ne répondent-ils pas lorsqu’ils éternuent, alors que quelqu’un leur souhaite longue vie ? »
Tout cela fut raconté au Bienheureux. Il dit : « Frères, les gens du commun sont superstitieux. Quand vous éternuez et qu’on vous dit : « Longue vie à vous, Monsieur ! », je vous permets de répondre : « De même pour vous. » » Les Frères lui demandèrent alors : « Monsieur, quand a-t-on commencé à répondre « Longue vie » par « De même pour vous » ? » Le Maître répondit : « C’était il y a très, très longtemps. » Et il leur raconta une histoire d’autrefois.
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Il était une fois, alors que Brahmadatta était roi de Bénarès, le Bodhisatta vint au monde comme fils de brahmane du royaume de Kāsi ; son père était avocat de profession. Alors que le jeune homme avait environ seize ans, son père lui confia un beau bijou, et ils voyageèrent tous deux de ville en ville, de village en village, jusqu’à leur arrivée à Bénarès. Là, l’homme fit préparer un repas chez le gardien ; et, ne trouvant nulle part où loger, il demanda où loger pour les voyageurs arrivés trop tard. On lui répondit qu’il y avait un bâtiment à l’extérieur de la ville, mais qu’il était hanté ; mais il pouvait y loger s’il le souhaitait. Le jeune homme dit à son père : « N’aie peur d’aucun gobelin, père ! Je vais le dompter et le ramener à tes pieds. » [16] Il persuada donc son père, et ils partirent ensemble à cet endroit,
Le père s’est allongé sur un banc et son fils s’est assis à côté de lui, se frottant les pieds.
Or, le Gobelin qui hantait les lieux l’avait reçue pour douze années de service auprès de Vessavaṇa [1], à ces conditions : si un homme entrant éternuait et répondait, lorsqu’on lui souhaitait longue vie, « Longue vie à toi ! » ou « De même ! », le Gobelin avait le droit de manger tous ces aliments, sauf ceux-là. Le Gobelin vivait sur la poutre centrale de la hutte [2].
Il décida de faire éternuer le père du Bodhisatta. Par son pouvoir magique, il souleva un nuage de poussière fine qui pénétra dans les narines de l’homme ; et, allongé sur le banc, il éternua. Le fils ne cria pas « Longue vie ! » et le Gobelin descendit de son perchoir, prêt à dévorer sa victime. Mais le Bodhisatta le vit descendre, et ces pensées lui traversèrent l’esprit. « C’est sans doute lui qui a fait éternuer mon père. Ce doit être un Gobelin qui dévore tous ceux qui ne disent pas « Longue vie ! ». Et s’adressant à son père, il répéta le premier vers ainsi :
« Gagga, vis cent ans, oui, et vingt de plus, je t’en prie !
Qu’aucun gobelin ne te dévore ; vis cent ans, je te le dis !
Le Gobelin pensa : « Celui-ci, je ne peux pas le manger, car il a dit : « Longue vie à toi ! ». Mais je mangerai son père. » Et il s’approcha du père. Mais l’homme devina la vérité : « Ce doit être un Gobelin, pensa-t-il, qui mange tous ceux qui ne répondent pas : « Longue vie à toi aussi ! » » Et s’adressant à son fils, il répéta le deuxième couplet :
« Toi aussi, vis cent ans, oui, et vingt de plus, je t’en prie ;
Que la nourriture des gobelins soit empoisonnée ; vivez cent ans, je vous le dis !
[17] Le Gobelin entendant ces mots, se détourna, pensant : « Ni l’un ni l’autre ne sont destinés à ma consommation. » Mais le Bodhisatta lui posa une question : « Allons, Gobelin, comment se fait-il que tu manges les gens qui entrent dans ce bâtiment ? »
« J’ai gagné le droit de servir Vessavaṇa pendant douze ans. »
« Quoi, tu as le droit de manger tout le monde ? »
[ p. 13 ]
« Tous sauf ceux qui disent « De même pour toi » quand quelqu’un leur souhaite une longue vie. »
« Gobelin », dit le jeune homme, « tu as commis des méfaits dans tes vies passées, ce qui t’a rendu féroce, cruel et un fléau pour les autres. Si tu fais pareil maintenant, tu passeras de ténèbres en ténèbres. C’est pourquoi, à partir de maintenant, abstiens-toi de tout acte comme ôter la vie. » Par ces mots, il humilia le Gobelin, le terrifia par la peur de l’enfer, l’établit dans les Cinq Préceptes et le rendit aussi obéissant qu’un garçon de courses.
Le lendemain, lorsque le peuple arriva, vit le Gobelin et apprit comment le Bodhisatta l’avait soumis, ils allèrent dire au roi : « Monseigneur, quelqu’un a soumis le Gobelin et l’a rendu aussi obéissant qu’un garçon de courses ! » Le roi le fit donc venir et l’éleva au rang de commandant en chef, tout en comblant son père d’honneurs. Après avoir fait du Gobelin un collecteur d’impôts et l’avoir instruit des préceptes du Bodhisatta, après avoir fait l’aumône et fait le bien, il partit grossir les rangs du ciel.
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Lorsque le Maître eut terminé cette histoire, qu’il racontait pour expliquer l’époque où la coutume de répondre à « Longue vie » par « De même pour toi » apparut, il identifia la Naissance : « En ce temps-là, Ananda était le roi, Kassapa le père, et moi-même j’étais le jeune homme son fils. »