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« Même une corde d’arc cassée », etc. — Le Maître raconta cette histoire alors qu’il résidait à Jetavana, à propos d’une tentation provoquée par une ex-épouse. Les circonstances seront expliquées dans le Huitième Livre, dans l’Indriya-Jātaka [1]. Le Maître dit alors à ce frère : « Voilà une femme qui te fait du mal. Autrefois, elle t’a déjà fait rougir de honte devant le roi et toute sa cour, et t’a donné une bonne raison de quitter ta demeure. » Et il raconta une histoire du vieux monde.
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Il était une fois, alors que le roi Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit de sa reine principale. Il atteignit sa majorité, et son père mourut ; alors il devint roi et régna avec justice.
Le Bodhisatta avait un chapelain nommé Ruhaka, et ce Ruhaka avait pour épouse une vieille brahmane.
Le roi donna au brahmane un cheval équipé de tous ses attelages, qui monta sur le cheval et alla le servir. Tandis qu’il avançait sur son destrier richement caparaçonné, les gens, de tous côtés, le louaient bruyamment : « Voyez ce beau cheval ! » s’écriaient-ils ; « Quelle beauté ! »
Lorsqu’il rentra chez lui, il entra dans son manoir et le dit à sa femme.
[114] « Madame », dit-il, « notre cheval se porte bien ! À droite et à gauche, tout le monde en parle avec éloge. »
Or, sa femme n’était pas meilleure qu’elle ne devait l’être, et pleine de tromperie ; c’est pourquoi elle lui répondit ainsi.
« Ah, mon mari, tu ne sais pas où réside la beauté de ce cheval. Elle réside dans son harnachement. Si tu veux te faire belle comme lui, mets-lui son harnachement et descends dans la rue en sautillant à la manière d’un cheval [2]. Tu verras le roi, il te louera, et tout le peuple te louera. »
Ce fou de brahmane écouta tout, mais ne comprit pas ce qu’elle avait prévu. Il la crut donc et fit ce qu’elle avait dit. Tous ceux qui le virent éclatèrent de rire : « Voilà un excellent professeur ! » dirent-ils tous. Et le roi lui cria honte. « Pourquoi, mon Maître ? » dit-il, « votre bile est-elle détraquée ? Êtes-vous fou ? » Le brahmane pensa alors qu’il avait dû mal se conduire et il en eut honte. Il fut donc en colère contre sa femme et se hâta de rentrer chez lui en se disant : « Cette femme m’a couvert de honte devant le roi et toute son armée : je vais la châtier et la mettre à la porte ! »
Mais la femme rusée apprit qu’il était rentré en colère ; elle prit le dessus, sortit par une porte latérale et gagna le palais, où elle resta quatre ou cinq jours. Le roi, l’ayant appris, fit venir son chapelain et lui dit :
« Mon Maître, toutes les femmes sont pleines de défauts ; vous devriez pardonner à cette dame » ; et avec l’intention de le faire pardonner, il prononça la première strophe :
« Même une corde d’arc cassée peut être réparée et rendue entière :
Pardonne à ta femme et ne nourris pas cette colère dans ton âme.
[115] En entendant cela, Ruhaka prononça le deuxième mot :
« Tant qu’il y a de l’écorce [3] et des ouvriers aussi
Il est facile d’acheter des cordes d’arc neuves.
Je me procurerai une autre femme ;
J’en ai assez de celui-là, c’est sûr.
Ayant ainsi parlé, il la renvoya et prit pour épouse une autre brahmane.
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Le Maître, après avoir terminé ce discours, déclara les Vérités et identifia la Naissance : à la conclusion des Vérités, le Frère tenté fut établi dans le fruit du Premier Sentier : « À cette occasion, l’ancienne épouse était la même, Ruhaka était le frère tenté, et j’étais le roi de Bénarès. »