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« Bien planifié en effet ! » etc.—[181] Cette histoire, le Maître la raconta alors qu’il séjournait à Jetavana, à propos d’un commerçant malhonnête.
Il y avait deux commerçants de Sāvatthi, l’un pieux, l’autre escroc. Ils s’associèrent et chargèrent cinq cents chariots de marchandises, voyageant d’est en ouest pour le commerce ; ils revinrent à Sāvatthi avec de gros profits.
Le pieux marchand suggéra à son associé de partager leurs biens. Le fripon pensa : « Ce type a vécu si longtemps dans la misère, mal nourri et mal logé. Maintenant qu’il est de retour, il va manger toutes sortes de friandises et mourir de suralimentation. Alors, j’aurai tout le stock pour moi. » Il répondit : « Ni les étoiles ni le jour ne sont favorables ; demain ou après-demain, nous verrons. » Il repoussa donc sans cesse le moment. Cependant, le pieux marchand insista, et le partage fut fait. Il alla ensuite rendre visite au Maître avec parfums et guirlandes ; et après une respectueuse révérence, il s’assit à l’écart. Le Maître lui demanda quand il était revenu. « Il y a tout juste quinze jours, Monsieur », dit-il. « Alors pourquoi avez-vous tardé à rendre visite au Bouddha ? » expliqua le marchand. Alors le Maître dit : « Ce n’est pas seulement maintenant que votre associé est un fripon ; il l’était tout autant auparavant. » et à sa demande, il lui raconta une histoire du vieux monde.
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Il était une fois, alors que Brahmadatta était roi de Bénarès, le Bodhisatta vint au monde, fils d’un membre de la cour du roi. Devenu grand, il fut nommé Seigneur Juge.
À cette époque, deux marchands, l’un d’un village et l’autre de la ville, étaient amis. Le villageois déposa cinq cents socs de charrue chez le citadin. L’autre les vendit et en garda le prix, puis il dispersa des crottes de souris à l’endroit où elles se trouvaient. Le villageois arriva peu après et demanda son soc [1]. « Les souris les ont mangés [2] ! » dit le tricheur, en lui montrant la crotte de souris accrochée à lui.
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« Eh bien, eh bien, soit », répondit l’autre : « que peut-on faire avec les choses que les souris ont mangées ?
Or, au moment du bain, il prit le fils de l’autre marchand et le plaça dans la maison d’un ami, dans une chambre intérieure, en leur ordonnant de ne pas le laisser sortir. [182] Et après s’être lavé, il se rendit à la maison de son ami.
« Où est mon fils ? » demanda le tricheur.
« Cher ami », répondit-il, « je l’ai emmené avec moi et je l’ai laissé au bord de la rivière. Et alors que je descendais dans l’eau, un faucon est arrivé, a saisi votre fils dans ses serres et s’est envolé. J’ai battu l’eau, crié, lutté, mais je n’ai pas réussi à le faire lâcher prise. »
« Mensonges ! » s’écria le voyou. « Aucun faucon ne pourrait enlever un garçon. »
« Laisse faire, cher ami : si des choses inattendues arrivent, comment puis-je y faire quoi que ce soit ? Ton fils a été enlevé par un faucon, comme je le dis. »
L’autre l’injuria. « Ah, scélérat ! meurtrier ! Je vais maintenant trouver le juge et te faire traîner devant lui ! » Et il partit. Le villageois dit : « Comme tu veux », et se rendit au tribunal. Le scélérat s’adressa ainsi au Bodhisatta.
« Monseigneur, cet homme a emmené mon fils se baigner, et quand je lui ai demandé où il était, il m’a répondu qu’un faucon l’avait emporté. Jugez ma cause ! »
« Dis la vérité », dit le Bodhisatta en demandant à l’autre.
« En effet, mon seigneur, répondit-il, je l’ai emmené avec moi, et un faucon l’a emporté. »
« Mais où dans le monde y a-t-il des faucons qui enlèvent des garçons ? »
« Monseigneur », répondit-il, « j’ai une question à vous poser. Si les faucons ne peuvent pas emporter les garçons dans les airs, les souris peuvent-elles manger des socs de charrue en fer ? »
« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
« Monseigneur, j’ai déposé chez cet homme cinq cents socs de charrue. L’homme m’a dit que les souris les avaient dévorés et m’a montré les excréments des souris responsables. Monseigneur, si les souris mangent des socs de charrue, les faucons emportent les garçons ; mais si les souris ne peuvent pas faire cela, les faucons non plus n’emporteront pas le garçon. Cet homme dit que les souris ont mangé mes socs de charrue. Prononcez la sentence, qu’elles soient mangées ou non. [183] Jugez ma cause ! »
« Il a dû vouloir, pensa le Bodhisatta, combattre le filou avec ses propres armes. — Bien conçu ! » dit-il, puis il prononça ces deux vers :
« Bien planifié en effet ! Le mordeur a mordu,
Le filou a trompé – un joli coup !
Si les souris mangent des socs de charrue, les faucons peuvent voler
Avec des garçons dans le ciel ! p. 129
« Un voyou qui se fait avoir à coups de rétorsion !
Rends la charrue, et après ça
Peut-être l’homme qui a perdu la charrue
Je peux te rendre ton fils maintenant ! » [3]
[184] Ainsi celui qui avait perdu son fils le recouvra, et il recouvra le soc de sa charrue qui l’avait perdu ; et ensuite tous deux s’en allèrent selon leurs œuvres.
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Lorsque ce discours fut terminé, le Maître identifia la Naissance : « Le tricheur dans les deux cas était le même, et l’homme intelligent aussi ; j’étais moi-même le Lord Chief Justice. »
127:1 Ici, dans l’avant-dernière phrase et dans les versets, le singulier phālaṁ est utilisé. Il est possible qu’il s’agisse d’un collectif, mais il est plus probable qu’il s’agisse d’une version plus simple et plus ancienne, où un seul est mentionné. Les lecteurs n’ont pas manqué de remarquer l’affection de l’éditeur du Jātaka pour les nombres ronds, en particulier cinq cents. ↩︎
127:2 Les choses rongées par les souris ou les rats portaient malheur ; cf. vol. 1, p. 372 (pāli), Tevijja-Sutta Mahāsīlaṁ i (trad. dans S. BE, Buddhist Suttas, p. 196). L’homme va ici plus loin que nécessaire ; si les souris avaient seulement grignoté les socs de la charrue, peut-être les aurait-il jetés. — Nous pouvons également avoir une référence à un vieux proverbe, trouvé à la fois en grec et en latin : « là où les souris mangent du fer » signifiait « nulle part ». Herondas 3. 76 οὑδ᾽ ὅκου χώρης οἱ μῦς ὁμοίως τὸν σίδηρον τρώγουσιν. Sénèque, Apocolocyntosis chap. 7 (à Claude au ciel) venisti huc ubi mures ferrum rodunt. ↩︎
129:1 On trouve une réplique similaire dans North Ind. N. and O. iii. 214 (Le jugement du chacal) ; Swynnerton, Ind. Nights Entertainments, p. 142 (Le voyageur et le pétrolier) ; et une histoire d’un pétrolier dans Tunische Märchen de Stumme, vol. ii. ↩︎