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« Qui est cette grue huppée ? » etc. — Le Maître raconta cette histoire à Jetavana, celle d’un Frère avide. Lui aussi fut amené à la salle d’audience, et le Maître dit : « Ce n’est pas seulement maintenant qu’il est avide ; il l’était déjà, et sa cupidité lui a coûté la vie ; et c’est à cause de lui que les sages d’autrefois ont été chassés de leurs foyers. » Puis il raconta une histoire.
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Il était une fois, lorsque Brahmadatta était roi de Bénarès, un riche cuisinier marchand de cette ville suspendit un nid-panier dans sa cuisine pour en tirer des mérites. Le Bodhisatta de l’époque était un Pigeon ; il vint y vivre.
Un corbeau avide, volant au-dessus de la cuisine, fut attiré par les poissons qui s’y trouvaient en grande variété. Il en eut une envie irrésistible. « Comment diable puis-je en trouver ? » pensa-t-il. Puis son regard tomba sur le Bodhisatta. « Je l’ai ! » pensa-t-il, « je vais faire de cette créature ma patte de chat. » Et c’est ainsi qu’il mit sa résolution à exécution.
Lorsque le Pigeon sortit pour chercher sa nourriture du jour, derrière lui, suivant, suivant, venait le Corbeau.
« Que me veux-tu, Monsieur Corbeau ? » demande le Pigeon. « Toi et moi, on ne se nourrit pas pareil. »
« Ah, mais je t’aime bien », dit le Corbeau. « Laisse-moi être ton humble serviteur et me nourrir avec toi. »
Le Pigeon accepta. Mais lorsqu’ils allaient se nourrir ensemble, le Corbeau faisait semblant de manger avec lui ; de temps à autre, il se retournait, piquait un morceau de bouse de vache et attrapait un ou deux vers. Une fois rassasié, il s’envolait : « Tiens, Monsieur Pigeon ! Comme tu prends ton repas en main ! On ne sait jamais où fixer les limites. Allons, rentrons avant qu’il ne soit trop tard. » Et c’est ce qu’ils firent. De retour ensemble, le Cuisinier, voyant que leur Pigeon avait amené un ami, accrocha un autre panier.
Les choses continuèrent ainsi pendant quatre ou cinq jours. Puis une grande quantité de poisson arriva à la cuisine du riche. Comme le Corbeau en avait envie ! Il resta là, depuis le petit matin, gémissant et faisant grand bruit. Au matin, dit le Pigeon au Corbeau :
« Viens, mon vieux, petit-déjeuner ! »
« Tu peux y aller », dit-il, « j’ai une telle indigestion ! »
« Un Corbeau souffrant d’indigestion ? Absurde ! » dit le Pigeon. « Même une mèche de lampe ne reste pratiquement pas dans votre estomac ; et tout le reste, vous le digérez en un clin d’œil, dès que vous l’avez mangé. Maintenant, faites ce que je vous dis. [363] Ne vous comportez pas ainsi juste pour voir un petit poisson ! »
« Mais, Monsieur, que dites-vous ? Je vous le dis, j’ai une terrible douleur intérieure !
« D’accord, d’accord », dit le Pigeon ; « fais seulement attention. » Et il s’envola.
Le cuisinier prépara tous les plats, puis se tint à la porte de la cuisine, s’épongeant la sueur. « C’est mon tour ! » pensa Maître Corbeau, et il se posa sur un plat contenant un mets délicat. Clic ! Le cuisinier entendit le bruit et regarda autour de lui. Ah ! en un clin d’œil, il attrapa le Corbeau et lui arracha toutes les plumes, sauf une touffe sur le dessus de la tête ; puis il réduisit en poudre du gingembre et de la cannelle, mélangea le tout à du babeurre et en frotta généreusement le corps de l’oiseau. « C’est pour avoir gâché le dîner de mon maître et m’avoir obligé à le jeter ! » dit-il en le jetant dans son panier. Oh, comme ça faisait mal !
Peu à peu, le Pigeon revint de sa chasse. La première chose qu’il vit fut notre Corbeau, faisant grand bruit. Comme il s’en moquait, c’est sûr ! Il se lança dans un poème, comme suit :
« Qui est cette grue huppée [1] que je vois
Là où elle n’a pas le droit d’être ?
Sors ! Mon ami le Corbeau est proche,
Qui vous fera du mal, j’en ai peur !
[364] À cela, le Corbeau répondit par un autre vers :
« Je ne suis pas une grue huppée, non, non !
Rien d’autre qu’un corbeau gourmand.
Je ne ferais pas ce qu’on me disait
Ainsi je suis cueilli, comme vous le voyez.
Et le Pigeon répondit avec un troisième :
« Tu auras encore des ennuis, je le sais…
C’est dans ta nature de le faire.
Si les gens préparent un plat de viande,
« Ce n’est pas aux petits oiseaux de jouer les chats. »
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Alors le Pigeon s’envola en disant : « Je ne peux pas vivre avec cette créature. » Et le Corbeau resta là, gémissant jusqu’à sa mort.
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Lorsque le Maître eut terminé ce discours, il déclara les Vérités et identifia la Naissance : à la conclusion des Vérités, le Frère avide atteignit le Fruit du Troisième Sentier : « Le Frère avide de ces jours-là était le Corbeau avide ; et j’étais le Pigeon. »
248:1 La même histoire se retrouve dans le vol. ip 112 (n° 42). Elle a également été traduite et légèrement raccourcie par l’auteur, dans Jacobs’ Indian Fairy Tales, page 222. Les deux oiseaux et le panier-nid semblent figurer sur le Bharhut Stalin (Cunningham, pl. XLV. 7). ↩︎