[ p. 58 ]
[90] « Bien que loin », etc. Le Maître raconta cette histoire, alors qu’il résidait à Jetavana, à propos d’un Ancien qui devait subvenir aux besoins de sa mère. Les circonstances de l’événement sont semblables à celles de la Naissance de Sāma [^67]. À cette occasion également, le Maître dit, s’adressant aux Frères : « Ne vous fâchez pas, Frères, contre cet homme ; il y a eu des sages d’autrefois qui, même nés du ventre d’un animal, séparés de leur mère, refusèrent de se nourrir pendant sept jours, dépérissant ; et même lorsqu’on leur offrit une nourriture digne d’un roi, ils répondirent simplement : « Sans ma mère, je ne mangerai pas ; et pourtant, ils reprirent de la nourriture dès qu’ils virent leur mère. » En disant cela, il raconta une histoire du passé.
Il était une fois, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit sous la forme d’un éléphant dans l’Himalaya. Tout blanc, il était une bête magnifique, entouré d’un troupeau de quatre-vingt mille éléphants ; mais sa mère était aveugle. Il donnait à ses éléphants le fruit sauvage, si doux, pour qu’ils le lui apportent ; pourtant, ils ne lui en donnèrent rien, mais ils en mangèrent tout. Lorsqu’il s’enquit de cette nouvelle, il dit : « Je vais quitter le troupeau et chérir ma mère. » Alors, à la nuit tombée, à l’insu des autres éléphants, emmenant sa mère avec lui, il partit pour le mont Caṇḍoraṇa ; là, il la déposa dans une grotte des collines, près d’un lac, et la chérit.
Or, un forestier de Bénarès s’était égaré ; incapable de s’orienter, il se lamenta bruyamment. Entendant ce bruit, le Bodhisatta pensa : « Il y a un homme en détresse, et il ne convient pas qu’il lui arrive du mal tant que je suis ici. » Il s’approcha donc de l’homme, mais celui-ci, effrayé, s’enfuit. Voyant cela, l’Éléphant lui dit : « Ho homme ! Tu n’as pas à me craindre. Ne fuis pas, mais dis-moi pourquoi tu te promènes en pleurant. »
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« Monseigneur, dit l’homme, je me suis égaré il y a sept jours. »
L’éléphant dit : « N’aie pas peur, ô homme, car je te mettrai sur le chemin des hommes. » Puis il fit asseoir l’homme sur son dos, le porta hors de la forêt et revint.
Cet homme méchant décida d’entrer dans la ville et d’en informer le roi. Il observa donc les arbres et les collines, puis se dirigea vers Bénarès. À ce moment-là, l’éléphant d’apparat du roi venait de mourir. Le roi fit proclamer au son du tambour : « Si quelqu’un a vu, quelque part, un éléphant digne de la monture royale, qu’il le déclare ! » Alors cet homme se présenta devant le roi et dit : « Moi, mon seigneur, j’ai vu un éléphant splendide, tout blanc et excellent, digne de la monture royale. Je vais vous montrer le chemin ; envoyez-moi simplement les dompteurs d’éléphants, et vous l’attraperez. » Le roi accepta et envoya avec l’homme un garde forestier et une grande troupe de serviteurs.
L’homme l’accompagna et trouva le Bodhisatta en train de se nourrir dans le lac. Voyant le forestier, le Bodhisatta pensa : « Ce danger vient sans doute de lui seul. Mais je suis très fort ; je peux disperser même mille éléphants ; par la colère, je peux détruire toutes les bêtes qui portent l’armée de tout un royaume. Mais si je cède à la colère, ma vertu sera ternie. Aussi, aujourd’hui, je ne serai pas en colère, même transpercé par des couteaux. » Fort de cette résolution, il resta immobile, la tête baissée.
Le forestier descendit dans le lac aux lotus et, voyant la beauté de ses pointes, dit : « Viens, mon fils ! » Puis, le saisissant par le tronc (et c’était comme une corde d’argent), il le conduisit en sept jours à Bénarès.
Lorsque la mère du Bodhisatta constata que son fils ne venait pas, elle pensa qu’il avait dû être capturé par les nobles du roi. [92] « Et maintenant », gémit-elle, « tous ces arbres continueront de pousser, mais il sera loin » ; et elle répéta deux strophes :
« Même si cet éléphant doit aller loin,
L’olibane et le kuṭaja [^68] continueront de pousser,
Céréales, herbe et lauriers roses, lys blancs,
Dans les endroits abrités, les jacinthes des bois fleurissent encore sombrement.
« Quelque part, cet éléphant royal doit aller,
Pleinement nourri par ceux dont la poitrine et le corps montrent
Tout orné d’or, que le roi ou le prince puisse chevaucher
« Sans peur de triompher de l’ennemi en cotte de mailles. »
Alors que le dompteur était encore en chemin, il envoya un message au roi. Et le roi fit décorer la ville. Le dompteur conduisit le Bodhisatta dans une écurie toute ornée de festons et de guirlandes, et, l’entourant d’un rideau multicolore, envoya un message au roi. Le roi prit toutes sortes de mets raffinés et les fit donner au Bodhisatta. Mais il ne voulut rien manger : « Sans ma mère, je ne mangerai rien », dit-il. Le roi le supplia de manger, répétant la troisième strophe :
[93]
« Viens, prends un morceau, Éléphant, et ne dépéris jamais :
Il y a beaucoup de choses que tu devras faire un jour pour servir ton roi.
En entendant cela, le Bodhisatta répéta la quatrième strophe :
« Non, elle, près du mont Caṇḍoraṇa, pauvre aveugle et misérable,
Elle bat avec un pied sur une racine d’arbre, sans son fils royal.
Le roi dit la cinquième strophe pour lui demander ce qu’il voulait dire :
« Qui n’est pas près du mont Caṇḍoraṇa, quel aveugle et misérable,
Elle bat avec un pied sur une racine d’arbre, sans son fils royal ?
À quoi l’autre répondit dans la sixième strophe :
« Ma mère par Caṇḍoraṇa, oh aveugle, oh misérable !
Elle frappe du pied sur une racine d’arbre, faute de moi, son fils !
Et entendant cela, le roi lui rendit la liberté, en récitant la septième strophe :
« Ce puissant éléphant, qui nourrit sa mère, est libéré :
Et qu’il aille vers sa mère et vers toute sa famille.
Les huitième et neuvième strophes sont celles du Bouddha dans sa sagesse parfaite :
« L’éléphant libéré de prison, la bête libérée de ses chaînes,
Avec des paroles de consolation [1], je retournai dans les collines.
[94]"Puis depuis le bassin frais et limpide, où les éléphants fréquentent,
Il puisa de l’eau avec sa trompe, et sa mère tout entière s’enfuit.
Mais la mère du Bodhisatta pensa qu’il avait commencé à pleuvoir et répéta la dixième strophe, réprimandant la pluie :
« Qui apporte la pluie hors saison, quelle divinité maléfique ?
Car il est parti, mon fils, celui qui prenait soin de moi.
Alors le Bodhisatta répéta la onzième strophe, pour la rassurer :
« Lève-toi, mère ! Pourquoi es-tu allongée là ? Ton fils est arrivé !
Vedeha, le glorieux roi de Kāsi, m’a renvoyé sain et sauf chez moi.
Et elle rendit grâce au roi en répétant la dernière strophe :
« Longue vie à ce roi ! Puisse-t-il apporter à ses royaumes la prospérité,
Qui a libéré ce fils qui m’a témoigné tant de respect ?
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Le roi, satisfait de la bonté du Bodhisatta, construisit une ville non loin du lac et rendit continuellement service au Bodhisatta et à sa mère. Plus tard, lorsque sa mère mourut et que le Bodhisatta eut célébré ses obsèques, il se rendit dans un monastère appelé Karaṇḍaka. Cinq cents sages s’y installèrent, et le roi leur rendit le même service. Le roi fit ériger une statue de pierre à l’effigie du Bodhisatta, à laquelle il rendit un grand honneur. Là, chaque année, les habitants de toute l’Inde se réunissaient pour célébrer ce qu’on appelait la Fête de l’Éléphant.
Lorsque le Maître eut terminé ce discours, il déclara les Vérités et identifia la Naissance : (maintenant, à la conclusion des Vérités, le Frère qui soutenait sa mère était établi dans le fruit du Premier Sentier) : « À cette époque, Ānanda était le roi, la dame Mahāmāyā était l’éléphante, et j’étais moi-même l’éléphant qui nourrissait sa mère. »
[^68] : 58 : 1 n° 540, vol. vi. 68 (pali).
59:1 Une plante médicinale. ↩︎