[^139]
[167] « Celui qui désire », etc. Cette histoire, le Maître la raconta alors qu’il résidait à Jetavana, à propos d’un certain brahmane.
Un brahmane, dit-on, qui habitait à Sāvatthi, abattait des arbres sur la rive de l’Aciravatī afin de cultiver la terre. Le Maître, percevant sa destinée [^140], alors qu’il rendait visite à Sāvatthi pour demander l’aumône, fit un détour pour lui parler gentiment. « Que fais-tu, brahmane ? » demanda-t-il. « Ô Gotama », dit l’homme, « je libère un espace pour la culture. » « Très bien », répondit-il, « continue ton travail, brahmane. » De la même manière, le Maître vint lui parler lorsque les troncs abattus furent tous enlevés et que l’homme défrichait son arpent, puis au moment des labours et de la création des petits talus pour l’eau [^141]. Or, le jour des semailles, le brahmane dit : « Aujourd’hui, ô Gotama, c’est ma fête du labour [^142]. Quand ce maïs sera mûr, je ferai abondamment l’aumône à l’Ordre, avec le Bouddha à leur tête. » Le Maître accepta son offre et s’en alla. Un autre jour, il revint et vit le brahmane observer le maïs. « Que fais-tu, brahmane ? » demanda-t-il. « Observer le maïs, ô Gotama ! » « Très bien, brahmane », dit le Maître, et il partit. Le brahmane pensa alors : « Que de fois Gotama l’ascète vient par ici ! Il a sans doute besoin de nourriture. Eh bien, je lui en donnerai. » Le jour où cette pensée lui traversa l’esprit, lorsqu’il rentra chez lui, il trouva le Maître également présent. Alors s’éleva chez le brahmane une confiance merveilleuse.
Peu à peu, lorsque le blé serait mûr, le brahmane résolut de moissonner le champ le lendemain. Mais alors qu’il était au lit, sur les hauteurs de l’Aciravatī, la pluie tomba à verse : une inondation s’abattit et emporta toute la récolte jusqu’à la mer, si bien qu’il n’en resta plus une seule tige. Lorsque l’inondation [ p. 105 ] se retira et que le brahmane vit ses récoltes détruites, il n’eut plus la force de se lever : la main sur le cœur (car il était accablé de chagrin), il rentra chez lui en pleurant et s’allongea en se lamentant. Au matin, le Maître vit ce brahmane accablé par son malheur et pensa : « Je serai son soutien. » Le lendemain, après sa tournée d’aumônes à Sāvatthi, de retour de la nourriture, il renvoya les Frères à leur monastère, et lui-même, accompagné du cadet qui l’accompagnait, se rendit chez l’homme. [168] Lorsque le brahmane apprit sa venue, il reprit courage, pensant : « Mon ami doit être venu pour une conversation amicale. » Il lui offrit un siège ; le Maître entra, s’assit sur le siège indiqué et demanda : « Pourquoi es-tu découragé, brahmane ? Qu’est-ce qui te déplaît ? » « Ô Gotama ! » dit l’homme, « depuis que j’ai abattu les arbres sur la rive de l’Aciravatī, tu sais ce que je fais. J’ai parcouru le pays et je t’ai promis des cadeaux quand la récolte serait mûre : maintenant qu’une inondation a emporté toute la récolte jusqu’à la mer, il n’en reste plus rien ! » Des céréales ont été détruites à hauteur de cent chariots, et je suis profondément affligé ! — « Pourquoi, ce qui est perdu reviendra-t-il pour le deuil ? » — « Non, Gotama, cela ne le sera pas. » — « S’il en est ainsi, pourquoi s’affliger ? Les richesses des êtres en ce monde, ou leur blé, quand ils les ont, ils les ont, et quand elles sont parties, eh bien, elles sont parties. Rien de composé ne peut être détruit ; ne vous y attardez pas. » Le réconfortant ainsi, le Maître répéta l’Écriture Kama [^143] comme étant appropriée à son cas. À la fin du Kama, le brahmane en deuil fut établi dans le Fruit du Premier Sentier. Le Maître, l’ayant soulagé de sa douleur, se leva de son siège et retourna au monastère.
Toute la ville apprit comment le Maître avait trouvé un brahmane en proie aux affres du chagrin, l’avait consolé et l’avait établi sur le Fruit du Premier Chemin. Les Frères en parlèrent dans la Salle de la Vérité : « Écoutez, Messieurs ! Le Dasabala s’est lié d’amitié avec un brahmane, s’est lié d’amitié avec lui, a saisi l’occasion de lui enseigner la Loi, alors qu’il était en proie aux affres du chagrin, l’a soulagé de sa douleur et l’a établi sur le Fruit du Premier Chemin ! » Le Maître entra et demanda : « De quoi parlez-vous, Frères, alors que vous êtes assis ici ensemble ? » Ils le lui dirent. Il répondit : « Ce n’est pas la première fois, Frères, que je guéris son chagrin, mais je l’ai fait il y a très, très longtemps », et sur ces mots, il raconta une histoire du passé.
Il était une fois Brahmadatta, roi de Bénarès, qui avait deux fils. Il confia la vice-royauté à l’aîné, et le cadet, commandant en chef. Plus tard, à la mort de Brahmadatta, les courtisans voulurent faire de l’aîné un roi par aspersion. Mais il dit : « Peu m’importe un royaume ; laissez-le à mon cadet. » Ils le supplièrent, mais il refusa ; et le cadet fut aspergé pour devenir roi. L’aîné ne se souciait ni de la vice-royauté, ni de quoi que ce soit de ce genre ; et lorsqu’ils le supplièrent de rester et de se nourrir des richesses du pays, il répondit : « Non, je n’ai rien à faire dans cette ville. » Et il quitta Bénarès. Il se rendit à la frontière et vécut chez un riche marchand, travaillant de ses propres mains. Ceux-ci, après quelque temps, apprenant qu’il était fils de roi, ne lui permirent pas de travailler, mais le servirent comme un prince doit être servi.
Quelque temps plus tard, les officiers du roi arrivèrent au village pour inspecter les champs. Le marchand s’adressa alors au prince et lui dit : « Mon seigneur, nous vous soutenons ; voulez-vous envoyer une lettre à votre jeune frère pour obtenir une remise d’impôts ? » Il accepta et écrivit : « Je vis avec la famille d’un tel marchand ; je vous prie de leur remettre leurs impôts pour mon bien. » Le roi y consentit et le fit. Sur ce, tous les villageois et les habitants des environs vinrent le trouver et lui dirent : « Faites-nous remettre nos impôts, et nous vous les paierons. » Il envoya également sa requête pour eux et obtint la remise des impôts. Après cela, les habitants lui payèrent leurs impôts. Ses recettes et son honneur furent alors considérables ; et cette grandeur augmenta aussi sa cupidité. Peu à peu, il réclama tout le district, puis la charge de vice-roi, et son cadet lui céda tout. Puis, sa cupidité grandissant, il ne se contenta même plus de la vice-royauté et décida de s’emparer du royaume. C’est pourquoi il partit avec une armée et, s’établissant à l’extérieur de la ville, envoya une lettre à son jeune frère : « Cède-moi le royaume, ou bats-toi pour lui. »
Le cadet pensa : « Cet idiot a refusé le royaume, la vice-royauté et tout le reste ; et maintenant il dit : Je le prendrai par la bataille ! Si je le tue au combat, ce sera ma honte ; que m’importe d’être roi ? » Il envoya donc un message : « Je n’ai aucune envie de me battre ; tu peux avoir le royaume. » L’autre accepta et nomma son jeune frère vice-roi.
Dès lors, il régna sur le royaume. Mais son avidité était telle qu’un seul royaume ne pouvait le satisfaire. Il désira deux royaumes, puis trois, et pourtant sa cupidité ne voyait pas de limite.
À ce moment-là, Sakka, roi des dieux, regarda autour de lui : « Qui sont-ils, pensa-t-il, qui prennent soin de leurs parents ? Qui font l’aumône et font le bien ? Qui sont sous le pouvoir de la cupidité ? » Il comprit que cet homme était sujet à la cupidité : « Cet imbécile, pensa-t-il, ne se contente pas d’être roi de Bénarès. Eh bien, je vais lui donner une leçon. » Alors, sous les traits d’un jeune brahmane, il se tint à la porte du palais et fit dire qu’un jeune homme intelligent se tenait à la porte. Il fut admis et souhaita la victoire au roi ; alors le roi dit : « Pourquoi êtes-vous venu ? » « Puissant roi ! répondit-il, j’ai quelque chose à vous dire, mais je désire rester en privé. » Par le pouvoir de Sakka, à cet instant précis, le peuple se retira. Alors le jeune homme dit : « Ô grand roi ! Je connais trois villes prospères, peuplées d’hommes, fortes en troupes et en chevaux : de celles-ci, par ma propre force, j’obtiendrai la souveraineté et te la remettrai. Mais ne tarde pas et pars immédiatement. Le roi, plein de convoitise, donna son consentement. (Mais, grâce au pouvoir de Sakka, il fut empêché de demander : « Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Et que vas-tu recevoir ? ») Sakka dit cela, puis retourna à la demeure des Trente-Trois.
Alors le roi convoqua ses courtisans et leur adressa la parole [1]. [ p. 107 ] « Un jeune homme est venu ici, promettant de s’emparer de trois royaumes et de me les donner ! Allez le chercher ! Faites résonner le tambour dans la ville, rassemblez l’armée, ne tardez pas, car je suis sur le point de prendre trois royaumes ! » « Ô grand roi ! » dirent-ils, « avez-vous offert l’hospitalité au jeune homme, ou avez-vous demandé où il habitait ? » « Non, non, je ne lui ai pas offert l’hospitalité, je ne lui ai pas demandé où il habitait : allez le chercher ! » Ils le cherchèrent, mais ne le trouvèrent pas ; ils informèrent le roi qu’ils ne pouvaient pas trouver le jeune homme dans toute la ville. En entendant cela, le roi devint sombre. « La seigneurie de trois villes est perdue », pensa-t-il encore et encore : « Je suis privé d’une grande gloire. Sans doute le jeune homme s’en alla en colère contre moi, de ce que je ne lui avais donné ni argent pour ses dépenses, ni logement. [171] Alors, dans son corps, rempli de cupidité, une brûlure s’éleva ; tandis que le corps brûlait, ses entrailles se mirent à couler en un flux sanguinolent ; la nourriture entrait et sortait comme elle entrait ; les médecins ne purent le guérir, le roi était épuisé. Sa maladie se répandit dans toute la ville.
À cette époque, le Bodhisatta était revenu de Takkasilā chez ses parents à Bénarès, après avoir maîtrisé toutes les branches du savoir. Apprenant la nouvelle du roi, il se rendit au palais avec l’intention de le guérir et fit savoir qu’un jeune homme était là, prêt à le guérir. Le roi dit : « Les grands et les plus renommés médecins, connus de près comme de loin, ne peuvent me guérir : que peut faire un jeune homme ? Payez ses frais et laissez-le partir. » Le jeune homme répondit : « Je ne veux pas d’honoraires pour mon traitement, mais je le guérirai ; qu’il me paie simplement le prix de mon remède. » À ces mots, le roi accepta et le laissa entrer. Le jeune homme salua le roi : « Ne crains rien, ô roi ! » dit-il ; « Je te guérirai ; dis-moi seulement l’origine de ton mal. » Le roi répondit avec colère : « Que t’importe ? Prépare ton remède. » « Ô grand roi », dit-il, « c’est la manière des médecins de savoir d’abord d’où vient la maladie, puis de trouver un remède adapté. » « Bien, bien, mon fils », dit le roi, et il commença à raconter l’origine de la maladie, en commençant par l’endroit où ce jeune homme était venu et avait promis de lui donner la seigneurie de trois villes. « Ainsi, mon fils, la maladie est née de la cupidité ; maintenant, guéris-la si tu peux. » « Quoi, ô roi ! dit-il, peux-tu conquérir ces villes en te lamentant ? » — « Mais non, mon fils. » — « Puisqu’il en est ainsi, pourquoi te lamenter, ô grand roi ? Tout, animé ou inanimé, doit passer et laisser tout derrière lui, même son propre corps. [172] Même si tu obtenais, régnais sur quatre villes, tu ne pourrais pas à la fois manger quatre plats de nourriture, t’étendre sur quatre canapés, porter quatre ensembles de robes. Tu ne devrais pas être l’esclave du désir ; car le désir, lorsqu’il augmente, ne permet aucune libération des quatre états de souffrance. » Ainsi, l’ayant averti, le Grand Être déclara la Loi dans les strophes suivantes :
[ p. 108 ]
« Celui qui désire une chose, et qui est béni par l’accomplissement de son désir,
C’est un homme au cœur joyeux, car il a désormais réalisé son souhait. [2]
« Celui qui désire une chose, et qui est béni par l’accomplissement de son désir,
Les désirs se multiplient sur lui, comme la soif l’opprime en temps de chaleur.
« Comme chez les vaches cornues, la corne grandit avec leur croissance :
Ainsi, chez un homme insensé et sans discernement, qui ne sait rien,
À mesure que l’homme grandit, la soif et le désir grandissent de plus en plus.
« Donnez tout le riz et le blé de la terre, les esclaves, les vaches et les chevaux,
Ce n’est pas suffisant pour un seul : sachez cela et gardez une voie droite.
« Un roi qui devrait soumettre le monde entier,
Le monde entier jusqu’à l’océan,
Avec ce côté de la mer insatisfait
Je désirerais ce qui pourrait se trouver au-delà de la mer.
« Creusez des désirs dans votre cœur, le contentement ne surviendra jamais.
Quiconque se détourne de ces choses, et découvre le véritable remède,
Celui qui satisfait la sagesse est content.
« Il vaut mieux être plein de sagesse : aucune convoitise ne peut les enflammer ;
Jamais l’homme rempli de sagesse n’est esclave du désir.
« Écrasez vos désirs, et manquez de peu, ne soyez pas avide de tout gagner :
Celui qui est comme la mer n’est pas brûlé par le désir intérieur,
Mais comme un cordonnier, il coupe la chaussure en fonction de la peau.
[173]"Pour chaque désir abandonné, un bonheur est gagné :
Celui qui désire tout le bonheur doit l’accomplir avec toute la luxure.
[174] Mais tandis que le Bodhisatta répétait ces stances, l’esprit concentré sur l’ombrelle blanche du roi, s’éleva en lui le ravissement mystique atteint par la lumière blanche [3]. Le roi, de son côté, recouvra la santé ; il se leva de joie et s’adressa à lui ainsi : « Alors que tous ces médecins n’arrivaient pas à me guérir, un jeune homme sage m’a guéri par le remède de sa sagesse ! » Et il répéta alors la dixième stance :
[175]
« Tu as prononcé huit [4] vers, valant mille pièces chacun :
Prends, ô grand brahmane ! Prends la somme, car douce est ta parole.
Sur quoi le Grand Être répéta le onzième :
« Pour des milliers, des centaines, des millions de fois un million [5], je m’en fiche :
Comme le dernier verset que j’ai prononcé, dans mon cœur le désir est mort.
De plus en plus ravi, le roi récita la dernière strophe à la louange du Grand Être :
« Sage et bon est en effet ce jeune homme, connaissant toute la science de tous les mondes :
Tout désir, en vérité, est mère de misère par sa manifestation.
[ p. 109 ]
« Grand roi ! » dit le Bodhisatta, « sois circonspect et marche dans la droiture. » Ainsi avertissant le roi, il traversa les airs jusqu’à l’Himalaya et, menant une vie de reclus, cultiva les Excellences tant qu’il vécut et fut destiné au monde de Brahma.
Ce discours terminé, le Maître dit : « Ainsi, Frères, autrefois comme aujourd’hui, j’ai rendu ce brahmane entier. » En disant cela, il identifia la Naissance : « À cette époque, ce brahmane était le roi, et j’étais le jeune homme sage. »
104:1 Voir n° 228 (ii. p. 149 de cette traduction). ↩︎
104:2 C’est-à-dire sa capacité dans la vie spirituelle. ↩︎
104:3 Reportez-vous au passage suivant dans Vedantaparibbhasha : « Yatha taddagodakaṃ kulyatmana kedaran praviçya tadvadeva catushkoṇadyakaram bhavati. » (Je suis redevable de cette note au professeur Cowell.) Voir aussi Sleeman, Rambles &c. ii. 178. ↩︎
104:4 Il y avait une grande cérémonie annuelle de ce genre, au cours de laquelle le roi tenait la charrue ; voir Hardy’s Manual of Buddhism, p. 150. ↩︎
105:1 Kāmasuttaṁ: dans Sutta-Nipāta, IV. i. (p. 146). Voir la première strophe ci-dessous. ↩︎