Grand Catéchisme — Le Quatrième Commandement. | Page de titre | Grand Catéchisme — Le sixième commandement. |
Tu ne tueras point.
Nous avons maintenant accompli le gouvernement spirituel et temporel, c’est-à-dire l’autorité et l’obéissance divines et paternelles. Mais ici, nous quittons notre maison pour aller vers nos voisins afin d’apprendre comment nous devons vivre les uns avec les autres, chacun envers son prochain. Dieu et le gouvernement ne sont donc pas inclus dans ce commandement, pas plus que le pouvoir de tuer, qu’ils ont supprimé. Car Dieu a délégué son autorité de punir les malfaiteurs au gouvernement, plutôt qu’aux parents, qui autrefois (comme nous le lisons dans Moïse) étaient tenus de traduire leurs propres enfants en jugement et de les condamner à mort. Par conséquent, ce qui est interdit ici l’est à l’individu dans ses relations avec autrui, et non au gouvernement.
Ce commandement est assez simple et a été souvent traité, car nous l’entendons chaque année dans l’Évangile selon saint Matthieu, 5, 21 et suiv., où le Christ lui-même l’explique et le résume : il ne faut tuer ni par la main, ni par le cœur, ni par la bouche, ni par des signes, ni par des gestes, ni par une aide, ni par un conseil. Il est donc ici interdit à quiconque de se mettre en colère, sauf (comme nous l’avons dit) ceux qui sont à la place de Dieu, c’est-à-dire les parents et le gouvernement. Car il convient à Dieu et à quiconque est dans l’état divin de se mettre en colère, de reprendre et de punir, notamment à cause de ceux qui transgressent ce commandement et les autres.
Mais la cause et la nécessité de ce commandement, c’est que Dieu sait bien que le monde est mauvais et que cette vie est pleine de malheurs ; c’est pourquoi il a placé ce commandement et les autres entre le bien et le mal. Or, comme tous les commandements sont souvent attaqués, il arrive aussi que ce commandement nous oblige à vivre au milieu de nombreuses personnes qui nous font du mal, de sorte que nous avons des raisons de leur être hostiles.
Comme lorsque votre voisin voit que vous avez une meilleure maison et un meilleur foyer [une famille plus nombreuse et des champs plus fertiles], de plus grands biens et une plus grande fortune de Dieu que lui, il se met en colère, vous envie et ne dit pas de bien de vous.
Ainsi, par l’incitation du diable, vous vous attirerez de nombreux ennemis qui ne supporteront pas que vous ayez le moindre bien, physique ou spirituel. Face à de telles personnes, nos cœurs, à leur tour, s’emportent, saignent et se vengent. Alors surgissent les malédictions et les coups, d’où résultent finalement la misère et le meurtre. Voici que Dieu, tel un père bienveillant, intervient et souhaite que la querelle soit réglée, qu’aucun malheur n’en résulte et que personne ne se détruise. En bref, il veut ainsi protéger, libérer et maintenir chacun en paix contre le crime et la violence d’autrui ; et il veut que ce commandement, tel un rempart, une forteresse et un refuge, entoure notre prochain de ne lui faire aucun mal ni aucun dommage corporel.
Ce commandement vise donc à ce que nul n’offense son prochain par une mauvaise action, même s’il l’a pleinement méritée. Car là où le meurtre est interdit, toute cause pouvant en être la cause est également interdite. Car plus d’un, sans tuer, jure et formule un vœu qui empêcherait quelqu’un de courir loin s’il était atteint au cou [profère des imprécations qui, si elles s’accomplissaient contre quelqu’un, le priverait de longue vie]. Or, puisque cela est inhérent à chacun par nature et qu’il est courant que personne ne veuille souffrir de la main d’autrui, Dieu désire éradiquer la racine et la source de l’amertume du cœur envers notre prochain, et nous habituer à toujours garder ce commandement présent à l’esprit, à nous y contempler comme dans un miroir, à considérer la volonté de Dieu et, avec une confiance sincère et en invoquant son nom, à lui confier le mal que nous subissons. Ainsi, nous laisserons nos ennemis s’emporter et se mettre en colère, faisant ce qu’ils peuvent, et nous apprendrons à calmer notre colère et à avoir un cœur patient et doux, surtout envers ceux qui nous donnent matière à être en colère, c’est-à-dire nos ennemis.
C’est pourquoi il est essentiel d’inculquer clairement aux simples d’esprit ce que signifie ne pas tuer. Premièrement, ne faire de mal à personne, ni de nos mains ni par nos actes. Deuxièmement, ne pas employer notre langue pour inciter ou conseiller à cela. Troisièmement, ne pas employer ni consentir à aucun moyen ou méthode susceptible de nuire à autrui. Enfin, ne pas avoir de rancune envers qui que ce soit, ni lui souhaiter du mal par colère ou haine, afin que corps et âme soient innocents envers tous, et surtout envers ceux qui vous veulent du mal ou vous en infligent. Car faire du mal à celui qui vous veut du bien n’est pas humain, mais diabolique.
Deuxièmement, selon ce commandement, est coupable non seulement celui qui fait du mal à son prochain, mais aussi celui qui peut lui faire du bien, le prévenir, lui résister, le défendre et le sauver, de sorte qu’aucun mal corporel ne lui arrive, et qui pourtant ne le fait pas. Si donc vous renvoyez quelqu’un nu alors que vous pourriez le vêtir, vous le faites mourir de froid ; si vous voyez quelqu’un souffrir de la faim et ne lui donnez pas à manger, vous le faites mourir de faim. De même, si vous voyez quelqu’un condamné à mort innocent ou dans une situation similaire, et que vous ne le sauvez pas, bien que vous sachiez comment le faire, vous le tuez. Et il ne vous servira à rien de prétexter que vous ne lui avez apporté aucune aide, aucun conseil ni aucune assistance, car vous lui avez refusé votre amour et l’avez privé du bienfait qui lui aurait sauvé la vie.
C’est pourquoi Dieu appelle à juste titre comme meurtriers tous ces hommes qui ne nous conseillent ni ne nous aident dans la détresse et le danger de leur vie et de leur corps. Il leur infligera une sentence terrible au dernier jour, comme le Christ lui-même l’a annoncé lorsqu’il dira (Mt 25, 42s) : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » Autrement dit : vous auriez laissé mourir de faim, de soif et de froid, moi et les miens ; vous auriez laissé les bêtes sauvages nous déchiqueter, ou nous abandonner à pourrir en prison ou à périr dans la détresse. Que signifie cela, sinon les accuser d’être des meurtriers et des limiers ? Car, bien que vous n’ayez pas commis tout cela, vous l’avez néanmoins, pour autant que vous le vouliez, laissé languir et périr dans le malheur.
C’est comme si je voyais quelqu’un naviguer et peiner en eaux profondes [et lutter contre des vents contraires] ou quelqu’un tombé dans le feu, et que je pouvais lui tendre la main pour le sortir de là et le sauver, mais que je refusais de le faire. Comment apparaîtrais-je, même aux yeux du monde, sinon comme un meurtrier et un criminel ?
C’est pourquoi le dessein ultime de Dieu est que nous ne souffrions aucun mal, mais que nous lui témoignions toute notre bonté et tout notre amour ; et, comme nous l’avons dit, ce dessein s’adresse particulièrement à ceux qui sont nos ennemis. Car faire du bien à ses amis n’est qu’une vertu païenne ordinaire, comme le dit le Christ (Mt 5, 46).
Nous avons ici encore la Parole de Dieu par laquelle il nous encourage et nous pousse à de véritables œuvres nobles et sublimes, comme la douceur, la patience, et, en bref, l’amour et la bonté envers nos ennemis, et nous rappelle toujours de réfléchir au premier commandement, qu’il est notre Dieu, c’est-à-dire qu’il nous aidera, nous assistera et nous protégera, afin qu’il puisse ainsi éteindre en nous le désir de vengeance.
Nous devrions pratiquer et inculquer cela, et nous aurions fort à faire de bonnes œuvres. Mais ce ne serait pas prêcher pour les moines ; cela porterait gravement atteinte à l’état religieux et à la sainteté des chartreux, et serait même considéré comme une interdiction des bonnes œuvres et une interdiction des couvents. Car de cette façon, la condition ordinaire des chrétiens serait considérée comme tout aussi digne, et même plus digne, et chacun verrait comment ils se moquent et trompent le monde par une fausse et hypocrite apparence de sainteté, car ils ont abandonné ce commandement et d’autres, les ont estimés inutiles, comme s’il ne s’agissait pas de commandements mais de simples conseils, et ont en même temps proclamé et vanté sans vergogne leur état et leurs œuvres hypocrites comme la vie la plus parfaite, afin de mener une vie agréable et facile, sans croix et sans patience, raison pour laquelle aussi ils ont recours aux cloîtres, afin de n’être obligés de souffrir aucun tort de qui que ce soit ni de lui faire aucun bien. Mais sachez maintenant que ce sont les œuvres vraies, saintes et pieuses, en lesquelles il se réjouit avec tous les anges, en comparaison desquelles toute sainteté humaine n’est que puanteur et saleté, et ne mérite rien d’autre que colère et damnation.
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