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1. En premier lieu, certains méditent sur les souffrances du Christ au point de s’irriter contre les Juifs, de chanter et de se lamenter sur le pauvre Judas, puis d’être satisfaits ; de même qu’ils ont l’habitude de se plaindre des autres, de les condamner et de passer leur temps avec leurs ennemis. Un tel exercice peut véritablement être qualifié de méditation non pas sur les souffrances du Christ, mais sur la méchanceté de Judas et des Juifs.
2. En second lieu, d’autres ont souligné les différents bienfaits et fruits découlant de la considération de la Passion du Christ. Ici, la parole attribuée à Albert est trompeuse : penser superficiellement aux souffrances du Christ vaut mieux que jeûner une année entière ou prier le Psautier chaque jour, etc. Les gens le suivent ainsi aveuglément et agissent contrairement aux véritables fruits de la Passion du Christ ; ils y recherchent leurs propres intérêts égoïstes. C’est pourquoi ils se parent d’images et de brochures, de lettres et de crucifix, et certains vont jusqu’à s’imaginer se protéger ainsi des périls de l’eau, du feu, de l’épée et de tous les autres dangers. Ainsi, la souffrance du Christ produit en eux une absence de souffrance, contraire à sa nature et à son caractère.
3. Une troisième catégorie sympathise avec le Christ au point de pleurer et de se lamenter sur lui, car il était si innocent, comme les femmes qui suivirent le Christ depuis Jérusalem, et qu’il réprimanda, leur conseillant de mieux pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants. Tels sont ceux qui s’enfuient au cœur de la Passion, et qui tirent un grand profit du départ du Christ de Béthanie et des souffrances de la Vierge Marie, mais qui n’en vont jamais plus loin. C’est pourquoi ils retardent la Passion de plusieurs heures, et Dieu seul sait si elle est davantage conçue pour dormir que pour veiller. Parmi ces fanatiques se trouvent ceux qui enseignaient les grands bienfaits de la sainte messe, et qui, avec leur simplicité, pensent qu’il suffit d’y assister. C’est ce que nous amènent les propos de certains docteurs, selon lesquels la messe opere operati, non opere operantis est acceptable en elle-même, même sans notre mérite et notre dignité, comme si cela suffisait. Cependant, la messe n’a pas été instituée pour sa propre valeur [ p. 185 ], mais pour nous éprouver, notamment afin que nous méditions sur les souffrances du Christ. Car là où cela n’est pas fait, nous faisons de la messe une œuvre temporelle et stérile, si bonne soit-elle en elle-même. Car à quoi vous sert que Dieu soit Dieu, s’il n’est pas Dieu pour vous ? À quoi bon manger et boire, en soi sains et bons, s’ils ne le sont pas pour vous ? Et craignons-nous de ne jamais progresser à cause de nos nombreuses messes, si nous n’en recherchons pas le vrai fruit ?
5. Cinquièmement, que vous croyiez profondément et que vous n’en doutiez jamais le moins du monde, que vous êtes celui qui a ainsi martyrisé le Christ. Ce sont vos péchés qui l’ont certainement fait. Ainsi, saint Pierre frappa et terrifia les Juifs comme la foudre dans Actes 2:36-37, lorsqu’il leur dit à tous en commun : « Vous l’avez crucifié », de sorte que trois mille personnes furent saisies de terreur le même jour et crièrent en tremblant aux apôtres : « Ô frères bien-aimés, que ferons-nous ? » C’est pourquoi, lorsque vous voyez les clous transpercer ses mains, croyez fermement que c’est votre œuvre. Contemplez-vous sa couronne d’épines ? Croyez que les épines sont vos mauvaises pensées, etc.
Sixièmement, vois-tu, là où une épine transperce le Christ, plus de mille épines te transperceront, et même éternellement, plus douloureusement encore. Là où un seul clou est enfoncé dans ses mains et ses pieds, tu souffriras éternellement des clous encore plus douloureux ; comme ceux qui laissent les souffrances du Christ être vaines et stériles. Car ce miroir sincère, le Christ, ne mentira ni ne se moquera ; tout ce qu’il dit doit être pleinement réalisé.
Septièmement, saint Bernard fut si terrifié par les souffrances du Christ qu’il dit : « Je croyais être en sécurité et ignorer le jugement éternel qui m’était infligé au ciel, jusqu’à ce que je voie que le Fils éternel de Dieu a eu pitié de moi, s’est avancé et s’est offert pour moi dans ce même jugement. Ah, il ne me convient pas de jouer et de rester en sécurité alors qu’une telle ardeur est derrière ces souffrances. » C’est pourquoi il ordonna aux femmes : « Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. » (Lc 23, 28) ; et il en donne la raison au verset 31 : « Car si l’on fait ces choses à l’arbre vert, que fera-t-on à l’arbre sec ? » Comme pour dire : Apprenez de mon martyre ce que vous avez mérité et comment vous devriez être récompensés. Car il est vrai qu’ici un petit chien a été tué pour terroriser un grand. De même, le prophète a dit : « Toutes les générations se lamenteront et se lamenteront plus que lui. » Il n’est pas dit qu’ils le pleureront, mais eux-mêmes plutôt que lui. De même, les apôtres furent saisis de terreur dans Actes 2:27, comme mentionné précédemment, au point de leur dire : « Frères, que ferons-nous ? » De même, l’Église chante : Je méditerai sur cela avec diligence, et ainsi mon âme s’épuisera en moi.
8. Huitièmement, il faut s’exercer habilement sur ce point, car le bénéfice des souffrances du Christ dépend presque entièrement de la capacité de l’homme à parvenir à une véritable connaissance de lui-même, [ p. 187 ], à être saisi de terreur et à se sacrifier devant lui-même. Et là où l’homme n’y parvient pas, les souffrances du Christ ne lui sont d’aucun bénéfice. Car l’œuvre caractéristique et naturelle des souffrances du Christ est de rendre tous les hommes égaux et semblables, de sorte que, comme le Christ a été horriblement martyrisé corps et âme par nos péchés, nous devons aussi, comme lui, être martyrisés dans nos consciences par nos péchés. Cela ne se fait pas par beaucoup de paroles, mais par des pensées profondes et une conscience profonde de nos péchés. Prenons un exemple : si un malfaiteur était jugé pour avoir tué l’enfant d’un prince ou d’un roi, et que vous soyez en sécurité, et que vous chantiez et jouiez, comme si vous étiez entièrement innocent, jusqu’à ce que quelqu’un vous saisisse d’une manière horrible et vous convainque que vous avez permis au méchant de commettre cet acte ; voici, alors vous seriez dans la plus grande détresse, surtout si votre conscience se révoltait contre vous. Vous devriez être d’autant plus inquiet, quand vous considérez les souffrances du Christ. Car les malfaiteurs, les Juifs, bien qu’ils aient maintenant jugé et banni Dieu, n’en sont pas moins les esclaves de vos péchés, et c’est vraiment vous qui avez étranglé et crucifié le Fils de Dieu par vos péchés, comme il a été dit.
9. Neuvièmement, quiconque se perçoit si dur et stérile qu’il n’est pas terrifié par les souffrances du Christ et amené à le connaître, qu’il ait peur et tremble. Car il ne peut en être autrement ; vous devez devenir semblables à l’image et aux souffrances du Christ, qu’elles soient réalisées dans la vie ou en enfer ; vous devez, au moment de la mort, sinon plus tôt, tomber dans la terreur, trembler, trembler et expérimenter tout ce que le Christ a souffert sur la croix. C’est vraiment terrible de penser à cela sur votre lit de mort ; vous devez donc prier Dieu d’adoucir votre cœur et de vous permettre de méditer fructueusement sur la Passion du Christ. Car il nous est impossible de méditer profondément sur les souffrances du Christ par nous-mêmes, à moins que Dieu ne les enfonce dans nos cœurs. De plus, ni cette méditation ni aucune autre doctrine ne vous sont données afin que vous vous y replongiez par vous-même, pour accomplir la même chose ; Mais vous devez d’abord rechercher et désirer la grâce de Dieu, afin de l’accomplir par sa grâce et non par vos propres forces. C’est ainsi que ceux dont nous avons parlé plus haut ne traitent jamais correctement les souffrances du Christ ; ils n’invoquent jamais Dieu à cette fin, mais inventent leur propre voie, et traitent ces souffrances de manière entièrement humaine et stérile.
10 Dixièmement, quiconque médite ainsi sur les souffrances de Dieu pendant un jour, une heure, voire un quart d’heure, nous voulons dire ouvertement et publiquement que cela vaut mieux que de jeûner toute une année, de prier le Psautier chaque jour, ou même d’entendre cent messes. Car une telle méditation transforme le caractère d’un homme et, presque comme au baptême, il naît de nouveau. Alors la souffrance du Christ accomplit son œuvre véritable, naturelle et noble : elle tue le vieil Adam, bannit toute convoitise, tout plaisir et toute sécurité que l’on peut obtenir des créatures de Dieu ; tout comme le Christ a été abandonné de tous, même de Dieu.
11. Onzièmement, puisqu’une telle œuvre n’est pas entre nos mains, il arrive que nous priions et ne la recevions pas immédiatement ; malgré cela, il ne faut pas désespérer ni cesser de prier. Parfois, elle survient sans que nous la demandions, comme Dieu le sait et le veut ; car elle sera libre et sans entraves. L’homme est alors affligé dans sa conscience et profondément mécontent de sa propre vie, et il peut facilement arriver qu’il ignore que la Passion du Christ opère en lui cet effet même, dont il n’était peut-être pas conscient, tout comme d’autres ont si exclusivement médité sur la Passion du Christ que, conscients d’eux-mêmes, ils ne pouvaient se dégager de cet état de méditation. Parmi les premiers, les souffrances du Christ sont vraies et véritables, parmi les autres, il s’agit d’une illusion et d’un mensonge, et, par nature, Dieu tourne souvent la page, de sorte que ceux qui ne méditent pas sur la Passion la méditent réellement ; et ceux qui portent la messe ne l’entendent pas ; et ceux qui ne l’entendent pas l’entendent.
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12. Jusqu’à présent, nous avons vécu la Semaine Sainte et célébré le Vendredi saint comme il se doit ; nous arrivons maintenant à Pâques et à la résurrection du Christ. Lorsque l’homme perçoit ses péchés sous cet angle et est profondément terrifié dans sa conscience, il doit veiller à ce que ses péchés ne demeurent pas dans sa conscience et qu’il n’en résulte que le doute. Mais de même que les péchés ont jailli du Christ et que nous en avons pris conscience, de même devons-nous les déverser sur lui et libérer notre conscience. Veillez donc à ne pas agir comme des gens pervers, qui se mordent et se dévorent eux-mêmes avec leurs péchés dans le cœur, et courent çà et là par leurs bonnes œuvres ou leur propre satisfaction, ou même s’extirpent de cette condition par les indulgences et se libèrent de leurs péchés ; ce qui est impossible, et, hélas, un tel faux refuge de satisfaction et de pèlerinages s’est répandu partout.
13. Treizièmement. Alors, rejetez vos péchés sur le Christ, croyez avec un esprit de fête que vos péchés sont ses blessures et ses souffrances, qu’il les porte et les rachète, comme le dit Isaïe 53:6 : « L’Éternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous » ; et saint Pierre dans sa première Épître 2:24 : « Lui-même a porté nos péchés en son corps sur le bois » de la croix ; et saint Paul dans 2 Corinthiens 5:21 : « Celui qui n’a point connu le péché a été fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu en lui. » Vous devez vous appuyer de tout votre poids sur ces passages et d’autres semblables, et ce d’autant plus que votre conscience vous martyrise. Car si vous ne suivez pas cette voie, mais manquez l’occasion d’apaiser votre cœur, vous ne trouverez jamais la paix et vous finirez par désespérer dans le doute. Car si nous traitons nos péchés dans notre conscience et les laissons persister en nous et être chéris dans nos cœurs, ils deviennent bien trop forts pour que nous puissions les maîtriser et ils [ p. 190 ] vivront éternellement. Mais lorsque nous voyons qu’ils sont posés sur le Christ et qu’il a triomphé d’eux par sa résurrection et que nous le croyons sans crainte, alors ils sont morts et ne sont plus que néant. Car sur le Christ ils ne peuvent se reposer, là ils sont engloutis par sa résurrection, et vous ne voyez plus en lui aucune blessure, aucune douleur, c’est-à-dire aucun signe de péché. Ainsi, saint Paul dit dans Romains 4:25, qu’il a été livré pour nos offenses et qu’il est ressuscité pour notre justification ; c’est-à-dire que dans ses souffrances, il a fait connaître nos péchés et les a aussi crucifiés ; mais par sa résurrection, il nous rend justes et affranchis de tout péché, même si nous croyons différemment.
Quatorzièmement. Si vous ne pouvez pas croire, alors, comme je l’ai déjà dit, priez Dieu pour obtenir la foi. Car c’est une chose qui est entre les mains de Dieu, entièrement gratuite, et qui est accordée tantôt sciemment, tantôt secrètement, comme nous venons de le dire à propos de la souffrance.
Mais maintenant, efforcez-vous jusqu’au bout : d’abord, ne contemplez plus les souffrances du Christ ; car elles ont déjà accompli leur œuvre et vous ont terrifiés ; mais persévérez dans toutes les difficultés et contemplez son cœur bienveillant, combien il est plein d’amour pour vous, amour qui l’a contraint à porter le lourd fardeau de votre conscience et de vos péchés. Ainsi, votre cœur sera aimant et doux envers lui, et l’assurance de votre foi sera renforcée. Ensuite, montez plus haut, par le cœur du Christ, jusqu’au cœur de Dieu, et voyez que le Christ n’aurait pu vous aimer si Dieu ne l’avait voulu dans son amour éternel, auquel le Christ est obéissant dans son amour envers vous ; là, vous trouverez le cœur divin et bon du Père, et, comme le dit le Christ, vous serez ainsi attirés vers le Père par le Christ. Alors, vous comprendrez la parole du Christ dans Jean 1:1-2. 3:16 : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique », etc. Cela signifie connaître Dieu correctement, si nous le saisissons non pas par sa puissance et sa sagesse, qui nous terrifient, mais par sa bonté et son amour ; là, notre foi et notre confiance peuvent alors rester inébranlables et l’homme est véritablement né de nouveau en Dieu.
16. Seizièmement. Lorsque votre cœur est ainsi établi [ p. 191 ] en Christ, et que vous êtes ennemi du péché par amour et non par crainte du châtiment, les souffrances du Christ doivent aussi être un exemple pour toute votre vie, et vous devez les méditer d’une autre manière. Car jusqu’ici nous avons considéré la Passion du Christ comme un sacrement qui agit en nous et nous souffrons ; maintenant nous la considérons comme nous agissons aussi, à savoir : si un jour de tristesse ou de maladie vous accable, pensez combien c’est insignifiant, comparé aux épines et aux clous du Christ. Si vous devez faire ou omettre ce qui vous est désagréable, pensez comment le Christ a été mené çà et là, lié et captif. L’orgueil vous attaque-t-il ? Voyez comment votre Seigneur a été bafoué et déshonoré par des meurtriers. L’impudicité et la luxure s’abattent sur vous ! Songez à l’amertume qu’a éprouvée le Christ à voir sa chair tendre déchirée, percée et battue à maintes reprises. La haine et l’envie vous combattent-elles, ou cherchez-vous vengeance ? Souvenez-vous comment le Christ, avec beaucoup de larmes et de cris, a prié pour vous et tous ses ennemis, qui avaient bien plus de raisons de se venger. Si la détresse ou toute autre adversité, physique ou spirituelle, vous afflige, fortifiez votre cœur et dites : Ah ! pourquoi ne souffrirais-je pas moi aussi un peu, puisque mon Seigneur a sué sang dans le jardin d’Éden, d’angoisse et de chagrin ? Ce serait un serviteur paresseux et honteux que de vouloir rester au lit pendant que son maître était contraint de lutter contre les affres de la mort.
17. Voici, on peut ainsi trouver en Christ force et réconfort contre tout vice et toute mauvaise habitude. Telle est la juste observance de la Passion du Christ, et tel est le fruit de ses souffrances, et celui qui s’y exerce fait mieux qu’en écoutant toute la Passion ou en lisant toutes les messes. Et ceux qui intègrent la vie et le nom du Christ dans leur propre vie sont appelés vrais chrétiens, comme le dit saint Paul en Ga 5, 24 : « Et ceux qui sont du Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises. » Car la Passion du Christ doit être vécue non pas en paroles et en spectacle, mais dans nos vies et en vérité. Ainsi saint Paul nous avertit dans Hébreux 12, 3 : « Considérez [ p. 192 ] celui qui a supporté contre lui-même une telle opposition de la part des pécheurs, afin que vous ne vous lassiez pas, l’âme abattue ; » et saint Pierre dans sa 1re Épître 4:1 : « Comme le Christ a souffert dans la chair, vous aussi, armez-vous de la même pensée. » Mais ce genre de méditation est aujourd’hui tombé en désuétude et très rare, bien que les Épîtres de saint Paul et de saint Pierre en regorgent. Nous avons transformé l’essentiel en simple étalage, et peint la méditation des souffrances du Christ uniquement en lettres et sur les murs.