[ p. 189 ]
LA TROISIÈME ANNÉE DE SON MINISTÈRE
UNE RETRAITE EN PHÉNICIE
Jo. vii. je. Mt. XV. 21-28 ; Marc. vii. 24h-31h.
Cette année-là (28 apr. J.-C.), la Pâque tombait le 29 mars. Comme le remarque saint Jean, elle approchait déjà lorsque notre Seigneur se retira sur la rive orientale du lac (Jn 6, 4). Selon la coutume qu’il avait suivie depuis l’âge de douze ans, il aurait dû entreprendre le pèlerinage annuel à Jérusalem. Mais cette année-là, il n’assisterait pas à la fête. Le risque était trop grand. L’année précédente, il avait échappé de justesse à l’arrestation et à la comparution devant le Sanhédrin pour blasphème, et l’hostilité des dirigeants avait été exaspérée par les rapports qui leur étaient parvenus sur ses agissements en Galilée. Ils étaient déterminés à le mettre à mort. Et ce n’était pas sa seule appréhension. Il y avait aussi le risque que, malgré le refroidissement temporaire de leur ardeur dans la synagogue de Capharnaüm, les enthousiastes galiléens mettent à exécution leur projet fou de l’acclamer Roi dans la Sainte Capitale. Cela aurait été désastreux. Cela aurait sûrement attisé les braises toujours fumantes du fanatisme messianique et déclenché une autre de ces insurrections désespérées si fréquentes à cette période malheureuse.
Et c’est pourquoi il n’assisterait pas à la fête. Il ne resterait pas non plus à Capharnaüm. Il désirait un moment de communion tranquille avec les Douze. C’est [ p. 190 ] pour cela qu’il avait traversé vers la rive orientale du lac, et son projet avait été contrarié par la poursuite de la multitude. Il allait donc chercher une autre retraite plus lointaine. Où se tournerait-il ? Au-delà de la frontière nord de la Galilée se trouvait la Phénicie, qui appartenait alors à la province romaine de Syrie. C’était une terre païenne, et là, loin des dirigeants malveillants et de la multitude bruyante, il trouverait sûrement la retraite. Il se rendit avec les Douze dans les environs de l’ancienne ville de Tyr, et là, dans un village tranquille, ils trouvèrent un logement.
Il apparut rapidement que même en Phénicie, il n’était pas à l’abri d’une interruption. Les Phéniciens étaient une race de commerçants, et les marchands de passage en Terre Sainte avaient rapporté la nouvelle du merveilleux Guérisseur (Mc 3, 7-8) ; et il est écrit que des habitants des environs de Tyr et de Sidon se trouvaient parmi les nombreux étrangers qui s’étaient rassemblés à Capharnaüm au début de sa deuxième année de ministère. Son arrivée suscita un vif intérêt. C’était une bonne nouvelle pour les affligés, et elle amena bientôt une suppliante à ses pieds – une femme, une veuve selon la version syriaque de l’Évangile de saint Marc, dont la fille était épileptique – possédée, selon l’expression, par un « esprit impur ». La tradition veut qu’elle s’appelait Justa et sa fille Bérénice.
Il était parti en voyage avec les Douze, conversant avec eux dans l’agréable solitude des collines et des bois. À la tombée de la nuit, ils retournaient à leur logement lorsque la femme s’approcha. « Aie pitié de moi », s’écria-t-elle, « Ô Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement possédée. » Il n’y prêta [ p. 191 ] aucune attention. Non pas qu’il s’en fichât, mais il était venu chercher la solitude, et s’il guérissait cette malade, il se retrouverait bientôt assailli par une foule importune, et son long voyage serait vain. Elle le suivit, l’insistant dans ses supplications, mais il n’y prêta toujours aucune attention. La situation était embarrassante, et les Douze, irrités par ce désagrément, lui suggérèrent d’accéder à sa requête et de se débarrasser ainsi d’elle. Il répondit avec une sévérité inhabituelle : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Telle était la mission qu’il leur avait confiée récemment lorsqu’il les avait envoyés prêcher en Galilée méridionale (cf. Mt. 10, 6), et, maintenant comme alors, la limitation n’était que temporaire. Il était le Sauveur du monde, mais la tâche de gagner le monde leur était réservée, et il n’était pas venu en Phénicie pour y proclamer son salut, mais pour les préparer à leur haute vocation. En attendant, c’était sa préoccupation, et il répugnait à s’en détourner.
Ils poursuivirent leur chemin jusqu’à leur logement, et la femme les suivit [1] et s’agenouilla devant Lui. « Seigneur », implora-t-elle, « aide-moi ! » Puis, enfin, Il la remarqua. « Il n’est pas permis », dit-il, « de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Cela semble à première vue une insulte cruelle, respirant l’esprit même de l’intolérance juive. Car, dans leur mépris amer des Gentils, les Juifs les injuriaient en les traitant de « chiens » (Cf. Ps. lviii. 6,14) — « chiens incirconcis », « chiens hors de la Ville Sainte », ces parias impurs qui rôdaient dans les rues la nuit à la recherche d’ordures, hurlant et [ p. 192 ] grognant. Tel aurait été le sens de la phrase dans les lèvres d’un rabbin, mais tel n’était pas le sens dans celles de notre Seigneur. Il citait un proverbe familier, inspiré de son entourage. Le mot qu’il utilise est un diminutif bienveillant, la désignation appropriée des petits chiens domestiques qui servaient aux repas et mendiaient des restes. Ils ne recevaient que des restes, et il y avait un proverbe familier : « D’abord les enfants, ensuite les chiens. » La table était dressée pour le repas du soir lorsque le Seigneur et ses disciples entrèrent dans leur logis, et l’animal de compagnie était là, attendant son tour. Ceci suggérait sa réponse au pauvre suppliant : « Il n’est pas permis de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » C’était dit avec humour et gentillesse. Son chagrin avait touché son cœur et son importunité triomphait de sa réticence ; et, lisant sa compassion dans son regard et son ton, elle compléta son proverbe par un autre du même ton : un proverbe économe interdisant le gaspillage. « Oui, Seigneur », dit-elle, « même les toutous sous la table mangent les restes des enfants. » C’était une réplique astucieuse, et elle fut récompensée. « Ma femme », dit-il, « grande est votre foi ! Ayez ce que vous voulez. » Elle rentra chez elle et trouva sa fille en bonne santé.
Ce qui se passa ensuite est à peine décrit par saint Marc dans une phrase brève mais significative : « Il quitta de nouveau les frontières de Tyr et traversa Sidon. » (Mc VII, 31). De toute évidence, tout se passa comme il l’avait prévu. Il était venu en Phénicie pour y séjourner un temps, inconnu, et s’entretenir avec les Douze des affaires de son Royaume ; mais la guérison de cette pauvre fille attira autour de lui une foule enthousiaste, et son projet fut une fois [ p. 193 ] de plus contrarié. Il reconnut ici l’œuvre de la volonté de son Père, qui était son guide constant, et il obéit à ses ordres. Il ne se détourna pas à la recherche d’une autre retraite, mais, suivant le chemin qui s’ouvrait si inopinément devant lui, se consacra pour un temps à un ministère actif dans cet environnement étrange. Il peut paraître surprenant qu’un enseignant juif ait pu s’adresser intelligiblement à un peuple étranger, mais en vérité, il n’y a rien d’étonnant à cela. Depuis l’époque d’Alexandre le Grand, le grec était la langue commune des pays du pourtour méditerranéen, et il pouvait donc prêcher aussi librement à Tyr et à Sidon qu’à Capharnaüm ou à Jérusalem.
Ce fut un événement véritablement mémorable – le seul où notre Seigneur prêcha au-delà des confins de la Terre Sainte, attestant de l’universalité de sa grâce. Et c’est sans doute là la raison pour laquelle ce récit est si peu relaté. Les préjugés disparaissent lentement, et de même que les chrétiens juifs, plus tard, détestèrent l’apostolat de saint Paul auprès des Gentils, de même ils aimèrent oublier comment le Seigneur avait visité ces païens, et laissèrent cette histoire sous silence. C’est une grave omission. Si cette histoire avait été écrite, elle n’aurait pas été le chapitre le moins précieux ni le moins émouvant du récit évangélique. Car il existe des preuves expresses que son ministère phénicien fut particulièrement fructueux. Peu après, lors de ses adieux à la Galilée, alors qu’il entreprenait son dernier voyage à Jérusalem (Mt. 11, 20-22 ; Lc 10, 12-15), il réprimanda ses villes, si particulièrement favorisées, et contrasta leur obstination avec l’accueil qui lui fut réservé à Tyr et à Sidon.
N’y a-t-il aucun souvenir, aucun écho persistant de ce ministère unique ? Dans les pages de la littérature chrétienne [ p. 194 ] primitive et dans d’autres domaines souvent surprenants, on trouve des « paroles non écrites » de notre Seigneur – des paroles qu’aucun écrivain sacré n’a consignées mais qui ont survécu dans un souvenir pieux ; et en voici une : « Le monde n’est qu’un pont : vous devez le traverser et non y construire vos demeures. » [2] Si c’est bien, comme c’est sûrement le cas, une parole authentique de notre Seigneur, alors elle n’a pas été prononcée en Terre Sainte ; car il est remarquable qu’il n’y ait pas eu de ponts là-bas. Le Jourdain était le seul fleuve, et il était traversé par des gués comme celui de Bethabara, et les ruisseaux secondaires, lorsqu’ils étaient en crue, étaient traversés sur des pilotis. Cette parole n’a pas été prononcée en Terre Sainte ; Et puisque Notre Seigneur n’enseignait nulle part ailleurs au-delà de ses frontières, il a dû l’enseigner en Phénicie, probablement à Tyr, cette cité d’antique renommée, « la cité couronnée », comme le prophète la qualifie, « dont les marchands étaient des princes, et les trafiquants les plus honorables de la terre. » (Isaïe XIII, 8.) Elle était située sur une île à un kilomètre du continent, et reliée à celui-ci à l’époque de Notre Seigneur par un célèbre môle construit par Alexandre le Grand. Alors que Notre Seigneur traversait ce pont majestueux, continuellement traversé par des caravanes apportant au port les soies et les épices du magnifique Orient et transportant de là les riches cargaisons des ports occidentaux – Éphèse, Corinthe et Tarsis –, il y vit une parabole ; et, s’adressant sur la place du marché à ces trafiquants avides, si occupés par leurs marchandises périssables et oublieux de l’Éternité, il dit : « Le monde, dit-il, n’est qu’un pont : vous devez le traverser et non y construire vos demeures. »
De Tyr, il voyagea vers le nord, et il prêchait [ p. 195 ] tout au long de son chemin. Sur sa route se trouvait Sarepta, l’antique Sarepta, où le prophète Élie avait autrefois secouru et béni la pauvre veuve ; et il s’y attarderait certainement. Son objectif était la rivale commerciale de Tyr, le grand port maritime de Sidon, et c’est là qu’il termina son ministère phénicien.