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L’ARRESTATION
Mt. xxvi. 36-56 ; Mc. xiv. 32-52 ; Lc. xxii. 39-53 ; Déjà. xviii. 1-11.
Quittant l’enceinte sacrée, ils suivirent les rues silencieuses jusqu’à la porte de la ville. Entre le mur oriental et la montée du mont des Oliviers s’étendait le ravin du Cédron. Ce n’était pas un agréable « ruisseau », comme le dit notre version anglaise, ombragé, comme le suggère la transcription grecque du nom, par des cèdres. Le mot traduit par « ruisseau » est proprement « torrent d’hiver » ; et le nom hébreu Cédron signifie un ruisseau sombre. Ce qui l’obscurcissait était le sang des victimes sacrificielles qui s’y déversait. En été, le lit du ravin était à sec ; mais cette nuit d’avril, il fut inondé par les pluies hivernales, et lorsque l’Agneau de Dieu le traversa, le ruisseau se teinta du sang des agneaux pascaux qui, l’après-midi précédent, avaient été immolés par milliers sur l’autel de la cour du Temple. C’est cette coïncidence véritablement dramatique qui a poussé l’évangéliste à mentionner la circonstance par ailleurs insignifiante selon laquelle, sur son chemin vers Gethsémani avec les onze, il traversa le ravin du Cédron.
Il était minuit passé, et la ville dormait ; pourtant leurs mouvements ne passaient pas inaperçus. Depuis quelque temps, tous ceux qui lui souhaitaient du bien se rendaient de plus en plus compte de la situation périlleuse du Seigneur ; et son souci du secret, en organisant le repas de la Pâque chez lui avec ses disciples, avait [ p. 415 ], aviva l’appréhension de Marie et de son fils Jean Marc. Il était évident qu’il anticipait des ennuis ; et lorsque le jeune homme alla se reposer après avoir célébré la fête avec sa famille, l’inquiétude pour le Maître le tint éveillé jusqu’à ce qu’il ne puisse plus le supporter, et il sauta de sa couche pour aller voir si tout allait bien. Il n’eut pas le temps de revêtir ses vêtements ; ce n’était d’ailleurs pas nécessaire, car la chemise de nuit des gens aisés était une ample robe de lin blanc, tout à fait présentable en public et suffisante pour assurer le confort sous un climat doux. Ainsi vêtu, il quitta la maison. Il connaissait le lieu de villégiature nocturne du Maître : il se pourrait même que Gethsémani appartenait à Marie ; et il s’y rendit en toute hâte. Il ne les y trouva pas, car ils étaient passés du Cénacle à la cour du Temple ; mais il entendit bientôt leurs pas approcher, et il se cacha parmi les arbres du verger, perdu, pour observer ce qui pourrait arriver.
Les onze étaient fatigués et, après leur habitude nocturne, ils auraient bien voulu s’envelopper dans leurs manteaux et s’allonger pour dormir ; mais le Seigneur savait ce qui allait arriver et ne pensait pas au repos. Il ne voulait pas dormir : il prierait. Il avait besoin de l’aide de son Père pour cette terrible épreuve, et il implorait aussi le soutien de la sympathie humaine ; et maintenant, plus que jamais, il se tourna vers les trois fidèles. « Asseyez-vous ici », dit-il aux autres, « pendant que je vais prier là-bas » ; et il se retira avec Pierre, Jacques et Jean dans une clairière plus profonde du verger. Jusque-là, pour le bien de ses faibles disciples, il avait caché son inquiétude, mais maintenant, seul avec les trois, il se libéra. « Il commença », dit saint Matthieu selon [ p. 416 ] à notre version, « être triste et profondément troublé » : « Il commença », dit saint Marc, « à être profondément étonné et profondément troublé ». Observez cette expression « profondément troublé ». La signification précise de l’original grec est incertaine. Une suggestion étymologique est que le verbe signifie proprement « être loin de son peuple » ; et cela s’accorde bien avec son usage général. Il est utilisé, par exemple, pour parler de la confusion de l’âme lorsqu’elle quitte le corps et se retrouve « nue et tremblante », au milieu d’un environnement étrange et inhabituel. Dans le Nouveau Testament, on ne le retrouve qu’ici et dans ce passage de l’Épître aux Philippiens (Phil. ii. 26) où l’Apôtre, prisonnier à Rome, leur raconte comment le bon Épaphrodite, qui lui avait apporté leur présent et leur message de sympathie, était tombé malade, sans doute à cause de la fièvre si répandue là-bas en cet automne étouffant, et comment, pensant à ses amis si lointains, il « se languissait après eux tous et était profondément troublé ». C’est ce que dit notre version, mais les circonstances précisent le sens de l’Apôtre. Il dit qu’Épaphrodite, se languissant de ses amis, avait le « mal du pays ».
Et voici la signification du mot ici. Encerclé par la malice et menacé d’une mort cruelle, notre Seigneur « commença à être étonné et à avoir le mal du pays » – malade du désir de la Maison du Père et de la gloire qu’il avait, avant que le monde fût, auprès de lui. Il y serait bientôt, mais entre lui et sa demeure se dressait cette terrible épreuve que tous ses jours terrestres avaient projetée devant lui. Et maintenant qu’elle était sur lui, sa fragile humanité frissonnait à cette sombre perspective. Son angoisse l’emporterait, mais il ne consternerait pas les trois fidèles [ p. 417 ] à sa vue. « Mon âme », dit-il, « est affligée – affligée à en mourir. Restez ici et veillez. » Et il s’éloigna d’une pierre et se prosterna contre terre dans une agonie de détresse, « offrant avec de grands cris et des larmes des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort. » (Hébreux v. 7)
Qui a assisté à son combat et entendu ses cris ? Ce n’étaient pas les trois ; car non seulement ils étaient à un jet de pierre, mais ils étaient si fatigués que, malgré son injonction, ils s’endormirent. Pourtant, il y avait un témoin de la scène ; Marc, tapi non loin parmi les arbres du verger, se glissa à la poursuite du Maître et observa son agonie. C’est sans doute là l’origine d’une légende émouvante qui, bien qu’elle ne fasse pas partie du texte authentique, a trouvé sa place dans le récit de saint Luc (Lc 22. 43,44 RV marg.). Dans la lumière fantomatique des rayons de lune perçant le feuillage tremblant, les observateurs aux yeux lourds aperçurent une silhouette en robe blanche penchée sur le Maître prostré et la prirent sur le moment pour « un ange du ciel qui le fortifiait ».
Pendant près d’une heure, il resta angoissé, priant sans cesse pour que le terrible destin soit évité. « Ô mon Père », s’écria-t-il (Mt. xxv), « tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe. » Et une réponse lui fut accordée (X1V ’ 37 ). Puis, comme à chaque heure sombre de son expérience jusqu’alors, il se souvint du dessein qu’il avait été chargé d’accomplir, le dessein de la volonté bénie de son Père ; et il trouva la force dans un nouvel abandon à cette volonté. « Non, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »
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Ainsi apaisé, il se leva et retourna vers les trois, désirant le réconfort de leur compagnie ; mais hélas ! ils dormaient. « Simon », dit-il, réprimandant par ce nom le disciple qui avait tant promis, « dors-tu ? N’as-tu pas eu la force de rester éveillé une seule heure ? » De toute évidence, la sympathie humaine ne lui était d’aucun secours, et il devait la chercher à nouveau dans la communion céleste. « Tenez éveillés », dit-il aux trois, les avertissant de leur propre besoin de force pour l’épreuve qui approchait, « et priez pour ne pas être mis à l’épreuve. » Ils étaient trop honteux pour parler, mais leur tristesse muette toucha son cœur, et il ajouta, les excusant gentiment : « L’esprit est ardent, mais la chair est faible. »
Sur ce, il se retira et reprit sa communion avec Dieu. La tempête qui l’avait secoué était passée, et il ne se jeta plus à terre pour pleurer d’angoisse. Sa prière renouvela son abandon. « Mon Père », dit-il, « si cette coupe ne peut s’écouler sans que je la boive. Que ta volonté soit faite. » Puis il retourna vers les veilleurs, qu’il trouva à nouveau somnolents, et sans un mot, il se détourna, les abandonnant à leur confusion. À peine avait-il repris sa prière qu’il entendit le pas d’hommes armés et aperçut à travers les arbres la lueur de leurs torches et l’éclat de leurs armures. C’était le traître et sa compagnie, non seulement les officiers du Sanhédrin, mais un détachement de la cohorte – la garnison romaine de Jérusalem – (cf. Jn 18, 3, 12 RV marg) envoyé par le gouverneur à la demande du Sanhédrin pour procéder à l’arrestation en cas de résistance. Il courut vers ses disciples et les réveilla tous. « Vous dormez encore », s’écria-t-il, [ p. 419 ] « et vous reposez-vous ? Regardez, l’heure est proche, et le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons-y. Regardez, celui qui me livre est proche. »
C’est une troupe assez hétéroclite qui apparut bientôt sur la scène. Voyez sa composition. Le Sanhédrin avait ses propres officiers, et lorsque Judas quitta la Chambre Haute et, se rendant auprès des chefs, annonça sa volonté de trahir le Maître, ceux-ci, en temps normal, l’auraient envoyé avec lui pour cette mission impie. Mais à la période de Pâques, pour maintenir l’ordre dans la ville bondée, le gouverneur romain se rendit de Césarée, la capitale provinciale, et occupa le Prétoire, sa résidence officielle à Jérusalem ; et ils n’osèrent agir sans son approbation. Ils durent donc, bien que contrariés par le retard, lui rapporter l’affaire et obtenir l’aide d’un détachement de soldats de la garnison. Ceux-ci marchèrent vers Gethsémani guidés par le traître et accompagnés par les officiers du Sanhédrin qui, armés de matraques et portant des torches pour montrer le chemin parmi les arbres, donnaient à la troupe, comme le remarquent les évangélistes, l’apparence d’une populace. (Mt. xxvi. 47 ; Mc. xiv. 43 ; Lc. xxii. 47)
En vérité, ces officiers du Sanhédrin n’avaient guère de cœur à l’ouvrage. Six mois auparavant, ils avaient déjà été chargés de l’arrêter ; et, l’attendant dans la cour du Temple, ils furent si impressionnés par son enseignement qu’ils n’osèrent pas s’en prendre à lui. Et leur étonnement n’avait en rien diminué pendant ce temps. Hommes grossiers et ignorants, ils partageaient le sentiment [ p. 420 ] populaire et le considéraient avec une crainte superstitieuse, désormais ravivée par leur environnement fantomatique.
Il appartenait aux soldats de procéder à l’arrestation, et là, une difficulté se présenta. En approchant, ils aperçurent non pas un homme, mais douze ; leur commandant se tourna vers le guide et lui demanda qui devait être arrêté. Hélas pour le misérable traître ! Il avait cru que son travail serait terminé après avoir conduit les soldats sur place, et qu’il resterait en retrait et s’éclipserait discrètement de ses anciens camarades. Mais maintenant, il est contraint de passer au premier plan. Il dissimulerait sa méchanceté jusqu’au bout. Le Maître le savait, mais ne pouvait-il pas s’imposer aux onze et faire comme s’il avait accompli la mission qui l’avait fait quitter la Chambre haute et était maintenant venu reprendre sa place parmi eux ? « Celui que j’embrasse », dit-il au commandant, « c’est lui. Arrêtez-le. » Un baiser était la salutation entre amis lorsqu’ils se rencontraient, et Judas s’avança vers le Maître. « Salut, Rabbi ! » dit-il et il l’embrassa, et non seulement il l’embrassa mais, comme le dit le grec, « il l’embrassa tendrement ».
C’était l’extrême d’une effronterie sans cœur, et le Seigneur la repoussa avec indignation. « Camarade, dit-il, à ta mission ! » (Mt. 26, 50) et, écartant le misérable, il se présenta aux officiers du Sanhédrin et demanda : « Qui cherchez-vous ? » « Jésus le Nazaréen », balbutièrent-ils. « Je le suis », répondit-il, s’avançant pour se rendre. Une scène dramatique s’ensuivit. L’histoire ancienne raconte comment Gaius Marius, fugitif de la défaite qui mit fin à sa carrière triomphale, fut capturé à Minturnes [ p. 421 ] et y fut détenu jusqu’à ce que le Sénat statue sur son sort. Il fut décrété qu’il devait mourir, et un dragon fut chargé de l’achever. L’épée à la main, il se rendit à la cellule. « Sirrah », s’écria le vieux héros, les yeux brillants dans la pénombre, « oses-tu tuer Gaius Marius ? » L’assassin jeta son épée et s’enfuit en criant : « Je ne peux pas tuer Gaius Marius ! » Et pourtant, c’est ce qui arriva. Alors qu’il s’avançait pour se rendre à eux, les officiers, secoués par des terreurs fantomatiques, reculèrent tumultueusement et, avec un abandon oriental, se laissèrent tomber à terre. « Qui cherchez-vous ? » répéta-t-il. « Jésus le Nazaréen », répondirent-ils encore. « Je vous ai dit que c’était moi ; alors », dit-il en désignant les onze, « si vous me cherchez, laissez ceux-ci aller. »
Son appel chevaleresque en leur faveur attisa la dévotion de ses disciples. Tandis que les soldats le saisissaient et le maintenaient, Pierre dégaina son épée – cette pauvre arme qu’il portait sous son manteau et qu’il avait exposée au Cénacle – et, se précipitant à son secours, se jeta sur Malchus, l’esclave du Grand Prêtre, et lui trancha l’oreille droite. C’était un acte désespéré qui aurait provoqué des représailles sanglantes sans l’intervention du Maître. « Remets ton épée au fourreau ! » s’écria-t-il. Puis, se libérant les mains, il dit : « Lâche-la, jusqu’ici ! » Il toucha la blessure de Malchus et la pansa. Puis il fit des remontrances à Pierre : « La coupe que le Père m’a donnée, ne la boirai-je pas ? Ou bien penses-tu que je ne puisse pas en appeler à mon Père, qui placerait à mon côté plus de douze légions d’anges ? » Bien que les douze hommes qu’il avait choisis l’entourassent l’épée à la main, il n’avait pas besoin de leur [ p. 422 ] piètre soutien. Que valaient-ils en comparaison des douze légions de l’armée céleste ?
Les officiers du Sanhédrin se pressaient autour de lui, indignés par l’assaut contre leur camarade – ceux-là mêmes qui n’avaient jamais osé le molester dans la cour du Temple et qui, quelques instants plus tôt, s’étaient repliés si tumultueusement devant lui. Enhardis par la présence des soldats, ils réclamaient aussi l’arrestation des disciples ; et le Seigneur s’adressa à eux avec sévérité et mépris, les narguant de leur lâcheté. Leur insistance l’emporta, et tandis que les soldats s’avançaient pour les arrêter, les disciples prirent la fuite sans prévenir. Tous les onze s’échappèrent, mais un autre, qui les avait rejoints, eut moins de chance. C’était Marc. Il était sorti de sa cachette et observait la scène ; lorsqu’il se retourna pour fuir, un soldat saisit sa robe ample, et il aurait été capturé s’il ne s’était glissé hors de sa tunique et ne s’était enfui nu. Pourtant, il semble qu’il ne s’en soit pas sorti indemne. Quoi qu’il en soit, dans les jours qui suivirent, alors qu’il était célèbre dans l’Église comme l’évangéliste, il porta l’étrange épithète de « doigt moignon » - un souvenir peut-être de cette nuit tragique à Gethsémani où, dans la bagarre sauvage, sa main fut mutilée par le coup d’une lame d’épée.