[ p. 423 ]
LE PROCÈS :
(I) Devant le Sanhédrin
Jn 13, 12-27; Mt. xxvi, 57-xxvii, 10; Mc 14, 53-72; Lc xxii, 54-71.
Aux yeux des dirigeants juifs, le délit commis par Notre Seigneur était un blasphème ; et comme le blasphème était un crime capital, il relevait de la compétence de la cour suprême du Sanhédrin. S’il avait été arrêté de jour, il aurait été immédiatement conduit à la Salle des Pierres de Taille ; mais il était à peine deux heures du matin, et comme le Sanhédrin ne pouvait se réunir avant l’heure du sacrifice matinal – vers trois heures du matin, heure à laquelle, depuis la tour de guet du Temple, on apercevait l’aube sur le mont Hébron –, il restait encore une heure entière à courir. Que faire de lui pendant cet intervalle ?
Cela avait été arrangé. À cette époque, le personnage le plus influent de l’État juif était Anne, le grand prêtre émérite. Bien que cette fonction auguste, autrefois héréditaire et à vie, fût alors à la disposition des gouverneurs romains et des princes hérodiens, qui la vendaient, à l’occasion, au plus offrant, il l’avait occupée pendant dix ans et, après sa déposition par Valerius Gratus en l’an 15 de notre ère, il avait réussi à la conserver dans sa propre famille. Elle était désormais détenue par son gendre Joseph Caïphe ; mais Anne occupait toujours une place prépondérante, et [ p. 424 ] comment l’intervalle entre l’arrestation de notre Seigneur et la réunion du Sanhédrin pouvait-il être plus utilement employé que par une prémonition du vétéran astucieux afin d’accélérer le procès formel ?
Et ainsi, dit l’évangéliste, « ils le conduisirent d’abord chez Anne. » Ils n’avaient pas loin à le conduire ; car Anne avait sa résidence sur la pente du mont des Oliviers, près du verger de Gethsémani (Jn 18, 13) – une demeure majestueuse construite avec les richesses acquises par la corruption administrative, notamment grâce au trafic impie que lui et sa famille pratiquaient pendant les fêtes dans la cour extérieure du Temple, et de ce fait surnommée populairement « les Cabanes des fils d’Anne » (cf. Jn 2, 14-16 ; Mt. 21, 12-13 ; Mc 11, 15-17 ; Lc 19, 45-46). C’est là que les soldats et les officiers du Sanhédrin conduisirent notre Seigneur. Les onze s’étaient enfuis, mais deux d’entre eux, Pierre et « un autre disciple », nul autre que Jean l’évangéliste, se rallièrent bientôt et les suivirent. À leur arrivée à la porte extérieure du palais, celle-ci fut ouverte pour laisser entrer le prisonnier et son garde, puis refermée. Personne d’autre n’avait le droit d’entrer, mais il est écrit que Jean était « connu du grand prêtre » et que la portière le laissa entrer. Pierre, sans cette autorisation, fut exclu. Il dut rester là, mais Jean parla en sa faveur à la portière, qui ouvrit la porte et le laissa entrer lui aussi.
N’est-ce pas un incident surprenant ? Jean était un pêcheur du lac de Galilée, et il n’était connu à Jérusalem que comme le disciple de celui qui avait encouru le mécontentement des dirigeants et venait d’être arrêté pour hérésie et sédition. Quelle intimité était-il possible entre lui et ce tyran fier et [ p. 425 ] impitoyable ? La question a longtemps été débattue, et une vieille suggestion encore en vogue est qu’il aurait pu appartenir à une famille sacerdotale et donc, bien que n’étant qu’un pêcheur galiléen, avoir été un parent du Grand Prêtre. Mais il s’agit là d’une pure fantaisie, et l’explication est bien plus simple et significative. Elle a été fournie il y a longtemps par un érudit oublié du nom de Nonnus, originaire de Panopolis, en Haute-Égypte. Né et élevé dans le paganisme, il acquit sa renommée grâce à son poème les Dionysiaques, œuvre monumentale en quarante-huit livres, traitant de mythologie et d’archéologie. Après sa conversion au christianisme, il consacra son savoir à ce dernier. Son ambition était de promouvoir sa nouvelle foi auprès de ses anciens compagnons et de gagner l’intelligence du monde au Christ. Ni prédicateur ni polémiste, il n’était qu’un homme de lettres studieux, aimant la retraite ; et il trouva là une rare opportunité. Le Nouveau Testament, écrit en grec commun, langue vernaculaire non littéraire de l’époque, ne plaisait guère au goût littéraire ; ainsi, vers l’an 400, Nonnus exécuta une paraphrase métrique de l’Évangile de saint Jean sous la forme d’une épopée classique. Sa valeur poétique est certes faible, mais elle témoigne d’une grande habileté littéraire et possède cette valeur durable pour les étudiants du Nouveau Testament : elle conserve de nombreuses explications traditionnelles de passages obscurs.
Voici un exemple. « Simon et un autre jeune compagnon, bien connu du célèbre Grand Prêtre pour son métier de pêcheur, le suivaient de loin », dit-il en paraphrasant le passage qui nous occupe, « suivirent en courant le Christ dans la cour. » Voyez ce que cela signifie. Avant que le Seigneur ne [ p. 426 ] l’appelle, Jean était pêcheur à Capharnaüm, et la pêche galiléenne était une industrie florissante. Le lac regorgeait de poissons qui, en raison de leur excellente qualité, étaient très demandés. Près de Capharnaüm se trouvait une ville appelée Tarichée, ou « Les Conserveries », où l’on les conservait, d’où ils étaient exportés au loin. Le marché de Jérusalem était approvisionné par la Galilée, et la demande était particulièrement forte pendant la période de la Pâque, lorsque la ville était bondée de fidèles. Jean avait toute sa vie eu un intérêt non négligeable dans cette industrie dynamique ; lui, son frère Jacques et leur père Zébédée y travaillaient, et manifestement de façon assez importante puisque, comme le mentionne l’évangéliste (Mc 1, 20), ils employaient plusieurs salariés. Bien sûr, ils se consacraient au commerce d’exportation et avaient certainement des liens avec la capitale.
Voilà l’explication de la relation de l’Apôtre avec le Grand Prêtre. Il n’était pas un inconnu au palais, car depuis des années, il n’était jamais venu à Jérusalem sans s’y présenter pour affaires. Il avait des comptes à régler à chaque fois. La portière le connaissait bien ; et quoi d’étonnant qu’elle l’ait admis en cette nuit mémorable et, à sa demande, qu’elle l’ait autorisé à emmener son ami dans la cour ?
Et qu’en était-il du Maître pendant ce temps ? Les officiers l’avaient pris en charge et, laissant les soldats dans la cour, l’avaient conduit en présence d’Anne. Ce qui s’ensuivit n’est que faiblement rapporté (cf. Lc 22, 59) ; car, bien qu’il ait duré une heure, il s’agissait d’un entretien privé, et le peu que savait l’évangéliste, il l’avait probablement appris par le rapport des officiers. [ p. 427 ] Le but du vieux grand prêtre astucieux était d’obtenir du prisonnier un aveu susceptible d’être utilisé contre lui lors du procès ultérieur ; et il l’interrogea « sur ses disciples et sur son enseignement », deux sujets d’enquête prometteurs. Car n’avait-il pas été un zélote parmi ses disciples, et ne pouvait-il pas, de ce fait, être qualifié de meneur de sédition ? Et son attitude envers la Loi sacrée et sa prétention à une mission divine ne constituent-elles pas un motif d’accusation de blasphème ?
Le Seigneur connaissait le but de ce contre-interrogatoire et reconnaissait qu’il ne s’agissait rien de moins qu’une illégalité flagrante. Car la loi juive, toujours scrupuleusement clémente, exigeait qu’un procès pour une accusation capitale commence par la présentation de témoins à décharge, et tenter de lui extorquer un aveu accablant constituait donc une grave violation de la justice. Aussi, finalement, protesta-t-il : « J’ai parlé librement au monde. J’ai toujours enseigné à la synagogue et au Temple, où tous les Juifs se réunissent, et en secret je n’ai rien dit. Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit. Voyez, dit-il en désignant les officiers, ces hommes savent ce que j’ai dit. » C’était une remontrance courtoise, mais en même temps une sévère réprimande. Anne n’était pas habitué à ce que sa procédure soit contestée. Il rougissait d’indignation ; et, constatant sa déconfiture et pensant s’attirer ses faveurs, l’une de ses créatures frappait le prisonnier. « Est-ce ainsi, demanda-t-il, que vous répondez au Grand Prêtre ? » Le Seigneur répondit calmement : « Si j’ai mal parlé, soyez témoin du mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » C’était un outrage grave non seulement pour [ p. 428 ] le prisonnier, mais aussi pour le tribunal devant lequel il se tenait, et Anne aurait dû le réprimander sévèrement. Mais il laissa passer. L’heure de la convocation du Sanhédrin était proche, et il mit fin à l’interrogatoire et renvoya le prisonnier à son procès.
Et que s’était-il passé pendant ce temps dans la cour en contrebas ? Lorsque la portière, à la demande de Jean, laissa entrer Pierre, elle lui fit remarquer : « Vous êtes aussi l’un des disciples de ce type, n’est-ce pas ? » Elle ne voulait pas faire de mal. Ce n’était qu’une plaisanterie ; et s’il s’était, comme son camarade, désinvolte et avait simplement acquiescé, l’affaire aurait été close. Mais, craignant d’être arrêté, il laissa échapper un démenti. « Je ne le suis pas », dit-il, et il passa précipitamment son chemin. Il faisait froid dehors à l’heure sombre précédant l’aube, et les domestiques et les soldats qui attendaient le prisonnier s’étaient rassemblés autour d’un brasero au milieu de la cour. Pierre se joignit au groupe et, feignant l’indifférence, s’assit pour se réchauffer dans la flamme joyeuse ; mais la portière était une demoiselle malicieuse et ne le laissa pas s’échapper. Elle s’avança aussitôt et le confronta. « Vous étiez aussi avec Jésus le Galiléen », dit-elle. « Je ne comprends pas ce que vous voulez dire », balbutia-t-il. Tous les regards se tournèrent vers lui, et il se retira, confus, pour se réfugier sous la large porte. Mais il n’y avait pas d’échappatoire. Sa bourreau retourna à son poste avec quelques curieux. « C’est l’un d’eux », s’écria-t-elle, et il nia avec un juron : « Je ne connais pas cet individu », et se retira dans la cour. Toute la compagnie se rassembla autour de lui et, à leur manière, se divertit en jouant sur sa terreur. « En vérité », s’écria l’un d’eux, « vous êtes [ p. 429 ] l’un d’eux ; car vous êtes Galiléen : votre accent vous trahit. » « Je ne le suis pas », vociféra-t-il. Parmi ses bourreaux, comme par malchance, se trouvait un parent de Malchus qui avait assisté à l’arrestation et avait été témoin de l’agression de Pierre. « Ne vous ai-je pas vu dans le verger avec lui ? » dit-il. Cela rendit le misérable fou. Les vieilles habitudes ont la vie dure, et avec un torrent de jurons comme autrefois, lorsqu’il était un rude pêcheur au bord du lac du Nord, « Je ne connais pas cet homme », s’écria-t-il.
Le jour se levait, lorsque « le messager ailé du jour » annonça la quatrième veille (3h-6h), « appelant les hommes à retourner aux soucis et au labeur » ; et tandis que les jurons de Pierre résonnaient dans la cour, un coq chanta, et il se souvint des paroles que le Maître lui avait adressées quelques heures plus tôt au Cénacle : « Avant le chant du coq, tu me renieras encore et encore. » Juste à ce moment, par hasard, le prisonnier traversait la cour après son interrogatoire. En passant devant le groupe bruyant, il avait entendu le blasphème de ces lèvres qui avaient juré leur dévotion jusqu’à la mort ; et lorsque Pierre, surpris par le chant du coq, se retourna, il vit ce doux visage le contempler avec un profond reproche. Un simple regard, mais qui brisa le cœur du réfractaire. Il fondit en larmes de chagrin et s’enfuit par la porte ouverte, loin du lieu de sa honte.
Du manoir d’Anne, le prisonnier fut conduit en bas de la colline du Mont des Oliviers et à travers les rues de la ville encore endormie jusqu’à la Salle des Pierres de Taille, où il fut jugé par le Sanhédrin, présidé par Caïphe, le Grand Prêtre par intérim. Dès le début, l’assistance était complète. Non qu’il fût nécessaire de délibérer ; car déjà, à cause de sa double [ p. 430 ] violation habituelle de la loi du sabbat et de ses prétentions répétées à la divinité, les dirigeants l’avaient déclaré coupable de blasphème et avaient décidé qu’il serait mis à mort dès que l’occasion se présenterait ; et maintenant qu’il leur avait été livré, que leur restait-il à faire, sinon à le condamner ? Là, cependant, ils se trouvaient confrontés à une contrainte embarrassante. À cette époque, où les Juifs étaient vassaux de Rome, « il n’était pas permis au Sanhédrin de mettre qui que ce soit à mort » (Jo. xviii. 31). Il ne suffisait pas que le Grand Prêtre et ses collègues prononcent une sentence contre le prisonnier : leur sentence était sujette à la révision du procurateur, et elle devait être telle qu’il l’approuverait.
Ils s’efforcèrent alors d’obtenir une telle condamnation. Selon la loi juive, le blasphème était un crime capital passible de lapidation ; mais qu’avait à voir le droit romain avec les questions de religion juive ? Le seul moyen d’y parvenir était de donner à l’affaire une couleur politique et de l’accuser de troubles et de sédition ; ce qui n’était pas difficile en ces temps troublés où le pays bouillonnait de mécontentement. Ils produisirent de nombreux témoins ; mais leurs allégations étaient si incohérentes qu’il était impossible de construire une accusation qui résisterait à l’examen d’un tribunal impartial. Un seul semblait raisonnable. Il s’agissait de deux témoins qui se souvenaient de cette parole sibylline qu’il avait prononcée à Pâques trois ans plus tôt : « De sanctuaire, et dans trois jours je le relèverai. » (Jo. ii. 19) C’était une prophétie de sa mort et de sa résurrection, mais ils l’avaient, peut-être en toute bonne foi, prise au pied de la lettre et interprétée comme une menace de violence révolutionnaire : « Nous l’avons [ p. 431 ] entendu dire : « Je démolirai ce sanctuaire fait de main d’homme, et dans l’espace de trois jours j’en bâtirai un autre qui n’est pas fait de main d’homme. » C’était une perversion palpable, et le tribunal a reconnu la futilité d’aller devant le procureur avec une accusation aussi fragile.
Pendant tout ce temps, le Seigneur resta silencieux, sans se défendre. En réalité, aucune n’était nécessaire, puisque les allégations de ses accusateurs se réfutaient d’elles-mêmes. L’affaire semblait s’effondrer faute de preuves. S’il parlait, il pourrait s’incriminer lui-même ; et Caïphe, se levant de son tribunal, le confronta d’un ton menaçant. « Tu ne réponds rien ! » demanda-t-il, « Qu’en est-il des témoignages que ces hommes portent contre toi ? » C’était une tentative éhontée d’intimidation, et Jésus y répondit par un silence dédaigneux. Que pouvait faire le tyran déconcerté ? Une ruse lui vint à l’esprit. L’idée circulait que le prisonnier était le Messie, le Libérateur promis, et qu’il allait bientôt se proclamer Roi des Juifs ; et si telle était sa propre prétention, alors il pouvait raisonnablement être destitué pour desseins de trahison. Mais l’idéal messianique de son époque était si peu spirituel et l’attente qu’il avait suscitée si fausse, qu’il s’était de plus en plus détourné des attributions messianiques, et il était douteux qu’il ait revendiqué la messianité. Caïphe contestait alors une déclaration expresse. « Je te fais serment, dit-il, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Messie, le Fils de Dieu. »
C’était un stratagème habile. Il était bien le Messie, et s’il avait gardé le silence, il aurait trahi sa mission. « Qu’il en soit ainsi », répondit-il. [ p. 432 ] À une telle affirmation de la part d’un captif sans défense, d’un pauvre Galiléen, un murmure moqueur parcourait la cour. Ces dirigeants insolents ne se doutaient guère de qui il était ni sous quelle autre apparence ils le verraient un jour. « Je vous le dis », dit-il en examinant leurs visages méprisants, « bientôt vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance divine et venant sur les nuées du ciel. » (Psaumes CX 1 ; Daniel VII 13)
La loi rabbinique exigeait que quiconque entendait un blasphème déchire ses vêtements en signe d’horreur. « Blasphème ! » s’écria Caïphe, et il déchira ses vêtements. En vérité, il n’y avait aucune horreur dans son cœur, mais plutôt de l’exultation ; car il avait atteint son but. « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voyez, vous avez entendu le blasphème. Quel est votre avis ? » C’était la demande formelle du tribunal ; et la sentence de mort fut prononcée.
La loi juive ordonnait que, lors d’un procès pour une accusation capitale, si le prisonnier était déclaré innocent, son acquittement devait être prononcé immédiatement ; en revanche, s’il était reconnu coupable, sa sentence devait être reportée au lendemain matin, et les juges devaient passer le reste de la journée dans le deuil et le jeûne. Mais dans leur triomphe impie, les juges de notre Seigneur ignorèrent cette gracieuse ordonnance. Ils l’acclamèrent tumultueusement coupable et le condamnèrent sur-le-champ. Pire encore : oubliant à la fois leur propre dignité et la majesté de leur auguste cour, ces seigneurs graves et révérends entourèrent le prisonnier impuissant d’un mépris grossier. Soutenus par leurs officiers, ils crachèrent sur son saint visage ; ils lui bandèrent les yeux, le giflèrent et s’écrièrent : « Sois notre Dieu, Messie ! Qui t’a frappé ? »
[ p. 433 ]
La scène honteuse fut de courte durée, car ils étaient impatients de le traduire devant le procurateur et de le faire exécuter. Il fut donc de nouveau pris en charge et conduit de la Salle des Pierres de Taille jusqu’au Prétoire, la résidence officielle du procurateur, autrefois le palais d’Hérode, à l’ouest de la ville ; et les Sanhédristes le suivirent. Alors qu’ils quittaient la Salle, ils furent surpris par une apparition étrange. C’était le misérable traître. Cela lui était arrivé comme à bien d’autres criminels – à Néron, par exemple, dont on raconte qu’il avait impitoyablement perpétré l’assassinat de sa mère Agrippine et « quand le crime fut enfin accompli, il en comprit l’immense culpabilité, et pendant le reste de la nuit, tantôt silencieux et stupéfait, tantôt et plus souvent encore se levant de terreur, privé de raison, il attendit l’aube comme si elle allait sonner le glas. » Et pourtant, lorsque Judas vit le Maître aux mains de ses ennemis, il réalisa ce qu’il avait fait et fut pris de remords. Était-il trop tard ? Ne pouvait-il pas encore annuler son infâme marché avec les Grands Prêtres ? Les sicles maudits à la main, il se rendit à la Salle des Pierres de Taille et y attendit que le prisonnier soit conduit ; puis, lorsque Caïphe, le vieil Anne et les autres Grands Prêtres émérites apparurent, il les confronta. « J’ai péché », s’écria-t-il, « en trahissant le sang innocent ! » et, présentant l’argent, il aurait voulu le rembourser. Mais ils le repoussèrent. « Que nous importe ? » dirent-ils ; « vous y veillerez », et ils auraient voulu passer leur chemin. Mais il les poursuivit avec des importunités sauvages jusqu’à ce qu’ils atteignent le Sanctuaire, traversant la Cour du Temple, et pour se débarrasser de [ p. 434 ]Ils se retirèrent dans le lieu saint. Avant qu’ils aient pu fermer la porte devant lui, il lança les sicles après eux, s’en alla et se pendit.
Ils rassemblèrent les pièces et, peu à peu, délibérèrent à loisir sur ce qu’il fallait en faire. Elles représentaient le prix du sang, et il aurait été impie de les verser au trésor du Temple ; ils décidèrent finalement de les consacrer à ce qui leur semblait un service digne. Au sud de la ville se trouvait un lit d’argile désaffecté, connu sous le nom de « Champ du Potier ». Il ne servait à rien et ternissait le paysage. Ils l’achetèrent avec les trente pièces d’argent et en firent un lieu de sépulture pour les Gentils qui mouraient par hasard dans la Ville Sainte. Ce lieu impie fut baptisé Akeldama, « Champ du Sang », et il était encore là à l’époque de saint Jérôme, plus de trois siècles plus tard, mémorial impérissable de l’effroyable tragédie de la fin du traître.
Ce fut une tragédie effroyable, et il n’est pas étonnant qu’elle ait rapidement été investie d’une horreur imaginaire. Un exemple de légendes qui en découlèrent est cette histoire macabre du livre des Actes (Ac. i. 18,19), insérée entre parenthèses dans le discours de Pierre proposant l’élection d’un successeur à Judas. Que dire de cette histoire, si différente de celle que raconte l’évangéliste ? En vérité, elle ne fait pas partie du récit sacré. Initialement une note du lecteur en marge de son manuscrit, elle fut, comme cela arrivait si souvent dans la transcription des livres anciens, incorporée au texte par un copiste ultérieur ; et sa valeur réside dans le fait que, comme d’autres légendes encore plus macabres conservées dans la littérature chrétienne primitive, elle nous montre l’horreur qu’inspirait la fin du traître.