[ p. 92 ]
Arguna a dit :
Grâce aux paroles excellentes et mystérieuses que vous avez prononcées pour mon bien-être concernant la relation entre l’âme suprême et l’âme individuelle, cette illusion s’est dissipée. Ô vous dont les yeux sont comme des feuilles de lotus ! J’ai entendu de vous de nombreuses informations sur la production et la dissolution des choses, ainsi que sur votre grandeur inépuisable. Ô Seigneur suprême ! ce que vous avez dit de vous-même est vrai. Je souhaite, ô le meilleur des êtres ! voir votre forme divine. Si, ô Seigneur ! vous pensez qu’il m’est possible de la contempler, alors, ô Seigneur des possesseurs de pouvoirs mystiques [^387] ! montrez-moi votre forme inépuisable.
La Déité dit :
Par centaines et par milliers, vois mes formes, ô fils de Prithâ ! Diverses, divines, de couleurs et de formes variées. Vois les Âdityas, les Vasus, les Rudras, les deux Asvins et les Maruts. Et ô descendant de Bharata ! vois des merveilles, en nombre, jamais vues auparavant. Dans mon corps, ô Gudâkesa ! vois aujourd’hui l’univers entier, y compris (tout) mobile et immobile, (tout) en un, et tout ce que tu désires voir. Mais tu ne pourras me voir avec seulement ton œil. Je te donne un œil divin. (Maintenant) vois ma puissance divine.
Sañgaya a dit
Ayant ainsi parlé, ô roi ! Hari, le grand [ p. 93 ] seigneur des possesseurs de pouvoir mystique, montra alors au fils de Pârithâ sa forme divine suprême, ayant de nombreuses bouches et de nombreux yeux, ayant (en elle) de nombreuses visions merveilleuses, ayant de nombreux ornements célestes, ayant de nombreuses armes célestes tenues droites, portant des fleurs et des vêtements célestes, ayant une onction de parfums célestes, pleine de toute merveille, la divinité infinie avec des visages dans toutes les directions [1]. Si dans les cieux, l’éclat de mille soleils éclatait tout à la fois, ce serait comme l’éclat de ce puissant. Là, le fils de Pâriu observa alors dans le corps du dieu des dieux l’univers entier (tout) en un, et divisé en de nombreuses [2] (divisions). Alors Dhanañgaya fut rempli d’étonnement et, les cheveux dressés sur sa tête, inclina la tête devant le dieu et parla les mains jointes.
Arguna a dit :
Ô dieu ! Je vois dans ton corps les dieux, ainsi que tous les groupes d’êtres divers ; et le seigneur Brahman assis sur son siège de lotus, et tous les sages et les serpents célestes. Je te vois, toi qui es d’innombrables formes, possédant de nombreux bras, estomacs, bouches et yeux de tous côtés. Et, ô seigneur de l’univers ! Ô toi aux formes multiples ! Je ne vois ni fin, ni milieu, ni commencement. Je te vois portant une couronne, une masse et un disque – une masse de gloire, brillante de tous côtés, difficile à regarder, ayant de tous côtés l’éclat d’un feu ardent ou d’un soleil, et indéfinissable. Tu es indestructible, l’être suprême à connaître. Tu es le plus haut soutien [3] de cet univers. Tu es le protecteur inépuisable de la piété éternelle. Je te crois l’être éternel. Je te vois sans commencement, ni milieu, ni fin, doté d’une puissance infinie, d’innombrables bras, ayant le soleil et la lune pour yeux, une bouche comme un feu ardent, et réchauffant l’univers de ton éclat. Car cet espace entre le ciel et la terre et tous les horizons sont imprégnés de toi seul. En contemplant ta forme merveilleuse et terrible, ô âme sublime ! les trois mondes sont effrayés. Car ici, ces groupes de dieux pénètrent en toi. Certains, effrayés, prient les mains jointes, et les groupes de grands sages et de Siddhas crient « Bien-être ! » et te louent par d’abondants hymnes. Les Rudras, les Âdityas, les Vasus, les Sâdhyas, les Visvas, les deux Asvins, les Maruts et les Ushmapas, ainsi que les groupes de Gandharvas, Yakshas, démons et Siddhas, vous regardent tous avec stupeur. En voyant votre forme puissante, avec ses multiples bouches et yeux, ses multiples bras, cuisses et pieds, ses multiples estomacs, et sa multitude de mâchoires effrayantes, tous les hommes, et moi aussi, sommes très alarmés, ô toi aux bras puissants ! En te voyant, ô Vishnu ! toucher les cieux, radieux, aux multiples teintes, la bouche grande ouverte et les grands yeux flamboyants, je suis très alarmé au plus profond de moi-même, et je n’éprouve ni courage ni tranquillité. [ p. 95 ]] Et voyant vos bouches terribles à cause des mâchoires, et ressemblant au feu de la destruction, je ne peux en reconnaître les directions, je ne ressens aucun réconfort. Sois miséricordieux, ô seigneur des dieux ! qui imprègnes l’univers. Et tous ces fils de Dhritarâshtra, ainsi que toutes les bandes de rois, et Bhîshma et Drona, et le fils de ce cocher [4] également, ainsi que nos principaux guerriers, entrent rapidement dans vos bouches, effrayants et horribles [5] à cause de vos mâchoires. Et certains, la tête fracassée, sont vus coincés dans les espaces entre les dents. Comme les nombreux courants rapides des eaux d’une rivière se dirigent vers la mer seule,Ainsi ces héros du monde humain entrent dans vos bouches, flamboyants de toutes parts. Comme les papillons, à une vitesse accrue, entrent dans un feu ardent pour leur destruction, ainsi ces gens entrent dans vos bouches à une vitesse accrue (seulement) pour leur destruction. Avalant tous ces gens, vous les léchez encore et encore de tous côtés, avec vos bouches ardentes. Vos splendeurs féroces, ô Vishnu ! emplissant l’univers entier de (leur) éclat, le réchauffent. Dis-moi qui tu es sous cette forme féroce. Salutations à toi, ô chef des dieux ! Sois gracieux. Je souhaite te connaître, toi l’Être primordial, car je ne comprends pas tes actions.
La Déité dit :
Je suis la mort, le destructeur des mondes, pleinement développé, et je suis maintenant actif pour le renversement [ p. 96 ] des mondes. Même sans toi, les guerriers qui se dressent parmi les armées adverses cesseront tous d’être. Par conséquent, lève-toi, obtiens la gloire et, en vainquant (tes) ennemis, jouis d’un royaume prospère. Tous ceux-là ont déjà été tués par moi. Sois seulement l’instrument, ô Savyasâkin [6] ! Drona, et Bhîshma, et Gayadratha, et Karna, et de même les autres vaillants guerriers que j’ai tués, tuez-les. Ne sois pas alarmé. Combats. Et dans la bataille, tu vaincras tes ennemis.
Sañgaya a dit :
En entendant ces paroles de Kesava, le porteur de la couronne [7], tremblant, les mains jointes, s’inclina ; et, terriblement effrayé, la gorge serrée, il parla de nouveau à Krishna après l’avoir salué.
Arguna a dit :
Il est tout à fait normal, ô Hrishîkesa ! que l’univers soit enchanté et charmé par ta renommée, que les démons s’enfuient effrayés dans toutes les directions, et que tous les rassemblements de Siddhas se prosternent (devant toi). Et pourquoi, ô âme élevée ! ne devraient-ils pas se prosterner devant toi (qui es) plus grand que Brahman et cause première ? Ô seigneur infini des dieux ! Ô toi qui imprègnes l’univers ! tu es l’indestructible, ce qui est, ce qui n’est pas, et ce qui est au-delà d’eux [8]. Tu es le dieu primordial [ p. 97 ], l’être ancien, tu es le plus haut soutien de cet univers [9]. Tu es ce qui a la connaissance, ce qui est l’objet de la connaissance, tu es le but le plus élevé. Par toi cet univers est imprégné, ô toi aux formes infinies ! Tu es le vent, Yama, le feu, Varuna, la lune, toi Pragâpati, et le grand-père [10]. Obéissance à toi mille fois, et encore et encore obéissance à toi ! Devant et par derrière obéissance à toi ! Obéissance à toi de tous côtés, ô toi qui es tout ! Tu es d’une puissance infinie, d’une gloire sans mesure ; tu imprègnes tout, et par conséquent tu es tout ! Quoi que j’aie dit avec mépris, par exemple : « Ô Krishna ! » « Ô Yâdava ! » « Ô ami ! » — te prenant pour mon ami, et ne connaissant pas ta grandeur (telle que démontrée dans) cette (forme universelle), ou par amitié, ou par imprudence ; et quel que soit le manque de respect que j’ai pu te montrer pour m’amuser, que ce soit en jouant, en dormant, en dînant ou en étant assis ensemble, seul ou en présence d’amis, — pour tout cela, ô non dégradé ! Je te demande pardon, toi qui es indéfinissable [11]. Tu es le père du monde, mobile et immobile, — toi son grand et vénérable maître ; nul n’est égal à toi, d’où pourrait-il y en avoir un plus grand, ô toi dont le pouvoir est sans égal dans les trois mondes ? C’est pourquoi je m’incline et me prosterne, et je voudrais te rendre propice, toi le seigneur digne de louanges. Aie plaisir, [ p. 98 ] Ô Dieu ! à me pardonner (ma faute) comme un père (celle de son) fils, un ami (celle de son) ami, ou un mari (celle de sa) bien-aimée. Je suis ravi de voir ce que je n’avais jamais vu auparavant, et mon cœur est aussi alarmé par la peur. Montre-moi cette même forme, ô dieu ! Sois gracieux, ô seigneur des dieux ! Ô toi qui imprègnes l’univers ! Je souhaite te voir porter la couronne et la masse, le disque à la main, exactement comme auparavant [12]. Ô toi aux mille bras ! Ô toi aux formes multiples ! Prends cette même forme à quatre mains.
La Déité dit :
Ô Arguna ! étant satisfait (de toi), je t’ai montré par mon propre pouvoir mystique cette forme suprême, pleine de gloire, universelle, infinie, primitive, et que personne d’autre que toi n’a vue auparavant, ô toi héros parmi les Kauravas ! Personne d’autre que toi ne peut me voir sous cette forme, (même) par (l’aide de) l’étude des Védas, ou des [13] sacrifices, ni par des dons, ni par des actions, ni par de féroces pénitences. Ne sois pas alarmé, ne sois pas perplexe, en voyant cette forme qui est la mienne, effrayé comme cela. Libéré de la peur et le cœur ravi, vois maintenant à nouveau cette même forme qui est la mienne.
Sañgaya a dit :
Ayant ainsi parlé à Arguna, Vâsudeva montra de nouveau sa propre forme, et l’être à l’âme élevée redevenant une forme douce, réconforta celui qui avait été effrayé.
[ p. 99 ]
Arguna a dit :
Ô Ganardana ! en voyant ta douce forme humaine, je retrouve tout mon bon sens et je suis revenu à mon état normal.
La Déité dit :
Même les dieux désirent toujours voir cette forme qui est la mienne, difficile à apercevoir, et que vous avez vue. Je ne peux être vu, comme vous l’avez vu, par les Védas, ni par la pénitence, ni par un don, ni par un sacrifice. Mais, ô Arguna ! par la dévotion exclusive à moi, je peux, sous cette forme, être véritablement connu, vu et assimilé 1, ô terreur de vos ennemis ! Celui qui accomplit des actes pour me rendre propice, pour qui je suis l’objet le plus élevé, qui est mon dévot, qui est libre de tout attachement et qui n’a d’inimitié envers aucun être, celui-là, ô fils de Pându ! vient à moi.
92:1 Madhusûdana prend le pouvoir pour signifier la capacité de devenir petit ou grand, d’obtenir ce qui est désiré, etc. ; les soi-disant huit Bhûtis. ↩︎
93:1 Cf. p. 90 supra. Sankara l’explique comme signifiant « pénétrant tout ». L’expression apparaît dans le Nrisimha-tâpinî-upanishad, p. 50, où il est dit : « Comme, sans organes, il voit, entend, va, prend de tous côtés et pénètre tout, il a donc des visages de tous côtés. » ↩︎
93:2 Dieux, mânes, hommes, etc. ↩︎
94:2 Voyant les signes d’un grand cataclysme, ils disent : « Que tout soit bien dans l’univers », puis ils se mettent à vous prier. ↩︎
95:1 C’est-à-dire Karna, qui était en réalité le frère aîné des Pândavas, mais ayant été immédiatement abandonné par Kuntî à sa naissance, il fut élevé par un cocher. Karna fut informé de sa véritable origine par Bhîshma sur son lit de mort, et on lui conseilla de rejoindre les Pândavas, mais il refusa. ↩︎
95:2 En raison de la rugosité et de la déformation du visage. ↩︎
96:1 Arguna, car il pouvait tirer avec sa main gauche aussi bien qu’avec la droite.—Srîdhara. ↩︎
96:2 Arguna, à qui Indra a donné cette couronne. — Madhusûdana. ↩︎
96:3 Les commentateurs interprètent cela comme signifiant le perceptible, l’inperçu et le principe supérieur. Cf. p. 84 supra, et aussi pp. 103, 113 infra et les notes qui s’y trouvent. ↩︎
97:1 Voir p. 94 supra. Ici, les commentateurs disent que les mots signifient « ce dans quoi l’univers est placé au moment du déluge ». ↩︎
97:2 Le professeur Tiele mentionne l’arrière-grand-père comme nom du Créateur parmi les Cafres (Histoire de la religion, p. 18). Cf. p. 83 supra. ↩︎
97:3 C’est-à-dire dont il est impossible de savoir s’il est tel ou tel. Cf. p. 94 supra. ↩︎
98:1 C’est la forme ordinaire de Krishna. ↩︎