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DEUXIÈME VALLÎ, OU, LE CHAPITRE SUR ÂNANDA (LA FÉLICITÉ).
Harih, Om ! Puisse-t-il (le Brahman) nous protéger tous les deux (le maître et l’élève) ! Puisse-t-il nous réjouir tous les deux ! Puissions-nous acquérir de la force ensemble ! Puisse notre connaissance devenir brillante ! Puissions-nous ne jamais nous quereller ! Paix ! paix ! paix [1] !
Celui qui connaît le Brahman atteint le plus haut (Brahman). À ce sujet, le verset suivant est rapporté :
« Celui qui connaît Brahman, qui est (c’est-à-dire cause, non effet), qui est conscient, qui est sans fin, comme caché dans la profondeur (du cœur), dans l’éther le plus élevé, il jouit de toutes les bénédictions, en un avec le Brahman omniscient. »
De ce Soi [2] (Brahman) jaillit l’éther (âkâsa, ce par quoi nous entendons) ; de l’éther l’air (ce par quoi nous entendons et ressentons) ; de l’air le feu (ce par quoi nous entendons, ressentons et voyons) ; du feu l’eau (ce par quoi nous entendons, sentons, voyons et goûtons) ; de l’eau la terre (ce par quoi nous entendons, sentons, voyons, goûtons et sentons). De la terre les herbes, des herbes la nourriture, de la nourriture la graine, de la graine l’homme. L’homme est ainsi constitué de l’essence de la nourriture. Ceci est sa tête, [ p. 55 ] ceci son bras droit, ceci son bras gauche, ceci son tronc (Âtman), ceci le siège (le support) 1.
Il y a également le Sloka suivant à ce sujet :
« De la nourriture [3] naissent toutes les créatures qui vivent sur terre. Elles vivent ensuite de nourriture, et finissent par y retourner. Car la nourriture est la plus ancienne de toutes les créatures, et c’est pourquoi on la qualifie de panacée (sarvaushadha, c’est-à-dire composée de toutes les herbes, ou apaisant la chaleur du corps de tous les êtres). »
Ceux qui vénèrent la nourriture comme Brahman [4] obtiennent toute nourriture. Car la nourriture est la plus ancienne de toutes les créatures, et c’est pourquoi on l’appelle la panacée. De la nourriture sont issues toutes les créatures ; par la nourriture, à leur naissance, elles grandissent. Parce qu’elle est nourrie, ou parce qu’elle se nourrit d’êtres, on l’appelle nourriture (anna).
À la différence de celui-ci, qui consiste en l’essence de la nourriture, se trouve l’autre, le Soi intérieur, qui consiste en souffle. Le premier est empli de celui-ci. Il a également la forme humaine. À la forme humaine du premier correspond la forme humaine du second. Prânâ (respiration ascendante) est sa tête. Vyâna (respiration descendante) est son bras droit. Apâna (respiration descendante) est son bras gauche. L’Éther est son tronc. La terre est son siège (son support).
Il y a également le Sloka suivant à ce sujet :
[ p. 56 ]
« Les Dévas respirent après souffle (prânâ), tout comme les hommes et le bétail. Le souffle est la vie des êtres, c’est pourquoi on le nomme sarvâyusha (vivifiant). »
Ceux qui vénèrent le souffle comme Brahman obtiennent la vie pleine. Car le souffle est la vie de tous les êtres, et c’est pourquoi on l’appelle sarvâyusha. Le Soi incarné de celui-ci (constitué du souffle) est le même que celui du premier (constitué de la nourriture).
Différent de celui-ci, constitué de souffle, est l’autre, le Soi intérieur, constitué de mental. Le premier est empli de cela. Il a également la forme humaine. La forme humaine du premier est celle du second. Yagus est sa tête. Rik est son bras droit. Sâman est son bras gauche. La doctrine (âdesa, c’est-à-dire le Brâhmana) est son tronc. Les Atharvâṅgiras (hymnes Atharva) le siège (le support).
Il y a également le Sloka suivant à ce sujet :
Celui qui connaît la félicité de ce Brahman, d’où toute parole, avec l’esprit, se détourne, incapable de l’atteindre, celui-là n’a jamais peur ! Le Soi incarné de celui-ci (constitué de l’esprit) est le même que celui du premier (constitué du souffle).
À la différence de ce Soi intérieur, qui est constitué par l’esprit, se trouve l’autre, le Soi intérieur, constitué par la compréhension. Le premier est rempli de cela. Il a également la forme humaine. La forme humaine du premier est celle du second. La foi est sa tête. La justice est son bras droit. La vérité est son bras gauche.
[ p. 57 ]
L’absorption (yoga) est son tronc. Le grand (intellect ?) est le siège (le support).
Il y a également le Sloka suivant à ce sujet :
« La compréhension accomplit le sacrifice, elle accomplit tous les actes sacrés. Tous les Dévas vénèrent la compréhension comme Brahman, comme le plus ancien. Si un homme connaît la compréhension comme Brahman, et s’il ne s’en écarte pas, il abandonne tous les maux du corps et réalise tous ses désirs. » Le Soi incarné de ceci (constitué de compréhension) est le même que celui du premier (constitué d’esprit).
Différent de celui-ci, qui consiste en compréhension, est l’autre Soi intérieur, qui consiste en félicité. Le premier est rempli de cela. Il a également la forme humaine. La forme humaine du premier est celle du second. La joie est sa tête. La satisfaction son bras droit. La grande satisfaction est son bras gauche. La félicité est son tronc. Brahman est le siège (le support).
Il y a également le Sloka suivant à ce sujet :
« Celui qui connaît le Brahman comme non-existant devient lui-même non-existant. Celui qui connaît le Brahman comme existant, nous le connaissons comme existant. » Le Soi incarné de cette (béatitude) est le même que celui de la première (compréhension).
Viennent ensuite les questions de l’élève :
« Est-ce que quelqu’un qui ne sait pas, après avoir quitté cette vie, retourne jamais dans ce monde ? Ou est-ce que celui qui sait, après avoir quitté cette vie, retourne jamais dans ce monde ? »
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La réponse est : Il souhaita : « Puissé-je être multiple 1, puissé-je croître. » Il médita sur lui-même (comme un homme faisant pénitence). Après avoir ainsi médité, il envoya (créa) tout, quoi qu’il y ait. Ayant envoyé, il y entra. Ayant pénétré, il devint sat (ce qui est manifeste) et tyat (ce qui n’est pas manifeste), défini et indéfini, soutenu et non soutenu, (doté de) connaissance et sans connaissance (comme des pierres), réel et irréel 2. Le Sattya (vrai) devint tout cela, et c’est pourquoi les sages l’appellent (le Brahman) Sat-tya (le vrai).
À ce sujet, il y a aussi ce Sloka :
« Au commencement, ceci était inexistant (pas encore défini par la forme et le nom). De cela est né ce qui existe. Cela s’est fait son Soi, c’est pourquoi on l’appelle l’Auto-créé [6]. » Ce qui est Auto-créé est une saveur [7] (qui peut être goûtée), car ce n’est qu’après avoir perçu une saveur que l’on peut percevoir le plaisir. Qui pourrait respirer, qui pourrait expirer, si cette félicité (Brahman) [ p. 59 ] n’existait pas dans l’éther (dans le cœur) ? Car lui seul cause la béatitude.
Lorsqu’il trouve la liberté et le repos dans ce qui est invisible, incorporel, indéfini, sans fondement, alors il atteint l’intrépidité. Car s’il y fait la moindre distinction, il éprouve de la peur [8]. Mais cette peur n’existe que pour celui qui se croit sage [9] (et non pour le véritable sage).
À ce sujet, il y a aussi ce Sloka :
(1) « De la terreur de lui (Brahman) souffle le vent, de la terreur le soleil se lève ; de la terreur de lui Agni et Indra, oui la Mort court comme le cinquième [10]. »
Voici maintenant un examen de (ce que l’on entend par) Béatitude (ânanda) :
Qu’il y ait un jeune homme noble, qui soit bien lu (dans le Véda), très rapide, ferme et fort, et que le monde entier soit rempli de richesses pour lui, c’est une mesure du bonheur humain.
Cent fois plus de bonheur humain (2) est une mesure du bonheur des Gandharvas humains (génies), [ p. 60 ] et de même d’un grand sage (érudit dans les Védas) qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité des Gandharvas humains est une mesure de la félicité des Gandharvas divins (génies), et de même celle d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois plus de bonheur que celui des divins Gandharvas est une mesure du bonheur des Pères, jouissant de leur long état, et également d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité des Pères est une mesure de la félicité des Devas, nés dans le ciel Âgâna (par le mérite de leurs œuvres licites), (3) et de même d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité des Devas nés dans le ciel Âgâna est une mesure de la félicité des Devas sacrificiels, qui vont aux Devas au moyen de leurs sacrifices Vaidik, et de même d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité des Dévas sacrificiels est une mesure de la félicité des (trente-trois) Dévas, et de même d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité des (trente-trois) Devas est une mesure de la félicité d’Indra, (4) et également d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité d’Indra est une mesure de la félicité de Birhaspati, et de même celle d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité de Brihaspati est une mesure de la félicité de Pragâpati, et de même celle d’un grand sage qui est libre de désirs.
Cent fois la félicité de Pragâpati est une [ p. 61 ] mesure de la félicité de Brahman, et également d’un grand sage qui est libre de désirs.
(5) Celui [11] qui est ceci (Brahman) dans l’homme, et celui qui est cela (Brahman) dans le soleil, tous deux sont un [12].
[ p. 62 ]
Celui qui sait cela, lorsqu’il a quitté ce monde, atteint et comprend le Soi qui consiste en nourriture, le Soi qui consiste en souffle, le Soi qui consiste en esprit, le Soi qui consiste en compréhension, le Soi qui consiste en félicité.
À ce sujet, il y a aussi ce Sloka :
[ p. 63 ]
Celui qui connaît la félicité de ce Brahman, d’où toute parole, avec l’esprit, se détourne, incapable de l’atteindre, celui-là ne craint rien [14].
Il ne se préoccupe pas de la pensée : « Pourquoi n’ai-je pas fait le bien ? Pourquoi ai-je fait le mal ? » Celui qui connaît ainsi ces deux choses (le bien et le mal) se libère. Celui qui connaît les deux se libère [15]. C’est l’Upanishad [16].
TAITTIRÎYA-UPAN. | SATAPATHA-BRÂH. | BRIHADÂRAN.-UPAN. |
---|---|---|
Hommes | Hommes | Hommes |
Gandharvas humains (et Srotriya) |
—— | —— |
Gandharvas divins | —— | —— |
Pères (kiraloka) | Pères (gitaloka) | Pères (gitaloka) |
—— | Gandharvas | |
Dieux de naissance | Dieux par mérite | Dieux par mérite |
Dieux par mérite | Dieux par naissance (et Srotriya) |
Dieux par naissance (et Srotriya) |
Dieux | Dieux | —— |
Indra | Gandharvas | —— |
Brihaspati | —— | —— |
Pragâpati | Pragâpati | Pragâpati |
Brahman | Brahman | Brahman. |
Les commentateurs ne nous aident pas beaucoup. Saṅkara, sur la Taittirîyaka-upanishad p. 62, explique les Gandharvas humains comme des hommes devenus Gandharvas, une sorte de fées ; les Gandharvas divins, comme des Gandharvas de naissance. Les Pères ou Mânes sont appelés Kiraloka, car ils demeurent longtemps, mais pas éternellement, dans leur monde. Les Dieux âgânaga sont expliqués comme nés dans le monde des Devas grâce à leurs bonnes œuvres (smârta), tandis que les Karmadevas sont expliqués comme nés là grâce à leurs œuvres sacrées (vaidika). Les Dieux sont les trente-trois, dont le seigneur est Indra et dont le maître est Brihaspati. Pragâpati est Virâg, Brahman Hiranyagarbha. Dvivedagaṅga, dans son commentaire sur le Satapatha-brâhmana, explique les Pères comme ceux qui, suivant la voie du Sud, ont conquis leur monde, plus particulièrement en s’offrant de leur vivant des sacrifices à leurs Pères. Les Karmadevas, selon lui, sont ceux qui sont devenus Devas par des œuvres sacrées (srauta), les Âgânadevas ceux qui étaient des dieux avant l’existence des hommes. Les Dieux sont Indra et les autres, tandis que les Gandharvas ne sont pas expliqués. Pragâpati est Virâg, Brahman est Hiranyagarbha. Enfin, Saṅkara, dans son commentaire sur le Brihadâranyakaupanishad, donne à peu près la même explication que précédemment ; seulement qu’il rend les âgânadevâh encore plus clairs, en les expliquant comme des dieux âgânatah, c’est-à-dire utpattitah, dès leur naissance.
La disposition de ces êtres et de leurs mondes, s’élevant l’un au-dessus de l’autre, rappelle la cosmographie des bouddhistes, mais les éléments, bien que sous une forme moins systématique, existaient évidemment avant. Ainsi, nous trouvons dans le Gargî-brâhmana (Satapatha-brâhmana XIV, 6, 6, 1) la succession suivante : l’eau, l’air, l’éther [17], les mondes du ciel [18], le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, les dieux, les Gandharvas [19], Pragâpati, Brahman. Dans le Kaushîtaki-upanishad I, 3 (Livres sacrés de l’Orient, vol. I, p. 275), on trouve une autre série : les mondes d’Agni, de Vâyu, de Varuna, d’Indra, de Pragâpati et de Brahman. Voir Weber, Ind. Stud. II, p. 224.
54:1 Non compté ici comme un Anuvâka. Les autres Anuvâkas sont divisés en plusieurs petites phrases. ↩︎
54:2 Comparer avec ce srishtikrama, Khând. Up. VI, 2; Ait. Âr. II, 4, 1. ↩︎
55:2 Anna est parfois utilisé dans le sens plus général de matière. ↩︎
55:3 L’adoration consiste à savoir qu’ils sont nés de la nourriture, vivent de la nourriture et finissent par la nourriture, laquelle nourriture est Brahman. ↩︎
56:1 Cf. II, 9. ↩︎
58:3 Cf. Ait. Up. I, 2, 3. ↩︎
58:4 De même que la saveur est la cause du plaisir, ainsi Brahman est la cause de toutes choses. Le sage goûte la saveur de l’existence et sait qu’elle provient de Brahman, l’Auto-créé. Voir Kaushîtaki-upanishad I, 5 ; Livres sacrés, vol. i, p. 277. ↩︎
59:1 La peur ne naît que de ce qui n’est pas nous-mêmes. Par conséquent, dès qu’une distinction, même minime, est faite entre notre Soi et le Soi réel, la peur est possible. L’explication ud = api, aram = alpam est très douteuse, mais reconnue dans les écoles. Il pourrait difficilement s’agir d’une expression proverbiale, « s’il fait un autre estomac », signifiant plutôt « s’il admet une autre personne ». Selon le commentateur, nous devrions traduire par « pour celui qui connaît (une différence) et ne connaît pas l’unité. » ↩︎
59:2 Je lis manvânasya, le commentateur amanvânasya. ↩︎
59:3 Kath. En haut. VI, 3. ↩︎
61:1 Cf. III, 10, 4. ↩︎
61:2 En donnant les divers degrés de bonheur, l’auteur de l’Upanishad nous donne en même temps les diverses classes d’êtres humains et divins que nous devons supposer reconnus à son époque. Nous avons les Hommes, les Gandharvas humains, les Gandharvas divins, les Pères (pitaras kiralokalokâh), les Dieux nés (âgânagâ devâh), les Dieux par mérite (karmadevâh), les Dieux, Indra, Brihaspati, Pragâpati, Brahman. Une telle liste semblerait être l’invention d’un individu plutôt que le résultat d’une vieille tradition, si elle n’apparaissait pas sous une forme très similaire dans le Satapatha-brâhmana, Mâdhyandina-sâkhâ XIV, 7, 1, 31, Kânva-sâkhâ (Brih. Âr. Up. IV, 3, 32). Ici aussi, la plus haute mesure du bonheur est attribuée au Brahmaloka, et les autres êtres sont censés partager une certaine mesure seulement de son bonheur suprême. L’échelle commence dans le Mâdhyandina-sâkhâ avec les hommes, suivis des Pères (pitaro gitalokâh), des Dieux par mérite (karmadevâh), des Dieux par naissance (âgânadevâh, auxquels le Srotriya est uni), du monde des Dieux, du monde des Gandharvas, du monde de Pragâpati, du monde de Brahman. Dans le Brihad-âranyaka-upanishad, nous avons les Hommes, les Pères, les Gandharvas, les Dieux par mérite, les Dieux par naissance, Pragâpati et Brahman. Si nous plaçons les trois listes côte à côte, nous trouvons : ↩︎
63:1 Cf. II, 4. ↩︎
63:2 Même si rien d’autre ne suscite la peur, après avoir acquis la connaissance du Soi et de Brahman, on pourrait penser que la peur pourrait encore naître de mauvaises actions et de l’omission de bonnes œuvres. C’est pourquoi les paragraphes suivants ont été ajoutés. ↩︎
63:3 La construction de ces deux phrases ne m’est pas claire. ↩︎
63:4 Voici l’Anukramanî, et dans certains MSS. la même invocation par laquelle commence la Vallî suivante. ↩︎
61 :a Deest en Kânva-sâkhâ. ↩︎
61:b Entre le ciel et le soleil, le Kânva-sâkhâ place le Gandharvaloka (Brih. Âr. Up. III, 6, 1, p. 609). ↩︎
61:c Au lieu de Gandharvas, le Brih. Âr. Up. place Indra. ↩︎