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DÉSOLÉES sont les demeures des belles, les stations de Minia, où elles se reposaient, et celles où elles fixaient leurs demeures ! Sauvages sont les collines de Goul, et désert est le sommet de Rijaam.
2. Les canaux de Rayaan sont détruits : les restes en sont mis à nu et lissés par les inondations, comme des caractères gravés sur les rochers solides.
3\ Chères ruines, bien des années se sont écoulées, bien des mois, saints ou non, depuis que j’ai échangé de tendres vœux avec leurs beaux habitants !
4. Les constellations pluvieuses du printemps ont rendu leurs collines vertes et luxuriantes : les gouttes des nuages d’orage les ont trempées d’averses abondantes aussi bien que douces :
5. Averses, de chaque nuage nocturne, de chaque nuage voilant l’horizon à l’aube, et de chaque nuage du soir, répondant à des murmures rauques.
6. Ici les plantes sauvages eringo dressent leurs cimes : ici les antilopes mettent bas leurs petits, sur les flancs de la vallée : et ici les autruches déposent leurs œufs.
7. Les vaches sauvages aux grands yeux allaitent leurs petits, âgés de quelques jours, leurs petits, qui deviendront bientôt un troupeau dans la plaine.
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8. Les torrents ont nettoyé les décombres et découvert les traces d’habitations, comme les roseaux d’un écrivain restituent les lettres effacées d’un livre ;
9. Ou comme la poussière noire, saupoudrée sur les marques variées d’une main juste, fait apparaître avec une teinte plus claire les taches bleues du pastel.
10. Je demandais des nouvelles des ruines concernant leurs charmants habitants ; mais à quoi servent mes questions à des rochers lugubres, qui n’y répondent que par leur écho ?
11\ Dans les plaines, qui sont maintenant nues, une tribu nombreuse habitait autrefois, mais ils ont décampé à l’aube, et il ne reste rien d’eux, à part les canaux qui entouraient leurs tentes, et les plantes de thumaam, avec lesquelles ils ont été réparés.
12. Comme tes tendres affections furent soulevées, quand les demoiselles de la tribu s’en allèrent, quand elles se cachèrent dans des chariots de coton, comme des antilopes dans leur tanière, et que les tentes, lorsqu’elles furent frappées, firent un bruit perçant !
13. Ils étaient cachés dans des véhicules dont les flancs étaient bien couverts de tentes et de tapis, de rideaux fins et de voiles peints :
14. Une troupe de jeunes filles y étaient assises, avec des yeux noirs et des mouvements gracieux, comme les génisses sauvages de Tudah, ou les chevreuils de Wegera regardant tendrement leurs petits.
15. Ils pressèrent leurs chameaux, jusqu’à ce que la vapeur étouffante les déroba peu à peu à ta vue, et ils semblèrent traverser une vallée, sauvage de tamaris et rugueuse de grosses pierres, comme la vallée de Beihsa.
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16\ Ah, que reste-t-il dans ton souvenir de la belle Nawara, puisqu’elle habite maintenant au loin, et que tous les liens d’union entre elle et toi, forts et faibles, sont déchirés ?
17\ Une jeune fille qui tantôt habite à Faid, tantôt est voisine des gens du Hejaaz ! Comment peut-elle être l’objet de ton désir ?
18. Elle descend à l’est des deux montagnes, Aja et Salma, puis s’arrête sur les collines de Mohajjer ; Rokhaam aussi et Ferda la reçoivent avec joie.
19. Lorsqu’elle voyage vers le Yémen, nous pouvons supposer qu’elle s’arrête à Sawayik et fait escale aux stations de Wahaaf et Telkhaam.
20. Romps donc une si vaine union avec une maîtresse dont l’estime a cessé ; car malheureuse est une union avec une servante qui a rompu son vœu !
21. Quand une jeune fille est bonne et complaisante, aimez-la d’une affection ardente ; mais quand sa foi chancelle et que sa constance est ébranlée, que votre désunion soit inaltérablement fixée.
22. Exécute ton projet, ô Lébeid, sur un chameau fatigué par de longs voyages qui ne lui ont laissé que peu de sa force passée ; un chameau dont les flancs sont émaciés et sur le dos duquel le troupeau est diminué ;
23. Pourtant, même dans cet état, lorsque sa chair est épuisée et ses cheveux clairsemés, lorsque, après de nombreux jours pénibles, la courroie de ses chaussures est cassée,
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24. Elle a maintenant un esprit si vif qu’elle vole avec la bride, comme un nuage brun poussé par le vent du sud, après avoir déchargé sa pluie ;
25\ Ou comme une ânesse sauvage dont les mamelles sont gonflées de lait, tandis que le mâle qui la met enceinte est devenu maigre à force de chasser ses rivaux d’elle, de les mordre et de leur donner des coups de pied dans sa rage.
26\ Il court avec elle sur les collines tortueuses, bien qu’il ait été blessé dans ses batailles ; mais sa timidité actuelle, comparée à sa tendresse récente, le remplit de surprise.
27. Il gravit la colline sablonneuse de Thalbut et explore son sommet désert, craignant qu’un ennemi ne se cache derrière les pierres de guidage.
28\ Ils y demeurent jusqu’à la fin du sixième mois, jusqu’à ce que la saison des gelées soit passée ; ils subsistent d’herbe sans eau : leur temps de jeûne et de retraite est long.
29. Les épines de la plante buhma blessent leurs pattes arrières, et les vents étouffants de l’été les poussent violemment dans leur course.
30. Enfin, ils forment dans leur esprit une résolution fixe de chercher quelque ruisseau frais, et le but de leur dessein déterminé est presque atteint.
31. Ils soulèvent alternativement de hauts nuages de poussière avec une ombre étendue, comme la fumée s’élève d’un tas de bois sec nouvellement allumé et enflammé,
32.Quand les plantes fraîches d’arfadge sont mélangées dans le tas, et que le vent du nord joue avec le feu ardent.
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33\ Il passe outre, mais la fait courir devant lui, car telle est sa conduite habituelle, quand il craint qu’elle ne s’attarde en arrière.
34. Ils se précipitent sur le bord du ruisseau, ils divisent les eaux du courant, dont les rives sont couvertes de plantes de kolaam, —
35. Des bancs qu’un bosquet de roseaux, en partie dressés et en partie couchés, ombragent ou habillent comme d’un manteau.
36. Est-ce là la rapidité de mon chameau ? Non ; elle ressemble plutôt à une vache sauvage dont le veau a été dévoré par des bêtes féroces, lorsqu’elle l’a laissé paître à part et a compté pour sa protection sur le chef du troupeau ;
37\ Une mère aux narines plates, qui, dès qu’elle s’aperçoit de son petit, ne cesse de courir à la hâte autour des vallées entre les dunes de sable, et de les remplir de ses cris plaintifs ;
38\ Avec des cris pour son jeune aux cheveux blancs, qui gît maintenant roulé dans la poussière, après que les loups bruns – chasseurs du désert – ont divisé ses membres mutilés, et que leur festin n’a pas été interrompu.
39. Ils le rencontrèrent au moment où elle était négligée, ils le saisirent avec empressement, car, oh, combien sont infaillibles les flèches de la mort !
40. Elle passe la nuit dans l’agonie, tandis que la pluie tombe en une averse continue et inonde les bosquets enchevêtrés d’un ruisseau abondant.
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41. Elle s’abrite sous la racine d’un arbre dont les branches sont épaisses, à l’écart des autres arbres, au bord d’une colline, dont le sable fin est secoué par son mouvement ;
42. Pourtant les gouttes successives tombent sur son crâne rayé, tandis que les nuages de la nuit voilent la lumière des étoiles.
43. Ses cheveux blancs scintillent quand l’obscurité vient à peine, et scintillent comme les perles d’un marchand, quand il les disperse de leur collier.
44\ Enfin, lorsque les nuages se sont dissipés et que l’aube apparaît, elle se lève tôt et ses sabots glissent sur le sol glissant.
45. Elle devient impatiente et folle de chagrin : elle reste frénétique dans la piscine de Soayid pendant sept jours entiers avec leurs sœurs jumelles, sept nuits ;
46\ Et maintenant elle est dans un désespoir total : ses mamelles, qui étaient pleines de lait, sont devenues flasques et sèches, bien qu’elles ne soient pas usées par l’allaitement et le sevrage de ses petits.
47\ Elle entend maintenant le cri des chasseurs; elle l’entend, mais ne les voit pas; elle tremble de peur: car elle sait que les chasseurs apportent sa destruction.
48. Elle est assise, tremblante, et imagine que la cause de sa terreur apparaîtra d’un côté et de l’autre, devant et derrière elle.
49. Quand les archers désespèrent de l’atteindre avec leurs flèches, ils lâchent leurs chiens aux longues oreilles, répondant à leurs noms, avec des corps secs et maigres.
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50. Ils se précipitent : mais elle brandit contre eux ses cornes étendues, à la fois longues et acérées comme des javelots fabriqués par la main habile de Samhar,
51. S’efforçant de les repousser ; car elle sait que, si ses efforts sont vains, le moment destiné à sa mort doit bientôt approcher :
52. Puis elle conduit le chien Casaab à son destin ; elle est tachée de son sang ; et Sokhaam est laissé prosterné sur le champ de bataille.
53. Sur un chameau comme celui-ci, lorsque les éclairs de la vapeur de midi dansent sur la plaine et que la brume étouffante habille les collines desséchées,
54. J’accomplis mon audacieux projet, dont je ne suis pas détourné par la crainte d’une répréhension de la part de l’homme le plus critique.
55. Ne sais-tu pas, ô Nawara, que je conserve le nœud d’affection entier, ou que je le coupe en deux, selon que ses objets sont constants ou infidèles ?
56. Que je quitterais sans réticence un pays qui ne convient pas à mon tempérament, quand bien même la mort surprendrait instantanément mon âme ?
57. Ah, tu ne sais pas combien de nuits sereines, avec de doux jeux et de joyeuses réjouissances,
58. Je passe en conversation gaie, et je reviens souvent au drapeau du marchand de vin, quand il le déploie dans l’air, et vend son vin à un prix élevé :
59. J’achète la vieille liqueur à un prix élevé, dans des bouteilles de cuir sombre, longtemps reposées, ou dans des tonneaux, noirs de poix, dont je brise les sceaux, puis je remplis le joyeux gobelet.
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60. Combien de fois je bois du vin pur le matin, et j’attire à moi la belle luthiste, dont les doigts délicats touchent habilement les cordes !
61. Je me lève avant le coq pour prendre ma gorgée du matin, que je sirote encore et encore, quand les dormeurs de l’aube se réveillent.
62. Par bien des matins froids, quand les vents glacials hurlent et que la main du Nord tient leurs rênes, je détourne leur souffle des voyageurs que je reçois dans ma tente.
63. Quand je me lève tôt pour défendre ma tribu, mes armes sont portées par un cheval rapide, dont les sangles ressemblent à ma ceinture ornée de pierres précieuses.
64. Je monte une colline poussiéreuse pour explorer la situation de l’ennemi, et notre poussière, volant en nuages, atteint le standard hostile.
65. Enfin, lorsque le soleil commence à sombrer dans l’obscurité et que le voile de la nuit cache l’embuscade et les stratagèmes de notre ennemi,
66. Je descends dans la vallée, et mon coursier lève son cou comme la branche lisse d’un palmier majestueux, que celui qui veut le couper ne peut atteindre :
67. Je l’incite à courir comme une autruche rapide dans sa course impétueuse, jusqu’à ce que, lorsqu’il bouillonne de rage et que ses os sont légers,
68. Ses harnais sont fortement agités, une pluie coule sur son cou, et sa sangle est baignée d’écume brûlante.
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69\ Il lève la tête, il vole en liberté, les rênes lâches, et se hâte vers son but, comme une colombe se précipite vers le ruisseau quand sa soif fiévreuse fait rage.
70. Il y a un manoir (le palais de Nomaan) rempli d’invités, inconnus les uns aux autres, espérant des cadeaux et craignant des reproches :
71. Elle est habitée par des hommes, semblables à des lions au cou fort, qui se menacent les uns les autres avec une haine maligne, comme les démons de Badiya, les pieds fermement rivés dans le conflit.
72. J’ai contesté leurs fausses prétentions, mais j’ai admis leur mérite réel, selon mon jugement ; et le plus noble d’entre eux ne pouvait me surpasser en renommée.
73. J’ai souvent invité une nombreuse compagnie à la mort d’un chameau acheté pour l’abattage, pour être divisé par tirage au sort avec des flèches de dimensions égales :
74. Je les invite à tirer au sort une chamelle sans poulain, et une chamelle avec son petit, dont je distribuerai la chair à tous les voisins.
75. L’invité et l’étranger, admis à ma table, semblent avoir atterri dans la douce vallée de Tebaala, luxuriante de fleurs printanières.
76. Aux cordes de ma tente s’approche toute matrone nécessiteuse, épuisée par la fatigue, comme un chameau condamné à mourir sur la tombe de son maître, dont le vêtement est à la fois maigre et en lambeaux.
77\ Là, ils couronnent de viande, tandis que les vents d’hiver luttent avec des rafales violentes, un plat coulant comme un ruisseau, dans lequel les orphelins affamés plongent avec empressement.
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78. Quand les nations sont assemblées, quelque héros de notre tribu, ferme dans le débat, ne manque jamais, par des forces supérieures, de surmonter la plus grande difficulté.
79. Il distribue des parts égales, il rend justice aux tribus, il s’indigne quand leur droit est diminué, et, pour établir leur droit, il renonce souvent au sien.
80. Il agit avec grandeur d’esprit et noblesse de cœur : il répand la rosée de sa libéralité sur ceux qui ont besoin de son aide ; il disperse autour de lui ses propres gains et ses précieux butins, les prix de sa valeur.
81. Il appartient à une tribu dont les ancêtres leur ont laissé un modèle parfait ; et chaque tribu qui descend de nous aura des modèles d’excellence et des objets d’imitation.
82\ Si on leur demande du secours, ils s’appuient instantanément sur leurs casques, tandis que leurs lances et leurs cuirasses scintillent comme des étoiles.
83. Leurs actions ne sont pas souillées par la rouille du temps, ni ternies par la disgrâce, car leurs vertus ne sont ébranlées par aucun désir vil.
84. Il a élevé pour nous un édifice de gloire avec un sommet élevé, auquel aspirent tous les vieillards et tous les jeunes hommes de notre tribu.
85. Contentez-vous donc des dispensations du Maître suprême, car c’est Lui qui connaît le mieux notre nature qui a rendu la justice parmi nous.
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86. Quand la paix a été établie par notre tribu, nous la gardons inviolable, et Celui qui la fait, rend notre prospérité complète.
87. Nobles sont les efforts de nos héros, lorsque la tribu lutte contre les difficultés : ils sont nos chefs dans la guerre, et en paix les décideurs de nos revendications :
88. Ils sont une source vivifiante pour leurs voisins indigents et pour les veuves inconsolables dont l’année s’écoule lourdement :
89\ Ils sont une race illustre, bien que leurs envieux puissent être lents à les louer, et que le censeur malveillant puisse pencher en faveur de leur ennemi.