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AVANT d’entreprendre une étude intelligente du Coran, il est nécessaire de se familiariser avec les circonstances du peuple au milieu duquel il fut révélé, avec les aspects politiques et religieux de l’époque, et avec l’histoire personnelle du prophète lui-même.
L’Arabie ou _G_azîrat el ‘Arab, ‘la péninsule arabique’, comme l’appellent les écrivains autochtones, est limitée à l’ouest par la mer Rouge, à l’est par le golfe Persique et le golfe d’Oman, au sud par l’océan Indien, et au nord elle s’étend jusqu’aux confins de la Babylonie et de la Syrie.
Les Arabes étaient divisés en ceux du désert et ceux des villes.
Les premiers s’établirent dans le pays stérile du Hi_g_âz et dans les hautes terres non moins stériles du Ne_g_d.
Les principautés voisines de la Syrie et de la Perse étaient vassales des empires romain et perse; le royaume d’Himyar au Yémen, au sud de la péninsule, était en libre communication avec le reste du monde; mais le Hi_g_âz, « la barrière », avait résisté efficacement à la curiosité et aux attaques des nations qui se disputaient l’empire du monde autour d’elle. La Perse, l’Égypte, Rome, Byzance avaient chacune tenté sans succès de pénétrer dans le pays et d’en conquérir les hardis habitants.
Le Hi_g_âz est formé de chaînes de collines arides qui s’étendent des plaines de la côte orientale de la mer Rouge jusqu’aux hautes terres du Ne_g_d. Dans ses vallées se trouvent les villes saintes de La Mecque et de Médine, et c’est ici que naquit l’Islam.
Les Arabes du désert ont conservé presque intactes les manières, les coutumes et la simplicité primitive des premiers patriarches.
Ils vivaient dans des tentes faites de poils ou de laine, [p. x] et leur principale richesse consistait en chameaux, chevaux et esclaves hommes et femmes.
C’était une race nomade, changeant de résidence dans les différents endroits de leur propre territoire, qui offraient les meilleurs pâturages au fil des saisons.
Courageux et chevaleresque, l’Arabe était toujours prêt à défendre l’étranger qui réclamait sa protection, tandis qu’il se tenait aux côtés d’un membre de son propre clan et le défendait au péril de sa vie, qu’il ait raison ou tort. Ce dévouement à la tribu était l’une des caractéristiques les plus fortes des Arabes, et il faut le garder à l’esprit si nous voulons bien comprendre l’histoire des débuts de l’Islam.
Ils étaient généreux et hospitaliers à l’excès, et on raconte souvent l’histoire d’un chef qui a donné son dernier chameau ou tué son cheval favori pour nourrir un invité, alors que lui et sa famille étaient presque laissés mourir de faim.
La fierté de la naissance était leur passion et la poésie leur plus grand plaisir ; leurs bardes récitaient les nobles pedigrees et les actes vaillants de leurs tribus, comme le dit leur propre proverbe, « les registres des Arabes sont les vers de leurs bardes », et dans les nombreux poèmes anciens encore existants nous avons des matériaux inestimables pour l’histoire de la race.
Mais leurs vices étaient aussi visibles que leurs vertus, et l’ivrognerie, le jeu et l’immoralité la plus grossière étaient très répandus parmi eux. Le vol et le meurtre étaient leurs occupations ordinaires, car un Arabe considérait le travail ou l’agriculture comme indigne de sa dignité, et pensait avoir un droit de prescription sur la propriété de ceux qui condescendaient à de telles fonctions. Cependant, la mort d’un Arabe était vengée avec tant de rigueur et de vindicte par les lois féroces de la vendetta, qu’un certain frein était mis à leurs tendances sanguinaires même dans leurs guerres ; et celles-ci étaient encore tempérées par l’institution de certains mois sacrés, pendant lesquels il était interdit de se battre ou de piller. Cruels et superstitieux aussi, ils étaient, et parmi les coutumes inhumaines que Mahomet a balayées, aucune n’est plus révoltante que celle, qu’ils pratiquaient couramment, d’enterrer vivantes leurs filles.
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La position des femmes parmi eux n’était pas élevée, et bien qu’il existe des exemples d’héroïnes et de poétesses qui exaltaient ou célébraient l’honneur de leur clan, elles étaient pour la plupart regardées avec mépris.Le mariage était noué de la façon la plus simple et dénoué aussi facilement, le divorce ne dépendant que du choix et du caprice du mari.
Quant au gouvernement, ils n’en avaient pratiquement aucun ; l’homme le mieux né et le plus brave était reconnu comme chef de la tribu et les conduisait à la bataille ; mais il n’avait sur eux aucune autorité personnelle et aucune supériorité, si ce n’est celle de l’admiration que lui valaient sa bravoure et sa générosité.
La religion des Arabes était le sabéisme, ou le culte des armées du ciel, Seth et Enoch étant considérés comme les prophètes de la foi.
Ce culte est sans doute originaire de Chaldée, et la croyance en l’existence des anges, qu’ils professaient également, remonte à la même source. Leur pratique de faire le tour des sanctuaires sacrés, qui se poursuit encore aujourd’hui dans le cadre des cérémonies de 'Ha_g__g_, est probablement aussi issue de ce culte planétaire.
Le culte des étoiles, relativement simple, des Sabéens fut cependant grandement corrompu, et un certain nombre de nouvelles divinités, de pratiques superstitieuses et de rites dénués de sens furent introduits.
Les sons étranges qui brisent souvent le terrible silence du désert, les tempêtes soudaines de sable ou de pluie qui en un instant couvrent la surface d’une plaine ou transforment une vallée sèche en un torrent rugissant, ces causes et mille autres produisent naturellement un fort effet sur une imagination stimulée par l’air vif et la liberté du désert.
L’Arabe peuplait donc les vastes solitudes au milieu desquelles il vivait d’êtres surnaturels, et s’imaginait que chaque rocher, chaque arbre et chaque caverne avaient leur _ginn ou génie présidant. Ces êtres étaient considérés comme à la fois bienfaisants et malveillants, et ils étaient adorés pour se rendre propices à leur aide ou pour détourner leur mal.
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La transition entre les puissances de la nature et le génie qui préside à une tribu ou à un lieu est facile, et nous constatons donc que chaque tribu avait sa divinité protectrice au culte de laquelle leurs intérêts étaient intimement liés. Le dieu principal de ce vague culte national était Allah, et la plupart des tribus élevaient un sanctuaire pour lui ainsi que pour leur propre divinité particulière. Les offrandes dédiées au premier étaient réservées à l’avantage des pauvres et des étrangers, tandis que celles apportées à l’idole locale étaient réservées à l’usage des prêtres. Si par hasard Allah avait quelque chose de meilleur que la divinité inférieure, ou si une partie de ses offrandes tombait dans le lot de l’idole locale, les prêtres se l’appropriaient immédiatement ; cette pratique est réprimée par Mahomet dans le Coran (VI, verset 137).
Les principales divinités du panthéon arabe étaient : Allâh ta‘âlah, le Dieu le plus haut.
Hubal, le chef des divinités mineures, avait la forme d’un homme, il fut apporté de Syrie et était censé procurer la pluie.
Wadd, aurait représenté le ciel et aurait été adoré sous la forme d’un homme.
Suwâ’h, une idole sous la forme d’une femme, considérée comme une relique des temps antédiluviens.
Ya_g_hûTH, une idole en forme de lion.
Ya’ûq, adoré sous la figure d’un cheval.
Nasr, qui était, comme son nom l’indique, vénéré sous l’apparence d’un aigle.
El ’Huzzâ, identifié à Vénus, mais il semble avoir été adoré sous la forme d’un acacia, cf. note 2, p. 132.
Allât, idole principale de la tribu de THaqîf à _T_â’if, qui s’efforça de poser comme condition de sa reddition à Mahomet qu’il ne la détruise pas avant trois ans, et que leur territoire soit considéré comme sacré comme celui de la Mecque, condition que le prophète refusa péremptoirement. Le nom semble être le féminin d’Allâh.
Manât, vénéré sous la forme d’une grande pierre sacrificielle par plusieurs tribus, dont celle de HuDHeil.
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Duwâr, idole favorite des jeunes femmes qui avaient pour habitude d’aller en procession autour d’elle, d’où son nom.
Isâf, une idole qui se dressait sur le mont Zafâ.
Naïla, une image sur le mont Marwâ.
Les deux derniers étaient des objets de culte si favorisés que, bien que Mahomet ait ordonné leur destruction, il n’a pas été en mesure de détourner entièrement le respect populaire d’eux, et la visite de Zafâ et Marwâ sont toujours une partie importante des rites de 'Ha_g__g_.
'Hab’hab était une grande pierre sur laquelle les chameaux étaient abattus.
El ’Huzzâ, Allât et Manât sont nommément mentionnés dans le Coran, voir Chapitre LIII, versets 19-20.
La Ka’ba, ou sanctuaire principal de la foi, contenait, en plus de cela, des images représentant Abraham et Ismaël, chacun avec des flèches de divination dans sa main, et une statue ou image représentant la vierge et l’enfant.
Il y avait en tout 365 idoles à l’époque de Mahomet.
Un autre objet de culte alors, et de la plus grande vénération aujourd’hui, est la célèbre pierre noire qui est insérée dans le mur de la Ka’ba, et qui est censée avoir été l’une des pierres du Paradis, blanche à l’origine, bien que noircie depuis par les baisers des lèvres pécheresses mais croyantes.
Le culte des pierres est une forme très ancienne du culte sémitique, et il est curieux de noter que Jacob « prit la pierre qu’il avait mise pour son oreiller, et la dressa pour un pilier, et versa de l’huile sur son sommet ; et il appela le nom du lieu Béthel [1] » : et qu’à La Mecque le principal objet d’intérêt sacré est une pierre, et que la Kaabah a été connue, depuis des temps immémoriaux, comme Bâit allâh, la maison de Dieu.
Les _g_inn, comme les anges, étaient considérées par les anciens Arabes comme les filles d’Allah ; elles étaient censées avoir été créées à partir du feu au lieu de l’argile, mais à tous autres égards, ressembler à l’humanité et être soumises aux mêmes lois de procréation et de décès.
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Mahomet croyait qu’il avait été envoyé comme apôtre à la fois aux hommes et aux dieux, et Sarah LXXII contient une allusion à une vision dans laquelle il vit une multitude de dieux s’incliner en adoration et écouter le message que l’homme avait dédaigneusement refusé.
On croyait aussi à l’existence de sorcières et de sorciers, c’est-à-dire de personnes qui avaient réussi à soumettre une ou plusieurs de ces puissances surnaturelles par des sorts, dont le saint nom était le plus puissant.
Deux anges déchus, Hârût et Mârût, enfermés dans une fosse à Babylone, où ils sont pendus par les talons dans des chaînes jusqu’au jour du jugement, sont toujours prêts à instruire les hommes dans l’art magique.
La croyance en Allah lui-même n’était guère plus qu’une réminiscence, et comme il n’avait pas de sacerdoce et n’était pas le patron d’une tribu particulière, sa suprématie était simplement nominale.
La croyance en une vie future n’avait pas encore pris une place définitive parmi les gens, et les quelques-uns qui, suivant le vieux plan sauvage, enterraient un chameau avec son maître ou l’attachaient pour mourir de faim sur sa tombe, afin qu’il ne soit pas obligé d’entrer dans l’autre monde à pied, le faisaient probablement plutôt par coutume que par croyance en sa signification réelle.
Bref, l’Arabe du temps de Mahomet était ce qu’est le Bédouin d’aujourd’hui, indifférent à la religion elle-même, mais usant de quelques phrases et pratiquant, de façon purement superficielle, quelques observances que ses ancêtres lui avaient transmises.
Le christianisme s’était déjà établi en Arabie. Au Yémen, la ville de Na_g_rân était devenue le siège d’un évêché chrétien, et quelques-unes des tribus les plus importantes, comme Kindeh et Ghassân, avaient embrassé le christianisme, qui était aussi la religion de la plupart des Arabes de Syrie.
Mais elle n’avait pas pénétré profondément dans leurs cœurs, et ses miracles, sa doctrine de la Trinité et les subtiles disputes des monophysites et des monothélites leur étaient absolument incompréhensibles.
Le judaïsme était plus conforme à leurs habitudes et à leurs traditions : un certain nombre de Juifs s’étaient [p. xv] introduits dans le pays après la répression de la révolte contre l’empereur Adrien et y avaient fait de nombreux convertis. Mais leur croyance, fondée sur l’idée qu’eux seuls sont le peuple élu, était trop exclusive pour la majorité des Arabes, tandis que les nombreuses et vexatoires restrictions de son rituel et de ses règles de vie quotidienne convenaient mal à l’esprit libre et inquiet des terres du désert.
A l’époque de l’apparition de Mahomet, la religion nationale des Arabes avait tellement dégénéré qu’elle ne comptait presque plus aucun croyant. Le Sabéisme primitif était presque perdu, et même le culte des puissances de la nature n’était plus qu’un grossier fétichisme : comme le disait un contemporain de Mahomet, lorsqu’ils trouvaient une belle pierre, ils l’adoraient ou, à défaut, trayaient un chameau sur un tas de sable et l’adoraient.
Mais la plupart d’entre eux ne croyaient plus à rien du tout ; les pèlerinages, les sacrifices et le culte des idoles tribales étaient encore pratiqués, mais plutôt pour des raisons politiques et commerciales que par conviction ou par foi. Certains consultaient les oracles ou faisaient un vœu à leur dieu en cas d’événement désiré ; mais si leurs espoirs étaient déçus, la divinité était assaillie d’injures puériles, et s’ils réussissaient, le vœu était éludé par un sacrifice moins coûteux.
Cependant, la simple existence parmi eux de chrétiens et de juifs a amené l’idée monothéiste à attirer l’attention de certains des esprits les plus sérieux et les plus curieux.
Parmi ceux qui s’efforcèrent de rechercher la vérité parmi la masse de dogmes et de superstitions contradictoires des religions qui les entouraient, il y avait Waraqah, le cousin du prophète, et Zeid ibn ‘Amr, surnommé ‘l’Enquêteur’.
Ces enquêteurs étaient connus sous le nom de « Hanîfs », un mot qui signifiait à l’origine « incliner ses pas vers quelque chose », et signifiait donc soit se convertir, soit se pervertir.
Ils ne formaient pas un parti uni, mais chacun pour son propre compte recherchait la vérité. Il y avait cependant une autre secte [p. xvi] qui prétendait avoir trouvé la vérité et qui prêchait la foi de leur père Abraham, ni plus ni moins, en fait, que la doctrine de l’unicité de Dieu. Ceux-là aussi se nommaient 'Hanîfs, et Mahomet lui-même adopta d’abord ce titre comme exprimant la foi d’Abraham [2], mais le changea plus tard en musulman.
Le siège principal du culte des divinités de l’Arabie était La Mecque, appelée aussi Bekka, deux noms signifiant un lieu de rassemblement ; un autre nom de la ville est Umm el Qurâ, « la mère des villes », ou métropole. Elle fut construite vers le milieu du cinquième siècle de notre ère par les Qurâis, lorsqu’ils prirent possession de la Ka’ba, le plus ancien sanctuaire du pays. Elle est située dans une étroite vallée sablonneuse fermée par des montagnes dénudées. Le sol autour de la ville est pierreux et improductif, et les habitants sont obligés d’importer leurs propres vivres. Pour assurer cet approvisionnement avec plus de régularité, Hashim, le grand-père de Mahomet, désignait deux caravanes, l’une en hiver, l’autre en été, qui partaient chaque année ; elles sont mentionnées dans le Coran, chapitre CVI.
Le territoire de la Mecque était tenu pour sacré ; c’était un sanctuaire pour les hommes et les bêtes, car il était illégal d’y prendre la vie de quiconque, sauf celle des animaux amenés là pour le sacrifice, à l’époque des grands rassemblements de pèlerins qui affluaient chaque année au sanctuaire.
La Ka’ba est mentionnée par Diodore comme un temple célèbre dont la sainteté était déjà vénérée à cette époque par tous les Arabes ; son origine doit donc être attribuée à une époque très reculée.
Le nom qui signifie simplement « cube » lui a été donné à cause de sa forme, un carré de pierres brutes. Il aurait été construit par Adam d’après un modèle apporté du ciel, et aurait été restauré par la suite par Seth, puis par Abraham et Ismaël.
La pierre sur laquelle Abraham s’est tenu lors de la reconstruction de la [p. xvii] [paragraphe continue] Ka’ba est toujours représentée ici ; elle est appelée le maqâm Ibrahîm ou la station d’Abraham, et est mentionnée plusieurs fois dans le Coran.
Le puits Zemzem, l’un des objets les plus vénérés de l’enceinte sacrée de la Mecque, est censé être la source que découvrit Agar lorsqu’elle s’enfuit dans le désert avec son fils Ismaël. C’était un petit ruisseau qui coulait d’une des collines environnantes et qui, avec le temps, s’étant tari, Abd al-Mu’tatalib, le grand-père de Mahomet, fit creuser le puits à l’endroit d’où jaillissait la source primitive.
La Kaaba, autant que les légendes obscures de l’Antiquité jettent quelque lumière sur le sujet, resta longtemps entre les mains des descendants d’Ismaël, et lors de leur migration vers d’autres parties de la péninsule, sa garde fut confiée à leurs parents, les Jorhamites. Ceux-ci furent chassés par les Amalécites, qui furent à leur tour défaits par les forces combinées des Ismaélites et des Jorhamites, ces derniers redevenant maîtres du temple. Les Jorhamites furent défaits et déposés par une coalition des Benu Bakr et des Benu '_H_uzâ’hah, et la charge de la Kaaba resta à la dernière tribu mentionnée.
‘Amr ibn La‘hy, chef des Benu ‘_H_uzâ’hah, assuma alors la direction politique et religieuse de la Mecque, et c’est sous son règne que les idoles furent placées dans la Ka’bah. Le résultat fut d’accroître considérablement l’importance de la ville et de son temple, car les divers objets auxquels les tribus individuelles rendaient un culte étaient alors tous concentrés dans son enceinte.
Quzâi, un ancêtre du prophète, faisant cause commune avec les Benu Kenânah, vainquit les Benu Bakr et les Benu ‘H_uzâ’hah et rendit la garde de la Kaabah à sa propre tribu, les Qurâi_s.
De Quzâi, il passa à son fils aîné ‘Abd ed Dar, dont les principales fonctions furent cependant transférées à son frère ‘Abd Menâf. Il s’agissait du privilège de fournir aux pèlerins de l’eau et de la nourriture au moment du ‘Ha_g__g_, du commandement de l’armée et de la direction civique [p. xviii] de la ville, et de la garde de la Kaabah à laquelle il a été fait allusion plus haut.
'Abd Menâf laissa quatre fils, 'Abd Shems, Hâshim, al Mu_t__t_alib et Nâufel. A Hâshim fut confiée la garde de la Ka’ba et le droit de ravitailler les pèlerins, ainsi que la principauté de la Mecque, tandis qu’aux descendants de 'Abd ed Dar ne fut laissée que la charge de les ravitailler en eau.
Hashim et son fils ‘Abd al Mu_t__t_alib remplirent cette fonction avec tant de libéralité que la richesse de la famille, quoique considérable, fut presque entièrement dissipée, et la famille rivale des Ommaiyeh, fils de ‘Abd Shems, s’empara des charges les plus coûteuses avec le prestige qui leur était naturellement dû. C’est sous le règne de ‘Abd al Mu_t__t_alib qu’eut lieu l’invasion de la Mecque par l’armée abyssinienne sous Ashram l’Abraha ; elle fut cependant repoussée avec de grandes pertes. Cette année fut connue plus tard comme l’année de l’éléphant, du fait que ces animaux avaient été employés contre la ville sainte. Le plus jeune fils de ‘Abd al Mu_t__t_alib, Abd Allah, épousa une parente établie à YaTHrib (Medînah), dont il eut un enfant posthume, Mohammed, le futur prophète.
La date exacte de la naissance de Mahomet est généralement le 20 avril 571 après J.-C., mais ce qui est absolument certain c’est qu’il est né l’année de l’éléphant. Tout ce que l’enfant a hérité de son père, c’est cinq chameaux et une esclave.
Selon la mode du pays, il fut pourvu d’une nourrice bédouine, une certaine Halîmah, qui l’emmena avec elle dans les tentes de son peuple et l’éleva dans le cadre vivifiant de la vie dans le désert.
À l’âge de six ans, Mohammed perd sa mère, Amînah.
L’orphelin fut pris en charge par son grand-père 'Abd al Mu_t__t_alib, qui lui témoigna une grande affection, et à sa mort, survenue deux ans plus tard, le laissa à la garde de son fils Abu Tâlib, par la suite l’un des personnages les plus éminents de l’histoire musulmane.
Pour subvenir à ses besoins, le jeune Mahomet [p. xix] fut obligé de garder les moutons et les chèvres des Mecquois, occupation qui, encore aujourd’hui, est considérée par les Bedawîn comme dérogatoire à la position d’un homme. De cette partie de sa vie nous ne savons que peu de choses, car bien que les historiens musulmans rapportent d’innombrables légendes à son sujet, elles sont pour la plupart manifestement fausses et sans importance pour la véritable compréhension de sa vie et de son caractère.
À l’âge de vingt-quatre ans, il fut employé par une riche veuve, nommée ‘Hadî_g_ah, pour conduire les caravanes de chameaux avec lesquelles elle exerçait un important commerce.
Mohammed s’était si bien insinué auprès de sa patronne, qui était aussi sa parente, qu’elle lui offrit sa main, et bien qu’elle eût quarante ans et lui à peine vingt-cinq, leur union fut éminemment heureuse.
Longtemps après sa mort, son amour pour ‘Hadî_g_ah resta frais dans le cœur de Mohammed ; il ne perdait jamais une occasion de vanter ses vertus, et tuait souvent un mouton et distribuait sa chair aux pauvres en l’honneur de sa mémoire.
‘Âyeshah, fille d’Abu Bekr, qu’il épousa trois ans après le décès de ‘Hadî_g_ah, avait l’habitude de dire qu’elle n’était jamais jalouse d’aucune de ses femmes, à l’exception de la vieille femme édentée.’
Six enfants sont issus de ce mariage, quatre filles et deux garçons ; ces derniers moururent tous deux en bas âge.
Mais de cette partie de sa carrière, nous n’avons pas non plus de renseignements authentiques ; tout ce qui est certain, c’est qu’il était un homme honnête, intègre, irréprochable dans ses relations familiales et universellement estimé de ses concitoyens, qui lui décernaient le sobriquet d’El Amîn, « le fidèle ».
Mohammed était un homme de taille moyenne, mais de présence imposante ; plutôt mince, mais avec de larges épaules et une large poitrine ; une tête massive, un visage ovale franc avec un teint clair, des yeux noirs agités, de longs cils lourds, un nez aquilin proéminent, des dents blanches et une barbe épaisse et pleine sont les principales caractéristiques des portraits verbaux que les historiens ont dessinés de lui.
C’était un homme d’une grande organisation nerveuse, réfléchi, [p. xx] agité, enclin à la mélancolie, et possédant une sensibilité extrême, étant incapable de supporter la moindre odeur désagréable ou la moindre douleur physique.
Simple dans ses habitudes, aimable et courtois dans ses manières, et agréable dans la conversation, il gagna beaucoup de gens à sa cause, autant par le charme de ses manières que par la doctrine qu’il prêchait.
Mahomet avait déjà atteint la quarantaine lorsque lui parvinrent les premières révélations, qui étaient la conséquence presque naturelle de son genre de vie et de ses habitudes de pensée, et surtout de sa constitution physique. Dès sa jeunesse, il souffrait d’une maladie nerveuse que la tradition appelle épilepsie, mais dont les symptômes ressemblent davantage à certains phénomènes hystériques bien connus et diagnostiqués de nos jours, et qui s’accompagnent presque toujours d’hallucinations, d’exercices anormaux des fonctions mentales et assez souvent d’une certaine dose de tromperie, volontaire ou non.
Il avait aussi l’habitude de passer de longues périodes dans la solitude et la réflexion profonde, et il était profondément impressionné par la fausseté et l’immoralité de la religion de ses compatriotes et par l’horreur de leurs pratiques vicieuses et inhumaines, et avait pour meilleurs amis des hommes, tels que son cousin Waraqah et Zâid ibn Amr, qui avaient, de leur propre aveu, longtemps recherché la vérité et qui avaient publiquement renoncé à la religion populaire.
Enfin, au cours d’un de ses séjours solitaires sur le mont Hirâ, une montagne sauvage et solitaire près de la Mecque, un ange lui apparut et lui ordonna de « LIRE [3] ! » « Je ne suis pas un lecteur ! » répondit Mahomet avec une grande inquiétude, sur quoi l’ange le secoua violemment et lui ordonna de nouveau de lire.
[p. xxi] Cela fut répété trois fois, lorsque l’ange prononça les cinq versets qui commencent le 96ème chapitre :
« LIS ! Au nom de ton Seigneur, qui a créé –
Qui a créé l’homme à partir de sang coagulé.
LIS ! car ton Seigneur est le plus généreux,
Qui a enseigné l’usage de la plume,
« Il a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. »
[paragraphe continue] Terriblement effrayé, il se hâta de rentrer chez lui auprès de sa fidèle épouse ‘Hadî_g_ah, qui le réconforta. La vision de l’ange ne se répéta pas, mais ses hallucinations et son excitation mentale continuèrent à un tel point qu’une nouvelle peur s’empara de lui, et il commença à se demander s’il n’était pas, après tout, possédé par un _g_inn, un de ces êtres surnaturels redoutables dont j’ai déjà parlé.
Les Arabes, comme tant d’autres nations, pensaient que les personnes atteintes de symptômes épileptiques ou hystériques étaient possédées, et nous trouvons dans le Coran une plainte constante selon laquelle ses concitoyens le considéraient comme tel. La frénésie poétique était manifestement considérée par eux comme étant proche de la possession démoniaque, et le prophète s’efforce souvent de se disculper de cette accusation. Son habitude de jeûner et de veiller toute la nuit augmentait et a sans aucun doute accru sa tendance à l’excitation mentale et aux hallucinations visionnaires.
Le célèbre « voyage nocturne » ou « ascension au ciel », dont beaucoup de musulmans admettent qu’il s’agissait d’un simple rêve, fut sans doute le résultat d’un de ces accès d’exaltation mentale. Il faut cependant se rappeler que, pour un esprit oriental, le réduire à un rêve ne porte en rien atteinte à sa réalité ni à son autorité, les rêves étant censés être des révélations directes de Dieu (voir l’Histoire de Joseph, chapitre XII, et la même que celle rapportée dans l’Ancien Testament).
Il ne fait aucun doute qu’il croyait lui-même profondément à la réalité de ses révélations, surtout au début de sa carrière prophétique. Les chapitres qui appartiennent à cette période sont reliés à des passages [p. xxii] qui ont été manifestement prononcés dans un état d’extase complète ; mais les parties ultérieures du Coran, dans lesquelles des histoires plus consécutives sont racontées et dans lesquelles des ordonnances sont proposées pour la direction générale des croyants, ou pour des cas individuels, sont bien sûr rédigées dans un langage plus sobre et montrent des traces d’une composition plus calme.
L’idée qu’il puisse être, après tout, fou ou possédé (ma_g_nûn) était terrible pour Mahomet.
Il lutta longtemps contre cette idée et s’efforça de se soutenir en croyant à la réalité de la mission divine qu’il avait reçue sur le mont Hirâ ; mais aucune révélation ne vint plus, rien ne survint pour lui redonner confiance et espoir, et Mahomet commença à sentir qu’une telle vie ne pouvait plus être supportée. La Fatrah ou « intermission », comme on appelait cette période sans révélation, dura deux ans et demi ou trois ans.
De sombres pensées de suicide lui vinrent à l’esprit et il escalada plus d’une fois les pentes abruptes du mont Hirâ ou du mont Thabîr avec l’intention désespérée de mettre fin à sa vie agitée en se jetant d’une des falaises abruptes. Mais une force mystérieuse apparut pour le retenir et enfin la vision tant attendue se produisit, qui devait le confirmer dans sa mission prophétique.
Enfin l’ange apparut de nouveau dans toute sa gloire, et Mahomet terrifié courut vers sa femme 'Hadî_g_ah et cria daTHTHirûnî, ‘enveloppe-moi !’ et s’étendit entièrement enveloppé dans son manteau comme il en avait l’habitude lorsqu’il était attaqué par des crises hystériques (qui étaient toujours accompagnées, comme nous l’apprenons des traditions, d’une fièvre hectique violente), en partie pour des raisons médicales et en partie pour se protéger du regard des mauvais esprits.
Alors qu’il était étendu là, l’ange lui parla de nouveau : « Ô toi qui es couvert ! Lève-toi et avertis ! Que ton Seigneur magnifie ! Que tes vêtements purifient ; et évite les abominations ! Et n’accorde pas de faveurs pour gagner de l’accroissement ; et attends ton Seigneur [4] ! »
[p. xxiii]
Les révélations se succédèrent alors rapidement. Il ne douta plus de la réalité de l’inspiration, et sa conviction de l’unité de Dieu et de sa mission divine de la prêcher resta gravée de façon indélébile dans son esprit.
Sa seule convertie fut d’abord sa fidèle épouse ‘Hadî_g_ah ; elle était toujours à ses côtés pour le réconforter quand les autres se moquaient de lui, pour le réconforter quand il était découragé et pour l’encourager quand il chancelait.
Eh bien, en effet, elle méritait le titre sous lequel les siècles ultérieurs la connurent d’Umm el Mû’minîn, « la mère des croyants ».
Ses filles crurent ensuite ; son cousin Ali, le fils cadet d’Abou Tâlib, que Mahomet avait adopté pour soulager son oncle d’une partie des soucis de sa famille, le suivit bientôt ; puis vint Zâid, son affranchi, compagnon favori et compagnon de recherche de la vérité ; et bientôt le petit groupe de croyants fut rejoint par Abou Bekr, un riche marchand et homme du plus haut caractère, qui avait aussi été son confident pendant cette période de doute et de luttes mentales. Mahomet avait coutume de dire que « tout le monde avait plus ou moins hésité à le reconnaître comme l’apôtre de Dieu, sauf Abou Bekr seul ». Abou Bekr jouissait d’une immense influence auprès de ses concitoyens, et avait mérité par sa probité le surnom d’el Ziddîq, « le vrai ».
Les convertis suivants furent deux jeunes gens, Zobeir et Sa’ad ibn Waqqâz, tous deux parents du prophète. Abd er Rahman ibn Auf et Tal’hah, hommes de marque et de valeur militaire, rejoignirent alors les rangs musulmans. Othmân ibn Affân, qui devint plus tard le troisième calife, un jeune homme arabe de belle prestance, embrassa également l’islam pour obtenir la main de la fille de Mahomet, Rukaiyah. L’avènement de ces personnages ouvrit les yeux des Coranistes sur l’importance du mouvement, mais le nombre des fidèles était encore peu élevé.
Ses autres convertis n’étaient que des femmes et des esclaves, les premières gagnées par l’influence de 'Hadî_g_ah. Parmi les seconds se trouvait un esclave abyssin nommé Bilal, qui subit par la suite de cruelles persécutions pour la foi [p. xxiv] et devint à l’établissement de la religion le premier mu’ezzin ou « crieur », qui appelait à la prière en Islam.
Au cours de la cinquième année de son ministère, Mahomet fit un autre converti important, Omar ibn el ‘_H_a_t__t_âb, un soldat féroce, qui avait été l’un des plus acharnés adversaires de la nouvelle religion, mais qui se révéla plus tard son principal soutien.
Sa conversion eut un tel poids que les traditions musulmanes la relatent avec des détails miraculeux. Omar et Abu Bekr suppléèrent, l’un par sa vigueur et sa promptitude dans l’action, l’autre par son éloquence et son adresse persuasives, au manque d’élément pratique dans le caractère de Mahomet. Il comptait tellement sur eux et recherchait leur soutien, qu’il avait toujours l’habitude de dire : « Moi, Abu Bekr et Omar, nous sommes allés à tel endroit, ou avons fait telle chose. »
Pour la grande masse des citoyens de la Mecque, la nouvelle doctrine n’était que le hanifisme auquel ils s’étaient habitués, et ils ne s’en préoccupèrent pas du tout au début. Cependant, la prétention de Mahomet à être l’apôtre de Dieu suscita une plus grande opposition, certains le haïssant pour sa présomption, d’autres le ridiculisant pour ses prétentions ; certains, comme nous l’avons vu plus haut, le considéraient comme un possédé, tandis qu’une autre classe le considérait comme un simple devin vulgaire.
Mais en prêchant l’unicité d’Allah, Mahomet attaquait l’existence même des idoles, dans la protection desquelles consistaient non seulement la suprématie de la Mecque, mais le bien-être et l’importance de l’État.Les chefs des Qurâis commencèrent donc à considérer d’un œil défavorable le prophète, qu’ils considéraient comme un dangereux novateur politique.
Mais Mahomet lui-même était issu de la famille la plus noble de la Mecque et ne pouvait être attaqué ou supprimé sans attirer sur les agresseurs la vengeance certaine de son protecteur Abu Tâlib et de son clan. Une délégation de chefs se rendit donc chez Abu Tâlib et le supplia d’imposer le silence à son neveu ou de lui [p. xxv] retirer sa protection, ce qui équivalait à le livrer à la vengeance sommaire de ses ennemis. Abu Tâlib refusa fermement mais poliment et ce ne fut que lorsqu’ils ajoutèrent des menaces à leurs supplications qu’il consentit même à faire des remontrances à son neveu.
Mohammed, bien que profondément attristé d’avoir perdu, comme il le craignait, la protection et la bienveillance de son oncle, s’exclama en réponse : « Par Allah ! si l’on a placé le soleil à ma droite et la lune à ma gauche pour me persuader, alors que Dieu me l’ordonne, je ne renoncerai pas à mon projet ! » Et éclatant en sanglots, il se retourna pour quitter les lieux. Mais le bon vieux Abu Tâlib, ému par les larmes de son neveu, le rappela et l’assura de sa protection continue.
De la part de ses concitoyens, Mohammed ne rencontra que des railleries, des insultes et de véritables injures, lorsqu’il osait annoncer sa mission en public.
En retour, il ne pouvait que les menacer de châtiments dans ce monde et dans l’autre, en leur décrivant le sort de ceux qui avaient rejeté les prophètes d’autrefois, du peuple de Noé et de Lot, de la destruction de Pharaon et d’autres peuples réfractaires, et en peignant en couleurs vives les terribles tourments de la vie future. Mais cette menace semblait peu susceptible de se réaliser, et dans une existence après la mort, ils n’avaient aucune foi. Les avertissements du prophète furent donc vains, et lui-même fut contraint de supporter avec patience l’opprobre qui lui était infligé et la douleur encore plus profonde de la déception et du sentiment d’échec.
A mesure que la nouvelle foi suscitait l’hostilité ouverte des Mecquois, la position de ses convertis devenait plus embarrassante : ceux qui avaient de puissants protecteurs pouvaient encore résister à la tempête, mais les plus faibles, surtout les esclaves et les femmes, devaient endurer les persécutions les plus sévères, et dans certains cas subir le martyre pour leur croyance.
Certains des esclaves furent achetés par Abu Bekr, la situation financière de Mahomet ne lui permettant pas de le faire lui-même ; d’autres n’ayant aucune ressource apostasièrent pour sauver leur vie.
Dans ces circonstances, le prophète conseilla à sa petite [p. xxvi] troupe de fidèles de chercher refuge dans la fuite, et quelques-uns des plus démunis d’entre eux émigrèrent en conséquence vers le pays chrétien d’Abyssinie. L’année suivante, d’autres les rejoignirent, jusqu’à ce que la petite colonie d’émigrés musulmans compte une centaine d’âmes.
Les Qurâis furent très irrités par la fuite des musulmans, car ils avaient espéré et décidé de réprimer complètement le mouvement. Ils envoyèrent donc une députation au Na_g__g_â_s_î ou roi d’Abyssinie, exigeant la reddition des fugitifs. Le Na_g__g_â_s_î rassembla ses évêques autour de lui, et, convoquant les réfugiés à la conférence, leur demanda de répondre eux-mêmes. Ils lui racontèrent comment ils avaient été plongés dans l’idolâtrie et le crime, et comment leur prophète les avait appelés à croire en Dieu et à pratiquer une vie meilleure ; puis ils cita les paroles du Coran concernant Jésus, et finalement supplièrent le monarque de ne pas les livrer à ces hommes, qui non seulement les persécuteraient, mais les forceraient à retomber dans l’incrédulité et le péché. Le Na_g__g_â_s_î accéda à leur requête et renvoya les messagers. L’échec de cette tentative augmenta l’hostilité des Coraniques envers le petit reste des musulmans restés à la Mecque.
Presque seul, exposé à des dangers et à des ennuis à chaque instant, il n’est pas étonnant que Mahomet ait un instant conçu l’idée d’un compromis.
Les chefs de La Mecque se souciaient peu de leurs propres idoles, mais ils se souciaient beaucoup de leur commerce et de leur prestige. Si les dieux de la Ka’ba étaient faux et leur service vain et méchant, qui visiterait le sanctuaire sacré ? Et où seraient alors les avantages commerciaux qui affluaient à La Mecque grâce aux pèlerins qui se pressaient chaque année dans la ville ? De plus, s’ils permettaient que les divinités favorites des puissantes tribus voisines soient insultées ou détruites, comment pouvaient-ils espérer que ces dernières accorderaient un sauf-conduit à leurs caravanes ou même leur permettraient de traverser les territoires sans être inquiétées ?
Al ’Huzzâ, Allât et Manât étaient les idoles des plus importantes de ces tribus voisines, et les Qurâi_s_ proposèrent [p. xxvii] à Mahomet de reconnaître la divinité de ces trois divinités, et promirent à leur tour qu’ils le reconnaîtraient alors comme l’Apôtre d’Allâh.
Un jour donc, il récita devant une assemblée de Corans les paroles du Coran, Chapitre LIII, versets 19, 20, et lorsqu’il arriva aux mots : « Avez-vous réfléchi à Allât, Al 'Huzzâ et Manât l’autre tiers ? » il ajouta : « Ce sont les deux grues qui s’élèvent très haut, et, en vérité, leur intercession est à espérer ! » Lorsqu’il arriva aux derniers mots du chapitre : « Adorez donc Dieu et adorez ! », les Mecquois se prosternèrent à terre et adorèrent comme il leur était ordonné.
Un grand triomphe politique fut remporté, les Mecquois fiers et moqueurs reconnurent la vérité des révélations, la ville fut convertie, le rêve de Mahomet fut réalisé, et il fut lui-même reconnu comme l’Apôtre de Dieu !
Mais quel sacrifice ! Politiquement parlant, il avait obtenu la position qu’il visait, mais c’était aux dépens de son honnêteté et de sa conviction ; il avait démenti et abruti la doctrine même pour laquelle lui et les siens avaient tant souffert. L’illusion ne dura pas longtemps ; et le lendemain, il se hâta de se rétracter de la manière la plus intransigeante, et déclara, sans aucun doute avec la plus grande conviction de la vérité de ce qu’il disait, que Satan avait mis les paroles blasphématoires dans sa bouche. Le passage fut récité de nouveau, et cette fois il disait : « Avez-vous réfléchi à Allât, Al ’Huzzâ et Manât le tiers restant ? Aurez-vous une descendance mâle pour Lui et une descendance femelle pour vous ? Ce serait donc une répartition injuste ! Ce ne sont que des noms que vous avez prononcés, vous et vos pères ! Dieu n’a fait descendre aucune preuve pour eux ! Vous ne faites que suivre la suspicion et ce que vos âmes désirent ! Et pourtant, la guidée leur est venue de leur Seigneur ! »
Cet incident est nié par de nombreux auteurs musulmans, mais non seulement les histoires les plus dignes de foi sont très explicites sur le sujet, mais il est prouvé par des preuves collatérales que certains des exilés sont revenus d’Abyssinie [p. xxviii] sur la foi du rapport selon lequel une réconciliation avait été effectuée avec les Coran_s_.
Sa rétractation a provoqué contre Mahomet une haine et une opposition redoublées, mais sa famille l’a toujours soutenu fermement, et sa vie était donc en sécurité, car ce n’était pas une mince affaire que d’encourir la terrible responsabilité de la vendetta.
Les Qurâis se vengèrent en mettant la famille au ban, en s’engageant par écrit à ne contracter avec eux aucun mariage ni aucune relation commerciale, à ne leur accorder aucune protection, bref à n’entretenir avec eux aucune communication, ce document étant solennellement suspendu dans la Ka’ba même.
Le résultat de cela fut plus qu’une simple disqualification sociale, car comme ils ne pouvaient pas rejoindre les caravanes mecquoises, et n’étaient pas assez riches ou puissants pour équiper l’une des leurs, ils perdirent leurs moyens de subsistance et furent réduits à la plus grande misère et détresse.
Incapable de lutter ouvertement contre des ennemis aussi nombreux et aussi puissants, toute la famille Hâ_s_imî, païenne comme musulmane, se réfugia dans le _s_i’b ou ‘ravin’ d’Abou Tâlib, un long et étroit défilé dans les montagnes à l’est de la Mecque. Un seul homme se tint à l’écart : c’était Abou Laheb, l’oncle du prophète, le plus acharné ennemi de l’Islam.
Pendant deux ans, les Hâ_s_imîs restèrent sous le ban, enfermés dans leur ravin et ne pouvant sortir qu’à l’occasion du pèlerinage de 'Ha_g__g_ et lorsque les mois sacrés rendaient pour le moment leurs personnes et leurs biens inviolables.
Les Qurâis commencèrent à se lasser de la restriction qu’ils avaient imposée au clan Hasimî et furent heureux de trouver une excuse pour la supprimer. On découvrit que l’acte sur lequel il était rédigé était devenu rongé par les vers et illisible, et cela étant considéré comme une preuve de la désapprobation divine de son contenu, ils écoutèrent l’appel du vénérable Abu Tâlib et permirent aux prisonniers de sortir et de se mêler à nouveau librement au reste du monde. La permission ne vint pas trop tôt, car leurs provisions étaient épuisées et ils [p. xxix] étaient au bord de la famine. Pendant les deux années de souffrance et de détresse, Mahomet n’avait bien sûr fait aucun converti parmi les habitants de la Mecque, et peu, voire aucun membre de son propre clan ne l’avait rejoint pendant leur réclusion, de sorte que ses perspectives étaient plus sombres que jamais.
Pour ajouter à ses ennuis, il perdit sa fidèle épouse ‘Hadî_g_ah peu de temps après. Peu de temps après, il épousa une veuve nommée Sâudâ ; et plus tard, il fut fiancé à ‘Âyeshah, fille d’Abou Bekr, alors encore enfant, mais qu’il épousa trois ans plus tard. Cette femme acquit un ascendant prodigieux sur le prophète, et exerça une influence considérable sur l’Islam, tant pendant sa vie qu’après celle-ci. A une occasion, alors que le groupe était en déplacement, ‘Âyeshah fut laissée avec une jeune Arabe dans des circonstances qui donnèrent lieu à des rumeurs très désagréables à son égard, et une révélation spéciale fut nécessaire pour la blanchir [5]. Deux autres femmes furent bientôt ajoutées à son harîm, ‘Hafza, fille de ‘Omar, et Zâinab, veuve d’un musulman qui avait été tué à Bedr.
Un autre mariage qu’il contracta fit grand scandale auprès des fidèles, à savoir celui avec la femme, appelée aussi Zâinab, de son fils adoptif Zâid, dont son mari répudia et proposa de se livrer à Mahomet en constatant que ce dernier l’admirait. Cela nécessita également une révélation pour le sanctionner [6].
Son oncle et protecteur Abu Tâlib mourut peu de temps après ‘_H_adî_g_ah.
Cette dernière perte le laissa sans protecteur, et sa vie aurait certainement été en danger imminent si son oncle Abu Laheb, pourtant l’un des adversaires les plus déterminés de la nouvelle religion, ne lui avait accordé sa protection formelle au nom de l’honneur de la famille. Mais celle-ci lui fut retirée peu après, et Mahomet se retrouva plus seul et plus exposé que jamais au danger.
Dans l’espoir désespéré de trouver de l’aide ailleurs, il partit [p. xxx] pour _T_â’if, accompagné de son affranchi et fils adoptif Zâid.
Il fut chassé de Tâ’if par la populace qui le lapida au moment de sa fuite. Blessé et épuisé, il se coucha dans un verger dont le propriétaire le rafraîchit avec du raisin, et comme il revenait sur ses pas vers la Mecque, il eut une vision en chemin. Il lui sembla que les armées des _g_inn se pressaient autour de lui, adorant Dieu et désirant apprendre de lui les vérités de l’Islam. Dix ans s’étaient écoulés et le nombre des croyants était encore très faible et les perspectives de l’Islam plus sombres qu’elles ne l’étaient au début, lorsque le prophète trouva un soutien inattendu dans les deux tribus d’El 'Aus et d’El 'H_azra_g, qui vers la fin du cinquième siècle avaient arraché la ville de YaTHrib aux tribus juives qui la détenaient.
Certains de ces Arabes avaient embrassé la religion juive, et plusieurs des anciens maîtres de la ville y résidaient encore en qualité de clients de l’une ou l’autre des tribus conquérantes, de sorte qu’elle contenait au temps de Mahomet une population juive considérable.
Entre les habitants de Yathrib et ceux de la Mecque, il existait un fort sentiment d’animosité ; mais Mahomet, bien que partageant les préjugés de ses compatriotes, n’était pas en mesure de refuser l’aide d’où qu’elle se présentât.
Les habitants arabes de YaTHrib avaient de leur côté une bonne raison de regarder d’un œil plus favorable le nouveau prophète.
Imprégnés de la superstition des Juifs parmi lesquels ils vivaient, ils attendaient la venue d’un Messie avec une grande appréhension de sa restauration de la suprématie juive et de leur propre chute consécutive.
Mahomet, après tout, pouvait être le Messie attendu ; il était de leur propre race et il était en tout cas prudent de traiter avec lui avant qu’il ne se joigne, comme il le pourrait peut-être, à leurs sujets juifs mécontents.
Enfin, YaTHrib était en proie à des agitations incessantes et à des discordes internes, et tout ce qui était susceptible de lier les [p. xxxi] parties en conflit par un lien d’intérêt commun ne pouvait que s’avérer une aubaine pour la cité.
Les habitants de YaTHrib étaient alors, pour plusieurs raisons, enclins à reconnaître la mission de Mahomet, et après diverses négociations entre le prophète et les chefs de la ville, il accepta de les rencontrer à une partie de la route entre La Mecque et YaTHrib, où la vallée fait soudainement une descente abrupte, d’où l’endroit était connu sous le nom d’Akabeh.
Une délégation, composée de douze hommes des tribus Aus et Hazra_g_, le rencontra en conséquence à l’endroit convenu et lui promit leur parole d’obéir à son enseignement.
Les douze hommes retournèrent dans leur ville natale et prêchèrent la doctrine de l’Islam, qui fut acceptée avec empressement par la majorité des habitants païens. Les Juifs de Yathrib, frappés de cette renonciation soudaine à l’idolâtrie de la part de leurs concitoyens, envoyèrent demander à Mahomet de leur envoyer un maître qui les instruirait dans la nouvelle foi qui avait opéré un changement si merveilleux.
À la Mecque, les choses étaient stationnaires, et Mohammed ne pouvait guère faire plus qu’attendre que le temps du pèlerinage revienne et qu’il reçoive de nouvelles nouvelles de YaTHrib.
C’est durant cette année d’attente que se produisit le célèbre voyage nocturne qui a été l’occasion de tant de controverses entre les théologiens musulmans et qui a donné tant de prise aux critiques hostiles des historiens européens. Ce fut, comme Mahomet l’a affirmé avec insistance, une vision dans laquelle il se vit transporté au ciel et mis face à face avec ce Dieu qui avait toujours occupé ses pensées. L’histoire est tellement encombrée de détails traditionnels apocryphes qu’elle a perdu, dans une large mesure, sa véritable signification. Il en est fait allusion de façon obscure dans le Coran dans les passages suivants :
« Que soient célébrées les louanges de Celui qui a conduit Son serviteur en voyage nocturne de la Mosquée Sacrée à la Mosquée Eloignée, dont Nous avons béni l’enceinte, pour lui montrer de Nos signes ! » (XVII, ver. 1.)
[p. xxxii]
« Et nous avons fait de la vision que nous t’avons montrée une cause de sédition parmi les hommes. » (XVII, ver. 62.)
« Par l’étoile quand elle tombe, ton camarade ne se trompe pas, il n’est pas trompé, il ne parle pas non plus par passion ! Ce n’est qu’une inspiration inspirée ! Quelqu’un de puissant en puissance l’a enseigné, doté d’une solide compréhension, et est apparu, il était dans la région la plus élevée.
"Il s’approcha alors et plana au-dessus ! jusqu’à ce qu’il soit à deux arcs de distance ou plus encore ! Alors il inspira à son serviteur ce qu’il lui inspira ; le cœur ne dément pas ce qu’il a vu ! Quoi, allez-vous discuter avec lui sur ce qu’il a vu ?
« Et il le vit une autre fois, près du sycomore, nul ne peut passer, près duquel se trouve le Jardin de la Demeure ! Quand le sycomore se couvrit, qu’est-ce qui le couvrait ? La vue ne déviait ni ne s’égarait. Il vit alors le plus grand des signes de son Seigneur. » (LIII, versets 1-18.)
Enfin le moment désiré arriva et Mahomet, informé par son envoyé Muz’hab du succès de sa mission, se rendit de nouveau à l’Akabeh où il fut accueilli de nuit par soixante-dix hommes de YaTHrib, venus clandestinement au rendez-vous par deux ou trois, pour ne pas attirer l’attention et ne pas encourir l’hostilité des Qurâis.
Son oncle ‘Abbâs, qui était pourtant mécréant, leur expliqua la position de son neveu et les pria de considérer sérieusement la proposition qu’ils allaient faire. Ils déclarèrent qu’ils désiraient sincèrement avoir Mahomet parmi eux et jurèrent de le défendre lui et sa cause au péril de leur vie. Mahomet s’adressa alors à eux, leur récita quelques passages du Coran dans lesquels étaient exposés les points les plus essentiels de sa doctrine et leur demanda un gage de bonne foi. Ils le firent à la manière simple des Bedawi, plaçant l’un après l’autre sa paume dans celle du prophète et prêtant serment de fidélité. Leurs protestations furent si enthousiastes que ‘Abbâs lui-même fut obligé de leur demander de se taire et de les avertir du danger et de l’imprudence de leur démonstration bruyante.
[p. xxxiii] Le traité ainsi ratifié, Mahomet choisit douze naqîbs ou chefs, d’après le nombre des disciples de Jésus, et la voix de quelque étranger se faisant entendre près de l’assemblée se dispersa à la hâte mais en silence.
Les Mecquois, qui avaient eu vent de l’affaire, accablèrent les pèlerins de YaTHrib d’avoir conspiré avec Mahomet contre eux, mais n’étant pas en mesure de prouver l’accusation, le nouveau groupe de musulmans put rentrer chez eux en toute sécurité.
L’attitude des Coranites était alors si hostile que les croyants de la Mecque se préparèrent à la fuite, et il ne resta finalement à la Mecque que trois membres de la communauté, Mohammed lui-même, Abu Bekr et Ali.
Les Qurâis tinrent alors un conseil de guerre solennel, au cours duquel, sur la suggestion d’Abu Gahl, il fut décidé que onze hommes, chacun membre éminent d’une des familles nobles de la ville, attaqueraient et assassineraient simultanément Mahomet, et en divisant ainsi la responsabilité, éviteraient les conséquences de la vendetta, car, comme ils le jugeaient à juste titre, les Hasimîs, n’étant pas suffisamment puissants pour se venger de tant de familles, seraient obligés d’accepter le prix du sang à la place.
Mohammed fut prévenu à temps de ce projet et donna son manteau à Ali en lui ordonnant de faire semblant de dormir sur le divan qu’il occupait habituellement, afin de détourner l’attention des assassins en puissance qui veillaient autour de sa maison. Entre-temps, Mohammed et Abu Bekr s’échappèrent par une fenêtre arrière de la maison de ce dernier et tous deux se cachèrent dans une caverne du mont Thaur, à une heure et demie de la Mecque, avant que les Coranites n’aient découvert le stratagème et n’aient eu vent de leur fuite. Une poursuite acharnée fut immédiatement organisée.
Ils restèrent cachés pendant trois jours, et leurs ennemis s’approchèrent si près qu’Abou Bekr, tremblant, dit : « Nous ne sommes que deux. » « Non, dit Mahomet, nous sommes trois, car Dieu est avec nous. » La légende raconte qu’une araignée avait tissé sa toile à l’entrée de la caverne, de sorte que les Coraniques, pensant que personne n’y était entré, la passèrent dans leur recherche.
[p. xxxiv]
Ils osèrent enfin repartir et, montés sur de rapides chameaux, ils atteignirent Yathrib en toute sécurité. Trois jours après, ils furent rejoints par Ali, qui avait été autorisé à partir après quelques heures d’emprisonnement.
C’est la célèbre Hi_g_rah ou « fuite » dont date l’ère musulmane, qui eut lieu le 16 juin, en l’an 622 de notre Seigneur. La ville de YaTHrib fut désormais connue sous le nom de Madînat en Nebî, « la ville du prophète », ou simplement El Medînah.
Une fois établi à El Medînah, Mahomet procéda à réglementer les rites et les cérémonies de sa religion, construisit une mosquée pour servir de lieu de prière et de salle d’assemblée générale, et nomma Bilâl, l’esclave abyssin qui avait été si fidèle durant les persécutions précédentes, comme crieur pour appeler les croyants aux cinq prières quotidiennes.
Il s’occupa ensuite de réconcilier, autant que possible, les divers partis opposés de la ville, ce qui n’était pas une tâche facile. Les deux tribus d’El ’Aus et d’El ’H_azra_g_ ne purent se résoudre à mettre complètement de côté leur ancienne rivalité, mais elles s’unirent au point de faire de la tribu leur cause commune. C’est pour cela qu’on leur décerna le titre d’Ansâr ou « assistants du prophète ». Les réfugiés de la Mecque furent appelés Muhâ_g_erûn, et pour éviter toute rancune entre ces deux classes, chacun des immigrants mecquois fut obligé de prendre pour lui un musulman de Médine, auquel il prêta serment de fraternité. Cette institution fut cependant abolie un an et demi plus tard, après la bataille de Bedr. Parmi les habitants de Médine qui n’avaient pas accepté l’invitation faite à Mahomet de séjourner parmi eux, quelques-uns quittèrent la ville et passèrent aux Mecquois, mais d’autres, quittèrent la ville pour se joindre à eux. D’autres restèrent en arrière et, bien qu’ils aient cédé à l’opinion populaire et aient fait leur allégeance formelle au prophète, ils n’étaient pas complètement gagnés à l’Islam, mais attendaient de voir comment les choses allaient tourner, prêts, comme ils l’ont fait à plusieurs occasions critiques, à l’abandonner si sa fortune montrait des signes de revers. Cette classe de mécontents est désignée dans le Coran sous le nom de Munâfiqûn ou « hypocrites ».
[p. xxxv]
Bien qu’il fût parfaitement au courant de leurs desseins, Mahomet les traita avec une courtoisie et une indulgence singulières et ne ménagea aucun effort pour les gagner à sa cause ; même lorsque son règne fut fermement établi et qu’ils furent entièrement sous son pouvoir, il ne fit aucune différence dans ses rapports avec eux jusqu’à ce qu’au fil du temps ils soient absorbés par le groupe général des fidèles.
Les Juifs de Médine étaient beaucoup plus difficiles à traiter, et bien que Mahomet, en adaptant autant que possible sa religion à la leur, en faisant appel à leurs propres écritures et livres religieux, en leur accordant une parfaite liberté de culte et une égalité politique, s’efforçait par tous les moyens de les concilier, ils traitaient ses avances avec mépris et dérision. Lorsqu’il devint évident que l’islamisme et le judaïsme ne pouvaient fusionner, et que les Juifs ne l’accepteraient jamais pour leur prophète, Mahomet retira une à une ses concessions, changea la qiblah ou le point vers lequel il se tournait pour prier de Jérusalem qu’il avait d’abord adopté pour la Ka’ba à la Mecque, substitua le jeûne du Ramadhan aux jeûnes juifs qu’il avait prescrits, et, en bref, les considéra comme les ennemis irréconciliables de sa foi.
Peu après, il tourna son attention vers sa ville natale, qui l’avait rejeté et chassé ; se sentant maintenant assez fort pour prendre l’offensive, il commença à prêcher la guerre sainte. Après quelques incursions mineures contre les caravanes ennemies, un événement se produisit qui mit pour la première fois en conflit ouvert les armées musulmanes et infidèles. En janvier 624, une grande caravane de La Mecque, qui avait échappé à une attaque des musulmans à l’automne de l’année précédente, revenait de Syrie chargée de marchandises précieuses, et Mahomet résolut de s’en emparer. Son intention, cependant, parvint aux oreilles d’Abou Sufiyân, qui envoya un messager à La Mecque pour demander des troupes pour sa protection, tandis que lui-même suivait une autre route le long de la côte de la mer Rouge. Mohammed, [p. xxxvi] sans attendre le retour de ses espions, partit dans l’espoir de surprendre Abû Sufiyân à Bedr, où la caravane faisait habituellement halte, mais le Mecquois avait été trop sur ses gardes, il se hâta de poursuivre sa route avec toute la hâte possible et fut bientôt hors de danger. La caravane comprenait la plupart des principaux hommes de la Mecque, en plus de son riche chargement. Aussi le message d’Abû Sufiyân, demandant du secours, causa une panique complète dans la ville. Une armée de près de 7 000 hommes fut immédiatement équipée et marcha au secours, mais en chemin, il rencontra un second messager d’Abû Sufiyân qui lui annonça que tout danger était écarté. Sur ce, 300 d’entre eux retournèrent à la Mecque, tandis que d’autres se hâtaient de rejoindre la caravane. Mohammed avançait toujours dans l’espoir de surprendre la caravane, lorsqu’il fut informé de l’approche de l’armée mecquoise. Après un conseil de guerre, il fut décidé d’avancer et de rencontrer les premiers l’ennemi, car, en cas de victoire, ils pourraient ensuite poursuivre la caravane. Arrivés à Bedr, les musulmans prirent une position telle que leurs ennemis ne purent approcher des puits, et pendant la nuit la pluie tomba avec une telle violence que les Mecquois purent à peine marcher sur le sol détrempé. Au matin, ces derniers étaient très désavantagés, fatigués par l’état du terrain et harcelés par le soleil aveuglant qui leur brillait droit au visage ; mais Mahomet, dont le nombre était bien inférieur, attendait l’issue du combat avec une grande anxiété. Pendant la première partie du combat, les musulmans, sur ordre de Mahomet, restèrent fermes à leurs postes, tandis qu’il les encourageait en promettant la récompense immédiate du paradis à ceux qui tomberaient martyrs pour la cause ; tandis qu’une violente tempête de vent d’hiver soufflait à ce moment-là et [p. xxxvii] ajoutait au malaise et à l’embarras de l’ennemi, il appela l’œuvre de Gabriel avec un millier d’anges combattant pour la foi. Enfin Mahomet donna le signal attendu ; Il prit une poignée de ces hommes et les jeta vers les Mecquois en s’écriant : « Que leurs visages soient couverts de honte ! Les musulmans à l’attaque ! » L’état du terrain gêna tellement les mouvements des Mecquois qu’ils furent bientôt complètement mis en déroute. Plusieurs des ennemis les plus acharnés de Mahomet furent tués, et un certain nombre de prisonniers et un grand butin furent pris. Parmi les captifs, six furent exécutés sur ordre du prophète, certains embrassèrent l’islam, et d’autres furent rachetés par leurs compatriotes. Cette victoire fut si importante pour la cause que Mahomet lui-même la considéra comme provoquée par un miracle spécial, et c’est comme tel qu’elle est évoquée dans le Coran, chap. III, verset 20.
La suprématie militaire et religieuse de Mahomet était désormais assurée à Médine, et il ne tarda pas à faire sentir sa puissance à ses ennemis. Les Juifs subirent d’abord toute la force de sa colère : une femme de cette confession, qui avait soulevé ses concitoyens contre lui avant la bataille de Bedr, fut mise à mort, et peu après les Benu Qâinuqâh, une tribu juive qui s’était soulevée contre son autorité et qui habitait un faubourg de Médine, furent attaqués, leurs biens confisqués et eux-mêmes envoyés en exil.
Pendant ce temps, la guerre entre La Mecque et Médine continuait.
Abu Sufiyân envahit le territoire de Médine, et les musulmans, de leur côté, capturèrent une caravane appartenant aux Qurâi_s_.
Les Mecquois, décidés à venger la défaite de Bedr, avaient consacré les profits de la caravane qui avait été la cause du conflit à l’équipement d’une grande armée, et en janvier 625, trois mille hommes marchèrent sur Médine avec à leur tête Abu Sufiyân. Ce dernier était accompagné de sa femme Hind, qui avait perdu son père, son frère et son oncle dans la bataille et qui désirait se venger. Ils établirent leur camp près du mont Ohod, sur la route qui séparait les deux villes. Les musulmans étaient divisés sur la question de savoir s’il fallait attendre les envahisseurs dans la ville ou faire une sortie et les attaquer là où ils se trouvaient ; et finalement, malgré l’avis contraire de Mahomet, ce dernier plan fut décidé.
Ils marchèrent au nombre d’un millier, et de ceux-ci trois cents appartenaient aux hypocrites, ou au parti [p. xxxviii] mécontent qui avait déserté avant le début de la bataille.
Mohammed avait disposé ses forces de telle sorte que ses archers les mieux entraînés couvraient la seule partie vulnérable de son armée, le flanc gauche, et il leur ordonna de rester à leur poste quoi qu’il arrive. La bataille commença par quelques combats singuliers et de légères escarmouches, dans lesquelles les musulmans avaient l’avantage, et quelques-uns d’entre eux ayant atteint et pillé le camp ennemi, les archers, croyant la partie gagnée, oublièrent leurs ordres et se joignirent au butin. '_H_âlid, qui commandait la cavalerie mecquoise, saisit l’occasion qui se présentait et prit les musulmans sur le flanc et les mit en déroute. Mohammed lui-même fut blessé à la bouche et échappa de justesse à la mort, et 'Hamzah, son oncle, surnommé le Lion de Dieu, fut tué.
Les Mecquois ne poursuivirent pas leur victoire, mais croyant Mahomet, qu’ils avaient vu tomber, mort, retournèrent dans leur propre ville.
La défaite plaça Mahomet dans une position très critique, et il eut beaucoup de mal à restaurer la confiance de ses partisans [7].
Au début de l’année 627, les musulmans étaient en grand danger. 4 000 Mecquois et 1 000 hommes, rassemblés des tribus voisines, marchèrent sur Médine, incités à le faire par les Juifs qui avaient été expulsés de cette ville.
Mahomet ne fut averti du mouvement qu’au dernier moment, mais il prit aussitôt des mesures de défense : sur le conseil de Salmân, prisonnier persan, il fit creuser un fossé profond autour de la ville, élever des remblais dans les endroits où elle n’était pas défendue, et derrière ce fossé il posta son armée, forte de 3,000 hommes.
Les envahisseurs mecquois furent complètement arrêtés par ce mode de défense, et bien que les Beni Qurâidhah, une tribu juive, se soient retirés du côté [p. xxxix] de Mahomet et leur aient apporté toute l’aide possible, leurs attaques furent infructueuses. Enfin, une nuit froide d’hiver, un violent orage de vent et de pluie s’éleva, et une panique complète s’installa dans le camp des Mecquois, qui se dispersèrent et se retirèrent précipitamment dans leurs foyers. C’était le siège des Confédérés auquel le Coran fait allusion[8].
L’ennemi ayant disparu, Mahomet marcha aussitôt contre la tribu traîtresse des Qurâidhah et les assiégea dans leur forteresse, à environ six milles au sud-ouest de Médine. N’étant absolument pas préparés, ils furent obligés de se rendre au bout de quatorze jours, ce qu’ils firent à condition que les Benu Aus, leurs alliés à Médine, décideraient de leur sort. Mahomet choisit pour arbitre un des chefs de la tribu des Aus, nommé Saad ibn Moâdh, un soldat féroce, qui se mourait alors des blessures qu’il avait reçues dans l’attaque de la forteresse. Il ordonna que les hommes soient décapités tous ensemble, les femmes et les enfants vendus comme esclaves, et les biens partagés entre les soldats. Cette terrible sentence fut promptement exécutée, et les hommes, au nombre de 800, furent décapités, et les femmes et les enfants troqués aux Bedawîn contre des armes et des chevaux.
Le pouvoir et l’influence de Mohammed s’étendaient désormais chaque jour.
Pendant six ans, ni lui ni ses disciples n’avaient visité la Ka’bah, ni accompli les rites sacrés du pèlerinage, et en l’an 628 après J.C. il résolut de tenter l’expérience. Le moment choisi était le mois sacré de Dhu’l Qa’hdah, où le Petit Pèlerinage avait l’habitude d’être accompli, plutôt que Dhu’l 'Hi_g__g_eh, celui du Grand Pèlerinage, car il risquait moins d’entraîner une collision avec les autres tribus. Quinze cents hommes seulement accompagnaient Mahomet, ne portant aucune autre arme que celles habituellement autorisées aux pèlerins, une épée au fourreau pour chacun.
Les Mecquois contemplèrent l’avance de Mahomet avec une grande appréhension et, ne croyant pas à ses intentions [p. xl] pacifiques, résolurent de lui barrer la route. Mahomet, ainsi arrêté, se détourna vers 'Hudâibîyeh, à la frontière du territoire sacré.
Après quelques négociations, un traité fut conclu, dans lequel une trêve de dix ans fut convenue : tout Mecquois qui le souhaitait serait libre de rejoindre Mahomet, et vice versa, tout musulman qui le souhaitait pourrait entrer dans les rangs mecquois ; seuls ceux qui étaient clients de chefs puissants ne pouvaient pas devenir musulmans sans le consentement de leurs patrons. Mahomet et ses partisans ne devaient pas entrer à La Mecque cette année-là, mais l’année suivante, ils devaient être autorisés à le faire et à y rester pendant trois jours.
Ce fut en réalité un grand triomphe pour Mahomet, car il reconnaissait sa position de prince indépendant, tandis que la trêve de dix ans lui permettait non seulement de propager sans entrave ses doctrines à La Mecque, mais, en supprimant le danger constant auquel il était confronté dans cette ville, lui donnait l’occasion de tourner son attention ailleurs.
Il ne se contenta pas de tenter de soumettre les tribus bédawines, mais il écrivit des lettres aux grands rois et empereurs du monde, au Khosrou persan, à l’empereur byzantin et à l’Abyssin Na_g__g_â_s_î, leur demandant péremptoirement d’embrasser la foi et de se soumettre à son règne. Les réponses qu’il reçut ne flattèrent pas son orgueil, mais lui ou ses successeurs immédiats devaient bientôt répéter l’appel sous une forme qui n’admettait ni refus ni délai.
Un seul potentat, le gouverneur d’Égypte, Maqauqas, lui répondit favorablement et lui envoya, entre autres présents, deux jeunes esclaves, dont une, une jeune fille copte nommée Marie, que Mahomet prit pour lui, éloignant ainsi ses nombreuses épouses et ne se réconciliant que par une révélation [9].
En 629 après J.C., au mois de Dhu’l Qa’hdah (février), [p. xli] le pèlerinage tant attendu eut lieu. Le prophète entra dans la ville sainte avec deux mille fidèles et les Mecquois s’étant retirés dans les collines voisines, tout se passa tranquillement.
Au cours du court séjour de trois jours à la Mecque, les rangs musulmans furent renforcés par l’accession de deux personnages influents, '_H_âlid, qui les avait conquis à Ohod, et 'Amr, le futur conquérant de l’Egypte.
Cette année-là, l’armée musulmane subit une terrible défaite à Mûta, sur la frontière syrienne, où fut tué Zâid, l’ami du prophète, dont le prestige fut bientôt rétabli par de nouveaux successeurs et l’accession de nombreuses tribus frontalières.
Deux ans après la trêve de ‘Hudâibîyeh, une tribu qui se trouvait sous la protection de Mahomet fut attaquée à l’improviste par une autre tribu alliée aux Mecquois, et quelques Mecquois déguisés furent reconnus parmi les assaillants. C’était une violation du traité, et Mahomet, sollicité par les victimes, ne se fit pas prier pour profiter de l’occasion qui lui était offerte pour reprendre les hostilités. Les Mecquois envoyèrent Abu Sufiyân à Médine pour s’expliquer et obtenir le renouvellement de la trêve, mais sans succès. Mahomet commença à faire des préparatifs pour une expédition contre La Mecque, mais cacha ses plans même à ses partisans immédiats ; ses alliés bédaouines reçurent l’ordre soit de le rejoindre à Médine, soit de le rencontrer à certains endroits fixés sur la route, mais ce ne fut qu’au dernier moment que ses troupes surent que leur destination était la Ville sainte. Tandis qu’ils campaient dans les environs immédiats et avant que les Mecquois aient eu une idée certaine de leur approche, le camp fut visité de nuit par Abou Soufiyân, qui fut présenté à Mahomet par son oncle ‘Abbâs. Ce dernier s’était converti à l’Islam maintenant qu’il voyait que sa cause devait certainement triompher. Mahomet promit à Abou Soufiyân que tous les habitants de la Mecque qui se réfugieraient dans sa maison ou [p. xlii] dans la Ka’ba ou même dans des maisons particulières pourvu que les portes soient fermées, ne seraient pas inquiétés, et le renvoya porter cette nouvelle à ses concitoyens, non avant que lui et ‘Abbas n’aient persuadé le chef mecquois de se convertir à l’Islam, ce qu’il consentit quelque peu à contrecœur. Il y a de bonnes raisons de supposer que toute l’affaire fut arrangée entre Mahomet, Abbas et Abu Sufiyân, et que la rencontre nocturne au camp, avec les détails quelque peu théâtraux que les historiens racontent, et la conversion soudaine des deux chefs jusque-là irréconciliables, faisaient partie d’un plan destiné à épargner à La Mecque un bain de sang inutile, maintenant que le pouvoir accru de Mahomet et l’écrasante masse qu’il amenait avec lui rendaient inévitable la prise de la ville. En tout cas, cela eut cet effet : l’armée musulmane entra à La Mecque presque sans résistance, seuls quelques Bedawîn sous le commandement de H_âlid furent assaillis de flèches par certains des adversaires les plus acharnés de Mahomet, qu’il dispersa rapidement. Mahomet, le voyant à la poursuite de ses assaillants, fut extrêmement en colère jusqu’à ce qu’on lui explique que l’action de H_âlid était inévitable et qu’elle n’était qu’un acte de légitime défense.
Mahomet fut enfin maître de la capitale de l’Arabie ; son premier acte fut de se rendre à la Ka’ba, d’en faire le tour sept fois et de saluer respectueusement la pierre noire avec son bâton, d’y pénétrer et d’y faire détruire les idoles. Poussé à la fois par une saine politique et par le profond sentiment d’attachement à sa tribu, qui est inhérent à tout Arabe, il proclama une amnistie générale, et les Mecquois embrassèrent volontiers l’Islam et marchèrent sous sa bannière, espérant la récompense du Paradis et sûrs d’un riche butin ici-bas. Les tribus bédaouines des environs lui causèrent plus de difficultés, mais elles aussi furent soumises au moins nominalement ; la tribu des Thaqîf à _T_â’if résista encore, et Mahomet les attaqua dans la vallée de 'Honein, où ils furent surpris par l’ennemi dans un étroit défilé, et étaient en danger imminent d’une défaite, si Mahomet ne les avait ralliés en les appelant « Hommes de la sourate de la Génisse ! » Vous, hommes de « l’Arbre de Fidélité ! »
[p. xliii]
Il leur rappela la première partie du Coran révélée à Médine et le serment de fidélité qu’ils avaient prêté alors qu’il était assis sous un arbre à ‘Hudâibîyeh. A cette occasion, il fit un riche butin et, pour se concilier les chefs mecquois, il leur donna plus que leur juste part lors du partage du butin. Cela déplut particulièrement à ses partisans de Médine, qui ne furent apaisés que par sa déclaration d’estime pour eux et sa promesse de ne jamais abandonner leur ville ni de revenir à La Mecque. Ces événements sont évoqués dans le Coran, chap. IX. Après la bataille de ‘Honein, Mahomet assiégea _T_â’if et, bien qu’il ne pût pas prendre la place, il dévasta tellement le pays environnant que des ambassadeurs furent envoyés pour proposer les conditions de la capitulation ; ils offrirent d’embrasser l’Islam, à condition que leur territoire fût considéré comme sacré, qu’on les dispensât des devoirs plus onéreux du culte et qu’on leur permît de conserver leur idole favorite Allât pendant au moins un an. A ces conditions Mahomet fut d’abord disposé à accéder, mais après une nuit de réflexion et des remontrances indignées adressées par le fougueux Omar aux messagers thaïfites, elles furent définitivement refusées, et la tribu se rendit sans conditions.
La neuvième année après la fuite est connue comme « l’année des députations », les tribus Bedawîn l’une après l’autre envoyant leur adhésion à sa cause et reconnaissant sa suprématie spirituelle et temporelle.
La même année, Mahomet dirigea l’expédition contre Tabûk, entreprise dans le but de soumettre les tribus syriennes, incitées par l’influence byzantine à se soulever sur la frontière. La sourate IX contient une violente dénonciation de ceux qui, sous divers prétextes fallacieux, se retirèrent à cette occasion. Ce fut la dernière entreprise militaire menée par Mahomet en personne.
Les Arabes, avec leur inconstance bien connue, ne restèrent pas longtemps fidèles à l’Islam et à son prophète, même du vivant de Mahomet. Les tribus se révoltèrent les [p. xliv] unes après les autres, et la répression de ces insurrections occupa une grande partie de son temps et de son attention durant les dernières années de sa vie. Avec une véritable sagacité politique, il comprit que le seul moyen d’empêcher le royaume nouvellement établi de se désintégrer sans espoir était de donner à ses membres un intérêt et une ambition communs. C’est pourquoi il n’abandonna jamais ses vues sur la Syrie, où les tribus turbulentes pourraient trouver un terrain d’entente pour leurs penchants guerriers et où un riche butin pourrait être réalisé. C’est à ce lien commun d’unité, au désir de pillage et à l’amour des incursions frontalières, autant qu’à l’idée religieuse, que l’Islam devait son triomphe.
En mars 632, il fit son dernier pèlerinage à la Mecque, le « pèlerinage d’adieu », comme l’appellent les musulmans, et debout sur le mont Arafât, il s’adressa à la multitude assemblée, plus de quarante mille pèlerins, leur demanda de rester fermes dans la foi qu’il leur avait enseignée, et appela Dieu à témoin qu’il avait délivré son message et accompli sa mission.
En juin, il tomba malade et sentit lui-même que sa fin approchait.
Le lundi 8 juin, se sentant mieux, il se rendit à la mosquée de Médine, où Abou Bekr dirigeait la prière devant une foule nombreuse qui s’était amassée là pour entendre des nouvelles du prophète. L’entrée de Mahomet fut tout à fait inattendue, mais malgré la faiblesse évidente de sa démarche hésitante, son visage était radieux et sa voix aussi claire et autoritaire que d’habitude. Montant les premières marches de la chaire, il adressa quelques derniers mots au peuple et après avoir donné quelques ordres d’adieu à Oussama, à qui il avait confié le commandement d’une armée en Syrie, Mahomet rentra chez lui et se coucha dans la chambre d’Aïcha. Là, posant sa tête sur sa poitrine, le prophète d’Arabie s’endormit.
La question se pose naturellement : comment un citoyen relativement obscur d’une petite ville arabe a-t-il pu obtenir des résultats d’une telle ampleur que Mohammed l’a sans aucun doute fait ?
Le secret de son succès résidait avant tout dans son enthousiasme [p. xlv] mêlé de patriotisme. Qu’il croie ou non pleinement à sa mission et à ses révélations divines importe peu, mais il est certain qu’il croyait en lui-même comme œuvrant pour le bien de ses compatriotes. Il prit les institutions politiques et religieuses de son pays telles qu’il les trouvait, et il s’efforça d’éradiquer ce qui était mauvais et de développer ce qui était bon. Il savait qu’aussi longtemps que les différentes tribus gaspilleraient leurs forces dans des guerres intestines, il n’y avait aucun espoir qu’elles deviennent un jour une puissance ; mais il connaissait suffisamment leur caractère et leur tempérament pour comprendre que tout projet d’unité nationale devait échouer s’il impliquait la nécessité de les soumettre à un maître quelconque. Il chercha donc à les unir par ce que nous pouvons appeler leur sentiment religieux commun, mais qui signifiait en réalité, comme c’est trop souvent le cas, des intérêts communs, des coutumes communes et des superstitions communes. A La Mecque, tout était à sa disposition : la Kaaba contenait tous les dieux des différentes tribus ; les foires annuelles et les eisteddfodau (pour emprunter un nom gallois qui exprime exactement le caractère de ces rassemblements) se tenaient sur le territoire, et c’était là que circulaient et se maintenaient vivantes les traditions historiques et religieuses de la race. Tous les éléments de centralisation étaient là, et il ne manquait qu’un maître esprit comme celui de Mahomet pour orienter leurs pensées vers l’idée commune qui devait les porter à s’unir.
Un prophète qui débute sa carrière sans autre atout que l’enthousiasme visionnaire ou l’imposture délibérée n’a que peu de chances de réussir. Musâilimah, le rival de Mahomet, n’a laissé derrière lui que son sobriquet d’El KeDHDHâb, « le menteur », et quelques parodies amèrement satiriques de certains versets du Coran, qui sont encore parfois citées par les musulmans les moins respectueux. El Mukanna‘, le « prophète voilé du Khorassan », n’a pas gagné plus d’immortalité qu’une mention occasionnelle dans la poésie persane et l’honneur d’être le héros d’un poème populaire anglais. Mutanebbî, « le prétendu prophète », comme son nom l’indique, qui a prospéré [p. xlvi] au dixième siècle de notre ère, était un Arabe des Arabes, un des plus grands poètes de son époque. Lui aussi s’est établi comme prophète, mais avec si peu de succès qu’il a dû se retirer de cette profession très tôt dans sa carrière. C’est probablement son aisance remarquable dans le langage qui l’a poussé à imiter l’exemple de Mahomet et à s’appuyer sur l’éloquence « miraculeuse » de son langage pour étayer ses prétentions à l’inspiration. Il a cependant manqué les occasions qui se sont présentées à Mahomet ; il n’était pas lui-même un grand réformateur et il n’y avait pas de besoin urgent de réforme à l’époque. De plus, il était totalement dépourvu de sentiment religieux et, même dans ses premiers poèmes, il blasphème et se moque tellement des noms sacrés que ses commentateurs les plus dévoués sont souvent incapables de lui trouver des excuses.
Pour juger du caractère de Mahomet et de la religion que nous avons l’habitude d’appeler de son nom, il faut donc mettre de côté les théories de l’imposture et de l’enthousiasme, ainsi que celle de l’inspiration divine. Même la théorie selon laquelle il aurait été un grand réformateur politique ne contient pas toute la vérité, et s’il est certain que son caractère personnel a exercé une influence très importante sur sa doctrine, il n’est pas du tout évident qu’il l’ait modelée dans sa forme actuelle.
L’enthousiasme qu’il inspirait lui-même et la facilité avec laquelle des hommes comme Abu Bekr et Omar, des Arabes de la plus noble naissance, se rangèrent parmi ses disciples, qui se composaient pour la plupart d’hommes du rang le plus bas, esclaves, affranchis et autres, prouvent qu’il ne pouvait pas être un simple imposteur.
Les premières parties du Coran sont les éloges authentiques d’un enthousiaste qui se croyait inspiré, et Mahomet lui-même les présente dans les sourates ultérieures comme des preuves irréfutables de l’origine divine de sa mission. Cependant, dans son histoire ultérieure, on trouve des preuves de cette tendance à la fraude pieuse qu’implique nécessairement la profession de prophète. Bien qu’elle soit commencée en toute bonne foi, une telle profession doit finalement placer l’enthousiaste dans une position embarrassante, et le désir même de prouver [p. xlvii] la vérité de ce qu’il croit lui-même peut le réduire à l’alternative de recourir à une fraude pieuse ou de renoncer à tous les résultats qu’il a obtenus auparavant.
Au début de sa carrière, il se tourna vers les Juifs, imaginant que, s’il prétendait restaurer la religion originelle d’Abraham et faisait appel aux Écritures juives pour confirmer son enseignement, ils le soutiendraient. Déçu de ce côté, il les traita avec plus d’hostilité que n’importe lequel de ses adversaires.
Dans la dernière partie de sa carrière, il ne s’occupe guère des Juifs ou des Chrétiens, et lorsqu’il mentionne ces derniers, c’est sans l’esprit de conciliation dont il fit preuve au début à leur égard. Ils sont non seulement sévèrement réprimandés pour leurs erreurs, mais inclus dans la masse générale des infidèles contre lesquels les vrais croyants doivent lutter.
Mahomet se qualifie lui-même dans le Coran En Nebîy el’ ummîy (chapitre VII, versets 156 et 158), ce qui peut être interprété soit comme « le prophète illettré » soit comme « le prophète des Gentils », car le mot ’Ummîyûn au chapitre II, verset 73 signifie plutôt « ceux qui n’ont pas d’écritures ».
Les musulmans eux-mêmes diffèrent beaucoup sur le fait que le prophète savait lire ou écrire, les sunnites le niant et les chiites déclarant qu’il était capable de faire les deux. Les preuves de ce fait, cependant, sont très peu fiables, et dans les récits traditionnels des occasions où il est censé avoir écrit, les mots ne signifient peut-être rien de plus que qu’il a dicté les documents en question. Dans le Coran, XXIX, 47, il est simplement dit qu’il n’a jamais «récité un livre avant cela», et les passages du chapitre XCVI, versets 1-6, qui commencent par «Lis», et dans lesquels l’ange Gabriel est censé montrer l’Umm al Kitâb (voir p. 2, note 2), et lui ordonner de le lire, l’acte impliqué peut n’être rien de plus qu’une perception intuitive du contenu du livre ainsi mystérieusement montré à lui.
Il est probable qu’il ne savait ni lire ni écrire, et il est presque certain qu’il ne pouvait pas le faire suffisamment pour utiliser les écritures juives ou chrétiennes. Les traditions orales juives et chrétiennes incorporées dans le Coran étaient sans doute courantes parmi les tribus juives et [p. xlviii] chrétiennes ; rien ne vient étayer l’accusation portée contre Mahomet par les auteurs chrétiens, selon laquelle la plus grande partie de ses révélations étaient dues aux suggestions d’un moine chrétien. Le personnage mentionné dans le Coran, chapitre XVI, verset 105, est probablement Salmân le Persan ; les légendes persanes étant dans l’esprit arabe l’archétype même de ces « contes de vieux gens » auxquels ses révélations étaient si souvent comparées par ses contemporains.
D’autres histoires, comme celles de ‘Âd et de Thamûd, les légendes de leur grand ancêtre Abraham, du Seil al ‘Arim ou de la rupture de la digue de Marab, étaient toutes des lieux communs du folklore du pays.
Il les raconta cependant à nouveau avec les détails supplémentaires qu’il avait tirés de sources juives et chrétiennes, et fit appel à ces informations supplémentaires pour prouver l’origine divine de sa version.
La ville de YaTHrib, plus connue par la suite sous le nom d’El Medînah, « la ville », comptait de nombreux habitants juifs, et la Mecque elle-même était sans doute également fréquentée par des Arabes juifs, et l’influence de leurs croyances et superstitions est apparente dans tout le Coran.
Le christianisme aussi, comme nous l’avons vu, a contribué considérablement à la nouvelle religion, quoique pas dans une mesure aussi grande que le judaïsme.
Il est clair cependant que Mahomet ne connaissait pas les originaux eux-mêmes, ni des écritures juives ni des écritures chrétiennes. Le seul passage de l’Ancien Testament cité dans le Coran se trouve au chapitre XXI, versets 104, 105 : « Et nous avons déjà écrit dans les Psaumes après le rappel que « mes serviteurs justes hériteront de la terre », ce qui est une paraphrase arabe du Psaume xxxvii, verset 29 : « Les justes hériteront de la terre ». L’exclusivisme bien connu des Juifs et leur réticence à ce qu’une main non juive touche à leur Livre sacré, rendent extrêmement improbable que même cette phrase ait été empruntée directement aux écritures elles-mêmes, même si Mahomet avait pu comprendre la langue dans laquelle elles sont écrites.
[p. xlix]
Le Coran fait appel à plusieurs reprises aux prophéties concernant Mahomet qui sont censées exister dans le Nouveau et l’Ancien Testament : ainsi au chapitre II, 141 : « Ceux à qui nous avons donné le Livre le connaissent comme ils connaissent leurs propres fils, bien qu’une secte d’entre eux cache certainement la vérité, tout en sachant » ; et encore, VI, 20 : « Ceux à qui nous avons apporté le Livre le connaissent comme ils connaissent leurs fils, — ceux qui perdent leur âme ne croient pas. »
L’allusion serait à la promesse du Paraclet dans Jean XVI, 7, et l’on suppose que le mot παράκλητος en grec a été substitué à περικλυτός, qui se traduirait exactement par le nom d’Ahmed ou Mahomet. Mahomet n’avait cependant certainement pas accès au Testament grec, et il est douteux qu’une version arabe ait même existé à l’époque, le syriaque n’étant que la langue ecclésiastique des chrétiens de l’époque : il est plus probable que Mahomet ait reçu cette suggestion de certains de ses amis chrétiens.
L’idée monothéiste, qui est le maître mot de l’Islam, n’était pas nouvelle pour les Arabes, mais elle déplut, et particulièrement aux Qurâis, dont la suprématie sur les autres tribus et la prospérité terrestre provenaient du fait qu’ils étaient les gardiens héréditaires de la collection nationale d’idoles conservée dans le sanctuaire de la Mecque. Le message de Mahomet sonna donc comme un mot d’ordre révolutionnaire, un cri de parti radical que les Mecquois conservateurs ne pouvaient se permettre de mépriser et qu’ils combattirent très énergiquement. Le prophète, en premier lieu, n’eut que peu de succès. ‘Hadîgâh accepta sans hésitation la mission de son mari, ainsi que son cousin Waraqah ; et Zâid, « l’enquêteur », un homme qui avait passé sa vie à rechercher la vérité et à lutter contre cette idolâtrie qui répugnait tant aux idées de Mahomet, se rallia aussitôt à la nouvelle doctrine. Cependant, pendant trois ans, seulement quatorze convertis furent ajoutés à l’église musulmane.
La mission de Mahomet s’adressait donc aux Arabes à de nombreux égards. Comparée à l’idolâtrie qui régnait [p. l] à l’époque, l’idée telle qu’elle était présentée était si grande, si simple et si vraie que la raison pouvait difficilement hésiter entre les deux systèmes, à moins que, comme dans le cas des Coraniques, l’intérêt personnel ne soit mis en jeu. A côté de la religion des juifs et des chrétiens, telle qu’elle était pratiquée en Arabie du moins, elle apparaissait plus spirituelle et plus divine, et présentait les vérités des deux religions sans les défauts. Elle s’harmonisait avec la croyance sémitique traditionnelle, arabe comme juive, de la venue d’un Messie, ou du moins d’un prophète, qui révélerait enfin la vérité et rétablirait l’ordre des choses qui avait si mal tourné spirituellement et temporellement. Enfin, il ne fait pas appel à leur crédulité, il leur demande seulement de croire ce qu’ils peuvent bien accepter comme une évidence, et il ne revendique qu’un seul miracle, celui de l’éloquence merveilleuse de sa prononciation, ce que ni amis ni ennemis ne peuvent nier. Il ne faut pas oublier que cette prétention du Coran à une éloquence miraculeuse, si absurde qu’elle puisse paraître aux oreilles occidentales, était et est incontestable pour les Arabes.
Pour comprendre l’immense influence que le Coran a toujours exercée sur l’esprit arabe, il faut se rappeler qu’il ne se compose pas seulement des déclarations enthousiastes d’un individu, mais de dictons populaires, de morceaux d’éloquence choisis et de légendes favorites qui circulaient parmi les tribus du désert depuis des siècles avant son époque. Les auteurs arabes parlent fréquemment de la célébrité atteinte par les anciens orateurs arabes, tel Shâibân Wâil, mais malheureusement aucun spécimen de leurs œuvres ne nous est parvenu. Le Coran, cependant, nous permet de juger de la nature des discours qui ont eu une si forte emprise sur leurs compatriotes.
L’essence de l’Islam est son affirmation de l’unité de Dieu, par opposition au polythéisme et même au trinitarisme. Et cette vérité centrale n’était, répétons-le, rien de nouveau : c’était, comme Mahomet l’a dit, l’ancienne foi d’Abraham, et c’est sur cette foi que se fondait la grandeur de la nation juive ; c’était même la vérité que le Christ lui-même a fait connaître et comprendre plus pleinement.
[p. li]
Une grande différence entre le judaïsme et l’islam est que le premier n’est pas une religion de prosélytisme, alors que le second l’est catégoriquement. Toutes les lois et ordonnances du Pentateuque, toutes les révélations de l’Ancien Testament sont réservées aux juifs, et le gentil a été jalousement exclu de la jouissance de tous les privilèges divins jusqu’à ce que le christianisme proclame que la révélation était destinée au monde entier. L’arabe, au contraire, a été enjoint de propager sa religion. « Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu », et l’homme doit « se résigner à sa volonté », et s’il ne veut pas, il doit être contraint de le faire ; c’est ce que signifie réellement l’islam ou la « résignation ».
Mais, peut-on se demander, pourquoi, si Mahomet n’a prêché que la vérité centrale du judaïsme et du christianisme, n’a-t-il pas plutôt accepté l’une ou l’autre de ces croyances plutôt que d’en fonder une nouvelle ? Pour répondre à cette question, nous devons considérer le judaïsme et le christianisme non pas tels qu’ils sont compris aujourd’hui, mais tels qu’ils existaient en Arabie à l’époque de Mahomet. Le judaïsme était décadent, le christianisme corrompu. La nation hébraïque était tombée, et les superstitions des mages et les inventions rabbiniques avaient obscurci la simplicité primitive de la foi hébraïque et gâché la grandeur de sa loi. Les chrétiens oubliaient aussi bien l’ancienne que la nouvelle révélation, et négligeant les enseignements de leur Maître, ils se divisaient en de nombreuses sectes – « Homoousiens et Homoousiens, Monothélites et Monophysites, Jacobites et Eutychiens », et autres – qui n’avaient que le nom de chrétiens et la haine cordiale avec laquelle ils se regardaient.
Mahomet voulait certainement que sa religion soit considérée comme un accomplissement ultérieur du christianisme, de même que le christianisme est l’accomplissement du judaïsme. Il considère notre Seigneur avec une vénération particulière, et va même jusqu’à l’appeler « l’Esprit » et « le Verbe » de Dieu ; le Messie, Jésus fils de Marie, n’est que l’apôtre de Dieu et son Verbe, qu’il a mis en Marie et un esprit issu de lui » (Sourate IV, 169). La réserve « n’est que l’apôtre », etc., est dirigée contre [p. lii] la fausse conception de la doctrine chrétienne qui prévalait alors en Arabie, et qui était la seule que Mahomet connaissait. Pour le chrétien arabe, la Trinité ne signifiait rien de plus ni de moins que le trithéisme, et ces trois le Père, la Vierge-Mère et le Fils.
La doctrine de l’unité de Dieu, telle que prêchée par Mahomet, était une protestation contre le dualisme de la Perse ainsi que contre le christianisme dégénéré de l’époque et le polythéisme des Arabes qui étaient ses contemporains. Ainsi le chapitre des Bétails (VI) commence par ces mots : « Louange à Dieu qui a créé les cieux et la terre, et a fait naître les ténèbres et la lumière », ce qui contredit la théorie manichéenne selon laquelle les deux principes de lumière et de ténèbres étaient incréés et éternels, et par leur mélange ou antagonisme ont donné naissance à l’univers matériel.
Quant à l’angélisme et à la démonologie du Coran, ils sont un mélange de superstitions locales, de traditions persanes et juives. Le système n’est certainement pas une invention de Mahomet, mais il est le résultat de ce qu’il avait entendu de sources juives, chrétiennes et autres, considéré comme une révélation, et coloré par ses croyances locales individuelles.
Il est curieux que le rite de la circoncision ne soit pas mentionné dans le Coran ; mais il ne fait aucun doute que Mahomet a insisté sur ce rite comme compromis pour des pratiques plus cruelles et plus dangereuses [10].
Le Coran lui-même n’est pas un code formel et cohérent de morale, de lois ou de cérémonies.
Révélé « pièce par pièce », des passages particuliers étant souvent promulgués pour trancher des cas particuliers, il ne peut manquer de contenir de nombreuses choses qui sont en contradiction avec d’autres, ou qui les contredisent carrément.
Il y a cependant une certaine unité dans cette religion. Mahomet avait toujours à l’esprit sa doctrine de l’unité de Dieu, selon la conception hanifite. Il avait à l’esprit les coutumes immémoriales de son pays et les usages [p. liii] tribaux pour le guider dans ses décisions. Mais au lieu d’être lié par ces usages, il pouvait, en vertu de sa fonction de prophète, modifier ou abroger ceux qui lui semblaient contraires au bien-être de la société. Les pratiques et les cérémonies religieuses qu’il conservait lui étaient aussi en grande partie imposées. Les injonctions à la prière et au jeûne étaient nécessaires pour entretenir la ferveur religieuse des convertis et, en fait, pour donner au mouvement le caractère d’une religion et le distinguer d’une simple réforme politique. Les cérémonies du pèlerinage ne pouvaient pas être entièrement supprimées. La vénération universelle des Arabes pour la Ka’ba était un moyen trop favorable et évident pour unir toutes les tribus en une seule confédération ayant en vue un but commun. Les traditions d’Abraham, père de leur race et fondateur de la religion de Mahomet, comme il l’a toujours déclaré, donnaient sans doute à l’ancien temple une sainteté particulière aux yeux du prophète, et bien qu’il ait d’abord choisi Jérusalem comme Qiblah, il revint ensuite à la Kaabah elle-même. Mahomet y trouva donc un sanctuaire auquel, comme à l’endroit où, on rendait un culte depuis des temps immémoriaux : c’était la seule chose que la nation arabe dispersée avait en commun, la seule chose qui leur donnait ne serait-ce que l’ombre d’un sentiment national ; et rêver de l’abolir, ou même de diminuer les honneurs qui lui étaient rendus, aurait été folie et ruiner son entreprise. Il fit donc ce qu’il y avait de mieux : il le débarrassa des idoles et le consacra au service de Dieu. De plus, le ‘Hagg était l’occasion pour laquelle les tribus se rassemblaient à la Mecque et, par conséquent, non seulement la cause du commerce et du profit mutuel entre elles, mais de lui dépendait entièrement la prospérité commerciale des Qurâis.
On a objecté à l’Islam que ni ses doctrines ni ses rites ne sont originaux. Aucune religion, et certainement aucun livre sacré d’une religion, n’a jamais possédé une originalité complète. Les grands principes de la morale et les nobles pensées communes à l’humanité doivent se retrouver dans les Ecritures pour avoir une quelconque [p. liv] emprise sur les hommes ; et il serait en effet étrange que les écrivains, si inspirés soient-ils, n’aient laissé dans leurs écrits aucune trace de ce qu’ils ont vu, entendu ou lu. Le Nouveau Testament, on le sait, contient beaucoup de choses qui ne sont pas originales. Beaucoup de paraboles, etc., comme l’a fait remarquer un éminent orientaliste de la fin de l’histoire, se trouvent dans le Talmud. Nous savons que saint Paul a puisé dans les sources grecques classiques pour nombre de ses paroles les plus frappantes, ne dédaignant même pas de citer la sagesse profane du comédien Ménandre, et il y a au moins une curieuse coïncidence entre les mots utilisés pour décrire la cécité qui s’abattit sur l’apôtre juste avant sa conversion, et sa guérison ultérieure, et la description donnée par Stésichore dans ses « Palinodia » d’un incident similaire lié à sa propre conversion au culte des Dioscures. Même le sentiment le plus divin du Notre Père, « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », est exprimé presque en autant de mots dans le conseil donné par Nestor à Achille en colère dans le premier livre de l’Iliade d’Homère.
Jugée donc selon le critère que nous appliquons aux autres croyances, la religion de Mahomet apparaît comme quelque chose de remarquablement nouveau et original, car elle présente à ses compatriotes, pour la première fois, la grande conception d’un seul Dieu, qui était, comme il l’affirmait, la foi de leur père Abraham, mais que leur fétichisme avait si longtemps obscurcie.
Les Arabes utilisaient une prose rimée et rythmée dont il n’est pas difficile d’imaginer l’origine. La langue arabe est constituée pour la plupart de racines trilittérales, c’est-à-dire que les mots isolés exprimant des idées individuelles sont généralement constitués de trois consonnes chacun, et les formes dérivées exprimant des modifications de l’idée originale ne sont pas constituées uniquement d’affixes et de terminaisons, mais aussi par l’insertion de lettres dans la racine. Ainsi ẓaraba signifie « il a frappé » et qatala « il a tué », tandis que maẓrûb et maqtûl signifient « celui qui a frappé » et « celui qui a tué ». Une phrase consiste donc en une série de mots qui nécessiteraient chacun d’être exprimés en propositions de plusieurs mots dans d’autres langues, et il est facile de voir [p. lv] comment une phrase suivante, expliquant ou complétant la première, serait beaucoup plus claire et plus forte si elle consistait en mots de forme semblable et impliquant des modifications semblables d’autres idées. Il s’ensuit donc que les deux phrases seraient nécessairement symétriques, et la présence du rythme non seulement plairait à l’oreille mais contribuerait à une meilleure compréhension du sens, tandis que la rime marquerait la pause dans le sens et soulignerait la proposition.
Le Coran est écrit dans ce style rhétorique, dans lequel les clauses sont rythmiques bien que non symétriques, et se terminent pour la plupart par la même rime tout au long du chapitre.
La langue arabe se prête très facilement à ce genre de composition, et les Arabes du désert l’emploient aujourd’hui largement dans leurs discours les plus formels, tandis que les hommes de lettres des villes l’adoptent comme le style correct reconnu, imitant délibérément le Coran.
Il n’est pas surprenant que les meilleurs écrivains arabes n’aient jamais réussi à produire quelque chose d’égalable en mérite au Coran lui-même. D’abord, ils ont convenu à l’avance qu’il était inaccessible et ils ont adopté son style comme la norme parfaite ; toute déviation par rapport à lui est donc nécessairement un défaut. Ensuite, chez eux, ce style n’est pas spontané comme chez Mahomet et ses contemporains, mais il est aussi artificiel que si les Anglais continuaient à suivre Chaucer comme modèle, malgré les changements que leur langue a subis. Chez le prophète, le style était naturel et les mots étaient ceux utilisés dans la vie quotidienne ordinaire, alors que chez les auteurs arabes ultérieurs, le style est imitatif et les mots anciens sont introduits comme un embellissement littéraire. La conséquence naturelle est que leurs tentatives semblent laborieuses et irréelles à côté de son éloquence impromptue et énergique.
Que Mahomet ait pu défier même ses contemporains à produire quelque chose qui ressemble au Coran : « Et si vous doutez de ce que nous avons révélé à notre serviteur, [p. lvi] apportez-en un semblable… Mais si vous ne le faites pas, et vous ne le ferez certainement pas, etc. » est à première vue surprenant, mais, comme l’a fait remarquer Nöldeke [11], ce défi se rapporte en réalité bien plus au sujet qu’au simple style, à l’originalité de la conception de l’unité de Dieu et d’une révélation censée être formulée dans les propres paroles de Dieu. Toute tentative d’une telle œuvre devait nécessairement avoir toute la faiblesse et le manque de prestige qui s’attachent à une imitation. Cette idée n’est nullement étrangère au génie des anciens Arabes ; ainsi le savant grammairien et rhéteur ‘Harîrî s’excuse dans la préface de ses célèbres ‘Assemblées’ pour toutes les lacunes, qui pourraient éventuellement être détectées dans une composition prétendument calquée sur celle d’un autre, en citant un poème ancien :
« C’est ce qui m’a affecté, pendant que j’étais allongé
Prenant une bouffée d’air pour dormir,
Une colombe pleurait sur la branche de l’Aikah
Trille ses pleurs avec les notes les plus douces :
Ah, j’avais pleuré avant qu’elle ne commence à pleurer,
Pour l’amour de Sâudâ, mon âme avait trouvé le soulagement !
Mais ce sont ses pleurs qui ont excité les miens,
Et celui qui vient en premier doit toujours être le meilleur !
Chez un peuple qui croyait fermement à la sorcellerie et à la divination et qui, tout en étant passionné de poésie, croyait que chaque poète avait son esprit familier qui inspirait ses paroles, il n’était pas étonnant que le prophète soit pris pour « un devin », pour « quelqu’un possédé par un esprit maléfique » ou pour « un poète infatué [12] ».
Chaque chapitre du Coran est appelé en arabe une sourate, mot qui signifie une rangée de briques dans un mur, et est généralement utilisé dans le corps de l’ouvrage pour toute partie connectée ou continue complète en elle-même.
[p. lvii]
Le mot Coran, « une lecture », vient du verbe qara’a, « lire », bien que certains lexicographes le fassent dériver de qarana, « joindre », et l’interprètent comme signifiant « le tout rassemblé ».
On l’appelle aussi El Forqân, « la discrimination », mot emprunté à l’hébreu et appliqué également dans le Coran à l’inspiration divine en général.
Les parties individuelles du Coran n’étaient pas toujours écrites immédiatement après leur révélation, car nous constatons que Mahomet les répétait souvent plusieurs fois jusqu’à ce qu’il les eût apprises par cœur, et le livre lui-même montre qu’il les oubliait parfois et même les modifiait et les complétait : « Quel que soit le verset que nous pouvons annuler ou te faire oublier, nous en apporterons un meilleur ou un semblable » (Chapitre II, ver. 100). En d’autres occasions, il employait un secrétaire, par exemple Abdallah ibn Sa’hd ibn Abî Sar‘h (voir Partie I, p. 126, note 2) et Zâid ibn THâbit ; et la tradition rapporte qu’il indiquait fréquemment dans quelle sourate le passage dicté devait être placé. Que le Coran, ou même les sourates individuelles, aient été, cependant, arrangés dans l’ordre actuel par le prophète lui-même est impossible, tant d’après des preuves internes que d’après celles de la tradition.
A la mort du prophète, il n’existait pas d’édition complète du Coran. Certains de ses disciples en possédaient des fragments épars, rédigés à des époques différentes et sur des matériaux très hétérogènes, mais la plus grande partie, de loin, n’était conservée que dans la mémoire d’hommes que la mort pouvait emporter à tout moment. La mort de nombreux guerriers musulmans à la bataille de Yemâmah ouvrit les yeux des premiers califes sur le danger que le « Livre de Dieu » puisse être, avant longtemps, irrémédiablement perdu ; ils se préparèrent donc, du mieux qu’ils le pouvaient, à une telle éventualité. Abou Bekr, ou plutôt Omar, pendant son règne, fut le premier à prendre l’affaire en main et chargea Zâid ibn Thâbit l’Ansârî, natif de Médine, qui avait servi de secrétaire à Mahomet, de rassembler et d’organiser le texte. Il le fit à partir de « feuilles de palmier, de peaux, d’os d’omoplate [p. lviii] et de cœurs d’hommes » et présenta au calife un exemplaire du Coran qui ne différait probablement pas beaucoup de celui que nous possédons aujourd’hui. Comme nous l’avons déjà vu, le tout était assemblé sans aucune référence à l’ordre chronologique et avec très peu d’attention à la connexion logique des divers passages. Les sourates longues étaient placées au début et les courtes à la fin, bien que l’ordre de leur révélation soit pour la plupart exactement l’inverse. Et, enfin, de nombreux versets étranges semblent avoir été insérés dans diverses sourates sans autre raison que leur rime.
Le texte fut fixé jusqu’ici par Zâid, mais pas sa lecture. En premier lieu, les points-voyelles, qui font souvent une très grande différence dans le sens d’un mot, n’étaient probablement jamais, voire jamais, utilisés ; de plus, de nombreuses personnes étaient encore en vie qui se souvenaient elles-mêmes de portions du Coran par cœur, mais qui n’étaient pas d’accord sur les mots individuels, ou qui, se souvenant du sens, substituaient seulement certaines locutions de leur propre tribu aux mots réels de Mahomet.
Ces dialectes tribaux différaient souvent de manière diamétrale dans l’utilisation de mots particuliers ; ainsi i‘_h_fa’un signifie « cacher » dans le dialecte d’une tribu et « exposer » dans celui d’une autre ; lorsque de tels mots apparaissaient, comme c’est souvent le cas, dans le Coran, ils ne pouvaient manquer de donner lieu à des disputes quant à leur interprétation.
Dans la présente recension du Coran, on reconnaît relativement peu de lectures différentes, mais il est clair que de grandes variations existaient dès le début. À plus d’une occasion, Mahomet lui-même a dicté le même passage à différentes personnes avec des lectures différentes ; et le « dicton traditionnel » qui lui est attribué, selon lequel « l’Our An a été révélé selon sept modes de lecture », montre la latitude qu’il s’est lui-même accordée. L’autre interprétation de cette tradition, à savoir que « le Coran peut être lu selon les sept dialectes arabes », a été évidemment inventée pour enrayer la tendance à la perversion du texte selon la fantaisie individuelle, et est clairement réfutée par le fait que les personnes à qui le dicton a été prononcé, [p. lix] et qui ont fait appel au prophète pour décider de la lecture d’un certain texte, étaient toutes deux de la tribu des Coran.
Enfin, une vingtaine d’années après, le calife Othmân, alarmé des sentiments amers et des querelles ouvertes que ces différences de lecture et d’interprétation avaient déjà engendrées, résolut d’empêcher les musulmans de différer entre eux dans leur façon de lire la parole de Dieu comme le faisaient les juifs et les chrétiens. Il nomma en conséquence une commission composée de Zâid, l’éditeur original, et de trois hommes des Qurâis (la tribu de Mahomet), pour arrêter une fois pour toutes le texte et en fixer définitivement la lecture selon le pur idiome des Qurâis.
Lorsque cette édition fut achevée, Othmân en envoya des exemplaires à toutes les principales villes de l’empire, et fit brûler tous les exemplaires précédents. Ces exemplaires n’étaient peut-être pas exempts eux-mêmes de petites divergences ; les quelques légères variantes de lecture qui s’y sont glissées, comme je l’ai montré, sont pour la plupart de simples questions d’orthographe, et les autres sont sans importance pour le sens général. Ces dernières seront mentionnées dans les notes des passages où elles se trouvent au cours de la traduction suivante.
La recension d’Othmân est restée le texte autorisé et a été adoptée par toutes les écoles de théologiens musulmans depuis le moment où elle fut rédigée (660 après J.-C.) jusqu’à nos jours.
Dans ce chapitre, nous n’avons pas tenté de classer les sourates de façon chronologique, comme dans le précédent. Les sourates individuelles sont précédées du nom du lieu, La Mecque ou Médine, où elles ont été révélées, mais cette indication, bien que tirée d’une tradition authentique, n’est pas suffisante, car à de nombreux endroits des versets ont été insérés dans une sourate mecquoise alors qu’ils ont été révélés à Médine, et vice versa. Les savants, tant arabes qu’européens, se sont efforcés de dissiper cette difficulté et de proposer un classement chronologique intelligible des [p. lx] sourates ; mais personne n’a traité le sujet d’une manière aussi critique et magistrale que Nöldeke, et son classement peut être considéré comme le meilleur que la tradition arabe, combinée à la critique européenne, puisse fournir.
Pour arriver à une décision sur ce point, il faut considérer d’abord l’événement historique auquel chaque texte se réfère, puis le style en général et enfin les expressions individuelles utilisées. Ainsi, lorsqu’on s’adresse aux Mecquois, on utilise l’expression yâ aiyuha ’nnâs, « Ô vous les gens ! », tandis que l’expression yâ aiyuha ’llaDHîn âmanû est utilisée pour s’adresser aux habitants de Médine, bien que la première expression apparaisse parfois dans un verset d’une sourate de Médine.
Les sourates se divisent en deux grandes catégories, celles révélées à La Mecque et celles révélées à Médine après la fuite, et elles se distinguent aisément par leur style et leur sujet. Les premières sont particulièrement grandioses dans leur style et témoignent dans chaque verset de l’exaltation mentale du prophète et de la foi sincère qu’il avait certainement à cette époque dans la réalité et la vérité de sa mission divine.
Le Coran tombe naturellement dans ces deux catégories, qui représentent, en fait, le premier développement de la fonction prophétique de Mahomet à La Mecque, et la carrière ultérieure de dirigeant et de législateur après la fuite à Médine.
Les sourates appartenant à la première période de sa carrière sont donc attribuées à La Mecque, et celles de la dernière période à Médine, bien que le lieu réel où elles ont été délivrées puisse être dans certains cas douteux.
L’une des sourates les plus anciennes est celle intitulée Abu Laheb. Mahomet avait enfin réuni les membres de sa tribu, les Banû Hâshim, et leur avait demandé d’accepter la nouvelle doctrine de l’unicité d’Allah. Sur ce, 'Abd el 'Huzzah, surnommé Abu Laheb, « celui de la flamme », s’écria avec indignation : « Perdition à vous ! Est-ce pour cela que vous nous avez convoqués ? » Mahomet proclama alors la sourate portant le nom d’Abu Laheb, dans laquelle il énonce une terrible malédiction contre lui et sa femme Umm _G_emîl, et fait de lui un ennemi irréconciliable.
La sourate CVI appartient aussi sans doute à une [p. lxi] période ancienne : Mahomet y ordonne aux Qurâi d’« adorer le Seigneur de cette Maison » pour les deux caravanes commerciales qu’ils envoyaient chaque année respectivement en hiver et en été.
Dans les sourates mecquoises, Mahomet a pour unique but d’amener ses auditeurs à croire en un Dieu unique, par de puissants discours plutôt que par des arguments logiques, en faisant appel à leurs sentiments plutôt qu’à leur raison, en exposant les manifestations de Dieu dans ses œuvres, en prenant la nature à témoin de Sa présence, et en proclamant Sa vengeance contre ceux qui Lui associent d’autres dieux ou Lui attribuent une descendance. Cet appel est renforcé par des images éclatantes du bonheur réservé à ceux qui croiraient, et par des descriptions effrayantes des tourments éternels préparés pour les incroyants.
La courte sourate intitulée « Unité » est considérée, selon l’autorité traditionnelle de Mahomet lui-même, comme équivalant en valeur aux deux tiers du Coran.
« Dis : « Il est Dieu, Dieu unique, éternel. Il n’engendre pas et n’est pas engendré, et il n’y a pas un seul semblable à Lui. »
Cette protestation ne vise pas seulement les doctrines chrétiennes, car les Arabes, comme nous l’avons vu, affirmaient que leurs anges et leurs divinités étaient filles d’Allâh, le Dieu suprême.
Dans les premiers chapitres, l’inspiration prophétique, la conviction sincère de la vérité de sa mission et l’émotion violente que lui causait son sens de responsabilité sont également clairement démontrées.
Le style est bref, grandiose et souvent presque sublime; les expressions sont pleines de sentiments poétiques et les pensées sont sérieuses et passionnées, bien que parfois obscures et confuses, indiquant l’excitation mentale et le doute à travers lesquels elles ont lutté pour se faire jour.
Dans la deuxième période des sourates mecquoises, Mahomet semble avoir conçu l’idée de se séparer encore davantage de l’idolâtrie de ses compatriotes, et de donner à la divinité suprême Allâh un autre titre, Ar-Ra’hmân, « le miséricordieux ».
Les Mecquois, cependant, semblent avoir pris ces noms pour [p. lxii] de divinités distinctes [13], et le nom est abandonné dans les chapitres ultérieurs.
Dans les sourates de la seconde période mecquoise, nous trouvons d’abord les longs récits des prophètes de l’ancien temps, l’accent étant mis en particulier sur le châtiment qui frappa leurs contemporains pour mécréance ; la morale est toujours la même, à savoir que Mahomet est venu dans des circonstances exactement similaires, et qu’un déni de la vérité de sa mission entraînerait sur ses concitoyens le même châtiment.
Elles montrent aussi la transition entre l’enthousiasme intense et poétique des premiers chapitres mecquois et l’enseignement serein des derniers chapitres de Médine.Ce changement est graduel, et même dans les derniers et les plus prosaïques on trouve parfois des passages où le vieux feu prophétique ressurgit.
Les trois périodes sont encore marquées par les serments qui se succèdent tout au long du Coran. Dans la première période, ils sont très fréquents et souvent longs, toutes les puissances de la nature étant invoquées pour témoigner de l’unicité de Dieu et de la mission de Son Apôtre ; dans la deuxième période, ils sont plus courts et plus rares ; dans la dernière période, ils sont totalement absents.
Pour comprendre les sourates de Médine, nous devons garder à l’esprit la position de Mahomet par rapport aux différents partis de cette ville.
À La Mecque, il avait été un prophète peu honoré dans son propre pays, considéré par certains comme un fou et par d’autres comme un imposteur, tous deux également pénibles pour lui, tandis que ses disciples ne se composaient que des plus pauvres et des plus vils de ses concitoyens.
Ses propres hommes de clan, pour la simple raison qu’ils étaient des hommes de son clan et pour aucune autre, se sont offusqués des affronts dont il était l’objet.
A Médine, il apparaît comme un chef militaire et un prince, bien qu’il soit encore loin de posséder une autorité absolue. Autour de lui dans la ville se trouvaient, d’abord les vrais croyants qui s’étaient enfuis avec lui, El Muhâ_g_erîn, ensuite les habitants [p. lxiii] de YaTHrib qui s’étaient joints à lui et qu’on appelait El Ansâr, « les secoureurs » ; enfin, une classe nombreuse qu’on appelle sous le nom peu flatteur de Munâfiqûn ou « hypocrites », composée de ceux qui passèrent à son côté par peur ou par contrainte, et enfin ceux dont le cœur est malade, qui, bien que croyant en lui, étaient empêchés par des liens tribaux ou familiaux de se joindre ouvertement à lui.
Abdallâh ibn Ubai était un chef dont l’influence joua fortement contre Mahomet, et ce dernier fut obligé de le traiter pendant longtemps presque comme un égal, même après qu’il eut perdu son pouvoir politique.
L’autre parti à Médine était composé des tribus juives installées dans et autour de la ville de YaTHrib. Les Juifs étaient d’abord considérés comme les partisans les plus naturels et les plus probables de la nouvelle religion, qui devait confirmer la leur.
Ces différents groupes, ainsi que les Arabes païens de la Mecque et les chrétiens, sont les personnes dont traitent principalement les sourates de Médine.
Le style des sourates de Médine ressemble à celui de la troisième période des révélations mecquoises, la nature plus factuelle des incidents relatés ou des préceptes donnés expliquant dans une large mesure le langage plus prosaïque dans lequel ils sont exprimés.
Comme dans les sourates mecquoises, il est possible d’arriver à une notion assez précise de leur ordre chronologique en notant les événements auxquels elles se réfèrent et en les comparant avec l’histoire elle-même ; bien que l’autorité douteuse de nombreuses traditions et le caractère souvent vague des allusions dans le Coran lui-même laissent beaucoup d’incertitudes.
Dans les sourates de Médine, le prophète ne cherche plus seulement à convertir ses auditeurs par des exemples, des promesses et des avertissements : il s’adresse à eux comme à leur prince et général, les louant ou les blâmant pour leur conduite, et leur donnant des lois et des préceptes selon les besoins.
Nöldeke a donné une analyse magistrale des diverses allusions historiques et autres, et a réduit autant que possible [p. lxiv] la masse hétérogène de matériaux à un tel ordre que nous pouvons accepter son arrangement comme au moins le plus précis proposé jusqu’ici.
Mais comme de nombreux passages sont sans doute déplacés et insérés dans des sourates auxquelles ils n’appartenaient pas à l’origine, seule une vue d’ensemble du contenu du Coran tout entier, étudiée parallèlement à l’histoire de Mahomet et de ses contemporains, nous permettra d’arriver à une décision réelle sur la séquence chronologique exacte de la révélation.
Pour aider à l’investigation de ce sujet très important, j’ai joint un résumé du contenu de chaque chapitre.
Voici l’ordre chronologique des sourates selon Nöldeke :
Sourates mecquoises.
Première Période (de la première à la cinquième année de la mission de Mohammed) : XCVI, LXXIV, CXI, CVI, CVIII, CIV, CVII, CII, CV, XCII, XC, XCIV, XCIII, XCVII, LXXXVI, XCI, LXXX, LXVIII , LXXXVII, XCV, CIII, LXXXV, LXXIII, CI, XCIX, LXXXII, LXXXI, LIII, LXXXIV, C, LXXIX, LXXVII, LXXVIII, LXXXVIII, LXXXIX, LXXV, LXXXIII, LXIX, LI, LII, LVI, LXX, LV, CXII, CIX, CXIII, CXIV, I.
Deuxième Période (la cinquième et la sixième année de sa mission) : LIV, XXXVII, LXXI, LXXVI, XLIV, L, XX, XXVI, XV, XIX, XXXVIII, XXXVI, XLIII, LXXII, LXVII, XXIII, XXI, XXV, XVII , XXVII, XVIII.
Troisième Période (de la septième année à la fuite) : XXXII, XLI, XLV, XVI, XXX, XI, XIV, XII, XL, XXVIII, XXXIX, XXIX, XXXI, XLII, X, XXXIV, XXXV, VII, XLVI, VI, XIII.
Sourates de Médine.
II, XCVIII, LXIV, LXII, VIII, XLVII, III, LXI, LVII, IV, LXV, LIX, XXXIII, LXIII, XXIV, LVIII, XXII, XLVIII, LXVI, LX, CX, XLIX, IX, V.
Les lettres mystérieuses qui sont placées au début de certains chapitres du Coran sont expliquées de diverses [p. lxv] manières par les commentateurs musulmans. Certains supposent qu’elles font partie de la révélation elle-même et qu’elles recèlent des mystères sublimes et insondables, d’autres pensent qu’elles représentent les noms d’Allah, de Gabriel, de Mohammed, etc.
Nöldeke a émis l’ingénieuse théorie selon laquelle il s’agirait de monogrammes des noms des personnes de qui Zâid et ses compagnons ont obtenu les parties auxquelles ils sont préfixés ; ainsi, A L R signifierait Ez-zubâir, A L M R Al-Mu_g_hâirah, T H Tal‘Hah, etc. Une comparaison des lettres arabes elles-mêmes avec les noms suggérés rend l’hypothèse très probable. Il se peut qu’il s’agisse de simples étiquettes numériques ou alphabétiques pour les boîtes de fragments sur lesquelles l’original a été écrit ; les auteurs du Commentaire connu sous le nom d’El Jelâlâin, cependant, donnent l’opinion dominante parmi les savants musulmans lorsqu’ils disent : « Dieu seul sait ce qu’Il entend par ces lettres. »
Les sourates sont subdivisées en ’âyât, « versets » (littéralement « signes »), qui, bien qu’ils marquent pour la plupart une pause distincte soit dans la rime soit dans le sens, sont parfois de simples divisions arbitraires indépendamment de l’un ou de l’autre.
En plus de cela, le Coran est divisé en soixante parties égales, appelées a‘hzâb (singulier ‘hizb), chacune, subdivisée en quatre parties égales ; une autre division est celle en trente ‘a_g_zâ’ (singulier _g_uz’) ou ‘sections’, de sorte que l’ensemble puisse être lu pendant le mois de Rama.dhân : celles-ci sont à leur tour subdivisées en rukû’h (singulier rak’hah), ‘actes d’inclinaison’. Par celles-ci, plutôt que par chapitre et verset (Sûrah et ’Âyah), les musulmans eux-mêmes citent le Livre.
Outre le nom Coran, il est connu sous les noms de El Furqân, « la Discrimination », El Mus‘haf, « le Volume », El Kitâb, « le Livre », et EDH-DHikr, « le Rappel ». Le titre attaché à chaque sourate est tiré d’un mot marquant qui y apparaît.
La croyance de Mahomet et le Coran sont appelés Islâm, « résignation », soumission à la volonté de Dieu. La religion, telle qu’elle est comprise et pratiquée, est basée sur quatre règles ou principes fondamentaux :
[p. lxvi]
1. Le Coran lui-même.
3. I_g_mâ’h ou le « consensus » d’opinion des plus hautes autorités de l’église musulmane sur des points au sujet desquels ni le Coran ni le ‘HadîTH ne sont explicites.
4. Qiyâs ou ‘Analogie’, c’est-à-dire le raisonnement des autorités théologiques par analogie à partir du Coran, du ‘HadîTH et du I_g_mâ’h, où quelque chose dans l’un ou plusieurs reste encore indécis.
Le premier principe de la foi musulmane est la croyance en Allâh, qui, comme nous l’avons vu, était connu des Arabes avant l’époque de Mahomet, et sous le titre Allâh ta’hâlâ, « Allah le Très-Haut », était considéré comme le dieu principal de leur panthéon : L’épithète ta’hâlâ est, à proprement parler, un verbe qui signifie « qu’Il soit exalté », mais qui est employé, comme le sont parfois les verbes en arabe [14], comme une épithète. Le nom Allâh, « Dieu », est composé de l’article al, « le », et ilâh, « un dieu », et est un très ancien mot sémitique, étant lié aux el et elohîm de l’hébreu, et entrant dans la composition d’une grande proportion de noms propres en hébreu, en nabathéen et en arabe.
Selon la théologie musulmane, Allah est éternel et impérissable, un et indivisible, sans forme, ni limite ni mesure, comprenant toutes choses, mais ne comprenant rien.
[p. lxvii]
Ses attributs sont exprimés par quatre-vingt-dix-neuf épithètes utilisées dans le Coran, qui en arabe sont des mots simples, généralement des formes participiales, mais dans la traduction sont parfois rendus par des verbes, comme, « Il entend » pour « Il est l’auditeur ».
Ces attributs constituent les Asmâ’ el ‘Husnâ, ‘les bons noms [15]’, sous lesquels Dieu est invoqué par les musulmans ; ils sont au nombre de quatre-vingt-dix-neuf, et se répartissent comme suit :
1. ar-Ra’hmân, le Miséricordieux.
2. ar-Ra‘hîm, la Compassion mangea.
3. al-Mâlik, le Souverain.
4. al-Qaddûs, le Saint.
5. as-Salâm, Paix.
6. al-Mû’min, le Fidèle.
7. al-Muhâimun, le Protecteur.
8. al-’Hazîz, le Puissant.
9. al-_G_abbâr, le Réparateur.
10. al-Mutakabbir, le Grand.
11. al-Khâliq, le Créateur.
12. al-Bâri’, le Créateur.
13. al-Mu_z_awwir, le Façonneur.
14. al-_G_haffâr, le Pardonneur.
15. al-Qahhâr, le Dominant.
16. al-Wahhâb, le Donateur.
17. ar-Razzâq, le Pourvoyeur.
18. al-Fattâ‘h, l’Ouvreur.
19. al-‘Âlim, le Connaissant.
20. al-Qâbi_z_, le Restricteur.
21. al-Bâsi_t_, le Propagateur.
22. al ‘Hâfi_z_, le Gardien.
23. ar-Râfi‘, l’Exalteur.
24. al-Mu’hizz, l’Honneur.
25. al-Muzîl, le Destructeur.
26. as-Samî’h, l’Auditeur.
27. al-Ba_z_îr, le Voyant.
28. al-‘Hâkim, le Juge.
29. al-’Hadl, Juge.
30. al-La_t_îf, le Subtil.
31. al-‘_H_abîr, le Conscient.
32. al-‘Halîm, le Clément.
33. al-’Ha_th_îm, le Grand.
34. al-_G_hafûr, le Pardonneur.
35. a_s_-_S_akûr, le Reconnaissant.
36. al-'Halî, l’Exalté.
37. al-Kabîr, le Grand.
38. al-‘Hafi_z_, le Gardien.
39. al-Muqît, le Fortifiant.
40. al-Hasîb, le Calculateur.
41. al-_G_alîl, le Majestueux.
42. al-Karîm, le Généreux.
43. ar-Raqîb, le Veilleur.
44. al-Mu_g_îb, celui qui répond à la prière.
45. al-Wasî’h, le Complet.
46. al-‘Hakîm, le Sage.
47. al-Wadûd, l’Aimant.
48. al-Ma_g_îd, le Glorieux.
49. al-Bâ’hiTH, l’Éleveur.
50. a_s_-_S_ahîd, le Témoin.
51. al-Haqq, la Vérité.
52. al-Wakîl, le Gardien.
53. al-Qawwî, le Fort.
54. al-Matîn, la Firme.
55. al-Walî, le Patron.
56. al-Hamîd, le Louable.
57. al-Mu‘hsî, le Comptoir.
[p. lxviii]
58. al-Mubdî, le Débutant.
59. al-Mu’hîd, le Restaurateur.
60. al-Mo‘hyî, le Vivificateur.
61. al-Mumît, le Tueur.
62. al-‘Hâiy, le Vivant.
63. al-Qâiyûm, le Subsistant
64. al-Wâ_g_id, l’Existant.
65. al-Ma_g_îd, le Glorieux.
66. al-Wâhid, l’Unique.
67. a_z_-_Z_amad, l’Éternel.
68. al-Qâdir, le Puissant.
69. al-Muqtadir, le Régnant
70. al-Muwa‘h‘_h_ir, le Différent
71. al-Muqaddim, le Porteur en avant.
72. al-Awwal, le Premier.
73. al-‘_h_ir, le Dernier.
74. a_th_-_T_hâhir, l’Apparent.
75. al-Bâ_t_in, l’Intime.
76. al-Wâlî, le Gouverneur.
77. al-Muta’hâl, l’Exalté.
78. al-Barr, la droiture.
79. at-Tawwâb le Relâchant.
80. al-Muntaqim, le Vengeur.
81. al-’Hafû, le Pardonneur.
82. ar-Ra’ûf, le Gentillet.
83. Mâlik al Mulk, le souverain du royaume.
84. DHu’l_g_alâl wa’l ikrâm, Seigneur de la Majesté et de la Libéralité
85. al-Muqsi_t_, l’Équitable.
86. al-_G_âmi’h, le Collectionneur.
87. al-_G_hanî, l’Indépendant.
88. al-Mu_g_hnî, l’Enrichisseur.
89. al-Mu’h_t_i, le Donateur.
90. al-Mâni’h, le Reteneur.
91. a_z_-_Z_ârr, le Détresseur.
92. an-Nâfi’h, le Profiteur.
93. an-Nûr, Lumière.
94. al-Hâdî, le Guide.
95. al-Badî’h, l’Incomparable
96. al-Bâqî, l’Endurable.
97. al-WâriTH, l’Héritier.
98. ar-Ra_s_îd, le Bien-diriger.
99. a_z_-_Z_abûr, le Patient.
Ces noms sont utilisés par les musulmans dans leurs dévotions, le rosaire (masba’hah) étant employé pour en contrôler la répétition. Un tel exercice est appelé DHikr ou « souvenir », mot qui s’applique également à la récitation de tout ou partie du Coran et aux exercices de dévotion des derviches.
La formule « Au nom du Dieu miséricordieux et compatissant », par laquelle commence chaque chapitre du Coran sauf un, semble avoir été adoptée de la phrase persane zoroastrienne, Benâm i Yezdân i ba‘_h__s_âyi_s_gar dâdâr, « Au nom de Dieu le miséricordieux, le juste » ; la forme parsie ultérieure Benâm i ‘_h_udawandi ba‘_h__s_âyenda ba‘_h__s_âyi_s_gar est l’équivalent exact de la phrase musulmane.
Outre la croyance en Dieu, le Coran exige la croyance en l’existence des anges : ils sont purs, sans distinction de sexe, créés de feu, et ne mangent ni ne boivent ni ne propagent leur espèce.
[p. lxix]
Les archanges sont : Gibra’îl, ‘Gabriel’ (appelé aussi er Rû‘h el Amîn, ‘l’esprit fidèle’, ou er Rû‘h el Qudus, ‘l’esprit saint’), le messager de Dieu par qui le Coran fut révélé à Mahomet ; Mikâ’îl, l’ange gardien des Juifs [16] ; Isrâfîl, l’archange qui sonnera la dernière trompette à la résurrection ; Azrâ’îl, l’ange de la mort.
Deux anges sont assignés à chaque être humain, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, pour enregistrer chacune de ses actions.
Un ange, appelé Ra_z_wân, « la bonne volonté », préside au ciel ; et un autre, nommé Mâlik, « le souverain », préside à l’enfer [17].
Munkir et Nakîr sont les deux anges qui président à « l’examen du tombeau ». Ils visitent l’homme dans sa tombe immédiatement après son enterrement et l’interrogent sur sa foi. S’il reconnaît qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mahomet est son prophète, ils le laissent reposer en paix, sinon ils le frappent avec des masses de fer jusqu’à ce qu’il rugisse si fort que tout le monde l’entend d’est en ouest, sauf les hommes et les dieux. Ils pressent alors la terre sur le cadavre et le laissent déchiré par les dragons et les serpents jusqu’au jour de la résurrection.
L’angéologie de l’Islam est apparemment rattachable à des sources juives, bien que l’ancien culte arabe en ait sans doute emprunté une partie aux Perses, d’où elle fut également introduite dans le judaïsme.
Les notions de pont sur l’enfer, Es Sirâ_t_, et de mur de séparation, El Aarâf, entre le paradis et l’enfer [18], sont également communes aux traditions juive et mage.
Iblîs ou _S_aitân, « le diable » ou « Satan », était à l’origine un ange qui tomba du paradis à cause de son refus orgueilleux d’adorer Adam [19].
Outre les anges, il y a les _g_inn (collectivement _g_ânn), dont j’ai déjà parlé. Ils sont créés à partir du feu [p. lxx] et sont à la fois bons et mauvais, ce dernier étant généralement appelé « Ifrît ». Leur demeure est le mont Qâf, la chaîne de montagnes qui encercle le monde. Ce sont les créatures sur lesquelles Salomon avait autorité, et dont une tribu fut convertie à l’Islam par la prédication de Mahomet à son retour de _T_â’if [20].
Les deux classes d’êtres, humains et surhumains, par lesquels le monde est habité sont appelées ETH-THagalân, « les deux matières pesantes », ou el ’Hâlamûn, « les mondes », comme dans l’expression du Chapitre d’Ouverture, « Seigneur des mondes ».
Le ciel, selon le Coran et les traditions, se compose de sept divisions :
_G_annat al ’_H_uld (Chapitre XXV, 16), le Jardin de l’Éternité.
Dâr as Salâm (Chapitre VI, 127), la Demeure de Paix.
Dâr al Qarâr (Chapitre XL, 42), la Demeure du Repos.
_G_annat ’Hadn (Chapitre IX, 72), le jardin d’Eden.
_G_annat al Mâ’wâ (Chapitre XXXII, 19), le Jardin de la Station.
_G_annat an Na’hîm (Chapitre VI, 70), le Jardin du Plaisir.
_G_annat al ’Hilliyûn (Chapitre. LXXXIII, 18), le Jardin du Très-Haut.
_G_annat al Firdaus (Chapitre XVIII, 107), le Jardin du Paradis.
On a beaucoup écrit sur le caractère sensuel présumé du paradis musulman. Cependant, d’après le Coran, il ne s’agit que d’une intense réalisation de tout ce qu’un habitant d’une terre chaude, aride et stérile peut désirer, à savoir de l’ombre, de l’eau, des fruits, du repos et une compagnie et un service agréables.
L’enfer contient également sept divisions [21] :
_G_ehennum (Chapitre XIX, 44), Géhenne.
La_th_â (Chapitre LXX, 15), le Feu Flamboyant.
Hu_t_amah (Chapitre CIV, 4), le Feu Déchaîné qui divise tout en morceaux.
Sa’hîr (Chapitre IV, 11), le Brasier.
Saqar (Chapitre LIV, 58), le Feu Brûlant.
_G_ahîm (Chapitre II, 113), le Feu Ardent.
Hâwiyeh (Chapitre CL, 8), l’Abîme.
[p. lxxi]
Quant à la condition de l’âme entre la mort et la résurrection, l’Islam n’a pas d’enseignement faisant autorité ; l’opinion générale est qu’il existe quelque part un lieu secret dans lequel les esprits des bons reposent, tandis que ceux des méchants sont emprisonnés ailleurs dans un cachot immonde en attendant leur sort.
Un grand nombre de signes merveilleux doivent précéder le jour du jugement, parmi lesquels nous devons seulement noter la venue de Mehdi ou « guide », qui portera le même nom que Mahomet lui-même, et dont le nom du père sera le même que celui de son père, et qui gouvernera les Arabes, et remplira la terre de justice ; l’apparition d’Ed-da_g__g_âl, « l’antéchrist » ; la libération de Gog et Magog [22] ; et les convulsions dans le ciel et la terre décrites dans le Coran lui-même.
Les principaux prophètes reconnus par le Coran sont les suivants : chacun d’entre eux est censé avoir reçu une révélation spéciale et posséder un titre approprié :
Adam, Zafîy allâh, l’Élu de Dieu.
Noé, Nabîy allâh, le Prophète de Dieu.
Abraham, ‘_H_alîla ’llâh, l’Ami de Dieu.
Jésus, Rû’ha 'llâh, l’Esprit de Dieu.
Mohammed, Rusûl allâh, l’Apôtre de Dieu.
Mahomet est aussi appelé « le sceau des prophètes », et le dicton qu’on lui attribue traditionnellement, « Il n’y a pas de prophète après moi », rend illicite le fait d’attendre l’avènement d’un autre.
En plus de ceux-ci, il y a les petits apôtres envoyés à des tribus particulières, dont les histoires de certains sont relatées dans le Coran.
Les devoirs pratiques de l’Islam sont : 1. La profession de foi en l’unicité de Dieu et la mission de Mahomet, 2. La prière, 3. Le jeûne, 4. L’aumône, 5. Le pèlerinage.
La première consiste en la répétition de la Kelimah ou credo : « Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, et Mahomet est l’apôtre de Dieu. »
[p. lxxii]
La prière consiste en la récitation d’une certaine formule prescrite et invariable à cinq moments précis de la journée, à savoir : 1. Entre l’aube et le lever du soleil. 2. Après que le soleil a commencé à décliner. 3. À mi-chemin entre ces deux moments. 4. Qui est dite peu après le coucher du soleil. 5. À la tombée de la nuit. Ces prières sont farẓ ou « obligatoires » ; toutes les autres sont nafl, « surérogatoires » ou sunnah, « conformes aux pratiques du prophète ». Les prières sont précédées de wuẓû’h, « ablutions » ; elles sont commencées en position debout, qiyâm, les mains étant tenues de telle sorte que les pouces touchent les lobes des oreilles, et le visage étant tourné vers la qiblah, c’est-à-dire en direction de La Mecque. Pendant les prières, on fait des inclinaisons du corps, rukû’h [23], dont un certain nombre seulement sont obligatoires.
L’heure de la prière est appelée depuis les minarets des mosquées par les Mu’eDHDHins ou « crieurs », dans les termes suivants :
« Dieu est grand ! » (quatre fois). « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu » (deux fois). « J’atteste que Mahomet est l’apôtre de Dieu » (deux fois). « Venez ici pour la prière ! » (deux fois). « Venez ici pour le salut ! » (deux fois). « Dieu est grand ! Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu ! » et au petit matin le crieur ajoute : « La prière vaut mieux que le sommeil ! »
Cette formule semble avoir été utilisée par Bilâl, le propre crieur de Mahomet, lors de l’établissement de la première mosquée de Médine. Elle est appelée aDHân ou « appel ».
Le mot « mosquée » est une déformation de mas_g_id, « lieu d’adoration » (si_g_dah), et s’applique à l’ensemble de l’enceinte d’un lieu de culte musulman. Un autre nom est _g_âmi’h, « le rassemblement », s’appliquant surtout à une mosquée cathédrale.
Les mosquées sont toujours ouvertes pour les prières publiques, mais le vendredi, un service spécial est organisé, suivi d’une '_H_u_t_bah ou ‘homélie’.
Un autre devoir qui incombe à tout croyant est celui [p. lxxiii] de jeûner entre l’aube et le coucher du soleil pendant tout le mois de Ramadhan, le neuvième mois de l’année musulmane. Le jeûne est très rigoureux, pas même une goutte d’eau ne doit passer entre les lèvres, même lorsque Ramadhan tombe en saison chaude. Seuls les malades et les infirmes en sont exemptés.
Une nuit entre le vingt et un et le vingt-neuvième jour de Rama.dhân, dont la date exacte est incertaine, est appelée la Lailat el Qadr ou « nuit du pouvoir » ; c’est au cours de cette nuit que le Coran aurait été révélé [24].
La zakât, « aumône » [25] ou « impôt pour les pauvres », doit être donnée en argent, en actions ou en biens et consiste en l’octroi en charité d’environ un quarantième de tous les biens qui ont été en possession du propriétaire pendant un an. À l’époque de Mahomet, la zakât était une contribution de ses disciples aux dépenses de la guerre contre les infidèles.
Sadaqah est le nom donné à tout don charitable au-delà de ce qui est prescrit par la loi, en particulier aux offrandes du 'hîd al fi_t_r, ou ‘fête de la rupture du jeûne’, à l’expiration du Rama.dhân.
Le waqf est un legs ou une dotation religieuse.
Le « Ha_g__g_ » ou « pèlerinage », la dernière des cinq pratiques obligatoires de la religion, est une institution très ancienne, et une que, comme nous l’avons vu, Mahomet n’aurait pas pu, s’il l’avait voulu, abolir.
Les cérémonies observées pendant la saison du pèlerinage sont les suivantes :
Arrivé à la dernière des six étapes, dans les environs immédiats de la Mecque, le pèlerin se débarrasse de ses vêtements ordinaires et revêt l’i’hrâm ou « habit de sainteté ». Celui-ci consiste en deux pagnes sans coutures, dont l’un est noué autour de la taille, l’autre jeté librement sur les épaules, la tête étant laissée découverte. Après l’avoir revêtu, il est interdit de se parfumer la tête, de se raser cette partie du corps ou toute autre partie, de se couper les ongles ou de porter un autre vêtement que l’i’hrâm.
[p. lxxiv]
En arrivant à la Mecque, il fait les ablutions légales, se dirige vers la Mosquée Sacrée, et après avoir salué la « pierre noire », fait le tawâf ou le tour de la Ka’ba sept fois, trois fois rapidement et quatre fois en marchant lentement.
Il visite ensuite le Maqâm Ibrâhîm ou la station d’Abraham, puis revient et embrasse la pierre noire.
Passant par la porte du haram conduisant au mont Zafâ, il court sept fois entre le sommet de cette colline et celui de Merwah [26].
Le huitième jour, appelé tarwî‘h, les pèlerins se rassemblent dans la vallée de Minâ, où ils passent la nuit.
Dès que les prières du matin sont terminées, ils « se précipitent tumultueusement » vers le mont Arafât, y restent jusqu’au coucher du soleil, puis se dirigent vers un endroit appelé Muzdalifeh, où ils passent à nouveau la nuit.
Le jour suivant est le 'Hîd al Az’hâ, où les pèlerins se rendent de nouveau dans la vallée de Minâ, et accomplissent la cérémonie du jet de pierres sur trois piliers, appelés _G_amrah, en commémoration d’Abraham, ou, comme certains disent, d’Adam, qui, rencontrant le diable au même endroit, le chassa à coups de pierres.
La cérémonie suivante est le sacrifice d’un animal, un chameau, un mouton ou une chèvre, à Minâ ; après quoi ils se débarrassent de leur habit de pèlerin et se font raser, couper les ongles, etc.
Le pèlerin doit ensuite se reposer à la Mecque pendant les trois jours suivants, les âiyâm et ta_s_rîq ou « jours de dessèchement », scil. le sang des sacrifices.
Le sacrifice aurait été institué en commémoration du sacrifice proposé par Abraham de son fils Ismaël (et non Isaac comme dans la Bible) conformément au commandement divin.
Le pèlerinage doit être effectué du 7 au 10 du mois DHu’l ‘Hi_g__g_eh. Une visite à tout autre moment de l’année est appelée ’Homrah, ‘visitation’, et bien que méritoire, n’a pas le même poids que le ‘Ha_g__g_ lui-même.
[p. lxxv]
Avant de quitter la Mecque, le pèlerin visite à nouveau la Kaaba et accomplit à nouveau la cérémonie du Tawâf. De la Mecque, le pèlerin se rend à Médine pour visiter le tombeau du prophète. Il est alors habilité à prendre le titre d’El ‘Hâ_g__g_ (en persan et en hindoustani corrompu en ‘Hâ_g_î.).
Il est intéressant de remarquer que le mot ‘Ha_g__g_ est identique au mot hébreu utilisé dans Exode x. 9, où la raison attribuée au départ des Israélites est qu’ils peuvent ‘organiser une fête (‘hagg) à l’Éternel’ dans le désert.
L’Islam enseigne la prédestination, chaque acte de chaque être vivant étant inscrit de toute éternité dans la Lau’h el Ma’hfû_th_, « la Tablette préservée ». Cette prédestination est appelée taqdîr, « répartition », ou qismeh, « répartition ». La conciliation d’une telle doctrine avec l’exercice du libre arbitre, et la difficulté, si elle est acceptée, d’éviter d’attribuer à Dieu le bien comme le mal, ont fourni matière à des disputes incessantes parmi les théologiens musulmans, et ont donné lieu à d’innombrables hérésies. Comme la présente introduction n’a pour but que de fournir au lecteur les informations nécessaires pour lui permettre de comprendre le Coran et son système, je ne m’étendrai pas sur ces questions et sur d’autres qui appartiennent à l’histoire ultérieure de la foi.
L’une des plus grandes souillures de l’Islam est qu’il maintient les femmes dans un état de dégradation et empêche ainsi le progrès de toute race qui professe cette religion. Mahomet n’est responsable de cela que dans la mesure où il a accepté sans discussion l’opinion dominante de son temps qui n’était pas en faveur d’une trop grande liberté pour les femmes. Ainsi, après avoir amélioré leur condition en modifiant les lois injustes du divorce, en enjoignant à ses disciples d’être bienveillants et équitables dans le traitement de leurs épouses et en réprimant sévèrement la coutume barbare de l’infanticide des filles, il a sans doute pensé qu’il avait fait assez pour elles. De même, il a pourvu à un meilleur traitement et à une plus grande douceur pour les esclaves, mais il ne pouvait jamais lui venir à l’esprit que l’esclavage était en soi une institution mauvaise ou impolitique.
Le [p. lxxvi] vrai défaut réside dans la nature inélastique de la religion : dans son désir de la soustraire au changement et d’empêcher ses adeptes de se « diviser en sectes », le fondateur a rendu impossible à l’Islam de se débarrasser de certaines coutumes et restrictions qui, si commodes et même nécessaires aux Arabes de l’époque, devinrent pénibles et inadaptées à d’autres nations à des époques et dans des pays lointains. L’institution du pèlerinage de ‘Ha_g__g_, par exemple, fut admirable pour consolider les tribus arabes, mais elle est pesante et inutile aux communautés musulmanes maintenant qu’elles s’étendent sur près de la moitié du monde civilisé.
Que Mahomet avait un respect dû au sexe féminin, dans la mesure où cela était compatible avec l’état d’éducation et d’opinion dominant, est évident à la fois par sa propre affection fidèle pour sa première épouse ‘Hadî_g_ah, et par le fait que les « femmes croyantes » sont expressément incluses dans les promesses d’une récompense dans la vie future que le Coran fait à tous ceux qui reconnaissent un seul Dieu et font de bonnes œuvres.
Le Coran est universellement reconnu comme la langue la plus parfaite du langage arabe. Les Coranites, gardiens du temple national et propriétaires du territoire où se déroulaient les grandes foires et les festivals littéraires de toute l’Arabie, absorbaient naturellement dans leur propre dialecte de nombreux mots et locutions d’autres tribus, et nous devrions par conséquent nous attendre à ce que leur langue soit plus abondante et plus élégante que celle de leurs voisins. En même temps, nous ne devons pas oublier que les prétentions reconnues du Coran à être l’expression directe de la divinité ont rendu impossible toute critique de l’ouvrage par un musulman, et il est devenu, au contraire, la norme à laquelle les autres compositions littéraires devaient être jugées. Les grammairiens, les lexicographes et les rhétoriciens ont commencé à présumer que le Coran ne pouvait pas être faux, et les autres œuvres n’ont donc approché l’excellence que dans la mesure où elles ont plus ou moins réussi à imiter son style. Cependant, d’un point [p. lxxvii] de vue parfaitement impartial et impartial, nous trouvons qu’il exprime les pensées et les idées d’un Arabe Bedawî dans un langage et une métaphore Bedawî. Le langage est noble et énergique, mais il n’est pas élégant au sens de raffinement littéraire. Pour les auditeurs de Mahomet, il a dû surprendre, de par la manière dont il leur a fait comprendre de grandes vérités dans le langage de leur vie quotidienne.
Il n’y avait rien d’antique dans le style ou dans les mots, pas d’artifices de langage, de jolies vanités ou de simples embellissements poétiques ; le prophète parlait avec une éloquence rude et féroce dans le langage ordinaire. Le seul ornement rhétorique qu’il se permettait était de rendre ses périodes plus ou moins rythmées, et la plupart de ses propositions rimaient, ce qui était et est toujours naturel à un orateur arabe, et le résultat nécessaire de la structure de la langue arabe [27].
Il est souvent difficile de pénétrer complètement l’esprit des anciens poètes arabes, contemporains ou prédécesseurs immédiats de Mahomet, parce que nous ne pouvons pas pleinement saisir les sentiments qui les ont animés ni nous identifier à la société dans laquelle ils évoluent. C’est pourquoi ils ont toujours quelque chose de lointain et d’obsolète en eux, aussi clairs que soient leur langage et leur signification. Il n’en est pas de même pour le Coran. Mahomet parle d’une voix vivante, sa peinture vivante des mots nous fait immédiatement penser à la scène qu’il décrit ou évoque, nous pouvons nous représenter son attitude même lorsque, après avoir raconté une histoire merveilleusement racontée des jours passés, prononcé une terrible dénonciation ou fait une promesse glorieuse, il s’arrête brusquement et dit, avec une amère déception : « Ce sont les histoires vraies, et il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et pourtant vous vous en détournez ! »
Traduire cela dignement est une tâche des plus difficiles. Imiter la rime et le rythme serait donner à l’anglais un ton artificiel dont l’arabe est tout à fait exempt; et la même objection s’applique à l’utilisation de la phraséologie de notre version autorisée de la Bible: la rendre par un langage raffiné ou guindé serait tout aussi étranger [p. lxxviii] à l’esprit de l’original; tandis que la rendre trop grossière ou familière serait également une erreur dans l’autre sens. J’ai donc essayé de prendre une voie moyenne; j’ai traduit chaque phrase aussi littéralement que le permettait la différence de structure entre les deux langues, et lorsque cela était possible, je l’ai traduite mot pour mot. Lorsqu’une expression grossière ou banale apparaît en arabe, je n’ai pas hésité à la rendre par une expression anglaise similaire, même lorsqu’une traduction littérale pourrait peut-être choquer le lecteur.
Pour conserver cette proximité de traduction, j’ai dû dans plusieurs cas recourir à des constructions anglaises qui, si elles ne sont pas incorrectes d’un point de vue strictement grammatical, sont, je le sais, souvent inélégantes. Ainsi, une particularité de l’arabe est d’utiliser la même préposition avec un verbe passif comme verbe actif et transitif requis ; par exemple, _g_haẓaba 'halâihi, « il était en colère contre lui », au passif, _g_huẓiba 'halâihi, « il était en colère contre lui », et la conservation de cette construction est souvent absolument nécessaire pour conserver la force de l’original.
Un exemple de ceci se produit dans le chapitre d’ouverture, où les mots ellaDHîna an’hamta 'halâihim, _g_hâiral ma_g_hẓûbi 'halâihim sont rendus, ‘de ceux envers qui tu es gracieux, non de ceux contre qui tu es en colère’; dans la traduction de Sale, ‘de ceux envers qui tu as été gracieux, non de ceux contre qui tu es furieux’; le fait de placer la préposition avant le verbe donne à l’anglais une sonorité complètement différente de celle de l’arabe, sans parler de l’absence de cette liberté familière qui distingue l’original.
J’ai, autant que possible, traduit un mot arabe par le même mot anglais partout où il apparaît ; dans certains cas, cependant, où le mot arabe a plus d’une signification, ou lorsque cela déformerait le sens de conserver la même expression, je n’ai pas hésité à le modifier.
Certains mots arabes qui apparaissent dans le Coran sont ambigus et ont donné lieu à de nombreuses divergences d’opinions parmi les commentateurs. Ainsi, le mot istawâ est appliqué à Dieu et est interprété dans certains [p. lxxix] passages comme signifiant « il se dirigea par sa volonté vers le ciel » (Lane), et dans d’autres comme signifiant « il se tint droit ou debout » (Lane). L’expression apparaît souvent dans le Coran pour décrire la position de Dieu par rapport au trône ou au ciel le plus élevé, et les théologiens musulmans n’ont jamais cessé de débattre de la nature exacte de cette position. El _G_hazzâli dit qu’Il « istawâ » sur le trône de la manière qu’il a lui-même décrite, et dans le sens qu’Il entend lui-même, mais pas par contact réel ou situation locale, alors que le trône lui-même est soutenu par Lui. Le rendre alors par « assis » ou « montant » serait adopter une vision particulière d’une question très discutable et donner au mot arabe une précision de sens qu’il ne possède pas. La racine du mot contient les notions d’« égalité de surface » ou d’« uniformité », de « faire » ou de « façonner », et d’« être ou aller droit ». J’ai donc adopté une traduction qui a une confusion de significations similaire, et je l’ai traduit par « fait pour », comme au chapitre II, verset 27, « Il a fait pour les cieux ». Lorsqu’aucune question ne peut se poser concernant son interprétation, comme par exemple, lorsqu’il est utilisé pour un cavalier se balançant sur le dos de son chameau, je l’ai rendu simplement par « réglé [28] ».
Les notes que j’ai jointes ne sont que celles qui sont absolument nécessaires à la compréhension du texte ; pour un compte rendu complet de toutes les allusions historiques, des légendes arabes, juives et mages, avec lesquelles les commentateurs indigènes illustrent le Coran, le lecteur est renvoyé aux notes de la traduction de Sale. La version de cet éminent érudit mérite pleinement la considération dont elle jouit depuis si longtemps, mais en raison de la grande quantité de matière exégétique qu’il a incorporée dans son texte et du style de langage employé, qui diffère largement de l’énergie nerveuse et de la simplicité brutale de l’original, son ouvrage peut difficilement être considéré comme une représentation fidèle du Coran.
La version de Rodwell se rapproche davantage de l’arabe, mais même en cela elle suppose trop de style littéraire. [p. lxxx] L’arrangement des sourates dans l’ordre chronologique, bien qu’il soit une aide pour l’étudiant, détruit le caractère hétéroclite du livre, tel qu’il était utilisé par les musulmans et tel que les successeurs de Mahomet l’ont laissé.
Dans ma traduction, je me suis en grande partie tenu à l’interprétation du commentateur arabe Bâi.dhâvî, et n’ai suivi ma propre opinion que dans certains cas où un mot ou une expression, qui m’était tout à fait familier par mon expérience de la vie quotidienne dans le désert, m’a semblé quelque peu forcé par ces savants scolastiques. Le chapitre XXII, ver. 64, est un exemple dans lequel une traduction plus simple serait préférable, bien que je n’aie osé la suggérer que dans une note [29].
Je suis pleinement conscient des défauts de ma propre version, mais si j’ai réussi dans mon effort de présenter clairement au lecteur ce qu’est le Coran et ce qu’il contient, mon but aura été atteint.
E.H. PALMER.
COLLÈGE ST. JOHN, CAMBRIDGE,
Mars 1880.
Je suis le prophète qui ne ment pas;
Je suis le fils d’Abd el Mu_t__t_alib.’
xiii:1 Genèse xxviii. 13-19. ↩︎
xvi:1 Voir Coran II, 129. ↩︎
xx:1 En arabe iqra’; une grande divergence d’opinion existe même parmi les musulmans sur le sens exact de ce mot. J’ai suivi la tradition la plus généralement acceptée selon laquelle il a sa signification ordinaire de « lecture », et cela est confirmé par la référence immédiatement après à l’écriture ; d’autres le prennent pour « réciter ! » Sprenger imagine qu’il signifie « lire les écritures juives et chrétiennes », ce qui, si ingénieux soit-il, est, comme dirait un Arabe, bârid, singulièrement froid et étranger à l’esprit de la langue. ↩︎
xxii:1 Sourate LXXIV, 1-7. ↩︎
xxix:1 Voir Partie I, p. 74, note 2. ↩︎
xxix:2 Voir Chapitre XXXIII, ver. 36, note. ↩︎
xxxviii : 1 Voir Chapitre III, vers. 115-168. ↩︎
xxxix : 1 Chapitre XXXIII. ↩︎
xl:1 Voir Chapitre LXVI. ↩︎
lii:1 Voir note au vol. ii, p. 110, de Burton’s 'Pèlerinage à El Medina et à La Mecque. ↩︎
lvi:1 Geschichte des Qorâns, p. 43. ↩︎
lvi:2 Mahomet a peut-être bien répudié l’accusation d’être un poète, car on ne lui attribue qu’un seul vers, et celui-ci est involontaire :
Ana ’nnabîyu lâ KaDHib ;
Ana 'bnu 'Abd el Mu_t__t_alib. ↩︎
lxii:1 Voir Partie II, p. 13, note 1. ↩︎
lxvi:1 Voir ma Grammaire arabe, p. 256. ↩︎
lxvii:1 Voir Chapitre VII, ver. 179. ↩︎
lxix:1 Voir Partie I, p. 13, note 2. ↩︎
lxix:2 Mâlik est évidemment identique à Moloch, comme _G_ehennum, l’enfer, est le même que la Géhenne de la Bible. ↩︎
lxix:3 Voir Partie I, p. 138, note 1. ↩︎
lxix:4 Voir Chapitre II, ver. 32. ↩︎
lxx:2 Cf. Chapitre XV, ver. 44. ↩︎
lxxi:1 Voir Partie II, p. 25. ↩︎
lxxii:1 « L’abaissement de la tête, par une personne priant [ou en prière], après l’acte de se tenir debout, dans lequel la récitation [de parties du Ḳur-án] est effectuée, de sorte que les paumes des mains atteignent les genoux, ou de sorte que le dos s’affaisse », Lane’s Arabic-English Lexicon. ↩︎
lxxiii:1 Cf. Chapitre XCVII, ver. 1. ↩︎
lxxiii:2 Le mot signifiait à l’origine « pureté ». ↩︎
lxxiv:1 Voir p. xiii et chapitre II, ver. 153. ↩︎
lxxvii:1 On peut déduire à quel point cela était naturel pour un Arabe d’après l’anecdote relatée dans la première partie, note 2, p. 126 ; voir aussi p. lv. ↩︎
lxxix:1 Voir Chapitre XLIII, ver. 12. ↩︎
lxxx:1 Voir Partie II, p. 63, note. ↩︎