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Ahmad Shah, fondateur de la monarchie de Durrânî, passa du simple caractère de partisan à un commandement distingué au service du conquérant persan, Nadir Shah. De la famille des Saddozîs et chef de la tribu des Abdâlî, la plus illustre famille des Afghans, il fut, dans sa jeunesse, emprisonné dans une forteresse, avec son frère aîné Zû-l-fiḳār Khān, par Husain Khān, gouverneur de Kandahār pour les Ghalzîs, cette puissante tribu d’Afghans, après avoir envahi toute la Perse, avait, quelques années auparavant, foulé aux pieds le trône des Sûfis et conquis ce puissant empire.
Ahmad Shāh et son frère, dont la tribu était en conflit avec les Ghalzīs, durent leur liberté à Nādir Shāh, qui en 1736-37 après J.-C., assiégea Ḳandahār, dont il s’empara. Les frères, avec un puissant corps de leurs clans, suivirent le destin du conquérant et se distinguèrent grandement dans la guerre contre les Turcs ; ils furent récompensés par les terres maintenant détenues par la tribu Durrānī dans les environs de Ḳandahār.
Le lendemain du meurtre de Nâdir Shâh (dont les détails, appartenant à l’histoire persane, n’ont pas besoin d’être détaillés ici, bien qu’une des causes ait été attribuée à son attachement aux troupes afghanes à son service), une bataille s’ensuivit entre les Perses [p. 288] d’un côté, et les Afghans et les Ouzbeks de l’autre ; mais l’événement ne semble pas avoir décidé quoi que ce soit. Mais après cette affaire, Ahmad Shâh comprit qu’il ne fallait pas perdre de temps pour veiller à sa sécurité et à celle des hommes de son clan, et il se fraya un chemin à travers la plus grande partie du Khurasan avec une petite force de 2000 à 3000 cavaliers, et se rendit, par des marches rapides, à Ḳandahār, qui était maintenant devenu le quartier général de la tribu des Abdālī et la principale ville du sud-ouest de l’Afghanistan. Là, il intercepta un immense trésor, qui avait été envoyé d’Inde pour l’usage de Nādir Shāh, qu’Aḥmad s’appropria, après avoir contraint les Durrānīs, qui s’en étaient d’abord emparés, à le rendre.
En octobre de la même année, Ahmad, alors âgé de vingt-trois ans seulement, prit le titre de shah ou roi d’Afghanistan et fut couronné à Kandahâr en grande pompe, avec l’aide des différents chefs des diverses tribus afghanes, à quelques exceptions près, et des Kazalbâshes, des Baloutches et des Hazârahs ; il posa ainsi les bases de la monarchie de Durrânî. Et bien que le peuple guerrier et indépendant qui devint alors ses sujets n’ait jamais été habitué au joug d’un souverain, sauf lorsqu’il était contraint de payer un tribut à un souverain étranger, son énergie et sa capacité de gouvernement étaient telles qu’il réussit à gagner l’affection de sa propre tribu, et il fut le premier à s’attirer les faveurs de ses compatriotes. et à l’exception des Ghalzīs, qui étaient toujours un groupe très turbulent et indiscipliné, il réussit à inculquer aux autres tribus afghanes un esprit d’attachement à leur monarque natal, et aussi à d’autres, non afghans, mais résidant en Afghanistan. Avec les tribus Baloutches et Hazārah, ses voisins, il forma une alliance offensive et défensive.
Après avoir soumis les réfractaires Ghalzīs, Ahmad Shah commença ses conquêtes et la vague ininterrompue de ses succès fut telle qu’à l’été 1751 il avait conquis la totalité des pays s’étendant jusqu’à Nishāpūr à l’ouest dans le Khurasan [p. 289] perse. En 1752, il conquit le Cachemire et obtint de l’empereur moghol de l’Hindoustan la cession de toute la région jusqu’à Sirhind à l’est, jetant ainsi les bases d’un royaume qui devint bientôt redoutable pour les nations environnantes.
Ahmad Shâh eut alors le loisir de s’occuper des affaires intérieures et de la colonisation de l’Afghanistan et des provinces nouvellement acquises. Il passa ainsi les quatre années suivantes dans la tranquillité et semble avoir eu le temps de se consacrer à la littérature. Il tenait, à des périodes déterminées, ce qu’on appelle un Majlis-i-æulamâ, ou Assemblée des Savants, dont la première partie était généralement consacrée à la théologie et au droit civil — car Ahmad Shâh lui-même était un Molawî [2] — et se terminait par des conversations sur la science et la poésie. Il écrivit un recueil d’odes en pus’hto, sa langue maternelle, teinté, comme d’habitude, du mysticisme des Ṣūfis, et de cet ouvrage ont été tirés les spécimens suivants. L’ouvrage est rare, particulièrement dans l’Afghanistan oriental. Il fut également l’auteur de plusieurs poèmes en langue persane.
En 1756, Ahmad Shah dut de nouveau boucler l’épée et s’avancer dans le Panjâb, que les Moghols tentèrent à cette époque de reprendre. Mais il regagna rapidement tout ce qu’il avait perdu, les chassa du Panjâb et avança droit sur Dilhî, où il entra après une faible résistance. Ses troupes étant devenues malades après avoir passé toute la saison chaude en Inde, elles avertirent Ahmad Shah de revenir, ce qu’il fit peu après, après avoir contraint l’empereur moghol à conférer le Panjâb et le Sindh à son fils Timour, qui avait déjà épousé une princesse moghole. Ahmad Shah passa l’hiver suivant à Ḳandahār, mais fut obligé de partir peu après, dans le but de réprimer les troubles en Perse et au Turkistan.
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L’année suivante, les choses allèrent mal en Inde et le prince Tamar fut incapable d’enrayer la vague de conquête des Maharatas qui déferlait sur le Panjâb. Les Maharatas avaient pris Sirhind et avançaient de l’ouest, ce qui obligea le prince Timour à se retirer de l’autre côté de l’Indus avec ses troupes. Les Maharatas, n’ayant plus d’opposition, poussèrent jusqu’à l’Hydaspe ou Jhilum et détachèrent également une force pour prendre possession de Multân.
Ces événements se passèrent durant l’été de 1758, et Ahmad Shāh se préparait à marcher sur l’Inde lorsqu’il fut arrêté par la rébellion des Baloutches. Bien que cette affaire ait été réglée ultérieurement par voie de négociation, ce ne fut qu’à l’hiver de 1759 qu’il put traverser l’Indus et avancer vers l’Hindoustan, les Mahāraṭas se retirant devant lui vers Dilhī, avec l’intention de couvrir cette ville. Après les avoir totalement défaits à Budlī, Ahmad Shāh captura de nouveau Dilhī. Il poursuivit ensuite ses conquêtes dans le Do-āb, mais campa ensuite à un endroit près d’Anūp-shahr, où, étant rejoint par le Wazīr de l’Hindūstān, avec les quelques troupes disponibles de l’empereur moghol, il se prépara à passer la mousson, ou saison des pluies, et pour la lutte finale avec les Mahāraṭas, sur laquelle reposait le sort de l’Inde.
L’armée d’Ahmad Shah comprenait 41 800 cavaliers, ses propres sujets, sur lesquels il comptait principalement, 28 000 Rohilahs, Afghans, descendants de tribus qui avaient émigré d’Afghanistan à différentes époques et s’étaient installés en Inde [3], et environ 10 000 soldats hindous, sous leurs propres chefs. Il avait également 700 zambūraks, ou tourillons à chameaux, de petites pièces portant des boulets d’environ une livre, et quelques pièces d’artillerie.
L’armée du Maharata, sous les ordres de Wiswās Rāo et [p. 291] de Sheddasheo Rāo, mieux connue sous le nom de Bhow, comprenait environ 70 000 cavaliers, 15 000 fantassins, entraînés à la mode européenne, et 200 pièces d’artillerie, en plus d’innombrables shuturnāls, ou zambūraks.
Enfin, le 7 janvier 1761, après s’être affrontés pendant quelques mois, les Mahâratas, bloqués dans leur propre camp retranché à Pânipatt, à quelques milles de Dilhî, furent, par suite de la situation extrême où ils se trouvaient, par manque de vivres et de fourrage, dans la nécessité d’attaquer l’armée de Durrânî. Il n’est pas nécessaire de s’étendre ici sur les détails de cette grande et importante bataille : il suffit de dire qu’Aḥmad Shâh remporta un succès complet. Les Mahâratas furent entièrement défaits et mis en fuite ; et Wiwâs Rao, l’héritier présomptif de l’empire du Mahârata, et presque toute l’armée périrent dans la fuite ou la poursuite.
La victoire décisive de Pânipatt, qui fut fatale à la puissance des Mahâratas, mit l’Hindoustan aux pieds d’Ahmad Shah, mais celui-ci, voyant la difficulté de conserver un territoire aussi éloigné, s’en tint au plan sage qu’il avait élaboré dès le début et se contenta de la partie de l’Inde qui lui avait été cédée auparavant, accordant le reste aux chefs indigènes qui l’avaient aidé dans la lutte.
Au printemps de 1761, Ahmad Shah revint à Kaboul et, à partir de cette période et jusqu’au printemps de 1773, il fut activement employé contre les ennemis étrangers et intérieurs. Mais à cette époque, sa santé, qui déclinait depuis longtemps, continua à se détériorer et l’empêcha de participer à aucune expédition à l’étranger. Il souffrait d’un cancer du visage qui l’avait affligé une première fois en 1764 et qui avait finalement causé sa mort. Il mourut à Murghah, en Afghanistan, au début de juin 1773, à l’âge de 50 ans.
Les pays sous sa domination s’étendaient, au moment de sa mort, de l’ouest du Khurasan, jusqu’à Sirhind sur la Jumnā, et de l’Oxus jusqu’à l’océan Indien, tous soit sécurisés par traité, soit en possession réelle.
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Le caractère d’Aḥmad Shāh a été si admirablement décrit par Mountstuart Elphinstone, [4] que je n’hésiterai pas à le donner ici dans son intégralité.
"Le caractère d’Aḥmad Shāh paraît avoir été admirablement adapté à la situation dans laquelle il se trouvait. Son esprit d’entreprise et sa décision lui permirent de profiter de la confusion qui suivit la mort de Nadir, et la prudence et la modération qu’il acquit de ses relations avec sa propre nation ne furent pas moins nécessaires pour gouverner un peuple guerrier et indépendant, que le tour audacieux et autoritaire de son propre génie.
« Son courage et son activité militaires sont évoqués avec admiration, tant par ses propres sujets que par les nations avec lesquelles il était engagé, soit dans des guerres, soit dans des alliances. Il semble avoir été naturellement disposé à la douceur et à la clémence ; et bien qu’il soit impossible d’acquérir le pouvoir souverain, et peut-être, en Asie, de le maintenir, sans crimes ; pourtant la mémoire d’aucun prince oriental n’est entachée de moins d’actes de cruauté et d’injustice.
« Dans son caractère personnel, il semble avoir été gai, affable et bon enfant. Il a maintenu une dignité considérable dans les occasions officielles, mais à d’autres moments ses manières étaient simples et familières ; et avec les Durrānīs il a gardé le même comportement égal et populaire qui était habituel avec leurs Khāns ou chefs avant qu’ils ne prennent le titre de roi. Il traitait les Moollahs et les saints hommes avec beaucoup de respect, à la fois par politique et par inclination. Il était lui-même un théologien et un écrivain, et a toujours été ambitieux du caractère d’un saint.
« Sa politique envers les différentes parties de ses États consistait principalement à se concilier avec les Afghans et les Baloutches, avec cette différence entre les nations qu’il s’appliquait à tout le peuple dans le premier cas, et seulement au chef [p. 293] dans l’autre. Il maintenait ses possessions au Turkistan par la force, mais laissait les chefs tartares du pays intacts et les utilisait avec modération. Les provinces indiennes étaient gardées par la force seulement, et au Khurasan il se fiait à l’attachement de quelques chefs, prenait des otages chez d’autres, et était prêt à porter les armes contre quiconque dérangerait ses plans. »
Le magnifique tombeau d’Aḥmad Shāh se trouve près du palais de Ḳandahār. Il est tenu en grande estime par les Durrānīs et est respecté comme un sanctuaire, personne n’osant toucher à ceux qui s’y sont réfugiés. Il n’est pas rare que des personnes, même du plus haut rang, renoncent au monde et passent leur vie sur la tombe du monarque ; et certainement, si jamais un roi asiatique méritait la gratitude de son pays, c’était Aḥmad Shāh, la « Perle des Durrānīs ».
Aḥmad Shāh était le grand-père du malheureux Shāh-Shūjaæ-ul-Mulk, que les Britanniques ont réinstallé sur le trône des Durrānīs en 1839, affaire qui s’est terminée si malheureusement pour tous les intéressés.
Durr-i-Durrān signifie « La Perle des Durrānīs », un nom que les Abdālīs ont acquis en portant des perles à leurs oreilles. ↩︎
Terme équivalent à Docteur en Littérature ou en Théologie. ↩︎
Également appelé Pattāns en Inde ; mais le nom, comme celui de Rohilah, est applicable aux Afghans en général. ↩︎
« Récit du royaume de Caubul. » ↩︎