Chapitre XIV : La formation et la position de la femme | Page de titre | Chapitre XVI : Bushido est-il toujours vivant ? |
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Jusqu’ici, nous n’avons mis en évidence que quelques-uns des sommets les plus marquants qui s’élèvent au-dessus de l’éventail des vertus chevaleresques, bien plus élevées en elles-mêmes que le niveau général de notre vie nationale. De même que le soleil, à son lever, teinte d’abord les plus hauts sommets de roux, puis projette progressivement ses rayons sur la vallée en contrebas, de même le système éthique qui a d’abord éclairé l’ordre militaire a attiré au fil du temps des adeptes parmi les masses. La démocratie élève un prince naturel à sa tête, et l’aristocratie insuffle un esprit princier au peuple. Les vertus ne sont pas moins contagieuses que les vices. « Il suffit d’un homme sage dans une société, et tous sont sages, tant la contagion est rapide », dit Emerson. Aucune classe sociale ni caste ne peut résister au pouvoir diffus de l’influence morale.
On a beau parler de la marche triomphale de la liberté anglo-saxonne, elle a rarement reçu l’impulsion des masses. N’était-elle pas plutôt l’œuvre des écuyers et des gentilshommes ? M. Taine affirme avec justesse : « Ces trois syllabes, utilisées outre-Manche, résument l’histoire de la société anglaise. » La démocratie peut répondre avec assurance à une telle affirmation et renvoyer la question : « Quand Adam creusait et qu’Ève tissait, où était donc le gentilhomme ? » Dommage d’autant plus qu’il n’y ait pas eu de gentilhomme en Éden ! Les premiers parents ont cruellement regretté son absence et ont payé cher. S’il avait été là, non seulement le jardin aurait été décoré avec plus de goût, mais ils auraient appris sans expérience douloureuse que la désobéissance à Jéhovah était déloyauté, déshonneur, trahison et rébellion.
Ce que le Japon était, il le devait aux samouraïs. Ils étaient non seulement la fleur de la nation, mais aussi sa racine. Tous les dons gracieux du Ciel affluaient en eux. Bien qu’ils se tenaient socialement à l’écart du peuple, ils lui imposaient un modèle moral et le guidaient par leur exemple. J’admets que le Bushido avait ses enseignements ésotériques et exotériques ; ceux-ci étaient eudémoniques, veillant au bien-être et au bonheur du commun ; ceux-ci étaient arétaïques, mettant l’accent sur la pratique des vertus pour elles-mêmes.
À l’époque la plus chevaleresque de l’Europe, les chevaliers ne constituaient numériquement qu’une petite fraction de la population, mais, comme le dit Emerson, « dans la littérature anglaise, la moitié des pièces de théâtre et tous les romans, de Sir Philip Sidney à Sir Walter Scott, dépeignent ce personnage (gentleman). » Écrivez à la place de Sidney et Scott, Chikamatsu et Bakin, et vous aurez en un mot les principales caractéristiques de l’histoire littéraire du Japon.
Les innombrables lieux de divertissement et d’instruction populaires - les théâtres, les stands des conteurs, l’estrade du prédicateur, les récitations musicales, les romans - ont pris pour thème principal les histoires des samouraïs. [ p. 161 ] Les paysans autour du feu ouvert dans leurs huttes ne se lassent pas de répéter les exploits de Yoshitsuné et de son fidèle serviteur Benkéi, ou des deux braves frères Soga ; les gamins bruns écoutent la bouche ouverte jusqu’à ce que le dernier bâton brûle et que le feu s’éteigne dans ses braises, laissant encore leurs cœurs embrasés par l’histoire qui est racontée. Les commis et les garçons de magasin, une fois leur journée de travail terminée et les amado [1] fermés, se réunissent pour raconter l’histoire de Nobunaga et Hidéyoshi tard dans la nuit, jusqu’à ce que le sommeil gagne leurs yeux fatigués et les transporte des corvées du comptoir aux exploits des champs de bataille. Dès le tout-petit, on apprend à babiller les aventures de Momotaro, l’audacieux conquérant du pays des ogres. Même les filles sont si imprégnées de l’amour des actes et des vertus chevaleresques que, comme Desdémone, elles seraient sérieusement enclines à dévorer d’une oreille avide les romans des samouraïs.
Le samouraï devint le bel idéal de [ p. 162 ] toute l’humanité. « Comme parmi les fleurs, le cerisier est reine, ainsi parmi les hommes, le samouraï est seigneur », chantait le peuple. Exclue des activités commerciales, la classe militaire elle-même ne favorisa pas le commerce ; mais il n’y avait pas de voie d’activité humaine, pas de voie de pensée, qui ne reçoive dans une certaine mesure l’impulsion du Bushido. Le Japon intellectuel et moral fut directement ou indirectement l’œuvre de la chevalerie.
Français M. Mallock, dans son livre extrêmement suggestif, Aristocracy and Evolution, nous a dit avec éloquence que « l’évolution sociale, dans la mesure où elle est autre que biologique, peut être définie comme le résultat involontaire des intentions des grands hommes » ; en outre, que le progrès historique est produit par une lutte « non pas au sein de la communauté en général, pour vivre, mais une lutte au sein d’une petite section de la communauté pour diriger, orienter, employer la majorité de la meilleure façon ». Quoi que l’on puisse dire de la solidité de son argument, ces affirmations sont amplement vérifiées par le rôle joué par le bushi dans le [ p. 163 ] progrès social, dans la mesure où il est allé, de notre Empire.
L’influence de l’esprit du Bushido sur toutes les classes sociales se manifeste également dans le développement d’un certain ordre d’hommes, les otoko-daté, chefs naturels de la démocratie. C’étaient des hommes loyaux, dotés de la force d’une virilité imposante. À la fois porte-paroles et gardiens des droits populaires, ils comptaient chacun des centaines de milliers d’âmes qui offraient, à la manière des samouraïs aux daimios, le service volontaire de « corps et vie, corps, biens et honneurs terrestres ». Soutenus par une multitude d’ouvriers téméraires et impétueux, ces « patrons-nés » constituaient un formidable frein à l’emprise de l’ordre des deux sabres.
De multiples façons, le Bushido s’est infiltré depuis la classe sociale où il est né et a agi comme un ferment parmi les masses, fournissant un modèle moral à l’ensemble du peuple. Les Préceptes de la Chevalerie, initialement considérés comme la gloire de l’élite, sont devenus avec le temps une aspiration et une inspiration pour la nation tout entière ; et bien que la population ne puisse atteindre la hauteur morale de ces âmes plus nobles, Yamato Damashii, l’Âme du Japon, a fini par exprimer le Volksgeist du Royaume insulaire. Si la religion n’est rien de plus que « la morale influencée par l’émotion », comme la définit Matthew Arnold, peu de systèmes éthiques méritent mieux le rang de religion que le Bushido. Motoöri a traduit en mots la voix muette de la nation lorsqu’il chante :
« Îles du Japon béni !
Si votre esprit Yamato
Les étrangers cherchent à scanner,
Dites, en sentant l’air ensoleillé du matin,
Souffle la cerise sauvage et juste !
Oui, le sakura [^29] est depuis des siècles le favori de notre peuple et l’emblème de notre caractère. Notez particulièrement les termes de définition employés par le poète : « la fleur de cerisier sauvage parfumant le soleil matinal ».
L’esprit Yamato n’est pas une plante apprivoisée et tendre [ p. 165 ], mais une croissance sauvage, au sens de naturelle ; elle est indigène au sol ; elle peut partager ses qualités accidentelles avec les fleurs d’autres pays, mais dans son essence, elle reste l’excroissance originale et spontanée de notre climat. Mais sa nativité n’est pas son seul titre à notre affection. Le raffinement et la grâce de sa beauté séduisent notre sens esthétique comme aucune autre fleur ne le peut. Nous ne pouvons partager l’admiration des Européens pour leurs roses, qui n’ont pas la simplicité de notre fleur. Et puis, aussi, les épines qui se cachent sous la douceur de la rose, la ténacité avec laquelle elle s’accroche à la vie, comme si elle répugnait ou craignait de mourir plutôt que de tomber prématurément, préférant pourrir sur sa tige ; Ses couleurs éclatantes et ses odeurs lourdes – autant de traits si différents de notre fleur, qui ne porte ni poignard ni poison sous sa beauté, qui est toujours prête à quitter la vie à l’appel de la nature, dont les couleurs ne sont jamais magnifiques et dont le léger parfum ne s’affadit jamais. La beauté des couleurs et des formes est limitée dans son expression ; c’est une qualité fixe de l’existence, tandis que le parfum est [ p. 166 ] volatile, éthéré comme le souffle de la vie. Ainsi, dans toutes les cérémonies religieuses, l’encens et la myrrhe jouent un rôle prépondérant. Il y a quelque chose de spirituel dans le parfum. Lorsque le délicieux parfum du sakura vivifie l’air matinal, tandis que le soleil dans sa course se lève pour illuminer les îles d’Extrême-Orient, peu de sensations sont plus sereinement exaltantes que d’inhaler, pour ainsi dire, le souffle même d’un beau jour.
Quand le Créateur lui-même est représenté prenant de nouvelles résolutions en son cœur en respirant une douce odeur (Gen. VIII, 21), est-il étonnant que la saison parfumée des cerisiers en fleurs fasse sortir toute la nation de ses petites demeures ? Ne les blâmez pas si, pour un temps, leurs membres oublient leurs peines et leurs peines, et leurs cœurs leurs douleurs et leurs chagrins. Leur bref plaisir terminé, ils retournent à leurs tâches quotidiennes avec une force nouvelle et de nouvelles résolutions. Ainsi, à plus d’un titre, le sakura est la fleur de la nation.
Cette fleur si douce et si évanescente, [ p. 167 ] emportée au gré du vent, et répandant une bouffée de parfum, prête à disparaître à jamais, est-elle le type de l’esprit Yamato ? L’âme du Japon est-elle si fragile et mortelle ?
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[^29] : 164 : 1 Cerasus pseudo-cerasus, Lindley.
161:1 Volets extérieurs. ↩︎