J’APPORTE d’Orient une religion pratiquement inconnue. Les Sikhs sont reconnus dans le monde entier comme un grand peuple militaire, mais leur religion est peu connue, même des érudits. Des personnes instruites des pays que j’ai visités, et même en Inde, m’ont souvent demandé quelle était la religion sikhe et si les Sikhs étaient hindous, idolâtres ou musulmans. Cette ignorance résulte de la difficulté des dialectes indiens dans lesquels sont rédigés leurs écrits sacrés.
Le judaïsme a son Ancien Testament ; l’islam son Coran ; l’hindouisme ses Védas, Purans et Shastars ; le bouddhisme son Tripitaka ; la religion parsie son Zendavesta ; et le confucianisme ses Entretiens, ses Printemps et Automnes, ses Poèmes anciens et son Livre des Mutations. Les langues dans lesquelles sont consignés les écrits sacrés de ces religions, bien que toutes difficiles, sont pour la plupart homogènes et, après une étude préliminaire avec des tuteurs, peuvent généralement être maîtrisées à l’aide de grammaires et de dictionnaires ; ce n’est pas le cas des dialectes indiens médiévaux dans lesquels furent composés les écrits sacrés des gourous et des saints sikhs. On trouve des hymnes en persan, en prakrit médiéval, en hindi, en marathi, en ancien panjabi, en multani et dans plusieurs dialectes locaux. Dans plusieurs hymnes, les vocabulaires sanskrit et arabe sont abondamment utilisés.
[p. vi]
Il n’existait pas de dictionnaires du Granth Sahib[1], ou livre sacré des Sikhs, lorsque l’auteur a commencé ses travaux. Certains ont été publiés depuis, mais chaque lexicographe a adopté son propre système, ce qui rend difficile la recherche du mot recherché, et même lorsqu’il est trouvé, l’interprétation n’est pas toujours satisfaisante. C’est pourquoi le traducteur des écrits sacrés sikhs doit résider de longues années en Inde et travailler avec l’aide des quelques gyanis, ou interprètes professionnels des écrits canoniques sikhs, qui subsistent aujourd’hui. Il serait probablement exagéré de dire qu’il existe dix de ces hommes dans le monde. Parmi eux, rares sont ceux qui sont capables d’en donner une interprétation en anglais. Ils interprètent généralement par de fastidieuses paraphrases dans leurs propres dialectes locaux. Mais plus encore, rares sont les Sikhs capables de traduire correctement leurs écrits sacrés. Un bon érudit en sanskrit ne connaîtra ni le persan ni l’arabe, et celui qui connaît le persan et l’arabe ne connaîtra pas les mots d’origine sanskrite. Un homme qui connaît l’hindi ne connaîtra pas le marathi ; un homme qui connaît le marathi ne connaîtra pas le panjabi ni le multani, etc. De plus, certains mots des écrits sacrés sikhs leur sont propres et ne peuvent être rattachés à aucune langue connue. À cet égard, il faut accepter les interprétations traditionnelles. Le Granth Sahib devient ainsi probablement l’ouvrage le plus difficile, sacré ou profane, [p. vii] qui existe, d’où l’ignorance générale de son contenu.
Une partie du Granth Sahib a été traduite il y a quelques années par un missionnaire allemand aux frais et sous les auspices du Ministère des Indes. Cependant, son travail était très inexact et peu idiomatique, et offensait mortellement les Sikhs par l’odium theologicum qu’il y introduisait. Dès qu’il voyait une occasion de diffamer les gourous, le livre sacré et la religion des Sikhs, il la saisissait avec empressement.
L’un des principaux objectifs du présent ouvrage est de tenter de réparer les torts causés aux Sikhs par ce dernier à leurs gourous et à leur religion. J’espère cependant qu’il apportera bien d’autres avantages, et le lecteur en comprendra probablement les conséquences.
Toutes les personnes de discernement connaissant les Sikhs les apprécient beaucoup, mais il semble que la connaissance mondiale de l’excellence de leur religion rehausserait même l’estime qu’on leur porte actuellement, et que mon travail leur serait ainsi au moins politiquement avantageux. Deuxièmement, un grand nombre de Sikhs comprennent désormais l’anglais, mais n’ont pas le temps d’étudier les œuvres des gourous, et j’ai pensé qu’il leur serait utile, ne serait-ce que d’un point de vue linguistique, de lire une traduction dans l’anglais très simple dans lequel je me suis efforcé de l’écrire. Troisièmement, les anciens gyanis, ou interprètes professionnels du Granth Sahib, sont en voie de disparition, et probablement d’ici une ou deux générations, leurs livres sacrés, en raison de leur énorme difficulté, seront pratiquement inintelligibles, même pour des Sikhs par ailleurs instruits. Quatrièmement, la langue vernaculaire elle-même évolue rapidement et s’éloigne de plus en plus de la langue générale du Granth Sahib. Les mots que les hommes encore dans la force de l’âge utilisaient dans leur enfance sont désormais obsolètes, remplacés par de nouveaux vocables. Il semble donc judicieux de fixer la traduction des nombreux passages extrêmement difficiles disséminés dans les écrits sacrés sikhs. Cinquièmement, des légendes locales abondent désormais, que nous avons pu recueillir, mais qui, autrement, tomberaient dans l’oubli en relativement peu de temps.
Il fut un temps où l’impression du livre sacré des Sikhs était interdite. Face à l’abandon des anciens préjugés, il fut imprimé en plusieurs parties qu’il était interdit de réunir en un seul volume, de peur d’être traité avec mépris, en tant qu’incarnation non seulement de la sagesse des gourous, mais aussi des gourous eux-mêmes. Ce préjugé a également disparu, et le livre est aujourd’hui exposé à la vente. Les Sikhs de la vieille école nourrissaient également des préjugés contre la traduction du livre sacré, mais ceux qui le détenaient oublièrent l’injonction du gourou Arjan de le traduire en langues indiennes et étrangères afin qu’il se répande dans le monde entier comme l’huile se répand sur l’eau.
[p. ix]
Il ne fait aucun doute que si les Gurus et les Bhagats étaient encore en vie, ils seraient heureux de voir leurs compositions traduites dans une langue comme l’anglais parlée par de nombreux peuples à travers les continents et les îles qui s’étendent aux quatre coins de la terre.
Jusqu’en 1893, j’exerçais des fonctions judiciaires en Inde. Cette année-là, des représentants de sociétés sikhes, conscients de mon appréciation pour leur littérature, me demandèrent de démissionner de mon poste et d’entreprendre la traduction de leurs œuvres sacrées. J’accédai à leurs demandes. Mon intention première était de me contenter d’une traduction. Cette tâche m’occupa pendant plusieurs années. Sa préparation reposait, je crois, sur une méthode totalement novatrice. La plupart des traducteurs, une fois leur traduction achevée, publient leur travail sans soumettre leur travail à la critique locale. De ce fait, rares sont les traductions d’œuvres orientales réalisées en Europe, même par les plus éminents érudits, qui soient acceptées par les érudits orientaux. J’ai décidé que la mienne devait faire exception et j’ai donc soumis chaque ligne de mon travail à la critique la plus approfondie des érudits sikhs. Cela s’est fait soit par des épreuves imprimées, soit par des copies dactylographiées. J’ai également publié dans les journaux sikhs des invitations à tous ceux qui le souhaitaient pour me rendre visite, examiner et, si nécessaire, corriger ma traduction. Cela impliquait une correspondance volumineuse qui prenait beaucoup de temps et prolongeait considérablement mon séjour en Inde.
À la fin de l’examen de ma traduction, Bhai Sardul Singh, le Gyani[1:1] du [p. x] Temple d’Or, feu Bhai Sant Singh, un sikh très érudit de Kapurthala, et Bhai Prem Singh d’Amritsar m’ont fait la grâce suivante :
Grâce à l’aide de sikhs érudits maîtrisant l’anglais, nous avons examiné attentivement la traduction des hymnes du Granth Sahib par M. Macauliffe. Cette lecture nous a demandé un mois et demi de travail incessant. Chaque fois que l’un d’entre nous relevait une erreur, nous nous réunissions, discutions des passages et les corrigions ou maintenions la traduction de M. Macauliffe inchangée. C’est pourquoi nous déclarons aujourd’hui que la traduction de M. Macauliffe a été entièrement révisée par nos soins et qu’elle est parfaitement correcte. Le plus grand soin a été apporté à sa conformité avec les principes religieux des sikhs. La traduction est parfaitement littérale et conforme à toutes les règles grammaticales et rhétoriques.
Nous demandons maintenant aux Rajas, Maharajas, Sardars et aux érudits et éminents sikhs de lire ou d’écouter cette traduction, ne serait-ce qu’une fois. Ils pourront ainsi se familiariser avec les travaux de M. Macauliffe et bénéficier des précieux enseignements de leurs gourous. Ils devraient également apporter toute l’aide nécessaire au traducteur, car il a démissionné d’un poste important au sein du gouvernement et a dépensé des sommes considérables pour cette entreprise.
J’ai reçu des quantités de documents similaires de la part de Sikhs érudits et intelligents, et j’ai lu de nombreux articles critiques dans des journaux sikhs, anglais et étrangers, qui témoignent du profond désir de voir paraître un ouvrage tel que celui proposé aujourd’hui. Parmi eux, je me permets de citer l’ouvrage suivant, tiré de The Khalsa, une publication sikh :
Il est indéniable que la publication de l’ouvrage de M. Macauliffe marquera le début d’une nouvelle ère dans notre histoire. Nos Écritures, bien qu’écrites dans notre [p. xi] langue, ont été tellement négligées par notre peuple qu’il ne serait pas exagéré d’affirmer que 90 % de nos coreligionnaires ne les comprennent pas. La communauté éduquée en anglais ignore totalement les sublimes vérités contenues dans le Granth Sahib. Dès leur plus jeune âge, leur esprit est façonné de telle manière qu’il leur devient presque impossible de parler et d’écrire dans une autre langue que l’anglais ; et nous n’exagérons pas en affirmant qu’un grand nombre d’entre eux ont même du mal à penser dans leur langue maternelle. Dans ces conditions, une traduction anglaise de nos Écritures séduira immédiatement la communauté toujours croissante d’hommes instruits qui, par la nature même des choses, seront les maîtres de la pensée. Déjà préparés par la culture occidentale à penser et agir de manière indépendante, ils seront naturellement aptes à comprendre la catholicité des principes sikhs et prendront plaisir à diffuser largement leurs idées. De plus, une grande partie des malentendus actuels concernant l’œuvre de nos gourous et martyrs sera dissipée, et le public conscient verra de ses propres yeux la dérive des enseignements sikhs. Le commerce des traîtres parmi nous qui, pour plaire à nos voisins plus riches et plus influents, compromettent nos croyances en attribuant à nos grands hommes des pensées qu’ils n’ont jamais conçues et des actes qu’ils n’ont jamais accomplis, disparaîtra, la promiscuité des idées sikhes disparaîtra, et le Khalsa (pur) commencera une nouvelle carrière.
L’impact des enseignements sikhs sur les esprits religieux d’Europe et d’Amérique ne sera pas moins important. Le Khalsa a déjà acquis une renommée mondiale en matière de bravoure. En matière de religion également, le nom du Khalsa resplendira lorsque les actes glorieux de nos illustres ancêtres, dans le monde moral et religieux, seront largement diffusés. Les traductions des Écritures hindoues par les professeurs Max Müller, Wilson, Monier Williams et une foule d’autres éminents auteurs de religions orientales ont attiré l’attention du monde civilisé sur les hindous et leur littérature. Ces traductions ont acquis la sympathie de centaines de savants et de chercheurs de vérité religieuse. Que n’apporteront pas les traductions de nos Écritures ? Contrairement aux Écritures d’autres confessions, elles ne contiennent pas d’histoires d’amour ni de récits de guerres menées pour des considérations égoïstes. Elles renferment des vérités sublimes, dont l’étude ne peut qu’élever le lecteur spirituellement, moralement et socialement. Elles ne sont imprégnées d’aucune trace de sectarisme. Elles enseignent les principes les plus élevés et les plus purs qui unissent les hommes et inspirent au croyant l’ambition de servir ses semblables, de tout sacrifier et de mourir pour eux.
Feu Sir Baba Khem Singh, KCIE, membre du Conseil législatif, qui occupait un poste très important parmi les Sikhs, m’a écrit :
C’est une chance pour la nation sikhe d’avoir un ami comme vous, dont les idées sont naturellement favorables à son bien, et elle devrait toujours vous témoigner sa gratitude. Je suis heureux d’exprimer ma reconnaissance pour votre travail, ainsi que pour le travail et les efforts que vous avez déployés pour accomplir une tâche aussi vaste.
Le regretté Baba Sumer Singh, le Mahant ou évêque sikh de Patna, où Guru Gobind Singh est né, m’a écrit ce qui suit :
J’apprécie pleinement votre tentative de porter une attention particulière au sens plutôt qu’à la traduction mot à mot, et partout où le sens a risqué d’être absorbé dans la langue, des notes de bas de page appropriées ont été intercalées tout au long du texte.
Le regretté Bhai Hazara Singh Gyani, qui a publié un Dictionnaire du Granth Sahib, m’a écrit ce qui suit, après avoir vu des spécimens de cet ouvrage :
J’ai lu la traduction anglaise du Japji préparée par M. Macauliffe. Le traducteur semble avoir pris grand soin de respecter les interprétations traditionnelles (Sampardai arths). Je souhaite à cette entreprise un franc succès, et rien ne me fera plus plaisir que de voir cet ouvrage publié.
Ce qui suit est la traduction d’un discours qui m’a été présenté par le Singh Sabha d’Amritsar :
Nous avons été informés par des gyanis très dignes de confiance que vous étudiez nos livres sacrés depuis plus de vingt ans et que, démissionnant d’un poste important, vous avez travaillé sans relâche pendant plusieurs années à en faire une traduction exacte ; vous l’avez révisée sept fois et l’avez rendue aussi complète que possible par un effort humain ; ce faisant, vous avez non seulement investi votre précieux temps, mais aussi une somme considérable. La traduction du Dr Trumpp est non seulement généralement incorrecte, mais aussi nuisible à notre religion ; et nous avons ressenti un grand besoin d’une version exacte lorsque Akal Purukh (le Dieu immortel) vous a incité à l’entreprendre et à satisfaire nos désirs. Il aurait été préférable que nous effectuions la traduction nous-mêmes ; mais Akal Purukh vous en a accordé le mérite. Comme le saint gourou Teg Bahadur avait prédit que des hommes viendraient d’au-delà des mers pour aider les Sikhs, vous nous avez apporté une assistance mentale et physique ; Nous recommandons vivement aux membres de notre foi, qui en ont les moyens, de vous apporter toute l’aide possible pour la publication de votre ouvrage, et nous espérons que nos vœux seront exaucés. Maintenant que vous connaissez parfaitement nos coutumes, nos livres sacrés et les principes de notre religion, nous désirons que vous teniez la promesse faite dans votre lettre circulaire aux Sikhs, dans laquelle vous avez déclaré que vous n’écririez rien qui puisse porter préjudice à leur religion. Dans les vies des gourous que vous allez écrire, nous vous prions de consulter les Gur Bilas, le Suraj Parkash et d’autres ouvrages compilés à partir d’écrits anciens non corrompus par les Handalis, les disciples de Kabir et les poètes qui ont infusé des éléments étrangers à notre religion. Le Khalsa et toute la communauté sikh vous seront reconnaissants d’avoir répondu à cette demande. En conclusion, nous prions Akal Purukh de vous protéger pleinement durant votre voyage en mer et de combler vos vœux et vos désirs ; et de vous permettre de toujours soutenir et soutenir notre secte et notre foi. Nous espérons sincèrement que votre traduction de nos livres sacrés sera bientôt dans la bibliothèque de chaque véritable sikh.[1:2]
Malgré ces hommages à l’exactitude de mon ouvrage, à son utilité et à mon désir de rendre justice aux écrits sacrés des Sikhs, certains d’entre eux pourraient différer des versions que j’ai données. J’ai rencontré des soi-disant gyanis capables de réaliser des tours de force avec leur ouvrage sacré et d’en donner des interprétations différentes de presque chaque ligne. Mes lecteurs sikhs peuvent être assurés que dans cet ouvrage, toutes les interprétations rationnelles ont été prises en compte, et seules celles qui semblaient les plus adaptées au contexte et en harmonie avec les doctrines sikhes ont été retenues. Lorsque des deuxièmes et troisièmes interprétations semblaient possibles, elles ont été ajoutées en notes.
Une fois ma traduction achevée et approuvée par les prêtres et érudits sikhs les plus érudits, j’ai constaté qu’un récit des gourous, des saints et des auteurs sikhs était absolument nécessaire, et même d’une importance égale, voire supérieure, à une interprétation correcte de leurs écrits. Le regretté professeur Max Müller, illustre érudit qui avait à cœur la littérature indienne, exprimait dans son dernier ouvrage, Auld Lang Syne, son regret que le monde connaisse si peu les réformateurs sikhs. Il écrivait :
Il est regrettable que nous possédions si peu d’informations sur les premiers réformateurs sikhs. Leur livre sacré, le Granth Sahib, existe bel et bien ; il a même été traduit en anglais par feu le Dr Trumpp. Mais il s’avère aujourd’hui que ce dernier n’était en aucun cas un traducteur digne de confiance. La langue du Granth est généralement appelée « ancien panjabi » ; et on pensait qu’un érudit connaissant le panjabi moderne pourrait facilement apprendre à la comprendre telle qu’elle était il y a quatre cents ans. Or, il n’en est rien. La langue du Granth Sahib regorge de dialectes locaux et d’idiomes oubliés, à tel point qu’on a dit qu’elle était dépourvue de toute grammaire. M. Macauliffe, qui a passé de nombreuses années parmi les Sikhs et qui, avec l’aide de leurs prêtres, a accordé une grande attention à leur Granth Sahib, nous a donné quelques exemples très intéressants et magnifiques de leur poésie, qui font partie de leur livre sacré.
En parcourant les vies et les récits actuels des gourous, je les ai trouvés surchargés de détails puérils, hétérodoxes ou répugnants ; il a fallu des années d’étude et de consultation auprès d’érudits sikhs pour compléter les biographies des fondateurs de leur religion, qui ne soient pas incompatibles avec leurs écrits sacrés. Les sikhs orthodoxes qui ont lu la vie de leurs gourous dans le volumineux ouvrage hindi intitulé Suraj Parkash et dans les ouvrages panjabi récents appelés Janamsakhis, comprendront et, peut-être, me seront reconnaissants de la manière dont j’ai présenté leur religion conformément aux désirs et aux enseignements de leurs gourous.
Pour éviter tout malentendu, il convient peut-être de préciser ici que cet ouvrage se veut une présentation exacte de l’enseignement sikh.
[p. xvi]
Les gourous et les écrivains orthodoxes sont contenus dans leurs livres sacrés et ne sont en aucun cas présentés comme une représentation des superstitions dégradées et des coutumes sociales hétérodoxes des Sikhs qui ont été égarés de leur foi par des influences extérieures.
Il convient également de préciser que l’intention de l’auteur a été, conformément à sa promesse faite aux Sikhs, d’écrire cet ouvrage d’un point de vue sikh orthodoxe, sans aucune critique ni expression d’opinion personnelle. Par conséquent, les miracles reconnus par de nombreux Sikhs y seront décrits avec respect.
Une question cruciale s’est posée parmi les Sikhs : comment présenter ma traduction de leurs écrits sacrés ? Le Granth Sahib, comme nous l’avons déjà dit, est pour eux l’incarnation de leurs gourous, considérés comme une seule et même personne, la lumière de l’âme du premier gourou ayant été transmise à chacun de ses successeurs.
La lignée des gourous s’est achevée avec le dixième, Guru Gobind Singh. Il a ordonné que le Granth soit pour ses Sikhs comme les gourous vivants. En conséquence, le Granth Sahib est conservé dans des couvertures de soie et, lorsqu’il est déplacé, il est emporté sur un petit canapé par les Sikhs de bonne réputation. Nombre de mes anciens amis sikhs orthodoxes craignaient que, si ma traduction était imprimée dans l’ordre de l’original, elle ne reçoive pas le même respect et la même attention à l’étranger qu’en Inde, et ils ont donc souhaité qu’elle soit publiée sous une autre forme. Ce souhait des Sikhs les plus saints et les plus respectés est pour moi un grand soulagement, car il [p. xvii] me permet d’intercaler de nombreux hymnes sacrés dans la vie des gourous, et ainsi de présenter mon travail autant que possible sous forme narrative, ce qui, je l’espère, sera plus acceptable non seulement pour les lecteurs européens, mais même pour les lecteurs sikhs eux-mêmes.
Des sikhs compétents m’ont également conseillé de ne donner qu’une seule instruction unique lorsque le gourou traite, à diverses occasions, du même sujet et de la même teneur. Par exemple, le Granth Sahib contient quatre hymnes commençant par les mots : « À la première veille de la nuit, mon ami marchand. » Deux de ces hymnes sont de Guru Nanak, le troisième de Guru Ram Das et le quatrième de Guru Arjan. Ces hymnes commencent de la même manière, ont le même sens et ne présentent que de très légères variations de prononciation ; leur publication complète paraît donc inutile.
Il est compréhensible que l’on trouve des répétitions dans les livres sacrés de plusieurs religions, car les enseignements de leurs prophètes étaient adressés oralement aux foules rassemblées autour d’eux, et les répétitions servaient à imprégner les auditeurs de l’enseignement dispensé ; mais dans un ouvrage imprimé, que le lecteur peut parcourir et relire à son gré, la répétition ne semble pas si nécessaire. De plus, cet ouvrage est destiné aussi bien aux étudiants européens qu’aux étudiants sikhs. On craint que la répétition ne s’avère fastidieuse et ne dissuade plusieurs lecteurs, même consciencieux, de le lire.
Je constate cependant qu’il m’est impossible de satisfaire les souhaits de tous. Les Européens trouveront probablement mon travail trop long, et les Sikhs le trouveront peut-être trop court. Quant à cette dernière objection,
[p. xviii]
Je peux affirmer que j’ai suivi les conseils des plus savants érudits sikhs. Ils ont conclu qu’il n’y avait aucune omission concernant la foi ou la morale, mais que l’intégralité des écrits sacrés sikhs était présentée ici, et que si un sikh modifiait sa conduite en conséquence, il ne risquerait pas de manquer son intégration dans le Créateur ou de résider dans son paradis.
On peut énumérer ici quelques-uns des avantages de la religion sikhe pour l’État. Un jour, alors que Guru Teg Bahadur se trouvait au dernier étage de sa prison, l’empereur Aurangzeb crut le voir regarder vers le sud, en direction du zenana impérial. Il fut convoqué le lendemain et accusé de cette grave violation de l’étiquette et des convenances orientales. Le gourou répondit : « Empereur Aurangzeb, j’étais au dernier étage de ma prison, mais je ne regardais ni tes appartements privés ni tes reines. Je regardais en direction des Européens qui viennent d’au-delà des mers pour détruire tes pardas et ton empire. » Les auteurs sikhs affirment que ces mots devinrent le cri de guerre des Sikhs lors de l’assaut contre les mutins à Dihli (Delhi) en 1857, sous le commandement du général John Nicholson, et qu’ainsi la prophétie du neuvième gourou se réalisa glorieusement.
Lorsqu’on imagina au gourou Gobind Singh qu’une armée musulmane finirait par vaincre ses Sikhs, il répondit : « Ce que Dieu veut arrivera. Quand l’armée des Musulmans viendra, mes Sikhs frapperont l’acier contre l’acier. Le Khalsa s’éveillera alors et connaîtra le jeu de la bataille. Au milieu du fracas des armes, le Khalsa [p. xix] sera partenaire de la félicité présente et future, de la tranquillité, de la méditation et de la connaissance divine. Alors viendront les Anglais et, rejoints par le Khalsa, ils gouverneront aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. Le saint Baba Nanak leur accordera toutes les richesses. Les Anglais posséderont une grande puissance et, par la force des armes, s’empareront de nombreuses principautés. Les armées combinées des Anglais et des Sikhs seront très puissantes, tant qu’elles gouverneront avec des conseils unis. » L’empire britannique s’agrandira considérablement et ils connaîtront la prospérité à tous égards. Partout où ils mèneront leurs armées, ils conquériront et accorderont des trônes à leurs vassaux. Alors, dans chaque foyer, il y aura la richesse, dans chaque foyer la religion, dans chaque foyer le savoir et dans chaque foyer le bonheur.
Ce sont de telles prophéties, combinées au monothéisme, à l’absence de superstition et à la modération alimentaire, qui ont fait des Sikhs l’un des sujets les plus courageux, les plus loyaux et les plus dévoués de la Couronne britannique. Quant à leur bravoure et à leur loyauté, ce qui suit, écrit par l’un d’eux, n’est en aucun cas une exagération : « Quant à la bravoure et à l’esprit guerrier des Sikhs, aucun Cosaque, aucun Turc, aucun Russe ne peut se mesurer à eux. Il y a chez eux un trait très particulier qui doit les faire craindre aux ennemis des Britanniques. Le véritable sang de la loyauté et du dévouement à leur maître coule dans leurs veines. Un vrai Sikh laissera son corps être mis en pièces lorsqu’il combat pour son maître. Le Sikh considère la mort au combat comme un moyen de salut. Aucune supériorité numérique des ennemis, aucun coup de feu, aucun obus, ne peut faire flancher son cœur, puisque son Amrit (baptême) le lie à [p. xx] combattent seuls contre des millions de personnes. Certains diront qu’un soldat vend sa tête pour le maigre salaire mensuel. Mais le Sikh ne le fait pas : il consacre sa tête, son corps et tout ce qui lui est cher à préserver l’influence de celui dont il a fait son maître. Un Sikh qui montre le moindre signe de réticence à partir, ou qui part dans l’espoir d’une rémunération, lorsqu’il est appelé par son bienfaiteur le Roi-Empereur pour combattre les ennemis de Sa Majesté, aussi puissants soient-ils, sera condamné par les gourous.
S’il est une superstition plus fortement réprouvée que les autres dans les écrits sacrés sikhs, ce sont les pèlerinages vers les lieux considérés comme sacrés par les hindous. Certains États sikhs, ignorant les enseignements des gourous, ont entretenu des temples et des lieux spirituels à Hardwar et Rikhikesh pour l’accueil des pèlerins. À Hardwar se tiennent de grandes foires religieuses tous les douze ans, au moment où le soleil entre dans la demeure lunaire du Verseau (Kumbh). On estime qu’au moins cent mille Sikhs étaient présents à la dernière grande foire de Hardwar. Tous ces pèlerins se baignent dans le Gange ; en se baignant, beaucoup cèdent imprudemment aux nécessités de la nature ; d’autres boivent leurs excréments avec l’eau du Gange comme nourriture sacrée et meurent du choléra, soit à la foire, soit sur le chemin du retour. Les cadavres de Sikhs, comme d’Hindous, furent exhumés des wagons de chemin de fer après la dernière foire de douze ans et empoisonnèrent le pays. Le fléau s’est ensuite propagé d’est en ouest dans toutes les directions. Kaboul, à la frontière occidentale de l’Inde, a été rapidement touchée, et la progression de la maladie vers l’Europe a été ainsi décrite par le correspondant parisien du Morning Post :
Le professeur Chantemesse, directeur général du département de santé publique, a fait une déclaration quelque peu inquiétante lors de la réunion de l’Académie de médecine d’aujourd’hui. Il a souligné que l’épidémie de choléra, originaire d’Inde et propagée d’est en ouest, s’était déclarée l’automne dernier dans quatre centres européens, à savoir la Transcaspie, la Transcaucasie, l’Anatolie et les rives de la Volga entre Astrakhan, Saratov et Samara. Le froid hivernal ayant simplement enrayé la maladie au lieu de l’éradiquer, il y avait tout lieu de craindre qu’elle ne poursuive sa progression vers l’ouest, via les ports de la Baltique, la mer Noire, le Danube ou Constantinople. Selon un autre récit, « sept mille décès dus au choléra ont eu lieu au Pendjab depuis la deuxième semaine d’avril. La maladie a été initialement propagée par les pèlerins de retour de Hardwar. »
Bien sûr, il y avait aussi de nombreux pèlerins hindous à la foire de Hardwar, mais que chacun considère quel gain ce serait pour le monde si les cent mille Sikhs[1:3] qui y assistaient possédaient une connaissance si élémentaire de leur religion qu’ils savaient que leur action était réprouvée par tous leurs saints gourous.
Chaque Sikh sait que le tabac est interdit par sa religion, mais on ignore généralement que le vin est également interdit. Après avoir cité les principes sikhs sur ce sujet lors de conférences publiques à Simla, le Singli Sabha de Patiala, un organe éclairé, a repris ce sujet ; et une résolution en faveur de l’abstinence totale a été signée par plusieurs des Sardars les plus instruits et les plus influents de l’État.
[p. xxii]
La liberté des femmes et leur émancipation de la tyrannie du parda peuvent être déduites de la manière dont Bhai Budha a reçu Mata[1:4] Ganga, l’épouse de Guru Arjan, du refus de Guru Amar Das de recevoir une rani qui lui avait rendu visite alors qu’elle était étroitement voilée, et de l’adresse de Kabir à sa belle-fille.
Les enseignements moraux élevés et éclairés des Gurus, leur interdiction du crime odieux de l’infanticide et d’autres injonctions pour l’intérêt public seront trouvés ou compris à partir de la composition des Gurus et des Bhagats que nous donnons dans ces volumes.
La pratique hindoue de la consumation des veuves était interdite par les gourous ; bien que cela n’était généralement pas connu à l’époque de Lord William Bentinck, qui a eu le courage d’émettre une ordonnance contre cela.
Les gourous ont attaqué avec la plus grande force et le plus grand succès le système des castes et la croyance hindoue en l’impureté et la souillure dans de nombreux actes nécessaires et inoffensifs de la vie domestique.
Il est admis que la connaissance des religions du peuple indien est un impératif pour les fonctionnaires britanniques qui administrent les affaires indiennes et, indirectement, pour les populations qu’ils gouvernent, afin de favoriser une sympathie mutuelle. Il semble, en tout cas, politique de présenter aux soldats sikhs les prophéties de leur gourou en faveur des Anglais et les textes de leurs écrits sacrés qui favorisent leur loyauté.
On espère également que cet ouvrage apportera un bénéfice d’ordre littéraire ou historique. On espère qu’il éclairera l’état de la société au Moyen Âge et qu’il sera également utile à l’étudiant en théologie comparée. Le professeur Geheimer Hofrath Merx, de l’université de Heidelberg, éminent savant allemand, m’a récemment écrit : « La publication de votre ouvrage est assurément très souhaitable. Vous sauvez ainsi des matériaux pour l’histoire des religions qui, sans votre aide, disparaîtraient probablement. »
Pour résumer certains des mérites moraux et politiques de la religion sikh : elle interdit l’idolâtrie, l’hypocrisie, l’exclusivité des castes, la consummation des veuves, l’emmurement des femmes, l’usage du vin et d’autres substances intoxicantes, le tabagisme, l’infanticide, la calomnie, les pèlerinages aux rivières et aux réservoirs sacrés des hindous ; et elle inculque la loyauté, la gratitude pour toutes les faveurs reçues, la philanthropie, la justice, l’impartialité, la vérité, l’honnêteté et toutes les vertus morales et domestiques connues des citoyens les plus saints de tout pays.
Un mouvement visant à déclarer les Sikhs hindous, en opposition directe à l’enseignement des gourous, est répandu et de longue date. J’ai rencontré récemment à Lahore des jeunes hommes se réclamant des gourous, qui m’ont dit être hindous et ne pas savoir lire les caractères des livres sacrés des Sikhs. Que l’objectif de leurs tuteurs et conseillers ait été ou non de les rendre déloyaux, ces jeunes ignorent la religion sikhe et ses prophéties en faveur des Anglais. Ils contractent des coutumes et des préjugés sociaux exclusifs au point de nous traiter de Malechhas, ou de personnes aux désirs impurs, et d’inspirer le dégoût pour les coutumes et les habitudes des chrétiens.
Permettez-moi de souligner ici que la reconnaissance du pendjabi comme langue officielle ou facultative au Pendjab, en remplacement de l’ourdou, une langue étrangère, constituerait un moyen très efficace de préserver la religion sikh. Le pendjabi est la langue maternelle de tous les natifs du Pendjab, qu’ils soient sikhs, hindous ou musulmans. S’il était reconnu comme langue officielle ou facultative, les sikhs n’auraient pas besoin de recourir à des livres écrits en langues étrangères pour leur instruction et leur réconfort religieux, et l’enseignement moral exalté du Granth Sahib serait accessible à toutes les catégories de sujets de Sa Majesté au Pendjab.
Après l’occupation anglaise du Pendjab, les officiers envoyés pour l’administrer furent transférés de ce qu’on appelait alors les provinces du Nord-Ouest. Ils emportèrent avec eux l’ourdou, ou ce qui était à peu près la même chose – un persan bâtard avec des inflexions ourdoues – la seule langue asiatique qu’ils connaissaient, et ils trouvèrent plus pratique de continuer à l’utiliser que d’apprendre une langue étrangère qui, à l’époque, n’avait ni statut ni littérature. Les écrivains vernaculaires et les officiers qui les avaient amenés ignoraient également le pendjabi, et l’ourdou devint ainsi la langue officielle de cette province. Que les fonctionnaires ne comprennent pas les autochtones, ni les autochtones les fonctionnaires, n’y changea rien. Les fonctionnaires de la cour apprirent progressivement quelques notions de pendjabi et furent capables d’interpréter pour les Européens. Cet état de choses fut laissé perdurer. Si les Pendjabis protestèrent contre la négligence de leur langue, leurs remontrances [p. xxv] restèrent lettre morte. Le Pendjab est désormais plus éclairé, les protestations se font plus fortes, et il reste à voir si un lieutenant-gouverneur prendra la peine ou aura le courage de faire du pendjabi une langue alternative au Pendjab, et ainsi accorder une faveur durable non seulement aux Sikhs, mais à tous les autochtones du Pays des Cinq Rivières, dont c’est le moyen de communication depuis leur naissance. Quoi qu’il en soit, rien ne semble empêcher les États autochtones du Pendjab de faire du pendjabi leur langue officielle.
De nos jours, l’un des principaux moyens de préserver la religion sikhe a été la pratique des officiers commandant les régiments sikhs d’envoyer leurs recrues sikhes recevoir le baptême selon les rites prescrits par Guru Gobind Singh, et de s’efforcer de les préserver, dans leur carrière ultérieure, de la contagion de l’idolâtrie. Ignorant ou méprisant ainsi les contraintes imposées par la politique civile de « neutralité religieuse », les militaires sont devenus pratiquement les principaux hiérophantes et gardiens de la religion sikhe.
J’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie à obtenir des détails sur la vie des Bhagats, ou saints indiens, qui ont précédé les gourous et dont les écrits sont inclus dans le Granth Sahib, mais je n’y suis pas entièrement parvenu. Je serai très reconnaissant à quiconque pourra compléter mes informations à leur sujet.
Les hymnes des Bhagats diffèrent parfois de ceux conservés dans les recueils hindi et marathi de compositions des saints dans d’autres régions de l’Inde. Ils ont été recueillis par Guru Arjan auprès de ménestrels errants ou de disciples des saints.
[p. xxvi]
On trouve des idées et des expressions parallèles à celles des gourous et des Bhagats dans la littérature ancienne et moderne, sacrée et profane, et elles pourraient être largement citées. Seules quelques comparaisons, venues à l’esprit de l’auteur au moment de la rédaction, sont présentées dans les notes de cet ouvrage. Elles visent à démontrer la catholicité des enseignements des gourous et peuvent aussi, à l’occasion, alléger la lecture fastidieuse.
Les auteurs des Janamsakhis ne disposaient d’aucune carte pour les guider et, par conséquent, assignaient parfois aux gourous, notamment à Guru Nanak, des itinéraires impossibles. C’est pourquoi, dans cet ouvrage, nous nous sommes efforcés de réviser les voyages des gourous et de les rendre conformes à la géographie scientifique indienne. Si des sikhs érudits, après mûre réflexion lors d’un conseil général, préparent des cartes des voyages des gourous, elles seront insérées dans toute édition ultérieure de cet ouvrage. De même, si des sikhs érudits considèrent leurs propres récits des gourous, l’ordre de leurs hymnes, ou leurs propres versions de mots ou de phrases dans leurs compositions comme supérieurs à ceux des gyanis et aux miens, nous serions heureux de recevoir leurs suggestions.
S.S. Sir Hira Singh, Malvendar Bahadur, Raja de Nabha, a fait graver, à grands frais, en notation européenne les trente et un râgs indiens, ou mesures musicales, sur lesquels furent composés les hymnes des gourous, par un musicien professionnel qu’il avait engagé à cet effet. Ces râgs tombaient dans l’oubli et ont été recueillis avec beaucoup de difficulté par Mahant Gaja Singh, le plus grand ménestrel sikh. On les trouvera à la fin du cinquième volume de cet ouvrage. Bien qu’ils puissent paraître étranges aux oreilles européennes, ils seront appréciés par les Sikhs et par de nombreux amateurs d’art européens qui regrettent la perte de la musique sur laquelle étaient chantés les Odes de Pindare et de Sapho et les exercices choraux des tragédiens grecs.
On y trouve également des photos des gourous, autant que possible, de célèbres temples sikhs et de quelques scènes mémorables de l’histoire sikhe. Ces images ont été préparées par Bhai Lal Singh sous les auspices de l’honorable Tikka Ripudaman Singh, jeune héritier du Nabha gadi.
Les dépenses liées à la production de cet ouvrage, fruit de nombreuses années de travail et réalisé avec l’aide, pendant de longues périodes, d’une importante équipe d’érudits sikhs et de copistes anglais et vernaculaires, ont été considérables. Je suis redevable à Son Altesse le Raja de Nabha, à Son Altesse Sir Rajindar Singh, au regretté Maharaja de Patiala, à Son Altesse Raja Ranbir Singh, Raja de Jind, au Tikka Sahib de Nabha, et à feu Sardar Ranjit Singh de Chichrauli, pour en avoir financé une partie. Son Altesse le Gaekwar de Baroda a promis son patronage après la publication de l’ouvrage.
Plusieurs personnes ont recommandé cet ouvrage au gouvernement indien et au secrétaire d’État pour l’Inde. L’éminent érudit, le comte Angelo de Gubernatis, président du Congrès romain des orientalistes, s’adressa ainsi au secrétaire d’État pour l’Inde dans une lettre datée du 19 octobre 1899 :
Dans l’inérêt de la science, je prends la liberté de vous signaler fort particulièrement à votre attention la [p. xxviii] proposition de M. Macauliffe, accueillie avec tant d’intérêt et si chaleureusement recommandée par l’Assemblée Générale du XIIme Congrès des Orientalistes, dans sa séance du 8 octobre, pour édition et illustration critique des textes de la religion des Sikhs. Tout ce que l’India Office décidera en faveur de cette noble entreprise ne pourra être que très méritoire. Et à ce titre, j’ose recommander vivement à la protection de l’India Office les recherches intéressantes de M. Macauliffe sur les textes canoniques des Sikhs du Panjab.
La lettre du comte de Gubernatis portait sur les débats suivants du Congrès romain :
L. von Schroeder, Professeur de Sanskrit à l’Université de Vienne, estime qu’il serait très désirable de posséder une traduction des vies sacrées des Sikhs, telle que M. Macauliffe en a conçu le plan et préparé 1’exécution, traduction dans laquelle se trouverait incorporée et utilisée la tradition orale des Sikhs eux-mêmes qui menacent de disparaître rapidement. Il recommande instamment 1’entreprise de M. Macauliffe à l’appui matériel tant du Gouvernement de l’Inde que des chefs Sikhs. Cet appui a été autrefois généreusement accordé à la tentative de mérite mais insuffisant du Dr Trumpp; il peut seul assurer le succès d’une œuvre aussi considérable et aussi coûteuse.
M. Émile Sénart, membre de l’Institut de France, et vice-président de la Société Asiatique à Paris, a son tour, demande à appuyer la proposition faite par M. von Schroeder, et prie la réunion de recommander instamment à l’appui, soit du Gouvernement de l’Inde, soit des chefs Sikhs, l’entreprise de M. Macauliffe. Il insiste sur l’intérêt spécial que présente dans l’histoire religieuse de l’Inde le développement de la religion des Sikhs, la seule qui y avait pris l’allure militante et guerrière qui ne semblait pas faire prévoir ses débuts. Le plus essentiel de la traduction projetée sera dans cette circonstance, qu’elle préservera d’une perte menaçante la tradition orale et l’interprétation orthodoxe. Nulle part la tradition n’a plus d’importance [p. xxix] que dans une doctrine comme celle-ci, qui est voilée d’un syncrétisme compliqué, et dont l’originalité spéculative n’a pu se dégager que peu à peu.
Lord Reay, président de la Royal Asiatic Society, un noble qui ne manque jamais d’initiatives bienveillantes ou philanthropiques, a fortement recommandé mon travail à la considération favorable du lieutenant-gouverneur du Panjab.
M. LW Dane (aujourd’hui Sir Louis W. Dane, lieutenant-gouverneur du Panjab) a toujours adopté une attitude sympathique envers mes travaux et, dans la mesure de ses moyens, a contribué à les mener à une conclusion heureuse.
Et Lord Kitchener de Khartoum, après avoir présidé ma conférence publique sur « Comment les Sikhs sont devenus un peuple militant », s’est exprimé ainsi :
M. Macauliffe doit être très satisfait que l’Amritsar Singh Sabha ait reconnu ses traductions comme parfaitement exactes. Nous pouvons affirmer avec certitude qu’en mettant à notre portée l’étude des écrits sacrés sikhs, M. Macauliffe a gagné l’approbation de tous ceux qui connaissent la grande valeur du soldat sikh, la reconnaissance cordiale des dirigeants du pays et la gratitude des chefs, des sardars et des membres de la communauté sikhe. Ce sentiment de gratitude sera, j’en suis sûr, encore accru lorsque M. Macauliffe aura traduit les écrits sacrés en pendjabi courant, une tâche qu’il s’apprête, si j’ai bien compris, à entreprendre et qui, je l’espère, permettra leur diffusion générale dans tous les foyers sikhs du pays.
Pour l’aide littéraire, je dois reconnaître ma dette à Sardar Kahn Singh de Nabha, l’un des plus grands érudits et des auteurs les plus distingués parmi les Sikhs, qui, sur ordre du Raja [p. xxx] de Nabha, m’a accompagné en Europe pour aider à la publication de cet ouvrage et à la lecture des épreuves de celui-ci ; à Diwan Lila Ram Watan Mal, un juge subalterne du Sind ; à feu Bhai Shankar Dayal de Faizabad ; à Bhai Hazara Singh et Bhai Sardul Singh d’Amritsar, à feu Bhai Dit Singh de Lahore, à feu Bhai Bhagwan Singh de Patiala, et à de nombreux autres érudits sikhs pour l’aide intelligente qu’ils m’ont apportée.
Dans ma traduction des écrits sacrés sikhs, j’utilise volontiers le subjonctif, qui disparaît rapidement de la langue anglaise. J’ai employé la forme solennelle de la troisième personne du singulier du présent pour des raisons évidentes. Mes lecteurs sikhs apprendront facilement que cette forme n’est plus utilisée dans la conversation ni dans la prose courante. J’ai évité la nomenclature arbitraire inventée par les érudits européens, comme « brahmanisme », un mot qui n’est pas utilisé en Inde ; « self » pour âme ou conscience, etc.
Les gourous sikhs étaient des hommes simples qui choisissaient généralement un langage familier pour exprimer leurs idées, évitant les mots savants et les subtilités métaphysiques. C’est pourquoi, dans ma traduction, je me suis efforcé d’utiliser le langage simple que je crois avoir été voulu par eux et les réformateurs qui les ont précédés. Mon objectif était d’interpréter les livres sacrés des sikhs, en respectant ce que je considère comme une nécessaire solennité formelle, dans le langage courant de l’époque, et sans chercher à produire des expressions nouvelles ou surprenantes. Cependant, mes efforts pour utiliser un langage simple ne peuvent prétendre à un succès total. Les idées des gourous, et en particulier leurs épithètes du Créateur, ne peuvent pas toujours être traduites sans [p. xxxi] périphrases complexes dans des mots anglo-saxons d’usage courant. On trouve souvent des mots et expressions quelque peu analogues, mais ils ne traduisent pas précisément le sens voulu par les auteurs sacrés sikhs.
Les archaïsmes, bien que jugés nécessaires par les poètes et contribuant souvent à l’ornementation du style, j’ai fait tout mon possible pour les éviter. J’espère ainsi que mon livre sera plus utile aux Sikhs et les aidera à se familiariser avec la langue anglaise.
J’ai orthographié les noms propres indiens tels qu’ils s’écrivent et se prononcent actuellement en Inde, et non tels qu’ils s’écrivaient et se prononçaient à l’époque sanskrite. En cela, je ne fais que suivre l’usage de toutes les langues modernes. Personne n’appellerait aujourd’hui Londres Londinium, Marseille Massilia ou Naples Neapolis. Je ne peux pas non plus adopter l’orthographe des mots orientaux qui a été adoptée ici, soi-disant à l’usage des érudits continentaux, ce qui conduit à écrire sh en s, ç ou s ; j, g ; ch, k, etc. Une telle orthographe est répulsive pour beaucoup, et elle est difficilement nécessaire aux érudits orientaux de quelque pays que ce soit. Il m’a semblé impossible de représenter les différents n, t, r et s des langues indiennes, et cela ne serait d’ailleurs pas utile à mon travail, car ils sont souvent confondus dans la littérature sikh. L’orthographe des mots anglais est celle acceptée par Clarendon Press.
Dans les langues et dialectes que nous avons étudiés, il n’existe pas de e court correspondant au e de bed, ni de o court correspondant au o de not. Par conséquent, chaque fois que les voyelles e et o apparaissent dans les noms indiens de cet ouvrage, elles sont toujours longues. E se prononce toujours comme dans eh ou comme le français é. O se prononce toujours comme dans note. La voyelle i peut être longue ou brève. Elle est toujours longue à la fin d’un mot indien et se prononce alors comme le double e anglais (ee). Lorsqu’elle est longue dans le corps des mots indiens trouvés dans les notes, elle est marquée d’un makron {ici circonflexe}, ainsi î. La voyelle a peut également être brève ou longue. Lorsqu’il est long dans les mots indiens des notes, il est couronné d’un makron (qui est également un accent circonflexe), ainsi â. Le a final des mots indiens peut généralement être considéré comme court, comme le a de sofa. Dans le texte, afin de ne pas distraire le lecteur, les signes diacritiques sont rarement utilisés.
S’agissant essentiellement d’un ouvrage sur la religion sikh, nous avons commencé par Guru Nanak ; mais si le lecteur souhaite suivre l’évolution historique de la réforme sikh, il lui sera conseillé de commencer par le sixième volume. Telle était probablement l’intention de Guru Arjan lui-même, car sinon il n’aurait pas pu inclure dans sa compilation des hymnes totalement opposés aux principes et doctrines de ses prédécesseurs.
L’auteur estime que son œuvre souffre d’un désavantage particulier : les érudits européens et américains sont difficilement en mesure de critiquer sur le fond la traduction d’hymnes composés dans des dialectes qui ne peuvent être appris en Inde que par les rares représentants de la foi sikhe encore vivants. Les érudits européens et américains n’ont pas non plus eu l’occasion de parcourir les œuvres indiennes qui constituent la base de la vie des gourous et des saints qui les ont précédés. La difficulté et l’ampleur du travail de l’auteur sont donc incompréhensibles.
[p. xxxii]
On estime qu’une œuvre de cette nature ne peut être rééditée. À aucune époque, elle n’aurait pu être réalisée hors de l’Inde, faute d’assistance spécialisée. En Inde, même dans les conditions les plus favorables, et lorsqu’un étudiant avait acquis la connaissance de certaines langues et dialectes indiens, la traduction des livres sacrés des Sikhs et la compilation de la vie de leurs gourous et saints hommes demandaient des années de travail. Personne au service du gouvernement indien ne pouvait trouver le loisir de l’accomplir ; et peu d’Européens, après leur retraite du service indien, se soucieraient de passer de longues années et une vie solitaire en Inde, à se débattre avec les dialectes indiens médiévaux et à se soumettre aux caprices des gyanis ; mais même si de tels martyrs de la science étaient trouvés, ils ne pourraient obtenir l’aide nécessaire, car les principaux interprètes des livres sacrés des Sikhs auraient disparu avec cette génération et, faute de soutien, il n’y aurait plus personne pour les remplacer. Ce fait aussi rendrait bientôt un Sikh, même s’il connaissait parfaitement la langue anglaise et possédait suffisamment de ressources et d’industrie, incapable de produire un ouvrage faisant autorité et exhaustif dans notre langue sur sa religion.
Le prédicateur d’autrefois disait qu’« il n’y a pas de fin à la création de nombreux livres ». Au cours du siècle dernier, leur publication a augmenté de façon exponentielle, et prodigieux doit être le nombre de ceux qui se retrouvent dans les rues et les boutiques vendant des « quicquid chartis anticitur ineptis ». L’auteur espère sincèrement que cet ouvrage, qui contient un compte rendu de la dernière grande religion du monde [p. xxxiv] encore à exploiter, échappera au sort général. En même temps, un coup d’œil sur les étagères de n’importe quelle grande bibliothèque suffit à convaincre un écrivain de la vanité de la plupart des travaux littéraires, si tant est que l’amour de la gloire lui soit plus cher que celui de son sujet. Les volumes flous et vétustes, richement enluminés et reliés, que personne ne consulte plus aujourd’hui, ont souvent été produits au prix d’années de labeur – que dis-je, de santé, voire de vie – et demeurent aujourd’hui de tristes monuments de la fugacité de la gloire et de la futilité fréquente des efforts humains. Mais il existe un sort encore pire : l’opprobre si souvent infligé aux auteurs, au lieu de la récompense légitime d’une vie de travail acharné consacrée à la recherche littéraire ou scientifique. Même dans des circonstances favorables, l’auteur d’une œuvre aussi élaborée, dont la production a occupé plusieurs années de sa vie, ne peut pas toujours espérer une récompense, même temporaire, sous la forme de l’approbation de ceux qui lui sont chers, de ceux à qui il souhaite plaire ; car soit leur âge est arrivé à son terme, soit la séparation et des intérêts divers ont émoussé le sentiment de plaisir mutuel qui résulterait de son succès.
MAX ARTHUR MACAULIFFE.
CLUB DES SOCIÉTÉS ROYALES,
LONDRES.
[p. xxxv]
[1:5] : Sûrai Prakâsh, Râs III.