Le Tao dans son aspect transcendantal et dans sa manifestation physique | Page de titre | La doctrine de l'inaction |
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La bonté suprême est comme l’eau, car elle est excellente pour le bien de toutes choses, et elle ne lutte pas. Elle occupe la place la plus basse, que les hommes abhorrent. C’est pourquoi elle est proche du Tao.
Lorsque votre travail est terminé et que vous avez atteint la gloire, retirez-vous alors dans l’arrière-plan ; car telle est la voie du Ciel.
Ceux qui suivent la Voie ne désirent pas l’excès ; et ainsi, sans excès, ils sont à jamais exemptés du changement.
Toutes choses accomplissent leur œuvre, puis nous les voyons s’éteindre. Lorsqu’elles ont atteint leur apogée, chacune retourne à son origine. Retourner à son origine signifie le repos ou l’accomplissement du destin. Ce retour est une loi éternelle. Connaître cette loi, c’est être éclairé. L’ignorer est misère et calamité. Celui qui connaît la loi éternelle est libéral. Étant libéral, il est juste. Étant juste, il est royal. Étant royal, il est apparenté au Ciel. Étant apparenté au Ciel, il possède le Tao. Possédant le Tao, il perdure à jamais. Même si son corps périt, il ne subit aucun mal.
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Celui qui agit en accord avec le Tao ne fait qu’un avec le Tao. Celui qui suit le chemin de la Vertu ne fait qu’un avec la Vertu. Celui qui poursuit la voie du Vice ne fait qu’un avec le Vice. Celui qui ne fait qu’un avec le Tao est heureux de recevoir. Celui qui ne fait qu’un avec la Vertu est heureux de recevoir. Celui qui ne fait qu’un avec le Vice est heureux de recevoir.
Celui qui se vante ne brille pas. Celui qui se vante n’a aucun mérite. Celui qui s’exalte ne s’élève pas. Jugé selon le Tao, il est comme un reste de nourriture ou une tumeur sur le corps – un objet de dégoût universel. Par conséquent, celui qui possède le Tao ne fréquentera pas de telles personnes.
La vertu parfaite n’acquiert rien ; elle obtient donc tout. La vertu parfaite ne fait rien, et pourtant il n’est rien qu’elle n’accomplisse. La charité parfaite opère sans qu’il soit nécessaire de la susciter. Le devoir parfait envers le prochain opère, mais il a toujours besoin d’être évoqué. La cérémonie parfaite opère, et n’appelle aucune réaction extérieure ; elle suscite néanmoins le respect. [1]
Les cérémonies sont l’expression extérieure des sentiments intérieurs.
Si le Tao périt, alors la Vertu périra ; si la Vertu périt, alors la Charité périra ; si la Charité périt, alors le Devoir envers son prochain périra ; si le Devoir envers son prochain périt, alors les Cérémonies périront.
Les cérémonies ne sont que le vernis de la loyauté et de la bonne foi, et sont souvent source de désordre. La connaissance des choses extérieures n’est qu’un ornement ostentatoire du Tao, et est souvent le début de l’imbécillité.
C’est pourquoi le véritable grand homme s’appuie sur le solide et non sur le superficiel ; sur le réel et non sur l’ornemental. Il rejette ce dernier en faveur du premier.
Lorsqu’un érudit supérieur entend parler du Tao, il le pratique avec diligence. Lorsqu’un érudit moyen entend parler du Tao, il le retient parfois, parfois le perd. Lorsqu’un érudit inférieur entend parler du Tao, il en rit bruyamment. S’il n’était pas ainsi ridiculisé, il ne mériterait pas le nom de Tao.
Celui qui est éclairé par le Tao semble enveloppé de ténèbres. Celui qui est avancé dans le Tao semble reculer. Celui qui marche avec aisance dans le Tao semble s’engager sur un chemin difficile.
L’homme le plus vertueux paraît humble. Celui qui est véritablement pur se comporte comme s’il était souillé. Celui qui abonde en vertu se comporte comme si elle ne suffisait pas. Celui qui est ferme dans sa vertu paraît un imposteur sournois. Celui qui est simple et vrai paraît instable comme l’eau.
Si le Tao prévaut sur terre, les chevaux seront utilisés à des fins agricoles. Si le Tao ne prévaut pas, les chevaux de guerre seront élevés sur la terre.
Si nous avions suffisamment de connaissances pour marcher dans la Grande Voie, ce que nous devrions le plus craindre serait l’étalage de vantardise.
La Grande Route est très douce, mais les gens aiment les sentiers secondaires.
Là où les palais sont très splendides, là les [ p. 27 ] champs seront très désolés et les greniers très vides.
Le port de robes brodées de couleurs vives, le port d’épées tranchantes, la méticulosité dans la nourriture et la boisson, la surabondance de biens et de richesses : c’est ce que j’appelle un vol ostentatoire ; ce n’est assurément pas du Tao.
Celui qui se fie à sa grande vertu naturelle est comme un enfant qui vient de naître, que les reptiles venimeux ne piquent pas, que les bêtes sauvages ne saisissent pas, que les oiseaux de proie ne dévorent pas. Ses os sont fragiles, ses tendons sont mous, mais sa prise est ferme. Il crie toute la journée sans que sa voix ne s’enroue. C’est parce que son organisme est en parfaite harmonie.
Tempérez votre acuité, démêlez vos idées, modérez votre génie, vivez en harmonie avec votre âge. C’est être en conformité avec le principe du Tao. Un tel homme est insensible à la faveur comme à la disgrâce, aux bienfaits comme aux préjudices, à l’honneur comme au mépris. C’est pourquoi il est estimé au-dessus de toute l’humanité.
Pour gouverner les hommes et servir le Ciel, rien ne vaut la modération. Car seule la modération permet un retour rapide à l’état normal de l’homme. Ce retour rapide équivaut à une grande réserve de Vertu. Avec une grande réserve de Vertu, rien n’est impossible. S’il n’y a rien qui ne puisse être atteint, nul ne saura jusqu’où s’étend ce pouvoir. Et si nul ne sait jusqu’où s’étend le pouvoir d’un homme, cet homme est apte à diriger un État. Ayant le secret du pouvoir, son pouvoir perdurera. Enfoncer profondément la racine pivotante et [ p. 28 ] raffermir les racines qui s’étendent : voilà le moyen d’assurer une longue vie à l’arbre.
Le Tao est le sanctuaire où toutes choses trouvent refuge, le trésor inestimable de l’homme bon, le gardien et le sauveur de celui qui n’est pas bon.
Ainsi, lors de l’intronisation d’un empereur et de la nomination de ses trois ministres ducaux, même s’il y en a qui apportent des présents de jade coûteux et conduisent des chars avec des attelages de quatre chevaux, cela n’est pas aussi bien que de rester assis sans rien faire et d’offrir le don de ce Tao.
Pourquoi les hommes d’autrefois tenaient-ils ce Tao en si haute estime ? N’est-ce pas parce qu’on peut le chercher et le trouver chaque jour, et qu’il peut remettre les péchés des coupables ? C’est donc la chose la plus précieuse sous le Ciel.
Tout le monde dit que mon Tao est grand, mais différent des autres enseignements. C’est précisément parce qu’il est grand qu’il apparaît différent des autres enseignements. S’il avait eu cette ressemblance, sa petitesse aurait été reconnue depuis longtemps.
Les philosophes habiles de l’Antiquité étaient subtils, spirituels, profonds et pénétrants. Leur profondeur était incompréhensible. Parce qu’ils sont difficiles à saisir, je vais m’efforcer de les décrire.
Ils étaient timides, comme quelqu’un traversant un ruisseau à gué en hiver. Prudents, comme quelqu’un qui craint une attaque d’où qu’elle vienne. Circonspects, comme un hôte inconnu ; effacés, comme de la glace sur le point de fondre ; simples, comme du bois brut ; vides, comme une vallée ; opaques, comme une eau boueuse.
Lorsqu’on conclut un accord après une grande querelle, il est inévitable qu’un certain ressentiment subsiste. Comment y remédier ? Ainsi, après avoir conclu un accord, le Sage s’en tient à ses obligations, [2] mais n’exige pas d’autrui qu’elles soient respectées. L’homme vertueux respecte l’esprit du pacte ; l’homme dépourvu de vertu ne se préoccupe que de ses propres revendications.
Celui qui tente de gouverner un royaume par sa sagacité en est le spoliateur ; mais celui qui ne gouverne pas avec sa sagacité en est le bienfaiteur. Celui qui comprend ces deux dictons peut être considéré comme un modèle. Garder ce principe constamment présent à l’esprit s’appelle la Vertu Profonde. La Vertu Profonde est insondable, d’une portée considérable, paradoxale au premier abord, mais se révèle ensuite parfaitement conforme à la Nature.
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25:* Han Fei Tzŭ explique le passage en soulignant que « La vertu est l’accomplissement du Tao ; la charité est la gloire de la vertu ; le devoir est la traduction en action de la charité ; et la cérémonie est la partie ornementale du devoir. » ↩︎
29:* Littéralement, « il détient la partie gauche de l’accord. » Autrefois, les termes d’un contrat étaient inscrits sur une tablette de bois, le débit ou les obligations étant à gauche, et le crédit ou les cotisations à droite ; elle était ensuite rompue en deux, et chacune des parties contractantes gardait sa propre moitié jusqu’à ce que l’exécution soit exigée, lorsque la validité de la réclamation était testée en assemblant les deux moitiés. ↩︎