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Le Tao, exprimable par des mots, n’est pas le Tao éternel ; le nom prononçable n’est pas son nom éternel. Sans nom, il est le Commencement du Ciel et de la Terre ; avec un nom, il est la Mère de toutes choses. Seul celui qui est éternellement libéré des passions terrestres peut saisir son essence spirituelle ; celui qui est constamment obstrué par les passions ne peut en voir que la forme extérieure. Ces deux choses, le spirituel et le matériel, bien que nous les appelions par des noms différents, sont, à leur origine, une seule et même chose. Cette similitude est un mystère, le mystère des mystères. C’est la porte de toute spiritualité.
Combien insondable est le Tao ! Il semble être l’ancêtre de toutes choses. Combien pur et clair est le Tao ! Il semble éternel. J’ignore de qui il est issu. Il semble avoir été antérieur à tout pouvoir souverain. [1]
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Le Tao échappe à la vue et est donc qualifié d’incolore. Il échappe à l’ouïe et est donc qualifié d’insonore. Il échappe au toucher et est donc qualifié d’incorporel. Ces trois qualités sont insaisissables et peuvent donc se fondre en une seule unité.
Sa partie supérieure n’est ni lumineuse, ni sa partie inférieure obscure. Incessante en action, elle ne peut être nommée, mais retourne au néant. On peut l’appeler la forme de l’informe, l’image de l’inimage, l’éphémère et l’indéterminable. Si vous la devanciez, vous ne pourriez voir son visage ; si vous la devanciez, vous ne pourriez voir son dos.
Les manifestations les plus puissantes de la force active découlent uniquement du Tao.
Le Tao en lui-même est vague, impalpable – combien impalpable, combien vague ! Pourtant, en lui réside la Forme. Combien vague, combien impalpable ! Pourtant, en lui réside la Substance. Combien profond, combien obscur ! Pourtant, en lui réside un Principe Vital. Ce principe est la Quintessence de la Réalité, et de lui naît la Vérité.
Depuis toujours, son nom n’a jamais disparu. Il veille sur le commencement de toutes choses. Comment puis-je savoir cela à propos du commencement des choses ? Par le Tao.
Il existe quelque chose, chaotique et pourtant complet, qui existait avant le Ciel et la Terre. Oh, comme il est immobile et informe, seul et immuable, s’étendant partout sans subir de dommage ! Il faut le considérer comme la Mère de l’Univers. Je ne connais pas son nom. Pour le désigner, je l’appelle Tao. Pour le décrire, je l’appelle Grand. [ p. 21 ] Étant grand, il passe ; en passant, il devient lointain ; devenu lointain, il revient.
C’est pourquoi le Tao est grand ; le Ciel est grand ; la Terre est grande ; et le Souverain est grand aussi. Dans l’Univers, il y a quatre puissances, dont le Souverain. L’homme tire sa loi de la Terre ; la Terre tire sa loi du Ciel ; le Ciel tire sa loi du Tao ; mais la loi du Tao est sa propre spontanéité.
Le Tao, dans son aspect immuable, n’a pas de nom. Aussi petit soit-il dans sa simplicité primordiale, l’humanité n’ose pas réclamer son adoration. Si princes et rois pouvaient le conserver, toute la création lui rendrait spontanément hommage. Ciel et Terre s’uniraient pour faire descendre une douce rosée, et les hommes seraient vertueux, spontanément et de leur propre chef.
Dès que le Tao crée l’ordre, celui-ci devient nommable. Une fois qu’il aura un nom, les hommes sauront s’y reposer. Sachant s’y reposer, ils ne courront aucun risque de préjudice.
Le Tao tel qu’il existe dans le monde est comme les grands fleuves et les mers qui reçoivent les courants des vallées.
Le Grand Tao est omniprésent. Il peut être à la fois à droite et à gauche. Toutes choses dépendent de lui pour la vie, et il ne les rejette pas. Sa tâche accomplie, il ne s’en attribue aucun mérite. Il aime et nourrit toutes choses, mais n’agit pas en maître. Il est toujours libre de tout désir. On peut le qualifier de petit. Toutes choses retournent à lui, mais il n’agit pas en maître. On peut le qualifier de grand.
Le monde entier affluera vers celui qui détient la puissante forme du Tao. Ils viendront et ne subiront aucun préjudice, mais trouveront repos, paix et tranquillité.
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Avec de la musique et des gourmandises, nous pouvons retenir l’invité de passage. Mais si nous ouvrons la bouche pour parler de Tao, il trouve cela fade et fade.
Non visible à la vue, non audible à l’oreille, son usage est inépuisable.
La régression est le mouvement du Tao. La faiblesse est le caractère du Tao.
Toutes choses sous le Ciel tirent leur être du Tao sous la forme de l’Existence ; le Tao sous la forme de l’Existence est né du Tao sous la forme de la Non-Existence.
Le Tao est un grand carré sans angles, un grand récipient qui prend du temps à compléter, un grand son qui ne peut être entendu, une grande image sans forme.
Le Tao est caché et ne peut être nommé, mais il a le pouvoir de transmuter et de perfectionner toutes choses.
Le Tao a engendré l’Unité ; l’Unité a engendré la Dualité ; la Dualité a engendré la Trinité ; et la Trinité a engendré tous les objets existants. Ces innombrables objets laissent derrière eux l’obscurité et embrassent la lumière, harmonisés par le souffle de la Vacuité.
Le Tao produit toutes choses ; sa Vertu les nourrit ; sa Nature leur donne forme ; sa Force les perfectionne.
Il n’est donc rien qui ne rende hommage au Tao et n’exalte sa Vertu. Cet hommage rendu au Tao, cette exaltation de sa Vertu, n’est dû à aucun commandement, mais est toujours spontané.
C’est ainsi que le Tao, engendrant toutes choses, les nourrit, les développe et les entretient ; les perfectionne, les fait mûrir, les soigne et les protège.
Production sans possession, action sans [ p. 23 ] affirmation de soi, développement sans domination, telle est son opération mystérieuse.
Le Monde a une Cause Première, que l’on peut considérer comme la Mère du Monde. Lorsqu’on possède la Mère, on peut connaître l’Enfant. Celui qui connaît l’Enfant et conserve la Mère, même si son corps périt, ne risque rien.
C’est la voie du Ciel de ne pas lutter, et pourtant il sait comment vaincre ; de ne pas parler, et pourtant il sait comment obtenir une réponse ; il n’appelle pas, et les choses viennent d’elles-mêmes ; il est lent à agir, mais excellent dans ses desseins.
Le filet du ciel est vaste ; bien que ses mailles soient larges, il ne laisse rien passer.
La Voie du Ciel est comme tendre un arc : elle abaisse ce qui est élevé et élève ce qui est bas. C’est la Voie du Ciel de prendre à ceux qui ont trop et de donner à ceux qui ont trop peu. Mais la voie de l’homme n’est pas ainsi. Il prend à ceux qui ont trop peu, pour ajouter à sa propre surabondance. Quel homme peut prendre de sa propre surabondance et la donner à l’humanité ? Seul celui qui possède le Tao.
Le Tao du Ciel n’a pas de favoritisme. Il donne à tous les hommes de bien, sans distinction.
Les choses se renforcent, puis déclinent. C’est le contraire du Tao. Ce qui est contraire au Tao périt rapidement.
19:* Cette phrase est certes obscure, et il se peut qu’il s’agisse d’une interpolation. Le système cosmogonique de Lao Tseu ne laisse aucune place à un quelconque Être divin indépendant du Tao. D’un autre côté, traduire ti par « Empereur », comme certains l’ont fait, nous entraîne nécessairement dans un anti-climax absurde. ↩︎