Domaine public
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La civilisation moderne ne survivrait pas longtemps si les hommes perdaient leur conscience de la sainteté de leurs engagements et tombaient dans l’indifférence à l’égard des obligations personnelles, sociales et morales. Les affaires modernes se traitent en grande partie sur la base de la confiance mutuelle, et il est très important que l’on dise de nous : « Sa parole vaut son engagement. » Néanmoins, tout médecin qui s’occupe de troubles nerveux et émotionnels se rend vite compte que des milliers d’individus bien intentionnés souffrent de tortures mentales et de divers troubles nerveux dus à un surmenage de la conscience.
Je suis convaincu que nous ne pourrions pas nous passer de conscience, mais il me semble en même temps dommage que tant d’hommes et de femmes remarquables se rendent malades par excès de scrupules. Il est certainement possible de découvrir comment vivre consciencieusement sans avoir à subir les tortures de ce que nous appelons le complexe de conscience.
« Docteur, cette situation me rend folle. Je n’arrive tout simplement pas à faire avancer les choses. J’ai fait de mon mieux, mais j’ai échoué. » C’est ainsi qu’une femme d’âge moyen au tempérament hyperconsciencieux m’a présenté son histoire l’autre jour. Cette bonne dame avait entendu, il y a quelques années, un sermon sur le texte biblique suivant : « Mais je vous dis que de toute parole vaine que les hommes auront proférée, ils en rendront compte au jour du jugement. » Elle a pris cela au sérieux, littéralement, et a commencé à penser à toutes les discussions en société, aux bavardages frivoles et aux diverses autres façons dont nous utilisons les mots à la légère – sans parler de notre humour et de nos plaisanteries – et a décidé que les gens de son entourage auraient beaucoup à rendre compte au jour du jugement. Elle a décidé de réformer ses propres communications à cet égard, et elle a ainsi largement perdu l’humour dans sa vie, a cessé de raconter des histoires drôles et ne pouvait plus rendre visite à des amis sans être condamnée par sa propre conscience à cause de l’utilisation de paroles vaines.
On peut imaginer son état après un mois de tentatives pour vivre cette vie artificielle et contre nature. Sa digestion était affectée, son sommeil perturbé, sa religion presque ruinée et son bonheur s’était évanoui. Son mari était si alarmé qu’il l’a emmenée voir un médecin.
Et ceci n’est qu’une introduction à l’histoire que je veux vous raconter sur la conscience en relation avec la santé. Je rencontre tout le temps des gens qui sont malades à cause de soucis de conscience, et je veux discuter de certains de ces cas dans le but d’aider des milliers d’autres qui peuvent être en proie à des problèmes de conscience inutiles.
Je ne peux faire mieux que d’exposer ici la méthode que j’ai dû utiliser dans le cas de cette pauvre âme qui s’était retrouvée dans un tel pétrin avec sa conscience. En premier lieu, j’ai dû lui expliquer que la conscience n’était pas ce qu’elle pensait – « la voix de Dieu à l’âme ». Je [ p. 153 ] ne sais pas exactement d’où vient cette définition de la conscience, mais elle a dû être donnée par un poète. Elle peut, d’une certaine manière, incarner un beau sentiment, mais elle n’est pas vraie, et à cet égard, elle rappelle la boutade de l’humoriste qui disait qu’il valait « mieux ne pas savoir tant que savoir tant de choses qui ne sont pas vraies ». La conscience n’est rien de plus ni de moins que le sens intérieur de nos normes héritées et acquises du bien et du mal. La conscience dépend de l’éducation et de la formation, et est énormément influencée par nos associés et notre environnement.
La conscience est un état d’esprit qui nous dit de toujours faire le bien ; elle ne nous dit jamais ce qui est bien. J’ai essayé de faire comprendre à la femme en question que d’autres facultés mentales doivent être mises à contribution pour découvrir ce qui est bien – le jugement, la raison, la discrimination des idées et le choix – que c’est le rôle des autres facultés mentales de déterminer ce qui est bien dans les circonstances, et que la conscience n’est que le moniteur qui nous avertit de faire la bonne chose après l’avoir ainsi déterminée. J’ai dû lui expliquer qu’il était mal d’offenser ses voisins en ne leur rendant pas visite ; que le deuxième grand commandement de Jésus était « d’aimer son prochain comme soi-même ». J’ai dû lui rappeler la doctrine selon laquelle le Christ est venu pour que notre « joie soit parfaite » ; que nous devions « décharger nos fardeaux sur le Seigneur » et « nous réjouir toujours davantage ». J’ai dû chercher de nombreux textes pour cette femme, comme « Un cœur joyeux fait du bien comme un remède ».
J’ai découvert que sa religion était toute aigre et moisie, et ce n’était pas une mince affaire de l’adoucir, mais nous avons réussi. Elle reprend un mode de vie normal et recouvre la santé ; mais six mois ou un an de ce genre de vie insensée avaient presque gâché son caractère. Je devais lui rappeler que c’était la conscience qui avait conduit la mère hindoue zélée à jeter son bébé sans défense dans les mâchoires du crocodile - jusqu’à ce que les autorités britanniques y mettent un terme. La conscience a conduit de nombreuses personnes, en des temps d’ignorance, à commettre des actes que nous appelons aujourd’hui des crimes. La conscience a été à l’origine de bien des persécutions fanatiques et horribles, et nous voyons aujourd’hui qu’elle conduit encore ses victimes consentantes sur les chemins de la maladie et de la mauvaise santé.
Les différentes races ont des réactions conscientes différentes face aux mêmes situations. A ce propos, il ne faut pas oublier que nous sommes tous confrontés au problème de l’adaptation de nos instincts et de nos émotions primitives aux exigences de la civilisation, et que la conscience n’est pas à la hauteur de la tâche consistant à siéger comme seule juge et arbitre des conflits que ce problème entraîne.
On pourrait remplir une douzaine de chapitres d’histoires vraies d’hommes et de femmes bien intentionnés, jeunes et vieux, qui se sont rendus malades et malheureux en permettant à leur conscience de s’immiscer dans des domaines injustifiés et ainsi d’interférer inutilement avec leurs plaisirs, leurs décisions et leurs habitudes de vie ; mais, heureusement, il n’y a pas de déviation mentale ou de déviation intellectuelle de ce genre que l’individu moyen ne puisse redresser s’il s’y met avec volonté.
La plupart de nos problèmes de conscience découlent de l’enseignement des puritains, qui étaient plutôt enclins à penser que tout ce qui était agréable était un péché. Dès que certaines âmes trop consciencieuses découvrent que quelque chose est agréable – qu’elles s’amusent – elles se retiennent brusquement et regardent autour d’elles pour voir ce qui ne va pas. Elles pensent qu’elles ne pourront pas passer de bons moments avant d’être au paradis – que ce monde est une « vallée de larmes » et qu’il est inutile de chercher à s’amuser ici-bas. Bien entendu, cette attitude mentale [ p. 154 ] nourrit et accroît les tendances hyperconscientes de tant de personnes.
Loin de moi l’idée de décrier la tendance consciencieuse de l’espèce humaine. Je veux simplement qu’elle soit utilisée et non abusée. Je veux qu’elle soit utilisée de manière à nous aider à jouir d’une meilleure santé et d’un plus grand bonheur. En tant que médecin, je sais bien que les mauvaises actions sont à l’origine d’un grand nombre de maladies et de souffrances. L’immoralité est la cause d’un nombre considérable de maladies modernes, et la conscience coupable, celle qui est légitimement coupable, prédispose à l’inquiétude, à la nervosité et même à la semi-invalidité ; mais la peur n’est pas seulement la servante du péché ; la peur finit par être mal appliquée à un grand nombre de choses innocentes et inoffensives de la vie.
Nous reconnaissons tous la valeur d’une vie qui nous permette d’avoir « une conscience sans reproche envers Dieu et envers les hommes ». Nous savons que le péché est à l’origine d’une grande partie de la misère humaine ; mais nous devons aussi savoir que l’inquiétude et la peur, lorsqu’elles sont liées à la conscience, peuvent tourmenter et torturer l’âme innocente et, par une mauvaise compréhension de la conscience, produire une mauvaise santé et le malheur.
J’ai comme patiente une femme qui était plus ou moins nerveuse ; quand elle était fatiguée et inquiète, sa digestion se mettait en grève ; et, comme c’était tout à fait normal quand elle avait des maux d’estomac, elle se rappelait ce qu’elle avait mangé au dernier repas. Si elle avait mangé des tomates, elle aurait peut-être reconnu un peu le goût de la tomate en rotant, et en arriverait à la conclusion que les tomates avaient perturbé sa digestion ; par conséquent, elle ne mangerait plus de tomates.
Après six ou huit ans de ce régime, elle en arriva au point où il ne lui restait plus que des aliments pour bébé et quelques préparations spéciales pour les malades. De 70 kilos, elle était passée à 45 kilos. Au milieu de ces soucis de digestion, elle se mit à lire tous les livres qu’elle put trouver sur les régimes et bientôt elle adopta une approche religieuse de ses pratiques diététiques. Elle décida, à juste titre, que les lois de la santé étaient les lois de Dieu et que ses soucis diététiques étaient donc aussi de nature consciencieuse.
Je me souviens très bien de la première fois où je lui ai parlé. Elle m’a cité le texte selon lequel notre corps est « le temple du Saint-Esprit ». C’est un bon passage de l’Écriture, et je pense que certaines personnes insouciantes et sans conscience feraient bien de s’en souvenir ; mais cette pauvre âme avait plutôt besoin de se procurer ce texte décrivant comment les premiers apôtres « mangeaient leur nourriture avec joie ». Après lui avoir expliqué la différence entre l’alimentation et la religion, et lui avoir fait comprendre que ses problèmes d’estomac étaient entièrement dus à ses nerfs dérangés, je lui ai administré quelques mois de rééducation dans ce sens, avec des périodes de repos définies au milieu de chaque journée. Elle apprend maintenant à gérer sa conscience lorsqu’elle lui parle de façon insensée de manger, et elle prend du poids régulièrement.
Cette femme a toujours une certaine idée du bien et du mal en matière d’alimentation. Sa conscience a un domaine dans lequel elle lui permet de fonctionner, mais elle ne lui permet pas de décider si elle doit faire frire ou cuire ses pommes de terre au four. Elle a appris que lorsqu’elle n’est pas nerveusement fatiguée, elle peut digérer les pommes de terre frites aussi bien que les pommes de terre cuites au four. D’ailleurs, manger des pommes [ p. 155 ] de terre frites était l’une des pratiques diététiques qu’elle considérait comme un péché. Elle avait lu quelque part que lorsque les pommes de terre étaient frites, l’amidon se recouvrait d’huile et ne pouvait pas être digéré. J’ai dû lui expliquer que si l’amidon n’était pas digéré dans la bouche et l’estomac, la vieille Mère Nature avait prévu un moyen plus loin dans le tube digestif pour accomplir de telles prouesses digestives et qu’il était dommage de ne pas utiliser de temps en temps les provisions de la Nature et de ne pas ainsi garder le mécanisme en bon état.
Bien sûr, je sais que certaines personnes devraient faire plus attention à leur alimentation. J’ai un patient actuellement, un homme d’une cinquantaine d’années, qui se nourrit des ressources de la terre, de la mer et du ciel, et qui va quitter cette vie dix ou douze ans plus tôt que s’il consultait sa conscience au sujet de ce qu’il mange et boit. Mais je ne parle pas de ce cas-là maintenant, je parle de ceux qui se rendent malades à cause d’inquiétudes excessives.
Laissez-moi vous parler d’un homme de trente-cinq ans qui a fait de l’exercice physique une religion. Il pense qu’il doit faire certains exercices chaque matin, marcher un certain nombre de kilomètres chaque jour, faire exactement le même nombre d’exercices chaque soir avant de se coucher. Je pense qu’il a laissé sa conscience s’immiscer dans tout ce qu’il fait de nature physique, à moins qu’il ne s’agisse de bâiller. Il peut toujours bâiller comme la nature le veut, je crois ; mais tout le reste doit être fait systématiquement, selon une règle ; oui, selon une règle consciencieuse.
Il y a quelques années, il a beaucoup bénéficié de son dévouement à l’exercice physique. Cela a amélioré sa santé et son efficacité, mais cette idée a grandi dans son esprit au point qu’il a laissé sa culture physique devenir une annexe à sa religion. Il m’a dit il n’y a pas longtemps qu’il était allé à l’église un dimanche et qu’il n’avait pas apprécié la messe parce que sa conscience lui disait qu’il n’avait pas fait sa quantité habituelle d’exercice la semaine précédente. Il pense à l’exercice, il parle d’exercice, il mange presque de l’exercice. Sa femme et ses amis pensent qu’il devient une nuisance. Sa vie sociale en plein air est gâchée parce qu’il ne peut rien faire comme les autres – parce qu’il doit faire une certaine quantité d’exercice d’une certaine manière.
Que faisons-nous pour lui ? Comment allons-nous le remettre sur le droit chemin sur ce point sans troubler sa conscience morale ? Nous essayons de lui faire redéfinir la conscience selon son propre esprit, nous lui expliquons l’intérêt d’être plus libre et plus spontané dans les pratiques de santé ; nous lui montrons le danger de la monotonie, nous lui faisons remarquer qu’il doit varier ses exercices, qu’il doit pouvoir, si l’occasion l’exige, s’en passer un jour et y revenir le lendemain. Nous essayons de lui montrer, en un mot, qu’il est esclave de son propre système ; et déjà nous commençons à y parvenir.
J’ai actuellement une patiente, une âme sincère, qui pensait qu’il était mal de se livrer à un passe-temps innocent auquel s’adonnait toute sa famille ; mais elle ne voulait pas être bizarre, alors elle céda et fit comme le reste de sa famille. Et puis sa conscience commença à la tourmenter. En moins de trois mois, sa santé était ruinée ; l’insomnie, l’indigestion et divers autres maux vinrent la tourmenter et la tourmenter ; elle était une femme malade, prête à s’aliter, tout cela parce que sa conscience la tourmentait à propos de cette simple petite affaire.
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Elle se rétablit maintenant parce que nous l’avons persuadée de sortir ce passe-temps du domaine de la conscience, en lui disant que la conscience était une intruse, que c’était une question de choix personnel. Elle a compris qu’il est bien mieux de jouer avec sa famille et de rester en contact avec eux que de céder à ce qu’elle dit maintenant être son ego consciencieux. Elle considère maintenant sa réaction hyperconsciencieuse comme pharisaïque.
Je connais un médecin trop consciencieux, un médecin remarquable, qui s’est effondré à force de s’inquiéter pour ses patients. En s’occupant d’un cas d’accident, il a non seulement fait preuve de sympathie humaine ordinaire, mais a eu des réactions nerveuses qui auraient pu vous faire croire qu’il était responsable de l’accident. Je lui ai demandé un jour, alors qu’il soignait un patient blessé par une automobile : « Avez-vous renversé l’homme ? » « Mais non », a-t-il répondu. Dans son travail chirurgical, il a non seulement pris les précautions ordinaires, et même des précautions supplémentaires, mais il a permis à sa conscience de s’immiscer dans une mesure inutile et nuisible. Malgré les avertissements, il a persisté dans ce surmenage, cette inquiétude excessive, cette anxiété excessive ; le résultat a été un effondrement, et il faudra probablement un an avant qu’il puisse à nouveau exercer son ministère auprès de l’humanité malade. Je pense qu’il a appris sa leçon.
Voici un autre cas : une institutrice de trente-sept ans, une femme hyperconsciencieuse, de loin la meilleure institutrice du groupe auquel elle appartenait. Non contente d’être une institutrice ordinairement bonne, voire la meilleure de son école, elle était si consciencieuse (et je pense qu’il y avait aussi un élément d’orgueil personnel, d’égoïsme professionnel) qu’elle travaillait tôt et tard ; faisait des heures supplémentaires non sollicitées pour deux ou trois élèves en retard ; assistait à tout ce qui avait trait aux enseignants et à l’enseignement ; était le chef et l’âme motrice de l’Association des parents d’élèves ; suivait des cours avancés tous les étés pendant dix ou douze ans ; n’avait jamais de vraies vacances. Résultat, une dépression soudaine. Depuis un an, elle se repose et elle m’a dit l’autre jour : « Docteur, j’ai appris ma leçon. Je ne vais plus essayer d’être la meilleure institutrice du monde. Je vais être parmi les meilleurs enseignants. Je vais faire une journée de travail honnête, mais je ne vais plus permettre à ma conscience de me tyranniser. Cette crise a éduqué ma conscience et lui a appris certaines choses qu’elle ignorait. Certaines choses que ma conscience m’a fait faire pour être un bon professeur, par le passé, ma conscience rééduquée ne me permettra plus de les faire à l’avenir. J’ai appris que j’ai un devoir envers moi-même et ma famille ainsi qu’envers mon école et ses élèves.
On pourrait raconter des dizaines d’expériences qui montreraient comment une mère trop consciencieuse peut ruiner sa santé, sa constitution, en s’occupant indûment d’une famille parfois peu reconnaissante. Quand les parents ont fait leur devoir envers leurs enfants, pourquoi devraient-ils s’inquiéter ? Peut-être que plus tard, les enfants n’agiront pas exactement comme nous le voudrions. Peut-être auront-ils leur propre programme et s’enfuiront-ils de [ p. 157 ] la maison pour le mettre à exécution, ou s’enfuiront-ils pour se marier. Pourquoi le père et la mère – particulièrement la mère, car elle semble plus encline à le faire – devraient-ils diminuer leur utilité, diminuer leur efficacité, compromettre leur santé, pour ne pas dire leur bonheur, par des soucis trop consciencieux et des regrets inutiles concernant ces épisodes familiaux qui semblent faire partie de la vie sur cette planète et qui se produisent même dans les meilleures familles.
Il y a quelques années, j’avais sous ma garde une jeune mère magnifique, âgée d’environ vingt-six ans, qui avait trois petits enfants. Elle s’est complètement effondrée. Elle ne souffrait que d’une attention excessive à l’égard de sa famille, en particulier des enfants. Elle était de celles qui se lèvent au milieu de la nuit et vont au chevet des enfants pour voir s’ils respirent bien, s’ils sont couverts, etc. Elle se faisait constamment du souci pour leur alimentation et lorsqu’elle pensait que l’aînée devrait aller à l’école dans un an ou deux, c’était trop pour elle. Comment pouvait-elle supporter de voir ses enfants hors de vue ? Quelque chose se passerait certainement mal à l’école : ils se blesseraient, attraperaient des maladies, rencontreraient de mauvaises fréquentations. À la suite de tout cela, elle s’est tout simplement effondrée et a dû rester loin de sa famille pendant dix-huit mois. Ses enfants ont dû être confiés aux soins d’une étrangère et le père m’a dit, confidentiellement, qu’ils se portaient beaucoup mieux entre les mains de l’infirmière auxiliaire ; qu’ils ont développé plus de caractère que sous les soins attentifs de leur mère. Cela la briserait, la tuerait presque, sans aucun doute, si nous le lui disions ; pourtant, elle-même a commencé à se rendre compte, au cours de la dernière année, que les enfants ont l’habitude de grandir malgré tout.
Tout cela ne doit pas diminuer la valeur d’une éducation parentale intelligente et fidèle. Celle-ci est nécessaire, mais pourquoi gâcher votre santé par une anxiété excessive ? Une fois que vous avez fait votre devoir, pourquoi ne pas être satisfait ? Le problème est que certaines personnes naissent avec cette tendance à l’anxiété excessive. Elles la développent parfois au point que nous l’appelons névrose d’anxiété, et lorsqu’elles sont, en outre, du type trop consciencieux, cette combinaison entraîne de graves problèmes si ces tendances ne sont pas reconnues et maîtrisées de bonne heure.
Il y a aussi le cas des fils ou des filles trop consciencieux qui consacrent leur vie à prendre soin de leurs parents. Leur esprit est beau, comme celui d’une mère dévouée à son enfant ; mais quel désastre pour une jeune femme, par exemple la plus jeune de trois ou quatre enfants, tous les autres étant mariés et installés, de consacrer sa vie à prendre soin de son père et de sa mère, allant peut-être de temps en temps aider ses sœurs ou ses belles-sœurs quand la famille doit s’agrandir, tout en travaillant comme institutrice ou dans une autre profession pour assurer un foyer confortable à l’un ou aux deux parents !
C’est beau, mais c’est triste de voir ses parents disparaître et cette vieille fille n’est plus la bienvenue chez aucun de ses frères et sœurs mariés. Elle est trop vieille pour enseigner. Elle ne peut pas profiter de la compagnie et de l’affection des enfants d’autres parents, et sa santé décline. Elle se retrouve alors entre quarante-cinq et soixante ans, assise dans le cabinet d’un médecin, le cœur brisé et en bonne santé. Bien sûr, il est alors trop tard, mais elle [ p. 158 ] voit clairement qu’elle aurait dû se marier comme ses frères et sœurs, et alors tous ensemble auraient dû prendre soin du père et de la mère ; ou que le fils ou la fille le plus favorisé aurait dû porter le fardeau.
L’autre jour, j’ai rencontré un homme de quarante-sept ans, malheureux et mécontent. Il n’a qu’une seule satisfaction dans la vie : savoir qu’il a tout sacrifié pour ses parents. Cinq frères et sœurs sont heureux en ménage et ont eux-mêmes des enfants, et ce célibataire solitaire commence à devenir cynique et amer. Il est aigri par le monde. Il considère que s’occuper de ses parents est une tâche désagréable. Il est déterminé à s’en acquitter, mais sa vie est presque ruinée.
L’obligation de prendre soin de ses parents est réelle et authentique, mais qui va prendre soin du vieux célibataire ou de la vieille fille ? N’ont-ils aucun droit dans cette situation ? Les enfants peuvent être égoïstes, mais les parents peuvent aussi devenir très égoïstes, et je crois que tout parent est égoïste s’il monopolise la vie d’un fils ou d’une fille, l’empêchant ainsi de se marier et de vivre une vie normale. Dans les cas où, pour une autre raison, un fils ou une fille ne se marie pas, je vous l’accorde, il semble tout à fait naturel que ces enfants non mariés vivent avec leurs parents et leur préparent un foyer pour leur vieillesse. Je ne pense pas à de telles associations volontaires ; je ne parle pas de tels cas, mais de ceux dans lesquels le fils ou la fille a catégoriquement refusé de se marier pour prendre soin de ses parents. Cela, je crois, est à la fois mal et contre nature, et se traduit par une tragédie plus tard dans la vie.
Même le Sauveur, lorsqu’il offrit sa vie sur la croix et qu’il vit sa mère, ne suspendit pas son œuvre pour le monde, mais attira l’attention de son disciple Jean sur sa mère et lui demanda de veiller sur elle. Il poursuivit son œuvre. Je suis prêt à reconnaître que ce soin des parents peut être notre obligation suprême après la vie, mais je ne peux pas concevoir qu’il soit juste de permettre qu’une dévotion trop consciencieuse à un tel devoir annule complètement le programme de notre vie.
On retrouve cette hyperconscience dans d’autres relations familiales. Je pense à deux sœurs qui essaient de vivre ensemble. Au fil du temps, leurs personnalités se développent et chacune a de plus en plus envie de vivre sa propre vie, mais elles ont toujours peur de blesser les sentiments de l’autre. Elles se mettent constamment dans l’embarras parce que l’une d’elles ne peut rien faire sans essayer de l’expliquer à l’autre. Si elles pouvaient continuer à vivre leur vie et à surmonter cette réticence à blesser les sentiments de l’autre, ce serait beaucoup mieux ; mais elles sont trop consciencieuses et tellement malheureuses. Il n’y a pas longtemps, quand elles sont venues me voir pour me faire part de leurs problèmes, j’ai dû m’asseoir et leur expliquer que si chacune d’elles vaquait à ses occupations, de manière naturelle et normale, et ne se sentait pas obligée de vivre comme l’autre, elles seraient assez heureuses dans un an.
Il serait bon que nous comprenions tous que lorsque les membres d’une même famille essaient de vivre ensemble après avoir grandi, ils vont à l’encontre de la nature. Le plan de Mère Nature est de disperser les familles et de lutter ainsi contre la consanguinité. Elle semble vouloir une large distribution du plasma germinatif de la race, et elle fait donc en sorte que la tâche de vivre ensemble [ p. 159 ] devienne de plus en plus difficile à mesure que nous vieillissons.
Tout ce que j’ai dit sur l’hyperconscience dans la famille s’applique aux maris et aux femmes dans leurs efforts quotidiens pour s’entendre. Je ne vois pas souvent de cas de ce genre, mais il arrive qu’une femme devienne trop consciencieuse dans ses devoirs au foyer, en dehors des enfants. Autre chose : je souhaite surtout mettre en garde les parents contre le fait de s’inquiéter de ne pas réussir à éradiquer complètement les traits héréditaires de leurs enfants. Rappelez-vous que les enfants héritent non pas de leurs parents mais plutôt par leurs parents, et que lorsque vous avez fait votre devoir de parents pour surmonter les défauts héréditaires de vos enfants, vous pouvez cesser de vous en inquiéter. Laissez-les jouer le jeu de la vie et acquérez là l’expérience qui les exhortera à faire des efforts personnels pour corriger ces faiblesses inhérentes. Les parents ne sont responsables que de faire leur devoir ; ils ne peuvent pas transformer leurs enfants diversifiés ; ils doivent les accepter tels qu’ils sont nés et tirer le meilleur parti de leurs dons héréditaires.
Il y a quelques années, j’ai eu une missionnaire qui s’inquiétait de ses perspectives religieuses. Après l’avoir étudiée pendant plusieurs semaines, j’ai été convaincue qu’il s’agissait d’un cas d’inquiétude pure et simple. Je lui ai dit qu’elle devrait se convertir à une autre religion. Ce fut un grand choc, non seulement d’apprendre que quelque chose clochait dans sa religion, mais aussi d’entendre un médecin suggérer que ses problèmes physiques étaient liés à son expérience religieuse.
Je lui demandai de rentrer chez elle et de réfléchir à la question. Mais avant qu’elle ne quitte le bureau, je lui racontai l’histoire d’un garçon faible d’esprit qui, lorsqu’il se rendit au moulin sur son poney pour y chercher de la nourriture, revint à la maison avec le sac de deux boisseaux sur l’épaule. Quand on lui demanda pourquoi il ne posait pas le sac sur le cheval et ne s’asseyait pas dessus, il fronça les sourcils, se gratta la tête et dit : « Eh bien, je pense que si le cheval veut bien me porter, je devrais vouloir porter la nourriture. » J’essayai de montrer à cette missionnaire que le bon Dieu n’avait pas plus de mal à la porter sur ses fardeaux qu’en dessous ; de toute façon, il devait les porter tous. Elle revint quelques jours plus tard pour me dire que mes efforts avaient été fructueux, que mon histoire avait tourné la page, qu’elle avait vraiment trouvé une nouvelle religion, ou plutôt, comme elle le disait, « pas une nouvelle religion, mais une nouvelle plongée dans ma vieille religion. » Elle avait compris un sens nouveau à ces paroles : « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous », « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » Et elle recouvra la santé.
En ce moment, je suis confronté à un cas très intéressant. Je suppose qu’on pourrait le qualifier de réformateur professionnel. Il a travaillé si dur et si continuellement pour essayer de refaire le monde, pour essayer d’amener tout le monde à faire les choses exactement comme lui, qu’il s’est effondré – s’est effondré en essayant de sauver le monde. Je suis prêt à souscrire à l’idée que chaque être humain devrait essayer de faire du monde un endroit où il fait meilleur vivre, mais je pense que la tâche doit être menée avec un certain sens des valeurs et des proportions. Pourquoi devrions-nous nous sentir malades en essayant de faire faire à tout le monde une chose insignifiante exactement comme nous la faisons ? Je sais que je m’aventure sur un terrain délicat, car nous avons tous nos passe-temps favoris, et je n’ai aucune envie de me quereller avec un seul lecteur ; mais j’insiste sur le fait que ce n’est pas une sage dépense d’énergie que de se ruiner [ p. 160 ] la santé en essayant de réformer le monde. Vous ne réussirez pas en tant que réformateur si vous êtes malade, grincheux et victime d’inquiétudes chroniques.
Si cette entreprise d’élévation est si bonne, impliquez d’autres personnes dans cette entreprise. Ne soyez pas égoïste au point de penser que vous êtes le seul à pouvoir y parvenir. Partagez cette magnifique entreprise avec vos amis et vos voisins, et préservez ainsi votre santé et contribuez à l’édification spirituelle de vos amis.
Il y a quelques années, j’ai rencontré un homme qui avait ruiné sa vie en cédant à sa tendance à être trop scrupuleux. C’était un garçon normal et ce n’est qu’à l’adolescence, vers l’âge de quatorze ans, que cette tendance à s’inquiéter, et à s’inquiéter consciencieusement, a commencé à se manifester dans son expérience.
Il était si consciencieux dans ses études secondaires qu’il étudiait jusqu’à deux heures du matin pour essayer d’être absolument parfait dans ses cours, puis il s’adonnait aux activités sportives avec la même ardeur religieuse. Il ne s’amusait pas dans aucune de ces activités ; les jeux étaient pour lui un devoir, un devoir sévère de faire de son mieux – pas de son mieux au sens ordinaire du terme, mais dans un sens religieux, hyper consciencieux. À l’université, ce jeune homme s’effondra après la première année. Il prenait tout, y compris lui-même, très au sérieux. Après son effondrement à l’université, ses parents l’envoyèrent dans l’ouest, dans le ranch d’un parent, et dans ce pays, une jeune femme perdit son cœur par hasard, s’entiche de lui, et il faillit s’effondrer à nouveau. Sa conscience ne lui permettait pas de tomber amoureux de cette fille, car il n’était pas en très bonne santé et n’était pas prêt à se marier. Mais il s’inquiétait pour elle. Il serait éternellement responsable si quelque chose arrivait à la fille, si elle s’effondrait ou devenait folle à cause de son amour pour lui ; Ce jeune homme a donc fait de son mieux pour devenir fou. Il est devenu hystérique et pendant des mois, il est devenu presque incontrôlable. Je suppose que la seule raison pour laquelle il n’est pas devenu fou est qu’il n’avait pas cette tendance dans sa famille. Ce dont il a hérité, c’est d’une tendance à l’hyperconscience, pas à la folie.
Il fallut bien sûr l’éloigner du ranch et pendant plus de deux ans, il se morfondit et s’inquiéta de ce qui arriverait à cette pauvre fille. Il ne pouvait pas lui écrire, car cela l’encouragerait, et s’il ne lui écrivait pas, elle pourrait devenir folle et il en serait alors responsable. Après deux ans de planification minutieuse et de travail acharné, nous avons réussi à orienter son esprit vers d’autres voies et il se portait bien quand, dans son quartier, on commença à organiser des réunions de réveil. Après avoir assisté à deux ou trois de ces réunions, qui représentaient un appel émotionnel et un effort pour éveiller les consciences, il fut de nouveau tout excité. Il décida que ses souffrances étaient dues au fait qu’il ne s’était jamais vraiment converti, qu’il n’avait jamais été en règle avec Dieu. Un soir, il entendit un sermon sur le texte suivant : « Quiconque cache ses péchés ne prospérera pas. » Il se regarda et décida qu’il n’avait pas prospéré, et il en vint immédiatement à la conclusion qu’il avait caché ses péchés. Il abandonna son poste. Il passa des semaines et des semaines à essayer de se mettre en règle avec Dieu, à parler de ses péchés et à les confesser. Il pria et pria, et bien sûr ses parents s’inquiétèrent à nouveau. J’essayai de les rassurer, mais une sœur, qui était un peu du même acabit, commença à [ p. 161 ] s’inquiéter à son sujet, et toute la maisonnée fut à nouveau complètement bouleversée.
Cela dura tout l’hiver, le printemps et l’été ; il ne put se soulager que grâce à de longs efforts et à un séjour d’été dans un camp de garçons, où il fut instructeur dans certaines activités et participa à des loisirs et des sorties. Il revint à l’automne assez bien portant et obtint un nouveau poste ; mais quelques semaines plus tard, une situation très ordinaire dans le monde des affaires survint, dans laquelle on lui demanda de se taire ; c’était une sorte de secret commercial, mais quand on lui recommanda de ne rien dire, sa conscience le tourmenta. Y avait-il quelque chose de mal ? Si tout allait bien, pourquoi lui demander de ne pas divulguer ces secrets ? À Noël, il était dans une situation difficile et sa conscience l’obligea à démissionner de son poste. Pour faire court, il existe une liste de vingt-cinq postes que cet homme a occupés de l’âge de vingt-cinq ans à quarante ans.
Et maintenant, que s’est-il passé ? Il commença à devenir plus philosophe à l’approche de la quarantaine et conclut qu’il avait été stupide sur ce point. Il jeta un regard rétrospectif sur sa vie et décida que la conscience avait été un tyran, un esclavagiste, et qu’il allait s’en libérer ; mais au lieu d’agir selon sa philosophie, de garder les pieds sur terre et de procéder de manière saine et raisonnable, il tomba dans l’autre extrême. Il décida que la vie était faite pour être vécue et appréciée, et ainsi, pendant six ou huit mois, il s’amusa et s’adonna à tous les divertissements et divertissements douteux qu’il avait évités auparavant ; et lorsqu’il ne parvint pas à trouver la paix de l’esprit et le réconfort de l’âme dans cette vie, il replongea dans l’une de ses crises de dépression consciencieuses et cette fois, il eut de réels ennuis. Il savait qu’il avait mal agi ; il n’avait aucun doute sur le péché de son expérience récente. Dans ses efforts pour se mettre en règle avec Dieu, il se retrouva confronté à la difficulté mentale d’avoir délibérément fait le mal, d’avoir commis le péché impardonnable, etc. Il fallut encore un an d’efforts de la part de ses amis, de ses ministres et de ses médecins pour essayer de le remettre sur la bonne voie. Mais il commença alors à s’inquiéter du fait qu’il ne s’était jamais marié, qu’il n’avait pas fait son devoir envers le monde, qu’il ne serait jamais heureux maintenant. Il n’avait ni femme ni enfants pour le réconforter. Il serait bientôt un vieil homme.
Je pourrais écrire un chapitre entier sur l’histoire de cet homme et sur la façon dont il a ruiné sa carrière, devenant une nuisance pour lui-même et pour tous ses associés. La mère âgée s’inquiète toujours de ce garçon chancelant, déséquilibré et hyperconsciencieux. Heureusement, très peu d’entre nous naissent avec une telle tendance à l’excès de scrupules ; et si nous en sommes dotés à un degré modéré, nous pouvons facilement surmonter ce handicap.
Apprenons donc à vivre avec joie et grâce, devenons experts dans l’art de nous prendre moins au sérieux. Maîtrisons l’art de vivre avec nous-mêmes tels que nous sommes et avec le monde tel qu’il est, en accordant à la conscience sa place légitime, mais en reconnaissant que la raison et le jugement ont leur part à jouer pour reléguer la conscience dans sa sphère d’action légitime.