Domaine public
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En guise de préparation à l’étude plus approfondie de la répression émotionnelle, des conflits émotionnels, des désirs insatisfaits et des névroses qui sont le résultat de ces déformations et de ces enchevêtrements psychiques, je pense qu’il est bon de consacrer ce chapitre à l’examen attentif des émotions, des instincts, des sentiments et des convictions. Je suis disposé, en général, à adhérer aux enseignements de McDougall et Shand en matière de classification des émotions et de leur association à certains instincts. Je crois que chaque instinct comporte ce que l’on pourrait appeler trois phases, qui sont :
Chaque être humain naît avec un ensemble d’instincts innés, et chaque instinct héréditaire, tel qu’il se développe plus tard, s’accompagne d’un sentiment ou d’une émotion bien définie. Les psychologues n’ont commencé à étudier que récemment cette question de l’instinct et de l’émotion, et il peut y avoir des divergences d’opinion quant à ce qui constitue réellement un instinct primaire inné ; néanmoins, je pense que la plupart des psychologues seront d’accord avec la classification suivante des instincts primaires et des émotions qui les accompagnent :
Instincts primaires | Émotions primaires |
---|---|
1. Fuite | Peur |
2. Répulsion | Dégoût |
3. Curiosité | Émerveillement |
4. Affirmation de soi | Exaltation |
5. Auto-humiliation | Soumission |
6. Parental | Tendresse |
7. Reproduction | Faim sexuelle |
8. Nutrition | Faim |
9. Grégarité | Sécurité |
10. Acquisition | Thésaurisation |
11. Construction | Fierté de la création |
12. Pugnacité | Colère |
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Il faut abandonner la croyance désuète selon laquelle les instincts sont un don du Créateur aux animaux pour compenser leur manque d’intelligence, et que l’homme perd ses instincts à mesure qu’il progresse intellectuellement, qu’il devient de plus en plus libre de toute tendance instinctive. Les instincts animaux ne disparaissent pas avec le progrès de la race ; ils sont simplement réprimés, ils demeurent en nous et continuent à nous nuire lorsqu’ils ne sont pas correctement compris ou contrôlés.
Avant de pouvoir accepter une impulsion comme un instinct primaire ou inné, il faut la trouver uniformément présente dans le comportement instinctif des animaux supérieurs. Il faut également observer son exagération chez les êtres humains mentalement déséquilibrés – anormalement contrôlés – qui sont donc censés manifester une plus grande tendance à être sous le contrôle de leurs instincts raciaux que de leur intelligence et de leur raison.
Il convient maintenant d’examiner brièvement ces émotions primaires :
1. La peur. La peur est l’émotion associée à l’instinct de fuite. Vous connaissez plus ou moins le vieux débat sur la question de savoir si les gens courent parce qu’ils ont peur ou s’ils ont peur parce qu’ils courent. Les biologistes et les psychologues semblent tous deux enclins à croire que nous sommes effrayés à cause de notre fuite, mais dans tous les cas, les faits sont simples : même si nous fuyons instinctivement le danger et que la peur s’éveille dans notre esprit alors que nous poursuivons notre fuite, nous ne courons pas très loin tant que notre peur ne contribue pas directement à l’accélération de notre vitesse.
La chose fonctionne dans les deux sens une fois initiée. Bien que l’émotion puisse être initiée par l’instinct, une fois éveillée, elle sert grandement à augmenter la tendance instinctive.
La peur, lorsqu’elle est pleinement éveillée, produit cette terreur qui conduit à la dissimulation – un effort pour éviter le danger en se cachant. La peur nous conduit d’abord à fuir, puis à nous cacher. C’est l’émotion la plus durable, la plus indélébile de toutes, et c’est celle qui semble prendre le contrôle de l’esprit et du corps de manière certaine.
L’émotion de la peur accompagne invariablement l’instinct de fuite – le désir de fuir le danger ; mais, lorsque cette peur est si profonde qu’elle se transforme en terreur, elle paralyse parfois la capacité de fuir. Nous voyons donc que lorsque la peur est exagérée – conduisant à la terreur – elle se détruit elle-même.
Si la peur est instinctive, toutes nos peurs précoces ne sont pas héréditaires. Tous les jeunes enfants ne sont effrayés que par deux choses : la peur de tomber et d’entendre des bruits soudains, forts et stridents. Pratiquement toutes les autres peurs sont acquises par suggestion et association. Au début, les jeunes enfants n’ont pas peur des serpents, des animaux velus, etc. C’est le tonnerre associé à l’orage qui effraie l’enfant, pas la foudre. Lorsque certains adultes se couvrent la tête avec leur couverture pendant un orage, ils ne font que manifester leur instinct inné de se cacher après avoir fui le danger.
La peur n’est pas le résultat d’un raisonnement ou d’un jugement intelligent. Un jeune enfant peut être terrorisé par la vue de son propre père allongé par terre en train de « jouer à l’ours ». Il sait pertinemment que son père ne lui fera aucun mal, mais lorsque le père est vu sous cet aspect étrange, il succombe facilement à ses émotions de peur instinctive.
En raison de l’impression durable que l’émotion de la peur laisse sur l’esprit et la mémoire humains, elle devient non seulement la grande influence qui nous exhorte à contrôler [ p. 47 ] notre comportement égoïste et à freiner nos tendances égoïstes, mais aussi la cause fondamentale d’une grande partie de notre anxiété inutile et le point de départ de bon nombre de nos terreurs imaginatives et de nos troubles nerveux fonctionnels.
La peur est fatale au bonheur humain dans les conditions de la civilisation moderne. L’inquiétude est une peur chronique et constitue le démon suprême de tous les tueurs de joie.
Le seul remède connu contre la peur est la foi. Mais avant que la foi puisse agir, il faut du courage, de l’endurance, pour contrôler la tendance inhérente à succomber aux émotions de peur.
2. Le dégoût. Le dégoût est l’émotion associée à l’instinct de répulsion. Il est suscité par les mauvais goûts et les mauvaises odeurs. Il semble être particulièrement stimulé par la vue de créatures visqueuses telles que les serpents et les lézards. Il est sans doute à la base du développement du goût esthétique chez l’homme primitif et constitue incontestablement l’impulsion inhérente qui pousse les peuples civilisés modernes dans les directions qui les conduisent à rechercher le beau. Il ne fait aucun doute que la répulsion et le dégoût sont à la base même de nos efforts pour réaliser des pensées et des actions artistiques.
Au fur et à mesure que notre développement intellectuel progresse, nous en venons à associer cette émotion de dégoût aux personnes qui, pour une raison ou une autre, offensent nos normes et nos idéaux. On entend souvent dire d’une personne qui nous répugne par son apparence ou sa personnalité qu’elle « me rend malade ».
Ainsi, nous voyons que le dégoût est une émotion qui peut être associée à la nourriture, à l’environnement, aux animaux et même aux êtres humains ; et si on lui permet de prendre une place importante dans la vie mentale d’une personne, il est certain qu’il deviendra responsable de beaucoup de malheurs. Si nous devenons trop sensibles à toutes les petites choses que nous n’aimons pas chez nos amis, nous sommes condamnés à souffrir.
3. L’émerveillement est l’émotion associée à l’instinct de curiosité. C’est une sorte de peur naissante. Il ne fait aucun doute que c’est cette émotion, ainsi que son instinct de base, la curiosité, qui mène à l’invention, à l’aventure et à l’exploration.
L’émerveillement, l’instinct de curiosité, est très présent chez les animaux comme chez les enfants. Il est particulièrement actif chez les singes. Qui n’a jamais vu des animaux s’approcher avec précaution d’un objet étrange posé sur le sol, puis s’éloigner de peur, pour ensuite revenir plus loin pour satisfaire leur curiosité ? Si l’émerveillement est surexcité, il se transforme franchement en peur.
Cette émotion constitue sans aucun doute le fondement de nos recherches scientifiques et de nos spéculations religieuses. L’instinct de chasse est probablement une autre manifestation de cette même curiosité inhérente, amplifiée par la faim et d’autres émotions associées. Voilà une émotion qui peut contribuer à notre bonheur ou nous conduire à des ennuis sans fin, tout dépend de la façon dont nous la contrôlons.
4. L’exaltation – L’exaltation est l’émotion suscitée par l’assouvissement de l’instinct d’affirmation de soi. C’est l’émotion qui se cache derrière tous nos efforts pour nous mettre en valeur. C’est l’élément positif de la conscience de soi. Elle est particulièrement illustrée par l’arrogance caractéristique de l’homme et la vanité de la femme, et c’est une émotion qui est sans aucun doute responsable d’une grande partie de la conduite que l’on appelle bravoure.
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Dans le monde animal, nous voyons cette émotion en action lorsqu’un cheval fougueux lève haut ses sabots et contracte tous les muscles de son corps tout en se pavanant. On le voit dans la queue déployée du paon et dans la démarche de la mère poule en présence de ses poussins.
On retrouve ce même instinct primitif dans certains cas de folie humaine. L’affaiblissement du cerveau s’accompagne parfois de « délires de grandeur », le malheureux individu devenant la victime d’une exaltation vantarde et insensée.
L’exaltation, l’affirmation de soi, est essentielle au bonheur humain. Si l’excès d’égo mène invariablement aux ennuis et à plus ou moins de tristesse et de malheur, une certaine indulgence pour l’exhibitionnisme et le plaisir d’une expression personnelle moyenne sont indispensables à une bonne santé et au bonheur.
Les êtres humains doivent avoir l’occasion de « se mettre en valeur » – au moins avec modération – pour être heureux. On voit même un jeune enfant sortir de sa cachette timide derrière le tablier de sa mère et, après avoir fait un salto, demander à l’étranger : « Est-ce que tu peux faire ça ? » Nous sommes tous plus ou moins comme les enfants qui, lorsqu’ils « se mettent en valeur », disent : « Regarde-moi faire ça. » Il y a de la joie dans la performance. Nous sommes heureux quand nous sommes en action. Nous sommes malheureux quand on nous refuse la possibilité de nous laisser aller à une sorte d’affirmation de soi et à l’émotion d’exaltation qui l’accompagne.
5. La soumission. La soumission est en contraste avec l’exaltation et est associée à l’instinct d’abaissement de soi. C’est le côté négatif de la conscience de soi et représente ce comportement sournois et abattu que l’on appelle si souvent à tort l’humilité. Chez certains individus anormaux et morbides, ce comportement est poussé au point que l’âme se considère coupable de toutes sortes de crimes et de délits. C’est l’émotion qui se trouve à la base de nos « complexes d’infériorité ».
Parmi les animaux, le chien manifeste le développement le plus profond de cette émotion déprimante lorsqu’il rampe sur le ventre, la queue repliée entre les pattes, en présence d’un chien plus gros ou d’un maître qui le réprimande.
C’est cette émotion qui est à la base de la honte chez l’espèce humaine. La honte et l’orgueil présupposent l’existence d’une conscience de soi, et comme il s’agit d’un état d’esprit refusé au monde animal, ces émotions plus complexes sont purement humaines. Mais les animaux partagent avec l’homme les émotions rudimentaires d’exaltation et de soumission.
6. Tendresse. La tendresse est le nom qui a été donné aux sentiments liés à l’instinct parental. Elle est le fondement de l’impulsion protectrice, l’impulsion de protéger les jeunes, les faibles et les sans défense. Elle devient la source de la plupart de notre indignation morale et, lorsqu’elle est pleinement éveillée, elle est étroitement liée à la colère. Rien ne suscitera plus profondément l’indignation d’un être humain normal que de voir un misérable inhumain torturer et maltraiter un enfant sans défense.
Cette émotion de tendresse est l’explication biologique de tout altruisme véritable. On la retrouve notamment dans l’instinct maternel de protection des petits, commun aux femelles de tous les animaux supérieurs. Elle est associée à l’amour et à la dévotion des parents pour leur progéniture, et c’est le premier instinct que nous avons étudié qui se prête à la préservation [ p. 49 ] de l’espèce. La plupart de nos instincts innés sont destinés à protéger l’individu, mais l’émotion de tendresse contribue à la survie de l’espèce.
L’émotion tendre est plus faible chez le mâle. Le fait qu’il manifeste une sorte de sollicitude maternelle à l’égard des petits est probablement dû au fait que de nombreux traits d’un sexe sont hérités sous une forme rudimentaire par l’autre sexe. Les femelles de nombreux animaux ont des cornes avortées, tandis que les mâles de nombreuses espèces ont des seins rudimentaires. Ce type d’hérédité croisée entre les sexes explique probablement comment l’homme en vient à avoir plus ou moins cet instinct et cette émotion maternelle à l’égard des petits.
Dans certaines coutumes des cours romaines, on observait que les fils se présentaient contre leurs pères, mais jamais les pères ne se présentaient contre leurs fils. L’un des dix commandements exhorte l’enfant à honorer ses parents, mais il n’était pas nécessaire d’avoir un commandement exhortant les parents à aimer leurs enfants. La nature a pleinement pourvu à cela dans l’instinct parental et l’émotion tendre qui l’accompagne.
L’envie de la mère humaine d’embrasser son enfant est probablement une manifestation de la tendance des mères des animaux supérieurs à lécher leur progéniture.
Cette tendre émotion est à la base de tout notre travail de Bon Samaritain et de tous les efforts et lois destinés à protéger les faibles contre l’exploitation et les abus des forts. C’est une source de grande joie et de véritable satisfaction personnelle. Tout ce qui est associé à l’indulgence de cette émotion contribue à notre plus grand bonheur – à condition que nous n’exercions pas cet instinct à l’excès et que nous ne le cultivions pas à un point tel qu’il devienne vraiment douloureux.
7. La soif sexuelle est l’émotion suscitée par l’instinct inhérent de reproduction et associée à celui-ci. Elle est source de beaucoup de jalousie. C’est l’émotion qui sous-tend l’instinct d’accouplement et qui pousse et dirige cette impulsion intéressante vers la cour. Elle explique à la fois l’attitude sociale agressive du mâle et la timidité caractéristique de la femelle.
Dans le cas des natures supérieures de l’espèce humaine, l’impulsion sexuelle est plus ou moins intimement associée à l’instinct parental et à son émotion de tendresse, qui contribuent tous directement au développement de cette dévotion et de cet attachement supérieurs que nous appelons l’amour.
Il ne fait aucun doute que nous possédons dans nos émotions sexuelles un instinct qui peut être utilisé de manière à contribuer énormément à la somme du bonheur humain ; d’un autre côté, personne ne contesterait le fait que ces émotions sont parfois si mal utilisées qu’elles sont la source des plus grandes souffrances et des plus grands chagrins. En ce qui concerne l’être humain moyen, les plus grandes joies et les plus grandes peines sont enfermées dans le domaine de cet instinct reproductif et des émotions et des attirances sexuelles qui lui sont associées. Aucune autre émotion primaire n’est capable d’une utilisation aussi bénéfique ou d’un abus aussi monstrueux. Aucun autre instinct primitif ne peut contribuer autant au bonheur humain lorsqu’il est correctement exercé ; de même, aucune autre émotion innée ne peut causer autant de souffrance et de chagrin lorsqu’elle est abusée ou pervertie d’une autre manière.
8. La faim – La faim est l’émotion liée à l’instinct de nutrition. Le désir de nourriture est l’un des plus forts de tous les instincts humains, et l’émotion associée à la faim est ce qui conduit à nos impulsions de chasse et d’alimentation. C’est l’émotion qui est responsable du [ p. 50 ] développement de l’art culinaire et des autres arts liés à la préparation et à la conservation des aliments.
La satisfaction d’une faim saine est l’une des plus profondes de toutes les joies humaines. Un bon appétit, s’il est bien contrôlé, est la source d’un plaisir qui dure toute la vie. Comme les émotions sexuelles, la faim peut être utilisée pour produire de la joie ou pervertie au point de devenir responsable de la souffrance et du chagrin les plus intenses.
9. Sécurité. La sécurité est l’émotion que nous ressentons lorsque nous cédons à notre instinct grégaire. L’homme est naturellement un animal grégaire. Il se sent plus en sécurité lorsqu’il est au milieu d’une foule de ses semblables. Cette émotion de sécurité est la source de l’impulsion de conservation de soi et, lorsqu’elle est satisfaite, elle procure ce sentiment de sécurité que nous éprouvons lorsque nous sommes en compagnie de nos semblables.
De nombreux animaux, bien qu’ils ne manifestent que peu ou pas d’affection les uns envers les autres, insistent pour rester ensemble en troupeau. La plupart des êtres humains redoutent d’être seuls. L’isolement cellulaire est considéré comme le summum de la punition. Certains patients nerveux ne veulent tout simplement pas rester seuls. Nous aimons beaucoup nous rassembler en foule au moindre prétexte – un défilé ou un match de football –, quelle que soit l’excuse, l’humanité aime revenir aux associations de troupeaux. Bien des êtres asociaux, tout en évitant tout contact personnel intime avec leurs semblables, restent néanmoins étroitement attachés à la grande ville et à ses milliers de personnes.
Le sentiment de sécurité est essentiel au bonheur humain. Peu importe le peu d’affection que nous éprouvons pour nos proches, nous ne voulons pas être seuls. Même si nos semblables peuvent parfois se révéler irritants, nous préférons rester avec la tribu. Nous pouvons, bien sûr, en diminuant notre maîtrise de soi, nous laisser aller à une conduite antisociale qui nous sépare de nos semblables ; cependant, un tel isolement devient rapidement une source de malheur. En fait, nous reconnaissons que la plupart de nos instincts primitifs peuvent être exercés de manière à contribuer soit à notre bonheur, soit à notre malheur. Beaucoup dépend de notre réaction à nos émotions, de notre maîtrise de soi.
10. La thésaurisation est l’émotion qui accompagne l’instinct d’acquisition. C’est l’impulsion de travailler et conduit à supporter des difficultés dans un effort pour accumuler de la nourriture et d’autres biens que nous considérons comme essentiels à la joie de vivre. Lorsqu’elle est pervertie, cette impulsion peut conduire au vol et à d’autres crimes, ou peut se manifester de cette façon particulière connue sous le nom de kleptomanie. Un exemple typique de l’instinct de thésaurisation est observé dans l’action d’un écureuil qui enterre des noix.
Autrefois, nous renoncions aux plaisirs de la vie pour nous préparer aux bénédictions du ciel. Aujourd’hui, le ciel n’a plus autant d’emprise sur l’imagination populaire, et nous voyons donc un grand nombre de personnes qui recherchent sans relâche la richesse afin de laisser un vaste héritage et ainsi contribuer aux plaisirs de leurs enfants après que leurs parents auront quitté cette vie.
Ceux qui se privent des plaisirs de cette vie afin de se préparer aux joies du ciel sont apparentés à ceux qui travaillent dur pour amasser une fortune pour la génération suivante ; tous deux ont l’idée essentielle de renoncer aux plaisirs d’aujourd’hui au profit des récompenses futures.
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11. La fierté de créer. C’est l’émotion que nous éprouvons lorsque nous voyons les résultats de nos efforts pour créer, pour construire des choses. C’est une satisfaction créatrice de soi-même. C’est l’émotion associée à l’instinct constructif. Chaque être humain aime travailler à partir de matières premières pour en faire un article de sa propre conception, et c’est cet instinct qui est à la base des tendances manufacturières de l’espèce humaine. Même les enfants aiment construire des choses avec leurs blocs, tout comme les oiseaux construisent leurs nids, les castors leurs barrages et les fourmis leurs manoirs souterrains.
Je doute qu’un être humain sain et normal puisse pleinement ressentir la joie de vivre s’il ne s’engage pas dans une activité qui en vaut la peine, une sorte de travail créatif ou constructif. Des milliers d’hommes et de femmes sont extrêmement malheureux pour la seule raison qu’ils sont relativement oisifs.
12. La colère est l’émotion associée à l’instinct de combativité. C’est un instinct primaire qui est susceptible d’être éveillé lorsqu’un obstacle se dresse sur le chemin de l’exercice de l’un de nos autres instincts ou des émotions qui y sont associées. C’est l’instinct fondamental qui fait de l’homme un animal de combat. C’est l’explication biologique de la guerre. Certaines femelles en sont déficientes, mais elle est présente à un degré important chez le mâle moyen. C’est un type de réaction de défense générale. C’est-à-dire que lorsque l’une des émotions inhérentes est contrariée, la réaction naturelle est une résistance combative, et ce comportement suscite une réaction de colère plus ou moins grande.
Que se passe-t-il quand on essaie de prendre un os à un chien ? Le meilleur enfant se montre irrité si vous interrompez son repas. Tous les hommes s’offusquent de toute interférence avec leurs plaisirs. Même la forte émotion de la peur cède la place à la pugnacité et à la colère ; l’animal le plus timide, lorsqu’il est mis aux abois et que son instinct de fuite est contrarié, est susceptible de se retourner violemment contre son poursuivant.
Bien que nous ayons droit à cette confiance en nous-mêmes, à ce désir de défendre nos droits et nos privilèges, qui est compatible avec le respect et l’estime de soi, il est infaillible que lorsque nous devenons trop belliqueux et pugnaces, notre émotion de colère peut neutraliser les joies de la vie et, finalement, tuer le bonheur même pour la promotion duquel notre pugnacité a été surexercée et notre colère surexprimée. L’homme n’est pas vraiment heureux lorsqu’il est en colère.
Nous venons de voir que l’espèce humaine est largement dominée par un groupe de douze émotions héréditaires. Il convient ensuite de s’intéresser à la manière dont ces douze émotions peuvent se combiner, se construire ou s’associer en émotions secondaires, composées ou acquises.
Il n’est pas facile de trouver les mots appropriés pour définir ou exprimer ces sentiments et émotions extrêmement complexes, et sans aucun doute diverses autorités pourraient suggérer une classification quelque peu différente, mais ce qui suit représente ce qui me semble être un aperçu assez complet de ce groupe :
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Émotion secondaire (composite et acquise) |
Composantes primaires (facteurs instinctifs) |
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1. Sympathie | Tendresse + Sexe + Sécurité |
2. Admiration | Émerveillement + Soumission + (Orgueil) |
3. Imitation | Admiration + Sécurité + (Vanité) |
4. Rivalité | Exaltation + Colère + (Envie) |
5. Vanité | Exaltation + Sexe + (Fierté) |
6. Orgueil | Exaltation + Thésaurisation + (Égotisme) |
7. Gratitude | Tendresse + Soumission + (Contrôle respectueux) |
8. Crainte | Peur + Admiration + (Soumission) |
9. Révérence | Crainte + Gratitude + (Nature spirituelle) |
10. Envie | Colère + Soumission + (Orgueil) |
11. Remords | Colère + Vengeance + (Soumission) |
12. Mépris | Colère + Dégoût + (Exaltation) |
13. Mépris | Dégoût + Exaltation + (Vanité) |
14. Aversion | Peur + Dégoût + (Rivalité) |
15. Courage | Exaltation + Quelques autres émotions |
Nous voyons ainsi que nous pouvons employer nos émotions primaires de la même manière que nous utiliserions des mots pour construire des phrases, des expressions de pensée plus complètes et plus compréhensives. À mesure que nous progressons dans la civilisation, la complexité de nos pensées augmente considérablement, tout comme notre capacité à susciter des émotions plus complexes. Ainsi, notre capacité à apprécier le bonheur ou à éprouver de la tristesse augmente également considérablement.
Considérons alors plus en détail la nature composite de nos émotions.
1. Sympathie. La sympathie est basée sur les émotions primaires de tendresse, de sexe et de sécurité. Cette émotion acquise présuppose plus ou moins d’amour et de dévotion. Elle implique une compréhension, au moins dans une certaine mesure, de la nature humaine. C’est le fondement biologique et psychologique de cet état d’esprit qui rend possible la promulgation de la Règle d’or.
La sympathie a sa racine dans la dévotion parentale, dans l’attachement sexuel et dans ce sentiment de sympathie envers le reste du troupeau ou de la tribu qui nous rend plus sûrs de notre existence personnelle.
La sympathie implique la suggestibilité. La suggestion a beaucoup à voir avec notre éducation par le biais de l’imitation. C’est à cause de la suggestion – cette étrange envie de faire ce que font les autres et de penser ce que pensent les autres – que les troupeaux d’animaux se déchaînent, que tous les chiens du quartier se joignent à une bagarre et que les êtres humains paniquent et se déchaînent comme une foule.
Non seulement la vue de la souffrance ou du chagrin éveille nos émotions tendres, mais la peur, la colère, la joie et le rire sont également très contagieux. Même la curiosité est contagieuse : voyez la foule qui se rassemble au coin d’une rue, tous regardant vers le ciel, juste parce qu’une ou deux personnes se sont d’abord arrêtées pour contempler quelque chose dans les cieux. Pratiquement toutes nos émotions primaires peuvent être éveillées par la suggestion. Parfois, dans nos efforts pour nous laisser aller à [ p. 53 ] l’affirmation de soi (pour surmonter nos tendances subjectives), nous développons un état d’esprit contraire à la suggestion. Je suis sûr que le lecteur ne peut s’empêcher de reconnaître les vastes possibilités de bonheur ou de malheur qui se cachent dans la qualité de la sympathie émotionnelle. Une sympathie incontrôlée peut nous plonger dans toutes sortes d’anxiété excessive et d’inquiétudes inutiles. Une sympathie normale contribue invariablement à la somme de notre bonheur.
2. Admiration. L’admiration est le résultat des instincts primaires d’émerveillement et de soumission, et est probablement aussi associée à l’orgueil qui lui est associé. Il est indéniable que le sentiment d’admiration est également teinté de crainte respectueuse. Il comporte sans doute une touche de sympathie et d’amour. Lorsqu’on l’exagère, qu’on la pousse trop loin, elle peut souvent se terminer par de l’envie.
La curiosité conduit à cette investigation et à cette inspection qui, avec l’émotion d’émerveillement qui lui est associée, constituent la base de l’admiration ; et lorsque, en présence de notre nouvelle découverte, nous observons certains éléments de supériorité en elle, nous sommes amenés à ressentir l’émotion de soumission – l’expression de la tendance inhérente à l’auto-abaissement en présence de la supériorité de la force ou de l’être.
Je doute que l’individu égocentrique et prétentieux soit capable d’admirer véritablement quelque chose ou quelqu’un. Et nous ne devons pas oublier que lorsque nous augmentons notre capacité d’admiration, nous augmentons en même temps notre capacité de bonheur.
3. L’imitation se fonde essentiellement sur l’émotion inhérente de sécurité, qui découle de l’instinct de grégarité. L’association tribale est à la base de la suggestion, et la suggestion conduit à l’imitation. L’émotion secondaire de l’admiration, telle que nous l’avons déjà définie, doit bien entendu y entrer, car nous ne voulons imiter que ce qui a d’abord provoqué notre admiration. Une autre émotion secondaire qui joue sans aucun doute un rôle dans l’imitation est celle de la vanité.
L’imitation est la base de notre éducation, de tout notre régime de formation professionnelle, de nos connaissances et de nos convictions sociales. L’imitation représente notre conduite lorsque nous acceptons une suggestion. L’imitation accroît notre sentiment d’unité sociale et ajoute à notre capacité de coopération sociale.
Nous avons une grande variété de comportements imitatifs. La forme la plus courante est celle basée sur la sympathie, comme lorsque nous sourions en guise de remerciement aux sourires qui nous sont adressés. Même les animaux fuient et se ruent sans autre raison que le fait que leurs congénères manifestent le même comportement. Ce type de comportement imitatif semble être une conséquence de l’instinct grégaire et de l’émotion de sécurité qui en découle.
Une autre phase de l’imitation se manifeste dans le cas de l’enfant qui imite les gestes ou autres comportements de quelqu’un qui a éveillé sa curiosité ou son admiration. Les adultes imitent minutieusement la technique de leurs supérieurs plus expérimentés et plus habiles.
Nous devons reconnaître la nécessité de contrôler la tendance à l’imitation de manière à ce qu’elle nous conduise dans des directions utiles. La suggestion est une influence puissante et nous ne pouvons ignorer ses possibilités de bien ou de mal.
4. Rivalité—La rivalité est fondée sur deux émotions primaires : l’exaltation et la colère. L’exaltation, l’émotion de l’instinct d’affirmation de soi, et la colère, le sentiment qui accompagne l’instinct de combativité, conduisent à des émotions de rivalité lorsqu’elles sont encore un peu augmentées par [ p. 54 ] l’émotion secondaire de l’envie.
La rivalité mène à l’émulation. Il y a sans aucun doute une pointe de jalousie et souvent de conscience sexuelle. La rivalité est un élément important de la fierté et du soi-disant patriotisme.
La véritable rivalité se distingue de la colère en ce que la première ne cherche pas à détruire son adversaire. La rivalité s’illustre le mieux par les combats ludiques entre jeunes animaux et par les compétitions animées entre êtres humains dans le cadre de jeux et de sports de plein air. Ce trait est fortement présent chez les Américains et chez la plupart des Européens, mais il n’est que rarement manifesté par les Hindous et les autres races orientales.
Si la rivalité peut être dominée en grande partie par l’exaltation, elle contribuera à notre bonheur ; si on laisse la colère entrer trop largement dans sa composition, elle devient en règle générale un facteur de malheur. Tout dépend de la façon dont nous gérons son flux et contrôlons son origine.
5. Vanité – La vanité naît des émotions primaires d’exaltation et de sexe, plus ces sentiments secondaires que nous incluons généralement dans le terme d’orgueil. Nous sommes vaniteux parce que nous jouissons des émotions d’exaltation associées à l’instinct d’affirmation de soi, et la vanité est particulièrement associée à l’instinct sexuel chez la femme. En fait, d’une certaine manière, nous pourrions dire que la vanité est particulière à la femme humaine, bien que les hommes puissent partager cette émotion à un degré moindre.
La vanité prend parfois la forme d’une pitié, d’une sympathie et d’un amour dirigés vers soi-même. Lorsqu’elle s’exerce ainsi, elle peut devenir une source de grande tristesse avant que nous nous rendions compte à quel point l’apitoiement sur soi et l’excès d’introspection peuvent engendrer du malheur. La simple vanité de la femme moyenne est certainement inoffensive et tout à fait saine en tant que promoteur du bonheur.
6. Orgueil – L’orgueil est construit sur le fondement instinctif primaire de l’exaltation et de la thésaurisation, plus l’état psychique de l’égoïsme. Nous sommes fiers et apprécions l’exaltation associée à l’affirmation de soi. Nous sommes fiers de notre capacité à accumuler, à thésauriser, et nous sommes conscients de l’équilibre et du pouvoir qui viennent avec la possession. Cet élément de fierté est plus distinctement une émotion masculine par opposition à la vanité féminine. Il a plus à voir avec l’égoïsme masculin, la confiance en soi, le courage et la chevalerie qui accompagnent la conscience masculine de puissance physique et d’endurance supérieures.
Il ne faut pas confondre l’orgueil avec la confiance en soi normale et légitime, une sorte de sentiment d’estime de soi. Il ne faut pas non plus oublier que l’orgueil d’une certaine sorte peut ajouter beaucoup à la satisfaction de vivre ; tandis que si notre ego devient trop élevé, nous pouvons nous retrouver empêtrés dans un labyrinthe malheureux de difficultés psychiques et de rebuffades sociales qui détruiront effectivement notre paix de l’esprit et saperont notre bonheur.
7. Gratitude. La gratitude est composée des instincts primaires de tendresse et de soumission teintés d’une émotion secondaire de crainte respectueuse. Nous pouvons être influencés par la gratitude en premier lieu parce que nous sommes tendres, et ensuite parce que nous ressentons, en présence de certaines choses ou situations, plus ou moins d’humiliation, avec son émotion de soumission. Ensuite, si l’exhibition de supériorité est poussée un peu plus loin, de sorte qu’il y ait [mot perdu] dans notre esprit un sentiment de crainte respectueuse, nous sommes mûrs pour éprouver l’émotion de la gratitude. Nous sommes prêts à rendre grâce, et tout cet état d’esprit représente un état d’appréciation intellectuelle, l’aube du sens des valeurs et des relations entre les choses et les êtres.
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Nous éprouvons un sentiment de gratitude lorsque nous recevons quelque chose d’une source que nous considérons comme supérieure, d’un être doté d’un pouvoir élevé. Nous sommes animés par la gratitude lorsque nous recevons quelque chose de la part de quelqu’un que nous admirons et respectons – quelque chose que nous ne pourrions pas nous offrir à nous-mêmes. Dans l’ensemble, la gratitude est très utile dans son influence émotionnelle sur la santé et le bonheur.
8. La crainte révérencieuse est le résultat d’une combinaison de crainte et de soumission. Lorsque notre instinct de crainte est d’abord éveillé et que nous sommes confrontés à une manifestation supérieure d’une certaine sorte, de sorte que l’humiliation de soi fonctionne et que nous éprouvons l’émotion de soumission, alors, si en relation avec ces instincts primaires il y a plus ou moins le sentiment secondaire d’admiration, les bases sont posées par lesquelles nous pouvons être plus ou moins submergés par des influences et des phénomènes que nous ne pouvons pas comprendre pleinement.
À la base de notre émerveillement se trouve toujours la trinité de la curiosité, de l’ignorance et de la peur.
Je reconnais pleinement que la crainte peut être un facteur de révérence et d’adoration, et dans ce rôle, elle est certainement parfois édifiante et source de joie ; mais, comme nous le constatons plus communément, elle contribue probablement beaucoup à notre peur, à notre anxiété et à notre malheur. Du moins, il existe toujours un grand danger, par ignorance, que la crainte puisse augmenter nos tendances superstitieuses et ainsi conduire à toutes sortes d’inquiétudes insensées et d’anxiétés malsaines.
9. La révérence. C’est la première émotion composée que nous ayons considérée, dans laquelle nous ne trouvons pas comme facteur constitutif une émotion primaire ou héréditaire, à moins que nous ne soyons disposés à y inclure la curiosité et l’émerveillement. À mesure que nous progressons dans l’échelle des sentiments humains et des émotions supérieures, nous trouverons de plus en plus d’émotions qui sont construites à partir d’émotions similaires, c’est-à-dire des sentiments qui sont des combinaisons d’autres émotions composites et complexes. La révérence est le fruit de la crainte et de la gratitude, et c’est le premier point où nous entrons en contact avec une nature spirituelle probable de l’espèce humaine.
La révérence est cette émotion, cet état d’esprit, ce sentiment fondamental qui est utilisé par nos facultés mentales supérieures ou notre nature spirituelle à des fins d’adoration. La révérence est le premier fruit de l’évolution progressive de l’homme depuis sa nature physique, en passant par sa sphère instinctive et son développement psychologique, jusqu’au royaume supérieur des idéaux spirituels.
Comme beaucoup d’autres émotions acquises, la révérence peut contribuer au bonheur ou au chagrin, selon la façon dont nous réagissons à son impulsion. Avec modération, la révérence conduit à une attitude normale d’adoration, et ce n’est que lorsque de telles émotions conduisent à une conscience excessive et à des inquiétudes religieuses qu’elles peuvent être considérées comme des facteurs de malheur.
10. L’envie est le résultat des émotions primaires de colère et de soumission. Lorsque nous nous trouvons en présence d’une situation qui nous fait éprouver l’instinct d’abaissement de soi, avec l’émotion associée de soumission ; lorsque cette situation devient un peu pénible et que nous devenons agités en sa présence ; lorsque nous sentons que nos joies de vivre sont d’une certaine manière entravées par nos semblables supérieurs – alors la colère s’éveille et nous devenons plus ou moins combatifs ; et si, en rapport avec cela, l’émotion acquise de l’orgueil est entravée – si notre exaltation est réprimée et notre instinct de thésaurisation imposé – alors les bases de l’envie sont posées. L’envie est, bien sûr, la base de la jalousie et a ses racines plus profondes dans l’impulsion de thésaurisation.
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Nous sommes souvent envieux des gens parce qu’ils possèdent quelque chose que nous n’avons pas eu, ou bien parce qu’ils en ont plus que nous. La cruauté n’est sans doute souvent que l’expression d’une envie et d’une jalousie inconscientes.
11. Remords. Le remords est fondé sur l’instinct primaire de colère et sur ce sentiment plus développé que nous appelons la vengeance. (Nous définirons plus en détail les sentiments en tant que classe dans un instant.) Pour montrer comment la colère est la mère du remords, nous devons expliquer que le remords est une colère dirigée contre nous-mêmes. C’est un regret douloureux de nos propres actes. Vous devriez être en colère contre vous-même pour quelque chose de mal que vous avez fait, mais vous ne pouvez pas vous « mettre en colère » contre vous-même comme vous le faites contre une autre personne, et donc vous tempérez votre colère, lorsqu’elle est dirigée contre vous-même, en termes émotionnels de remords ; et maintenant, d’un autre côté, envers ceux qui sont devenus responsables de votre humiliation – parce que l’on cherche toujours un alibi – vous éprouvez un sentiment de vengeance.
L’instinct primaire de soumission fait également partie du remords ; il entre en jeu lorsque nous ressentons l’affaiblissement de notre émotion d’exaltation. Le remords implique que nous avons traversé un conflit émotionnel et que notre choix et le comportement qui en résulte ne sont pas de nature à justifier notre auto-approbation. Nous éprouvons du remords lorsque nous sommes ainsi déçus par nos décisions et notre conduite.
Le remords est la moisissure des émotions composites. Il flétrit toute noble ambition si on s’y livre trop longtemps. Nous ne pouvons espérer éviter de le ressentir de temps à autre, mais nous devons soigneusement éviter de le nourrir trop longtemps. Nous devons apprendre tôt et habilement à régler nos conflits émotionnels, afin d’éviter d’avoir à vivre une partie considérable de notre vie dans l’atmosphère débilitante du remords.
12. Le mépris. Le mépris est le résultat des émotions primaires de colère et de dégoût. En présence de l’instinct de répulsion, nous éprouvons l’émotion du dégoût, et lorsque ce qui nous dégoûte interfère d’une manière ou d’une autre avec notre joie de vivre, alors notre combativité et la colère qui lui est associée sont éveillées, et tout cela ensemble nous amène à mépriser ceux qui nous dégoûtent. En second lieu, entre en jeu l’émotion primaire de l’exaltation : après nous être permis de nous laisser aller au mépris, nous avons l’habitude de nous affirmer et de nous réjouir. Toute cette expérience dénote une incapacité intellectuelle de notre part à apprécier la valeur et les luttes de nos semblables.
Le mépris est rarement, voire jamais, un facteur de bonheur humain. Si vous désirez perdre rapidement tous vos amis de valeur, commencez simplement à vous laisser aller au mépris et à pratiquer le cynisme.
13. Le mépris. Voici l’étape suivante des émotions composites. Le mépris est une combinaison des émotions primaires de dégoût et d’exaltation. Il présuppose que le mépris a précédé et qu’au-dessus du dégoût nous sommes exaltés, nous nous affirmons positivement ; et si nous y ajoutons le sentiment de vanité, tel que nous l’avons déjà défini, nous avons la scène préparée pour le mépris profond. Il représente, psychologiquement parlant, un état d’exagération de l’ego, d’une part, et une hypersensibilité cultivée aux choses répulsives et aux conditions désagréables, d’autre part.
14. Aversion – En descendant dans l’échelle du mépris et du mépris, nous avons ensuite l’aversion, une émotion composite qui se construit à partir de la peur et du dégoût. Non seulement quelque chose nous répugne, et donc nous dégoûte, mais nous le reconnaissons plus ou moins comme un rival ; il interfère [ p. 57 ] avec notre plaisir de vivre, et nous avons donc tendance à l’éviter, notamment par crainte de ce qui pourrait résulter d’un contact trop intime avec l’objet de notre aversion.
En fin de compte, il y a toujours un sentiment de rivalité, avec ses racines profondes d’envie. L’aversion peut se développer au point que l’élément de peur s’atténue, que la rivalité disparaît et que le dégoût se transforme en dégoût intensifié, voire en horreur. Curieusement, c’est parfois dans ce contexte qu’entre en jeu l’émotion de l’émerveillement, l’instinct de curiosité, et nous voyons souvent que l’émerveillement peut transformer le dégoût en fascination. Nous sommes parfois fascinés de manière démesurée par des choses qui étaient au départ extrêmement dégoûtantes et pour lesquelles nous éprouvions la plus profonde aversion.
Il faut se méfier de la tendance à l’excès d’aversion. Si nous sommes en droit de tolérer sa présence raisonnable face à la laideur et aux malfaiteurs, nous devons cependant éviter de devenir trop sensibles et capricieux face aux problèmes et aux circonstances de la vie quotidienne.
15. Courage—Le courage est assez difficile à définir. C’est une émotion composite, dont la base est l’émotion primaire d’exaltation, associée à l’instinct d’affirmation de soi. Il est probable que le courage est une exaltation combinée parfois à une émotion, parfois à une ou plusieurs autres émotions. Le courage est l’émotion qui conduit à des actes de bravoure, et bien qu’il puisse être associé à de nombreuses émotions, impulsions et sentiments, il est caractérisé par le fait qu’il représente le triomphe de la foi sur la peur. Lorsque le courage est en selle, l’instinct primaire de la peur, pour le moment, a été vaincu.
Ceci représente donc un effort pour définir et résumer brièvement ces quinze émotions secondaires composites ou acquises qui représentent les évolutions psychologiques des douze instincts primaires et des émotions qui les accompagnent.
Lorsque nos émotions les plus hautement organisées ou composites deviennent clairement définies dans la conscience, lorsqu’elles deviennent centrées sur quelqu’un ou quelque chose, elles acquièrent la dignité de sentiments ; et nous devons savoir que lorsque nous entrons dans le domaine du sentiment humain, nous sommes face à face avec des impulsions aussi développées que l’amour, la haine et le respect, sans parler des convictions plus profondes et plus élevées qui viennent parfois posséder et contrôler l’esprit humain.
Après avoir vu comment les douze instincts primaires peuvent être transformés en quinze émotions secondaires ou acquises, passons à l’étape suivante et étudions les dix sentiments humains, qui sont également créés à partir de nos émotions primaires héritées et secondaires acquises. Lorsque nos émotions sont coordonnées et focalisées sur une personne ou une chose, nous appelons ce sentiment un sentiment. Les sentiments peuvent être classés comme suit :
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Sentiments | Composantes émotionnelles |
---|---|
1. Pitié | Tendresse + Douleur sympathique |
2. Honte | Estime de soi blessée par soi-même |
3. Jalousie | Amour + Auto-humiliation + Colère + (Peur) |
4. Vengeance | Colère + Rivalité + Envie + (Haine) |
5. Reproche | Colère + Tendresse + Remords |
6. Humilité | Soumission + Crainte + Révérence |
7. Jouer | Un certain état psychique et physique |
8. Humour | Exaltation + Rivalité + Vanité + Fierté |
9. Amour | Tendresse + Sexe + Respect + Sympathie |
10. Haine | Colère + Peur + Dégoût + Rivalité |
1. La pitié. La pitié a pour fondement une émotion primaire de tendresse et une sympathie si profonde qu’elle en devient presque douloureuse. Nous sommes toujours blessés lorsque nous nous laissons aller à la pitié. Il y a parfois un sentiment subconscient de supériorité et de plus ou moins de condescendance associé à la pitié. Cela implique que nous jouons le rôle d’un bienfaiteur charitable, et au plus profond de notre subconscient se trouve l’émotion de l’exaltation, bien que, bien entendu, nous ne l’admettrions jamais un seul instant à notre conscience plus superficielle ; néanmoins, la vérité est que derrière certaines formes de pitié se cache plus ou moins une exaltation.
Lorsqu’elle est modérément satisfaite, la pitié peut augmenter notre capacité à être heureux ; mais si elle est trop développée, elle atténue sans aucun doute la joie et charge l’esprit d’anxiété.
2. La honte. La honte est un sentiment qui représente la blessure que nous portons à notre estime de soi. Notre exaltation ou notre affirmation de soi a reçu un coup et nous sommes conscients de ce fait. Elle joue parfois un rôle très important dans notre expression de surprise et, sans aucun doute, dans la petite enfance, elle est l’élément principal de ce que l’on appelle la timidité, c’est-à-dire la timidité dans son état plus ou moins méconnu.
La honte est à la base de bien des choses qui passent pour de la timidité et de la modestie. La honte résulte de la conscience d’une lutte entre les émotions primaires d’affirmation de soi et d’humiliation. Nous éprouvons un sentiment de honte lorsque survient quelque chose qui tend à nous rabaisser dans l’estime de nos semblables. Si notre conduite est telle que nous devons souvent avoir honte de nous-mêmes, nous devons admettre que cette conscience de soi ne peut que nuire à la somme de notre bonheur personnel.
3. Jalousie – La jalousie est un sentiment profondément enraciné. C’est une combinaison d’humiliation de soi, avec son sentiment de soumission et d’infériorité, associée à l’émotion de la peur. Elle englobe plus ou moins l’impulsion de l’amour, et par-dessus tout cela il y a un élément de colère.
Nous sentons que notre bonheur est compromis. La pugnacité s’affirme. Nous proposons de résister, et la colère apparaît comme la première porte-parole de ce trio émotionnel. Bien sûr, il s’agit presque toujours de colère contre une troisième personne, et parfois elle implique une diminution du sentiment de tendresse envers la deuxième personne ; et en outre, comme facteurs dans la composition de ce monstre aux yeux verts, nous devons mettre de côté l’envie et l’orgueil blessé.
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Il est probable que seul l’amour maternel est désintéressé au point de ne pas exiger de réciprocité et donc d’être incapable de jalousie. Bien que les animaux et les très jeunes enfants semblent être irrités par les attentions portées à d’autres individus, une telle sensibilité peut difficilement être considérée comme de la jalousie à part entière, car ce dernier sentiment présuppose la présence d’une conscience hautement développée associée à une affection profonde.
Nous sommes jaloux lorsque celui que nous aimons donne à un autre l’affection que nous pensons nous appartenir. Nous ressentons un sentiment de propriété envers nos amis et nos proches, et la perte de leur dévouement blesse notre fierté et notre estime de soi. Lorsque notre estime de soi a été gravement blessée, il est probable que nous soyons en proie à l’émotion vengeresse associée au ressentiment et à la colère.
Le monstre aux yeux verts est toujours l’ennemi du bonheur. Si nous laissons la jalousie dominer notre âme, la joie s’en ira inévitablement. Ce sentiment est associé à un égoïsme sordide qui empêche tout état de paix de l’esprit.
4. La vengeance est un sentiment humain complexe et profondément enraciné. Il commence par une rivalité, puis se transforme en envie ; la déception engendre la colère ; à la fin, il est parfois propulsé par ce démon de tous les sentiments humains, la haine. Nous pouvons nous mettre en colère contre une insulte qui assaille notre exaltation et notre ego. Nous pouvons chercher à nous venger d’un tort réel ou imaginaire. Il se peut qu’une lutte sociale ait mis à l’épreuve notre combativité et ainsi suscité notre colère et, à la fin, nous ait rendus amers au point de nous laisser aller à la haine. La vengeance est la pleine croissance de l’amertume tolérée et de la déception émotionnelle.
Notre système de lois, de sanctions et de châtiments n’est qu’un effort pour remplacer l’ancien système de vengeance privée par le mécanisme de la justice publique. Le désir de vengeance suit le ressentiment conscient. Nous sommes particulièrement irrités par les affronts ou les insultes publiques, et notre émotion vengeresse se manifeste dans nos efforts étudiés pour « nous venger » du coupable.
Nous ressentons également du ressentiment envers les insultes ou les blessures faites à notre famille, à notre tribu ou à notre pays, et nous pouvons ainsi développer des querelles familiales et des animosités nationales, avec leurs effusions de sang et leurs guerres. Le sauvage, lorsqu’il rumine son insulte et envisage sa vengeance, se retrouve souvent « boudant dans sa tente ». La vengeance est une sorte de ressentiment délibéré, qui contraste avec la réaction émotionnelle soudaine et débridée de la colère, bien que toute vengeance soit enracinée et fondée sur la colère – l’instinct de combat.
L’âme qui cherche la vengeance est triste et égocentrique. La joie accompagne l’esprit qui pardonne, tandis que la tristesse et le regret sont les récompenses finales de tous ceux qui laissent leur nature meilleure être ravagée par le désir barbare de vengeance personnelle.
5. Le reproche représente la colère humaine, atténuée par l’émotion primaire de tendresse et contenue par le sentiment secondaire de remords. Il représente un état d’esprit qui témoigne de l’exercice de la maîtrise de soi et suggère la possibilité d’administrer une correction ou une critique sous la conduite de la raison et du jugement. Lorsqu’une personne que nous aimons nous fait quelque chose de désagréable, nous lui faisons des reproches en lui disant : « Oh, comment as-tu pu faire ça ! » Si quelqu’un nous avait offensé de la même manière, notre colère aurait été éveillée.
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Il s’agit d’un sentiment qui peut facilement servir à des fins de bonheur ou de tristesse, selon le degré d’intelligence et de planification corrective dont on fait preuve. Un reproche sagement exercé peut conduire au repentir et à la réforme ; s’il est trop répandu, il peut entraîner une dépression excessive et une tristesse prolongée.
6. Humilité. Le sentiment d’humilité est fondé sur l’émotion primaire de soumission, l’abaissement de soi, en liaison avec les émotions secondaires composites de crainte et de révérence, et sa véritable compréhension se trouve dans la nature individuelle de ces composantes. L’humilité est souvent confondue avec la piété, et parfois ce que nous appelons humilité n’est que la manifestation d’une maladie physique ou l’exhibition extérieure d’un malheureux complexe d’infériorité.
Comme le reproche, l’humilité peut être utilisée pour susciter à la fois la joie et la tristesse. Il ne fait aucun doute qu’un état normal d’humilité prédispose à recevoir de nombreuses bénédictions déguisées, tandis qu’une auto-dépréciation excessive ne peut qu’entraîner la dépression et la tristesse. Nous devons maintenir un respect raisonnable de nous-mêmes si nous voulons conserver les joies d’une exaltation saine.
7. Le jeu. La biologie et la psychologie du jeu sont plus ou moins obscures. Les émotions liées au jeu sont difficiles à isoler et à définir. Il y a là matière à discussion presque sans fin ; il existe au moins une demi-douzaine de théories différentes concernant le jeu, sa nature et son origine.
Les tendances ludiques des individus et des peuples sont largement influencées par le comportement du système glandulaire sans canal : le tempérament. La disposition est la somme totale de nos instincts hérités et des émotions qui leur sont associées. Le caractère est le produit final de nos habitudes, nos caractéristiques acquises basées à la fois sur nos dispositions et nos tempéraments.
Le jeu est bien trop complexe pour être considéré comme un simple instinct. Il est également trop compliqué pour être classé parmi les émotions. Il semble préférable de l’inclure parmi les sentiments les plus organisés.
Quoi que l’on puisse dire du jeu, force est de reconnaître qu’il est presque exclusivement au service de la joie. Le jeu est le véritable sentiment de bonne humeur, de bonne volonté et de bons moments. Les êtres humains sont incontestablement plus heureux lorsqu’ils se livrent à des jeux insouciants et enfantins.
8. L’humour. L’humour est probablement fondé sur l’émotion fondamentale d’exaltation liée à l’instinct inhérent d’affirmation de soi. Nous nous sentons sans doute un peu supérieurs à tout ce qui excite notre humour, bien que l’élément de surprise puisse aussi contribuer à notre rire. Il y a aussi un élément de rivalité dans l’humour. Nous apprécions un peu mieux une plaisanterie lorsque nous avons pris le dessus sur l’autre. Nous rions plus chaleureusement lorsque l’autre marche sur une peau de banane que lorsque nous traversons nous-mêmes la même expérience. Il y a un élément de vanité dans l’humour, et probablement un peu d’orgueil, bien que nous devions admettre que de toutes les émotions humaines, et plus particulièrement des sentiments, l’humour est le plus difficile à définir. Je ne suis pas du tout satisfait de toutes les définitions qui ont été formulées jusqu’à présent. Il y a indubitablement une tendance tempéramentale à tout notre humour.
Comme le jeu, l’humour est toujours le serviteur de la joie. Il est rare, voire jamais, que la bonne humeur débouche sur la tristesse. L’humour est un sentiment particulièrement et exclusivement humain, et on peut toujours compter sur une « bonne histoire » pour promouvoir [ p. 61 ] la camaraderie et développer le côté joyeux de la nature humaine.
9. L’amour. Nous approchons maintenant du sommet du sentiment humain, des combinaisons les plus complexes de sentiments et d’émotions. L’amour humain est fondé sur l’émotion de tendresse, qui a sa racine dans l’instinct parental. Il se ramifie ensuite et prend racine dans l’émotion de la soif sexuelle, qui a son lien avec l’instinct de reproduction ; c’est alors que l’élément de sympathie apparaît. Il n’y a pas seulement un sentiment de tendresse dans la compagnie sexuelle, mais aussi une sécurité accrue par la relation avec nos semblables. Dans une certaine mesure, l’instinct grégaire joue son rôle ; il y a la sécurité dans le nombre, et alors entre en jeu cette émotion humaine si difficile à définir, à savoir le respect. Je ne l’ai pas inclus parmi les émotions, ni parmi les sentiments, mais je l’introduis ici comme un attribut, un auxiliaire de l’amour.
L’amour est ce sentiment particulier d’adoration et d’affection pour une personne que nous considérons comme unique parmi mille et absolument désirable par-dessus tout le reste de la création. L’amour est un sentiment accompli. C’est le sentiment des sentiments, l’émotion universelle des émotions, la passion suprême. Bien entendu, son degré et sa nature varient selon les parties qui le composent et selon l’esprit et le caractère de l’individu qu’il exerce.
Autour de ce sentiment dominant peuvent graviter une foule d’autres émotions et sentiments profonds, voire des convictions. Comme l’a souligné un psychologue, lorsqu’un homme a acquis le sentiment d’amour pour un autre être, il est susceptible d’éprouver de la tendresse en présence de cette personne, de la peur ou de l’anxiété lorsque l’être aimé est en danger, de la colère lorsque son ami est menacé et de la tristesse si quelque chose de grave arrive à cet individu. De même, nous nous réjouissons lorsque nos proches prospèrent et nous sommes reconnaissants envers ceux qui les aident ou les soutiennent.
L’amour est l’élément divin de la nature humaine, la source de nos joies les plus profondes et de notre bonheur le plus durable. La blessure de notre amour peut certes provoquer la plus vive souffrance, et l’absence de réciprocité peut être source de la plus amère déception. Néanmoins, l’expérience d’aimer et d’être aimé est si transcendante, si humaine et si éternellement belle que nous ne pouvons que penser que toute cette expérience, du début à la fin – en montée et en descente, en plein soleil et en tempête – sert à stimuler l’esprit et à inspirer l’âme, tout en augmentant considérablement notre capacité à ressentir la joie et à comprendre le bonheur.
10. La haine. L’amour ayant atteint le sommet du développement sentimental, il ne reste plus qu’à définir la haine. La haine n’est, d’une certaine manière, ni plus ni moins que l’amour perverti et mal dirigé. Elle représente la prostitution du sentiment, de sorte que la place du respect et de l’amour est prise par un quatuor terrible de colère, de peur, de dégoût et de rivalité. La haine est la contrepartie sentimentale à part entière de la magnifique impulsion que nous appelons l’amour, et, bien entendu, elle varie également en degré selon les émotions qui la composent et est modifiée par le caractère de celui qui s’y livre.
Il n’est pas nécessaire de parler de la haine et de sa relation avec le bonheur. Nous savons tous que la haine est incompatible avec la joie. Il n’y a tout simplement aucun moyen de tirer du [ p. 62 ] réconfort et du plaisir de la complaisance dans la haine – c’est vraiment le démon suprême de tous les petits diables qui subversent la joie et détruisent le bonheur.
Telle est donc l’histoire des sentiments humains. Il faut se rappeler à ce propos que le plaisir et la douleur ne sont pas des émotions. Ce sont des expressions affectives qui servent soit à prolonger, soit à abréger d’autres émotions. L’excitation et la dépression jouent les mêmes rôles.
Le terme de tristesse est synonyme de chagrin. Il représente le contraire du bonheur. Après tout, il ne s’agit pas vraiment d’un sentiment ou d’une émotion. C’est une tonalité de sentiment ; on pourrait définir la tristesse comme représentant des degrés de tonalité de sentiment. La tristesse est suscitée par des émotions extrêmes, par un mélange de sentiment et de passions dominantes. Elle implique le renversement de nos espoirs, de nos ambitions et de nos affections ; dans sa manifestation la plus extrême, c’est le sentiment que nous éprouvons lorsque nous souffrons l’agonie du désespoir.
La joie, comme la tristesse, est un terme qui désigne des degrés de tonalité émotionnelle. La joie et la tristesse peuvent toutes deux qualifier toutes les autres émotions. Nous pouvons ressentir n’importe quel degré de tristesse et de joie associé à n’importe quelle autre émotion ou sentiment humain. La joie s’exprime peut-être le plus souvent dans nos fonctions ludiques, lorsque nous avons l’occasion de nous exprimer en association avec des extrêmes d’émotions agréables, de sentiments dominants agréables et de bonheur passionné. C’est le sentiment agréable suscité par toutes les émotions intenses, tous les sentiments dominants, toutes les passions fortes et toutes les convictions profondes.
Le bonheur constitue le but de notre vie affective. Il représente l’état psychique et physique qui représente la somme totale de plaisir que peut éprouver une personnalité hautement développée. Le bonheur est l’idéal de l’existence humaine. C’est la réalisation de la joie élevée à la puissance énième, et il peut qualifier et intensifier toutes les autres émotions humaines.
Nous savons maintenant comment douze instincts fondamentaux inhérents et les émotions qui les accompagnent peuvent être combinés et organisés en quinze émotions secondaires ou composites ; et comment, en outre, ces douze émotions primaires et ces quinze émotions secondaires peuvent être concentrées sur un objet ou une personne et peuvent ainsi être combinées et construites dans les dix sentiments maîtres de l’expérience humaine.
Nous sommes maintenant prêts pour l’étape suivante. Ces instincts primaires et émotions secondaires, ainsi que les sentiments plus complexes qui en résultent, constituent le matériau à partir duquel nous construisons les sept convictions qui régissent l’expérience humaine. Elles peuvent être classées comme suit :
Contrôle des convictions | Sentiments constitutifs |
---|---|
1. Amitié | Sympathie + Amour + Respect |
2. Altruisme | Exaltation + Pitié + Sympathie |
3. Patriotisme | Sécurité + Rivalité + Fierté + Vanité |
4. Religion | Émerveillement + Peur + Gratitude + Soumission |
5. Loyauté professionnelle | Sécurité + fierté + rivalité |
6. Loyauté familiale | Tendresse + Sexe + Fierté + Jalousie |
7. Conventions sociales | Peur + Sécurité + Honte + Fierté |
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Pour expliquer plus en détail les convictions, nous pouvons proposer les suggestions suivantes :
1. L’amitié—L’amitié est la première et fondamentale conviction humaine. Elle est plus qu’une émotion, elle est plus grande qu’une impulsion, elle transcende un sentiment. L’amitié, dans ce qu’elle a de meilleur, a quelque chose de profond. Elle est sans aucun doute fondée sur le sentiment d’amour et s’accompagne de nombreuses autres émotions, dont, sans aucun doute, la sympathie et le respect. L’amitié est l’équivalent de l’amour plus la loyauté et plus ou moins l’élément sexuel. Elle est si influente dans l’expérience humaine qu’elle ne semble pas vouloir renoncer à tout pour s’affirmer et justifier son existence.
2. Altruisme. L’altruisme est aussi une conviction, du moins chez beaucoup de gens. Il est sans doute fondé sur l’émotion fondamentale de l’exaltation et sur l’instinct d’affirmation de soi. Nous éprouvons une fierté et une satisfaction particulières à savoir que nous sommes assez grands, assez bons et assez gentils pour être altruistes. Ensuite, les émotions de sympathie et de pitié entrent en jeu. Nous sympathisons avec ceux que nous aidons et parfois nous allons jusqu’à les plaindre. En fait, l’altruisme est une sorte de pitié glorifiée, de sympathie exaltée, d’exaltation idéalisée, si vous voulez – une sorte de patriotisme social.
3. Le patriotisme. Le patriotisme est sans aucun doute fondé sur l’émotion première de sécurité, associée à l’instinct grégaire. Nous défendons notre pays et nos institutions parce que nous avons besoin de leur protection. L’élément de rivalité intervient, qui commence parfois tout à fait innocemment et se termine, lorsque notre propre sécurité est menacée, par l’éveil de la pugnacité et de la colère qui l’accompagne ; ce qui, bien souvent, se traduit par la guerre. Notre patriotisme s’accompagne également d’émotions d’orgueil et de vanité, bien que nous ne nous soucions pas de les mettre au premier plan de notre propre conscience. Le patriotisme signifie simplement la loyauté envers le troupeau commun. C’est une forme de courage social.
Bien des lâches sont patriotes dans la foule ; ils sont courageux dans l’armée, mais ils ne seraient pas aussi patriotes s’ils étaient laissés seuls à défendre leurs idéaux. Sous certains aspects, le patriotisme est une sorte d’orgueil camouflé, une espèce de colère, de rivalité et de vengeance déguisées, dont nous nous persuadons qu’elles sont justifiées par les circonstances du moment.
4. La religion est une conviction qui tire ses racines des émotions de peur et de crainte, inspirées par la croyance en un surhumain. Le sentiment d’indignation justifiée, souvent suscité par l’émotion de tendresse liée à l’instinct d’amour et de dévotion parentale, est étroitement associé à la religion. D’un point de vue biologique et psychologique, la religion naît de l’émerveillement et de la curiosité. Spéculer sur ce qui se trouve au-delà des cieux – sur la vie qui peut exister au-delà de celui-ci – est une impulsion inhérente à la nature humaine. L’élément de peur entre également en jeu. L’ignorance tend toujours à engendrer le sentiment de soumission et d’humiliation, tandis que la présence de bienfaits matériels ou autres tend, chez les natures sensibles, à inspirer un sentiment de gratitude envers la puissance invisible qui dirige l’univers.
La religion n’est, après tout, qu’un comportement dicté par la conscience et dirigé par notre mentor spirituel, en supposant que l’humanité est habitée par une sorte d’entité spirituelle.
5. Loyauté professionnelle – Nous aimons tous être fidèles à nos relations d’affaires, à notre profession, à notre métier, etc., ou à notre milieu social. Cette conviction est également fondée sur le sentiment de sécurité, la sûreté qui vient de l’association tribale. Elle comporte aussi des émotions de fierté et de rivalité, très semblables au patriotisme. Nous aimons être fidèles à la satisfaction de notre fierté créatrice, du fait que nous avons construit des choses. C’est une forme de fierté de clan ou de troupeau mineur.
6. La loyauté familiale—La loyauté familiale est une conviction profonde. Elle naît des instincts primaires de tendresse et de sexe, dans lesquels les éléments émotionnels plus instables de l’orgueil et de la jalousie jouent des rôles divers. Elle est la base de la société humaine et embrasse une large gamme d’émotions et de sentiments. Le foyer, par l’association du mari et de la femme et l’éducation des enfants, et par le contact de ce groupe avec le monde extérieur, développe certaines des émotions et des sentiments les plus élevés du cœur humain. C’est la base de l’idéal de la vie sociale dans ce monde.
7. Conventions sociales – La conviction que nous devons être plus ou moins fidèles aux conventions de la société a pour origine deux émotions primaires : la sécurité et la peur. Nous nous sentons plus en sécurité dans la tribu, et nous nous sentons plus en sécurité si nous vivons comme elle. Mais les tabous tribaux, les exigences sociales, sont importants à respecter, non seulement à cause de cette sécurité, mais aussi parce que nous voulons le respect et l’admiration de nos semblables.
Il y a aussi ici un élément de peur qui prévaut. Nous craignons les conséquences de notre mépris des coutumes et des traditions ancestrales de notre race et de notre parenté. Il y a aussi un élément d’orgueil. Si nous obéissons, nous sommes des citoyens exemplaires. Si nous désobéissons, nous portons la stigmatisation du reproche. Et il y a encore un élément de honte. Nous ne voulons pas être comptés parmi les pécheurs et les inférieurs. Bien entendu, toute cette conviction est en grande partie une question d’éducation, de formation et d’exemple social, et ici, pour la première fois, nous arrivons au point où l’éducation devient le rôle dominant, le facteur principal dans la création d’une conviction humaine.