Domaine public
VIII. — Désirs insatisfaits et sublimation | Contenu | X. — Inquiétudes, craintes, obsessions et anxiétés |
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La peur est l’une des émotions fondamentales et protectrices que partagent toutes les espèces d’animaux pensants. La peur est l’un des instincts de survie les plus importants et c’est une impulsion qui incite à la prudence, à la prévoyance et à la prudence. Dans le cas de nos ancêtres primitifs, elle a sans aucun doute joué un rôle précieux. En revanche, dans notre civilisation moderne, la peur injustifiée est souvent la cause de beaucoup de chagrin et de maladie.
Nous avons déjà consacré un chapitre à la formation des complexes. Il convient maintenant d’expliquer ce que nous entendons par le mot complexe lorsque nous l’utilisons dans des désignations telles que complexe de peur, complexe d’infériorité, complexe de conscience, etc. Lorsque nous faisons référence à un complexe de peur, nous utilisons le mot complexe pour désigner un système ou un groupe d’idées et de souvenirs liés entre eux qui ont une « forte tonalité émotionnelle » et qui manifestent infailliblement le pouvoir d’influencer notre pensée consciente au point de diriger nos réactions et notre comportement dans certains canaux uniformes et définis.
Un complexe de cet ordre peut bien sûr être normal ou anormal, et nous le jugeons en fonction de la nature de son fonctionnement. Nos termes psychologiques de sentiment et de convictions ne sont guère assez forts ou suffisamment complets pour désigner un complexe. Un complexe est plutôt une association fonctionnelle d’un groupe de sentiments et de convictions corrélées.
Les causes physiques de la peur sont nombreuses, et les poisons et les substances intoxicantes ne sont pas les moindres. Nous connaissons tous les craintes d’un homme ivre dans certaines conditions. Dans le delirium tremens, l’ivrogne croit fermement que ses horribles fantasmes sont réels et, dans cet état, il peut se jeter par la fenêtre d’un immeuble élevé et mourir à coup sûr. Il croit tellement à la réalité de ce qu’il voit en apparence qu’il ne reculera devant rien dans ses efforts pour s’échapper.
La fatigue contribue grandement à l’aggravation de la peur. Nous sommes toujours plus susceptibles de succomber à nos peurs lorsque nous sommes épuisés. Nos sensations semblent nous affecter plus défavorablement dans ces moments-là. Les glandes sans canal exercent également une influence dans ce sens. Nous sommes plus sujets à des peurs aiguës lorsque la thyroïde se livre à une sécrétion excessive, tandis que nous sommes plus sujets à des inquiétudes chroniques lorsque la fonction surrénalienne est déficiente. La douleur augmente nos peurs et la maladie contribue parfois à nous prédisposer à certaines peurs, craintes et phobies. Cela est particulièrement vrai dans les infections graves.
Si la tendance générale à avoir peur est héréditaire, les peurs spécifiques – à l’exception de la peur de tomber et de certains bruits forts et stridents – ne le sont pas. Les peurs de l’au-delà nous ont toutes été suggérées directement ou indirectement. On pourrait dire qu’elles sont « conditionnées ». [ p. 106 ] Il faut se rappeler que les enfants ont très tendance à assimiler les premières peurs qui leur sont suggérées dans les histoires et qu’ils sont prompts à adopter les peurs de leurs aînés. La peur est très contagieuse, surtout pour les jeunes esprits.
Les mères affectueuses suggèrent sans réfléchir à leurs enfants la peur lorsqu’elles sont si inquiètes de les laisser seuls. Ces jeunes esprits s’imaginent que quelque chose pourrait arriver s’ils étaient laissés seuls, et la peur, pour eux, n’a rien de la fascination qui s’exerce parfois sur les esprits plus âgés et plus sophistiqués. À l’âge adulte, nous devenons parfois imprudents face à la peur. Nous éprouvons une sorte de frisson, un « coup de fouet » à l’idée d’une aventure audacieuse. Nous recherchons délibérément le danger afin d’obtenir le frisson qui naît de l’imprudence, pour profiter de la fascination d’oser défier le danger.
Il faut se rappeler que la peur n’est pas forcément anormale. C’est seulement lorsqu’elle devient une obsession qu’elle peut nous harceler et nuire à notre santé et à notre bonheur.
Mis à part ces peurs de l’enfance que nous captons par suggestion directe de nos aînés, je pense que la plupart de nos peurs finissent par prendre possession tyrannique de l’esprit à des moments où le système nerveux est surmené ou surmené ; et ces peurs ne deviennent anormales que lorsque nous leur permettons de prendre possession de l’esprit à un tel point que nous refusons de permettre à nos amis de raisonner avec nous et de dissiper ainsi nos obsessions.
Nous savons, grâce à des expériences en laboratoire, que la fatigue empêche de penser normalement et que lorsque nous sommes fatigués, nous sommes plus susceptibles de souffrir de dépression émotionnelle. Ainsi, le cercle vicieux commence : la fatigue mène à la dépression, la dépression mène à l’inquiétude, l’inquiétude nous fatigue, et ainsi de suite.
Quand nous sommes fatigués ou surmenés, quand nous sommes un peu déprimés et que l’inquiétude commence à nous envahir, surtout si nous sommes très influençables, tout est prêt pour que de nouvelles peurs surgissent. N’importe quel journal ou magazine, que ce soit dans ses articles ou dans ses pages publicitaires, peut fournir la matière à de nouvelles peurs ; d’ailleurs, les ragots de quartier peuvent en quelques minutes fournir suffisamment de graines de terreur pour produire une récolte d’inquiétudes pour une année.
Nos sentiments, lorsque nous sommes trop sensibles, ont tendance à engendrer des peurs. Dans ces moments-là, nous examinons constamment notre corps pour trouver des explications à nos sentiments, et il nous incombe de nous rappeler que nous ne sommes pas soumis à la raison lorsque nos peurs progressent au point de produire des troubles émotionnels. Nous sommes soumis à la raison tant que notre peur est purement psychique, mais lorsqu’elle se mêle aux émotions, elle est plus susceptible de se transformer en une affaire aveugle et déraisonnable. On a dit à maintes reprises que l’homme est gouverné par son cœur et non par sa tête. On peut raisonner avec des notions, mais pas avec des émotions.
Les troubles émotionnels peuvent être de nature dépressive ou euphorique, et il est pratiquement impossible de raisonner avec une personne dans l’un ou l’autre de ces états. Il en va de même pour un hypocondriaque ou un malade névrosé déprimé. Il est tout aussi difficile de raisonner avec de jeunes amants lorsqu’ils sont dans un état d’euphorie émotionnelle. Ils sont pratiquement insensibles à la raison. L’esprit [ p. 107 ] est victime de l’emprise émotionnelle. La tête est sous la domination du cœur. Lorsque les émotions s’associent à nos peurs, nous devenons de plus en plus déraisonnables et illogiques.
D’autres troubles émotionnels graves, comme la haine et la colère, sont tout aussi difficiles à raisonner ; mais nous construisons généralement des alibis pour ces accès de colère au moyen de la rationalisation. Nous passons sous silence des manifestations de colère telles que l’indignation justifiée d’une part, et la dévotion, la loyauté, le patriotisme ou l’amitié d’autre part.
Une fois que l’inquiétude a commencé, une fois que l’habitude s’est formée, il est plus facile pour la victime de continuer que d’expliquer exactement ce qui l’inquiète ; et lorsque l’habitude devient chronique, il est très difficile de l’amener à s’asseoir et à raisonner avec vous de manière sensée et logique. Vous avez la même difficulté à essayer de le dissuader de ses idées qu’à convaincre un amoureux ardent de s’asseoir et de raisonner logiquement sur ses affections. Tous deux sont sur des nuages, et il est difficile de raisonner avec eux jusqu’à ce que l’expérience les ramène sur terre.
Cette façon de laisser les émotions, même l’euphorie, contrôler l’esprit peut être poussée à des extrêmes nuisibles, surtout en relation avec la rêverie et une vie de fantaisie. Elle peut conduire à la frontière de la paranoïa. Un individu peut se mettre dans la tête qu’il est l’homme le plus riche du monde, ou une femme très névrosée peut s’imaginer qu’elle est la reine d’Égypte. D’un autre côté, la réaction de dépression, après un tel état, peut faire tomber la malheureuse victime dans les profondeurs où elle souffre de l’illusion d’avoir commis « le péché impardonnable ».
L’un des buts les plus courants de l’inquiétude est l’hypocondrie, cet état d’esprit misérable dans lequel la victime ne pense qu’à elle-même et semble n’avoir conscience que de ses propres sensations extérieures et de ses sentiments intérieurs. Certains hypocondriaques se plaignent d’avoir de l’eau qui coule sous la peau, des brûlures sur les hanches, du feu qui brûle sous les pieds, l’estomac rempli de plomb ou complètement absent du corps ; d’autres ont la sensation d’anges qui tricotent dans l’abdomen ou de démons qui se livrent à de grandes aventures dans d’autres organes vitaux.
Lorsque nous analysons l’effet des émotions sur la santé et le bonheur, nous sommes obligés de reconnaître que la peur joue un rôle bien plus important dans les affaires humaines que toute autre émotion, sans compter l’amour. La peur dominante est bien sûr la peur de la mort. Comme nos cousins animaux, nous avons hérité des émotions de peur comme prix de la survie de nos ancêtres et, comme nous le verrons plus en détail dans les chapitres suivants, le but de nos nombreuses et diverses religions est de nous aider à tempérer cette peur de la mort.
Nos ancêtres des forêts n’étaient pas seulement belliqueux dans leurs relations tribales, ils vivaient aussi au milieu d’un environnement hostile ; à tout moment, surtout pendant la nuit, ils pouvaient être attaqués par leurs ennemis humains ou animaux. Cette peur primitive s’est perpétuée jusqu’à nos jours, et c’est de ses aspects physiques que nous discutons maintenant. Dans ses manifestations les plus douces, la peur est en grande partie une proposition psychique, sans symptômes physiques. Mais lorsque la peur est plus aiguë ou plus profonde au sens émotionnel, ou lorsqu’elle prend la forme de ce que l’on pourrait appeler un « complexe physique », produisant le « trac », nous avons alors des [ p. 108 ] symptômes physiques précis et profonds.
La peur a pour but de nous aider à fuir une situation dangereuse ou, si la fuite est impossible, de nous aider à nous sentir mieux dans notre corps et notre esprit pour combattre, car nous ne parviendrons pas à nous mettre en sécurité. C’est là que les aspects physiques de la peur entrent en jeu. La vieille mère nature a prévu un mécanisme qui fait le lien entre l’expérience psychique de la peur et le corps physique. Ce mécanisme de connexion est le système nerveux sympathique. Lorsque la peur domine l’esprit, le système nerveux sympathique actionne la gâchette surrénale et une très petite quantité de la merveilleuse sécrétion des glandes surrénales, appelée épinéphrine, se retrouve dans le courant sanguin. L’effet de cette sécrétion glandulaire sans canal, ou endocrine, est presque instantané. Cette substance est capable de produire des effets mesurables dans le corps animal lorsqu’elle est présente en quantités inférieures à une partie pour un million de parties d’eau, comme le montrent les expériences de laboratoire. Que se passe-t-il lorsque la gâchette surrénalienne est actionnée et que cette substance puissante se retrouve dans le sang ? Des symptômes physiques apparaissent instantanément, et ce sont précisément ceux qui seraient utiles pour combattre ou fuir. Les muscles se tendent, ou parfois il y a une alternance entre détente et tension, voire tremblements, si l’on est contraint de rester immobile. La respiration s’accélère, le cœur se met à galoper à un rythme rapide, les glandes sudoripares commencent à travailler abondamment. C’est un aperçu de la manifestation physique de la peur lorsqu’elle est très aiguë ou à la limite de la terreur. Bien sûr, la peur peut devenir si écrasante qu’elle se détruit elle-même : on peut être si terrifié qu’on reste parfaitement immobile.
Lorsque nos craintes sont moins aiguës, lorsqu’elles sont plus chroniques, l’individu ressent ces symptômes physiques d’une manière plus atténuée, de sorte qu’il est amené à consulter un médecin pour trouver un nom à donner à cette étrange maladie. Les médecins, bien sûr, ne trouvent rien d’anormal ; mais le patient, rongé par la peur, devient de plus en plus convaincu qu’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas et que tous les médecins complotent pour le maintenir dans l’ignorance quant à la nature et à la gravité de son mal. C’est à ce moment-là que l’on peut diagnostiquer avec certitude son cas comme une véritable névrose de peur ou d’angoisse.
Ainsi, au fil du temps, même si la peur est de nature chronique, de nombreux symptômes de peur ou de terreur aiguë commencent à faire leur apparition, tels que des tremblements, une faiblesse des genoux, un essoufflement, des palpitations cardiaques, des taches scintillantes devant les yeux, des étourdissements et une transpiration injustifiée.
La capacité biologique d’éveiller le corps physique en rapport avec les émotions de peur est entièrement protectrice. Lorsqu’un animal se met à courir ou à faire une dernière résistance désespérée pour sa vie, le sang manque d’énergie pour répondre à cette demande soudaine. La peur est donc le signal psychologique envoyé au système nerveux sympathique pour appuyer sur l’accélérateur physiologique, la glande surrénale ; et cette contribution physique produit immédiatement une tension de tous les muscles, une tendance à adopter cette attitude accroupie qui contribue à une diminution de la taille apparente, et donc à aider à la fuite, ou, si la fuite est impossible, à placer le corps [ p. 109 ] dans une meilleure position pour agir en légitime défense et porter des coups décisifs à l’ennemi. Ainsi, la peur incite à adopter exactement l’attitude corporelle qui facilitera le mieux un décollage rapide en vol ou se prêtera à une défense plus efficace. Le vol soutenu exige une énergie accrue, et cette énergie est fournie par la pression sanguine élevée, qui jette dans la circulation le sucre stocké dans le foie pour servir de carburant immédiat aux muscles tendus et actifs. Une respiration rapide doit fournir de l’oxygène pour brûler ce carburant supplémentaire et ainsi fournir de l’énergie supplémentaire pour ces opérations défensives. Tout cela, bien sûr, nécessite une activité cardiaque accrue ; d’où les palpitations et les battements des muscles cardiaques liés aux états de peur.
Quel est le but de cette transpiration soudaine qui se déverse sur la peau ? Tout cela augmente considérablement la quantité de chaleur générée dans le corps. Lorsque du carburant est utilisé à des fins énergétiques, il s’accompagne d’une augmentation de la production de chaleur ; la stimulation des glandes sudoripares a pour but d’augmenter la quantité d’eau sur la peau, facilitant ainsi l’élimination de la chaleur, empêchant ainsi la température du corps de dépasser la norme de 98,6 °F.
Telle est la mission biologique de la peur. C’est l’étincelle psychique qui avertit le système nerveux sympathique de déclencher l’appel d’émeute surrénalienne, facilitant ainsi la mobilisation de toutes les forces de l’esprit et du corps pour coopérer au travail d’auto-préservation.
Dans le cas des névroses de peur, le phénomène est simple : les personnes nerveuses ressentent une peur excessive dans le domaine psychique et elles envoient donc un signal au système nerveux sympathique qui, à son tour, envoie une fausse alerte aux glandes surrénales. Une fois cette alerte terminée, il ne reste plus qu’à subir cette crise de terreur particulière. Lorsque la sécrétion de la glande surrénale pénètre dans le sang, il n’y a plus d’échappatoire à la tension musculaire, aux tremblements, à l’essoufflement, aux palpitations cardiaques, à la transpiration et à tous les autres symptômes physiques d’un appel à l’émeute biologique.
Certaines personnes nerveuses sont capables de se mettre dans un tel état d’anxiété constante que presque à chaque instant de veille, l’esprit enregistre l’alarme de la peur psychique, le système nerveux sympathique « hurle » en criant sans cesse et les glandes surrénales sécrètent plus ou moins continuellement. Ainsi, parfois même longtemps après que le stimulus physiologique a cessé, la réaction d’habitude continue et beaucoup de ces symptômes, d’origine physiologique à l’origine, persistent en raison d’une irritabilité purement sympathique.
Lorsqu’un jeune homme malicieux déclenche une fausse alerte incendie, tous les pompiers du quartier se ruent dans la rue comme s’il s’agissait d’un véritable incendie. Ils se mobilisent avec autant d’enthousiasme pour une fausse alerte que pour un vrai incendie ; de la même manière, lorsque le complexe de peur de notre patient névrosé déclenche une alerte, le comportement psychologique et les réactions physiques d’une véritable crise de vie ou de mort sont immédiatement plus ou moins mis en évidence. La glande surrénale et le mécanisme nerveux sympathique qui lui est associé sont dépourvus de raison et de jugement. C’est leur rôle de répondre à l’alerte de peur, et eux aussi mobilisent leurs énergies et manifestent tous les phénomènes d’action nerveuse et physique avec autant d’enthousiasme pour une fausse alerte que pour une véritable urgence.
Je crois qu’il est maintenant clair pourquoi les personnes nerveuses souffrent de tant de symptômes d’ordre apparemment physique. Elles sont dans un état de fausse [ p. 110 ] alerte chronique, et lorsque la peur atteint ce stade, on parle de névrose d’angoisse.
C’est ainsi que lorsque nous laissons, bêtement et faussement, sonner l’alarme de la peur, lorsque toutes ces énergies nerveuses et physiques sont mobilisées alors qu’il n’y a aucun danger à fuir et aucun ennemi à combattre, toute cette mobilisation défensive se tourne vers l’intérieur au lieu de l’extérieur. Nous voyons ainsi que la peur, pervertie, au lieu de servir de facteur de conservation de soi, devient un maître tyrannique et asservissant. La physiologie de la peur est celle de la conservation de soi ; la pathologie de la peur est celle des névroses.
Voilà l’histoire de la psychologie et de la physiologie des manifestations physiques des troubles dits névrotiques. La tension musculaire, l’anxiété mentale, les battements cardiaques et l’essoufflement, associés aux genoux tremblants, à une faiblesse inexplicable, à des sensations d’étouffement, à des vaisseaux sanguins qui palpitent, à des vertiges et à des nausées, font penser à n’importe quel être humain ordinaire qu’il y a quelque chose de radicalement anormal. Ces symptômes engendrent à leur tour davantage de peur – le même type de peur qui les a provoqués – et cette peur secondaire produit davantage de symptômes de réaction physiologique. Ainsi se forme le cercle vicieux. Notre patient est esclave de la peur, et le joyeux tourbillon continue jusqu’à ce que quelqu’un le prenne en main et lui enseigne la vérité sur lui-même, le rééduque et le guide dans le reconditionnement des réactions physiques à son état psychique, et lui permette finalement de changer son état d’esprit de la peur chronique à la foi normale et favorable à la santé.
Il semble que le but biologique de la peur soit d’accélérer la fuite, de contribuer à la conservation de soi en facilitant la fuite devant le danger. Or, en relation avec l’instinct de combat, nous avons l’éveil de la colère. La colère est aussi le résultat de la capacité de la peur, par l’intermédiaire du système nerveux sympathique, à accélérer la production des sécrétions de la glande surrénale, qui, lorsqu’elles se déversent dans la circulation sanguine, ne manquent jamais d’augmenter la colère ; et c’est cet éveil de la colère qui ajoute tant à la capacité de combat de l’animal au cas où il serait incapable d’échapper à une attaque menaçante. Ce que nous appelons la haine est une sorte de colère chronique et confirmée, et elle vient parfois prendre la place d’un amour déçu et réprimé.
Ce mécanisme de peur et de colère avait une grande valeur de survie. Ceux de nos ancêtres qui n’avaient pas cette peur, ni la capacité correspondante de fuir rapidement en présence du danger, ou qui n’étaient pas combatifs ou colériques lorsqu’ils étaient acculés, n’ont pas survécu. Ce mécanisme de peur et de colère, qui ne résonne pas, a été très utile à l’espèce humaine dans ses premières luttes pour la survie. Avec le progrès de la civilisation, ce mécanisme n’est plus aussi essentiel qu’il l’était autrefois, mais il faut garder à l’esprit qu’il existe toujours. Ainsi, chaque être humain est aujourd’hui confronté à la nécessité d’entraîner, de maîtriser et de reconditionner ce mécanisme de protection démodé et primitif de peur et de colère. Certains d’entre nous sont encore assez prompts à réagir lorsqu’il s’agit de ressentiment. Nous avons un tempérament de feu et nous nous emportons à la moindre provocation.
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Comme nous l’avons déjà mentionné, la libération de la sécrétion surrénalienne dans le sang augmente énormément la force momentanée de l’individu ; en fait, elle fait plus que tripler sa force physique à court terme. Le sang afflue de la tête et plus particulièrement des organes internes vers les gros muscles, ces mêmes muscles qui seraient utilisés pour fuir le danger ou pour combattre un ennemi. Nous en venons ainsi à reconnaître que les glandes surrénales sont les glandes de combat – que tandis que la peur déclenche ce mécanisme de défense, les glandes surrénales fournissent le stimulant chimique qui permet à l’organisme animal de mener la lutte jusqu’à une fin victorieuse.
La sécrétion surrénalienne est probablement le stimulant le plus puissant connu. Sous son influence, un homme dont le mécanisme de peur et de colère est parfaitement éveillé peut vaincre une demi-douzaine de ses semblables ordinaires. L’histoire abonde d’exploits extraordinaires accomplis sous l’influence d’une dose juste de peur couplée à une excitation complète de l’instinct de combat et de la colère qui lui est associée.
Nous nous apercevons rapidement de l’absence de cette sécrétion surrénalienne dans les cas de fatigue chronique et de faiblesse musculaire. Il est également bien connu que lorsque nous sommes fatigués et épuisés, nous sommes plus ou moins querelleur. Cette irritabilité est sans doute un effort de la part de Mère Nature pour susciter un peu de combativité afin de ranimer nos esprits blasés. Voyez-vous, si nous pouvons déclencher une querelle ou une discussion animée lorsque nous sommes dans cet état dépressif, cela nous permet de puiser dans les glandes surrénales de combat pour une gorgée de notre propre tonique de combat interne. Je me suis souvent demandé si un grand nombre de nos citoyens les moins intellectuels ne tiraient pas plus ou moins de plaisir de leurs querelles et de leurs bagarres constantes. Ils se sentent vraiment mieux grâce à leurs fréquentes manifestations de colère légère, accompagnées d’une stimulation surrénalienne plus ou moins importante.
Ce stimulant nerveux et musculaire, comme tout autre stimulant, le whisky par exemple, peut faire beaucoup de mal quand on en prend une surdose. Un peu de peur en présence d’un danger accélère votre rythme de fuite, mais trop de colère vous paralyse. Vous êtes figé sur place, frappé de terreur. La juste dose de colère vous renforce et vous rend nerveux pour le combat, vous rend plus efficace au combat ; mais trop de colère vous paralyse de rage ou vous fait perdre la tête à la manière d’un fou. Elle agit comme la strychnine, en ce sens qu’une petite dose augmente la force musculaire et vous remet sur pied, mais trop de colère provoque des tremblements, des convulsions musculaires ou même une rigidité, une rigidité qui ressemble à un tétanos.
Que va-t-on faire de ce mécanisme de peur-colère, de cette propension au combat de l’espèce humaine ? On ne peut pas s’en débarrasser. Il se manifeste à des degrés divers chez chacun d’entre nous et constitue désormais un handicap. Que va-t-on faire pour y remédier ?
Au début, nous allons le reconnaître, le raisonner et chercher à le maîtriser. Après avoir fait de notre mieux sur le plan éducatif et disciplinaire, nous allons passer à la substitution et à la sublimation. Nous allons reconnaître que nous devons fournir dans notre expérience quelque chose contre lequel nous pouvons périodiquement nous mettre en colère – sélectionner un certain nombre de choses qui susciteront complètement notre indignation vertueuse. L’indignation vertueuse est une sorte [ p. 112 ] de version à moitié civilisée, à moitié christianisée de la colère animale primitive, mais elle sert un but merveilleux. Elle nous empêche de nous engager dans un combat physique plus direct, plus brutal, et nous fournit de temps à autre une bonne dose de tonique surrénalien – un stimulant qui n’est pas du tout mauvais pour la santé générale et le moral psychique.
Quand nos ancêtres se livraient à ce complexe peur-colère-rage, ils étaient capables d’évacuer l’énergie musculaire qui en résultait dans une course à pied longue, rapide et acharnée, ou dans un combat musculaire vigoureux. Ils l’expulsaient de leur organisme par des voies physiques ; mais aujourd’hui, lorsque nous nous permettons de nous mettre en colère, nous n’avons généralement pas la même possibilité de l’évacuer. Bien sûr, les mères se mettent en colère et frappent leurs enfants de temps à autre ; il arrive que certains types de personnes mariées se mettent vraiment à dos et traînent, et que certains de nos concitoyens les moins contrôlés se livrent à des bagarres à l’ancienne ; mais, en général, nous ne trouvons pas beaucoup de voies physiques disponibles pour l’élimination de notre complexe de colère. Nos muscles se tendent, nous sommes fous de rage ; mais nous devons réprimer notre colère, et ainsi la perturbation frappe vers l’intérieur pour trouver un logement dans le subconscient, pour ressortir plus tard sous une forme déguisée et modifiée comme les peurs, les phobies, les obsessions, les tremblements, les étourdissements, l’anxiété et la fatigue des divers troubles nerveux chroniques, les soi-disant psychonévroses.
Une chose est sûre : nous devons soit contrôler ce mécanisme de peur et de colère et empêcher qu’il ne se déclenche trop souvent et trop vigoureusement, soit trouver un substitut civilisé sur lequel décharger notre soi-disant indignation justifiée. C’est peut-être là l’une des utilités du soi-disant mal. Il fournit une cible à un excès de colère. De la même manière, la conception d’un diable personnel et de tous les mécanismes de la région inférieure fournit à l’homme christianisé quelque chose sur quoi décharger sa colère ; mais à ce propos, permettez-moi de vous mettre en garde contre le fait de vous intéresser de manière excessive à un mouvement de réforme au point d’en faire une partie vitale de vous-même. J’ai rencontré de nombreux réformateurs professionnels qui étaient réellement malades parce qu’ils prenaient toute critique de leur mouvement favori comme une insulte personnelle.
La plupart d’entre nous se souviennent de notre première récitation à l’école ou de la première fois que nous sommes apparus en public. La plupart d’entre nous étions presque terrorisés. Nous présentions tous les symptômes de la peur, y compris celui si communément associé au trac : la bouche sèche, la langue collée au palais. Ce trouble du trac semble pouvoir déclencher tout le mécanisme de défense psychique et physique du corps. Lorsque nous en sommes victimes, nous nous exhibons de manière à mériter le dernier combat dans une lutte à mort.
De nombreuses personnes grandissent et traversent la vie avec un complexe de trac incontrôlable. Une patiente m’a récemment dit :
« Docteur, vous m’avez aidé à surmonter toutes mes peurs. Je peux conduire une automobile. Je peux faire beaucoup de choses que j’avais cru autrefois ne pas pouvoir faire. En fait, il n’y a pas une seule peur, une seule terreur ou une seule phobie qui m’ont assailli au cours des années passées que je n’aie vaincue ; et puisque j’ai pu maîtriser toutes ces choses, pourquoi suis-je toujours aussi affecté par ces symptômes désagréables lorsque je me lève en public pour dire quelques mots, ou lorsque j’essaie de lire un journal au [ p. 113 ] club, ou même lorsque j’essaie de signer mon nom en public ? Quel est le problème ? Pourquoi n’y parviens-je pas ? Je vais le faire même si cela me coûte la vie. »
Mais je devais lui expliquer qu’elle se trouvait confrontée à quelque chose de différent des autres. Ce n’était pas une simple peur, c’était un complexe de peur. Lorsqu’elle promit de reprendre la conduite automobile, elle ne fut pas saisie par ce groupe de réactions physiques de peur. C’était une expérience purement psychique. Il n’y avait que peu de réactions physiques associées, et c’est exactement la différence entre surmonter une peur et maîtriser un complexe de trac. Le complexe de trac est toujours relié à la glande surrénale par le biais du système sympathique ; ou il est relié à un complexe associé tel que, avec ou sans la contribution des glandes surrénales, il est capable de déclencher une fausse alerte et de mobiliser tout le mécanisme de défense pour agir ; et tout cela se fait automatiquement et instantanément.
Je connais une femme de cinquante ans dont le mari est assez aisé et qui aimerait consacrer ses énergies à une œuvre sociale. Elle a un esprit extraordinairement vif, une imagination très active, prend un grand plaisir à lire et à se tenir au courant de l’actualité et serait un membre précieux de toute organisation sociale. Elle a toutes les capacités pour être présidente d’un comité ou d’un club. On lui demande toujours conseil, de sorte qu’elle a toutes les chances et toutes les qualifications pour exercer ces fonctions. Mais pourquoi est-elle radiée du barreau ? Parce qu’elle a le trac.
J’ai eu une expérience intéressante avec cette patiente, l’ayant aidée à surmonter de nombreuses difficultés psychiques. Elle a traversé un labyrinthe neurologique jusqu’à ce qu’elle parvienne à se comprendre parfaitement. Elle est particulièrement intelligente face à ses propres problèmes psychiques et s’en sort à merveille avec ses difficultés nerveuses. Elle a réussi à se débarrasser de ses autres peurs et phobies, et c’est très embarrassant, voire humiliant, de devoir demander de l’aide pour surmonter ce complexe de trac. Ce qui la perturbe, c’est la réaction physique. Elle n’a jamais eu ces manifestations physiques en rapport avec aucune de ses autres peurs, mais elle finit par comprendre que nous ne pouvons pas nous débarrasser de l’agitation physique par la raison comme nous le pouvons à partir de peurs et de phobies plus purement psychiques.
Cette patiente a un complexe de trac tellement bien ancré et organisé que je doute qu’il soit nécessaire que la glande surrénale déclenche ses crises. Pourtant, à la fin, elle a des chances de surmonter la difficulté. La grande majorité des victimes du trac s’en sortent, et un plus grand nombre encore y parviendraient si elles consacraient suffisamment de temps à apprendre à l’ignorer. Mais toutes n’y parviennent pas. J’ai parlé l’autre jour avec un acteur qui m’a dit qu’il souffrait toujours autant du trac qu’il y a vingt-cinq ans ; après l’avoir interrogé plus longuement, il a cependant admis que ce n’était pas si grave que ça.
Je travaille depuis deux ans avec une jeune violoniste pour essayer de l’aider à surmonter son trac. Dans son cas, c’est une question de vie ou de mort, car cela touche à sa subsistance. Pourtant, ce n’est que depuis quelques mois qu’elle commence à montrer une amélioration. Bien sûr, je reconnais qu’elle a un tempérament artistique ; elle ne suit mes instructions que de temps en temps.
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Mais que faire de ce complexe de peur ? Il faut le traiter de la même manière que pour tout autre complexe de peur, c’est-à-dire :
Nous sommes sur la bonne voie pour réussir lorsque nous pouvons faire de toute l’expérience une plaisanterie. L’autre jour, j’ai dû interpeller un patient en lui disant : « Que penseriez-vous d’un pompier idiot qui répondrait à une alarme qu’il sait être fausse et insisterait pour brancher tous les appareils d’incendie et arroser la pièce d’eau ? C’est exactement ce que vous faites. »
Il y a quinze ans, un homme d’environ trente-cinq ans est venu me consulter. Il se plaignait de nervosité et pensait souffrir d’une forme assez rare de maladie cardiaque. A l’époque où je l’ai examiné, son cœur était en bon état, mais il m’a raconté qu’il palpitait et battait fort, qu’il sautait des battements et qu’il était souvent envahi par la peur d’une mort imminente. Il a fallu plusieurs années avant qu’il ne parvienne à se rendre au cabinet lorsqu’il était réellement en proie à une de ces crises cardiaques ; mais j’ai finalement réussi à le voir en proie à une de ces crises. C’était un cas typique de palpitations névrotiques, et il présentait tous les symptômes qui vont avec : faiblesse, transpiration au front, sensation d’étouffement, essoufflement. Il n’est pas nécessaire d’avoir une de ces crises, il suffit de voir un patient névrotique en passer une pour comprendre pourquoi on les appelle « crises de mort ». Une femme a annulé un rendez-vous avec moi et, lorsqu’elle est revenue une semaine ou dix jours plus tard, elle m’a dit : « Oh, docteur, je n’ai pas pu venir ce jour-là. J’ai eu l’une des pires phases de mort que j’ai eues depuis vingt-cinq ans. »
C’est en effet une sorte de mort vivante que mènent ces névrosés ; mais la science moderne a découvert des moyens de les éduquer pour les sortir de cet esclavage de la peur.
Revenons à l’homme dont j’ai commencé à parler. Il vient régulièrement depuis quinze ans pour se faire examiner le cœur. Il va toujours bien, mais ce patient continue à jouer avec son complexe de trac. Il continue à avoir des expériences terrifiantes. S’il se lève devant un public, s’il essaie de signer son nom en public, ou même s’il est un peu trop fatigué, il a une de ces « crises de mort ». Ou bien, comme il a une forte angulation du côlon, avec une tendance à former une poche pour l’accumulation de gaz, un peu de gaz sous son cœur qui fait pression sous le diaphragme suffit à déclencher la fausse alarme, et il a tout le plaisir d’un trac de première classe. Tous les symptômes apparaissent : sécheresse de la bouche, vertiges, évanouissements et battements de cœur. Les muscles sont tendus, il a même des frissons nerveux. Et ainsi de suite, et ce ne sont que des nerfs, rien que des nerfs. Médecin après médecin a examiné cet homme et n’a rien trouvé d’anormal. C’est simplement l’esclavage de la peur, l’esclavage des nerfs.
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La véritable peur qui se cache derrière tout cela, c’est bien sûr la peur de la mort. Toutes ces terreurs terrifiantes ne sont que des réactions de défense, des camouflages, des subterfuges subconscients. Nous avons tout le temps peur d’être tués. Nous avons peur de mourir, mais nous sommes trop fiers pour l’admettre, même à nous-mêmes. C’est pourquoi le subconscient, selon son habitude, fait surgir de fausses peurs et des peurs de substitution pour remplacer notre peur réelle et fondamentale, la peur de la mort. Parfois, nous en arrivons au point où nous admettons franchement cette substitution, mais le névrosé moyen déteste admettre les trois peurs les plus courantes : la peur de la mort, la peur de la folie et la peur du suicide.
Ainsi, nous continuons à souffrir, à cause de certaines peurs qui sont repoussées dans le subconscient, plutôt que d’admettre d’autres harcèlements humains fondamentaux et communs. Ainsi, le névrosé, dans un effort pour éviter de reconnaître franchement et ensuite de déplacer ou de sublimer la peur de la mort, se laisse devenir la victime de cette mise en scène continue d’une phobie terrifiante ; en d’autres termes, dans un effort pour esquiver la peur de la mort, il meurt mille fois.