[p. viii]
[p. ixpix]
Il serait affectation pour moi de dire beaucoup de choses pour pallier les inconvénients auxquels je suis confronté en tant que successeur du professeur Darmesteter. Il suffit de dire que je crois en être pleinement conscient et que j’espère que ceux qui étudient mon travail me témoigneront d’autant plus de sympathie dans les circonstances. Le professeur Darmesteter, ayant poursuivi ses travaux universitaires, s’est trouvé tellement occupé qu’il a dû renoncer à travailler sur cette série pour le moment. Mon travail sur les Gâthas était entre ses mains depuis un certain temps [1], et il m’a demandé, en tant qu’ami, d’écrire le volume encore nécessaire de la traduction de l’Avesta. Bien que profondément conscient de l’inconvénient de suivre quelqu’un dont l’érudition n’est surpassée que par son génie, je me suis senti incapable de refuser.
Quant à mon traitement général, les experts n’auront pas besoin d’être informés que je n’ai rencontré aucune difficulté courante. D’une part, il serait extrêmement imprudent pour un érudit non arbitrairement placé hors de portée de la critique de se risquer à produire une traduction du Yasna, du Visparad, de l’Âfrînagân et des Gâhs sans notes défensives. La moindre liberté serait surcritiquée par les parties intéressées, puis condamnée par leurs disciples. D’autre part, même avec le commentaire imparfait qui accompagne les Gâthas ici, la généreuse courtoisie des délégués de Clarendon Press a été trop abondamment sollicitée. On ne s’attend pas à des commentaires détaillés dans cette série. Mes efforts se sont donc principalement limités à prévenir les assauts possibles de critiques injustes ou oublieux, et ainsi à m’épargner, autant que possible, la nécessité d’une réplique pénible.
[p. x]
Publier un commentaire sur le Yasna, etc., clair pour les non-spécialistes et en même temps intéressant, prendrait bien plus de place que ce qui est autorisé ici. Cependant, en traitant des Gâthas, même au risque d’une extension excessive, je me suis efforcé de compenser l’obscurité nécessaire des notes par de larges résumés et une traduction étayée par des paraphrases, car un tel sujet a plus de chances d’être généralement instructif qu’un commentaire nécessairement resté obscur. Ces résumés doivent également être lus avec d’autant plus d’indulgence qu’ils sont les premiers du genre jamais tentés, celui de Haug ayant été différent dans son contenu. Concernant toutes les questions de pure forme, j’attends de tous une concession similaire. Ce sera, j’espère, un résultat suffisant si une traduction, élaborée selon les principes critiques les plus stricts, peut être rendue lisible. Car si tout étudiant peut transcrire à partir des œuvres d’autrui ce que l’on pourrait appeler une traduction du Yasna, traduire cette partie, appelée les Gâthas, a été déclaré par une autorité respectée comme « la tâche la plus ardue de la philologie aryenne [2] ». Et assurément, si l’étendue des études préparatoires doit seule servir de critère, la déclaration citée ne semble pas exagérée. D’après des estimations mathématiques, la quantité de travail nécessaire pour devenir un chercheur indépendant semble bien supérieure à celle qui se présente aux spécialistes de départements plus prestigieux. Nul ne devrait songer à écrire avec originalité sur les Gâthas, ou le reste de l’Avesta, s’il n’a pas étudié longtemps le sanskrit védique, et nul ne devrait songer à émettre des opinions définitives sur les Gâthas s’il n’a pas maîtrisé à un degré respectable les commentaires pahlavi. Mais tandis que le védique, grâce aux travaux des éditeurs et des lexicographes, est depuis longtemps ouvert à une étude pleine d’espoir, les commentaires pahlavi n’ont jamais été complètement établis, et écrivain après écrivain avance avec un aveu ouvert à cet effet ; tandis que l’explication, si elle est tentée, implique des questions de déchiffrement réel, et des études persanes en plus de celles du sanskrit et du zend ; et la langue des Gâthas exige également l’étude d’une philologie comparative sévère, et cela dans une mesure inhabituelle, sinon inégalée.
L’observateur attentif comprendra immédiatement qu’un domaine scientifique ainsi conçu peut être particulièrement embarrassant. D’une part, il est exposé aux impositions des dilettantes, et le spécialiste assidu doit se contenter de voir ceux qui ont progressé avec des études à moitié, ou moins, achevées, consultés comme des maîtres par un public qui n’ignore que les lois les plus profondes de la science ; et, d’autre part, les déficiences des spécialistes, même les plus laborieux, laissent des abîmes d’imperfection d’où la guerre des méthodes doit sans cesse resurgir. Pour ce qui est des Gâthas en particulier, j’ai eu recours à une traduction inclusivement littérale [3], mais complétée et arrondie quant à la forme par un libre usage d’ajouts. Comme l’étudiant sérieux doit lire avec une critique sévère, il remarquera peut-être que je m’efforce parfois d’obtenir un effet plus agréable ; mais, comme nous perdons entièrement le flux métrique de l’original, un tel effort pour mettre la traduction quelque peu au même niveau que l’original à cet égard, devient une réelle nécessité. Cependant, afin d’éviter d’induire le lecteur en erreur, j’ai généralement, mais pas toujours, indiqué les mots ajoutés par des courbes entre parenthèses. Que cela soit considéré comme inesthétique et maladroit, je le sais bien. Je les considère comme tels moi-même, mais je ne me suis pas senti libre de m’en abstenir. Les Gâthas étant contestés mot pour mot, je ne pouvais pas me permettre de recourir à des omissions volontaires ; et ce que serait une traduction sans ajouts ni omissions, on peut le voir à partir des quelques rendus mot pour mot donnés. Au-delà des Gâthas, j’ai omis les courbes plus souvent. Dans les Gâthas, comme ailleurs, je me suis efforcé de conférer un caractère rythmique à la traduction, pour la raison évoquée ci-dessus. Les lecteurs étrangers devraient particulièrement noter ce fait, ainsi que mon souci de préserver la couleur des expressions originales, sans quoi ils se demanderont inévitablement pourquoi je n’économise pas les mots. Pour préserver la couleur et la chaleur, tout en incluant une traduction littérale, il est impossible d’économiser des mots et des syllabes, et il est imprudent de le faire. Les non-spécialistes pourraient déplorer la fréquence des traductions alternatives, qui pourraient donner une impression d’indécision, alors qu’en même temps, une décision s’exprime toujours par l’adoption d’une traduction préférée. Ces alternatives ont été ajoutées afin de montrer à quel point les probabilités peuvent être proches de l’équilibre, et aussi combien les questions des spécialistes sont souvent sans importance pour le sens général.
Pour la translittération, j’ai suivi le plan utilisé dans les volumes précédents afin d’éviter toute confusion, mais depuis la publication du premier volume, de grands progrès ont été réalisés sur ce point, et j’aurais dû adopter une disposition différente dans un ouvrage séparé [4]. Quant aux autres variations sans importance par rapport aux volumes précédents en matière d’usage et de mode, j’espère que personne ne s’y attardera un instant [5]. Concernant les divergences d’opinion habituelles et inévitables sur des questions plus sérieuses, voir les remarques de l’introduction [6]. Je tiens également à préciser que j’ai souvent évité de traduire des passages identiques dans une langue identique, ce qui était pénible pour le lecteur comme pour l’auteur. Je n’ai pas non plus systématiquement cité les variantes de texte manifestement préférables qui ont été adoptées et qui sont si familières à Westergaard, Spiegel et Geldner. Les textes de Westergaard ont été suivis de manière systématique, cet ouvrage étant publié avant l’achèvement du texte de Geldner. Les formules et prières, souvent récurrentes en fin de chapitre et de section, ont été laissées telles quelles, et finalement, pour la plupart passées inaperçues, les notes inutiles ayant été supprimées. Des citations des traductions en pahlavi et en sanskrit ont parfois été citées intégralement, afin de tenir compte des affirmations extraordinaires qui semblent parfois ne pas avoir été essentielles à l’interprétation des Gâthas. Mais en citant ces extraits et en citant fréquemment les traductions en pahlavi, en neryosangh et en persan, je me suis peut-être exposé à l’idée fausse que je suis un fervent défenseur de la prétendue tradition [7], alors que tout critique consciencieux reconnaîtra que je suis les indications de ces ouvrages avec plus de réserve que tout auteur prétendant les avoir étudiées ; en fait, je risque fort d’être critiqué par les « traditionalistes » sur ce point. Je cite ces traductions asiatiques avec d’autant plus d’intensité que ceux qui les négligent approuvent leurs indications ; elles le font donc pour montrer que, si leurs adversaires les plus ardents leur sont pourtant redevables, par oubli, presque à chaque ligne, elles doivent être étudiées comme une nécessité absolue, dans tous les cas de grande difficulté, avant d’adopter des conjectures irréfléchies. Car c’est précisément là où nous sommes tous le plus dans le doute que leurs indications prennent toute leur valeur, lorsqu’elles sont considérées rationnellement. Il convient d’examiner ces traductions à la recherche des vestiges de vérité, des allusions et des traces d’explications originales, qui peuvent abonder là où elles sont elles-mêmes les plus défectueuses en tant que traductions. Je ne les recherche donc jamais pour des reproductions exactes. Mais les citations que je donne ici [p. xiv] ne constituent qu’une infime partie de celles nécessaires.Un argument doit être construit sur la base d’un exposé complet des circonstances, explicité avec une rigueur scientifique. Cela seul pourrait contraindre les chercheurs à reconnaître la vérité ; car non seulement l’inertie et les préjugés sont en cause, mais même l’intérêt. On en dit autant des traductions pahlavi ; car Ner. n’est cité à juste titre que comme traduction d’une traduction et, à ce titre, comme faisant autorité [8] ; il en va de même pour la traduction persane.
Les zendistes remarqueront que je n’abandonne en aucun cas les explications simplement parce qu’elles sont anciennes, une pratique qui semble presque à la mode. J’approuve cependant pleinement l’idée de tester et d’attaquer sans cesse toutes les suggestions, anciennes ou nouvelles. J’affirmerai simplement que, tant que la tâche qui nous attend reste si vaste, il serait préférable pour les érudits d’exercer leur sagacité sur les passages qui appellent fortement à de sages conjectures, laissant ceux qui sont clairs tels quels pour des assauts ultérieurs. On verra que je n’approuve en aucun cas l’abstention de conjectures [9], mais j’insiste seulement en toute humilité sur le fait que nous ne devrions pas nous abandonner à des conjectures non préparées. Comme on le sait [10], j’ai tenté la traduction actuelle après plus de dix ans de travail minutieux et après une traduction complète [p. xv] des traductions en pahlavi et en sanskrit, ainsi qu’une édition des textes zend, pahlavi, sanskrit et persan des Gâthas. Il convient d’ajouter que, pour préserver l’intégrité du jugement et l’ouvrir à une conviction sincère sous l’influence du Rig-Véda, j’ai suivi la pratique, pendant plusieurs années, de transcrire les hymnes du Véda en anglais dans des études écrites mot à mot, ayant déjà traité ainsi la grande majorité d’entre eux ; certains d’entre eux sont succincts, d’autres inutilement longs. J’ai également, d’autre part, traduit une grande partie des Gâthas en sanskrit védique. (Ceci, cependant, est pratiquement une coutume universelle, car tous les mots sont comparés au védique, dans la mesure où des analogies existent entre les Gâthas et les Riks.) Si donc les écoles opposées me considèrent comme comme faisant erreur en me fiant trop implicitement aux allusions des Asiatiques d’un côté, ou en ayant une tendance trop marquée à lire le Gâtique comme védique de l’autre, elles peuvent être assurées que je n’ai pas erré par intérêt ou par préjugé. Il est insensé d’espérer que mes résultats plairont aux deux parties, en fait la perfection dans la traduction des Gâthas (comme de certaines autres œuvres anciennes) est à jamais inaccessible, et ne doit pas être recherchée ; de plus, elle ne serait pas reconnue, si elle était atteinte ; car aucun écrivain, quel qu’il soit, ne peut produire une traduction des Gâthas sans rencontrer les assauts de l’ignorance ou de la conception. Aussi imparfaits que puissent paraître mes résultats, il faut espérer qu’ils contribueront quelque peu à établir une convention parmi les érudits quant à la signification des écrits gâtiques et zendiques ; en attendant, on peut espérer qu’ils répondront aux exigences de la science de la théologie comparée. Quelle que soit la vérité ultime sur des questions de détail, le Yasna, comme le reste de l’Avesta, est clair quant à son credo.
Ma liste d’obligations est longue, si longue en fait que je crains de ne pouvoir exprimer que peu de compliments en nommant des conseillers, car j’ai pris l’habitude de consulter toutes les personnes disponibles, ainsi que les ouvrages. À une exception près, je me réserve donc le plaisir de les rappeler à une prochaine occasion.
[p. xvi]
Il suffit de dire ici que, bien que je suive une nouvelle orientation dans le traitement des commentaires asiatiques, les auteurs les plus éminents des écoles opposées m’ont aimablement gratifié de leurs conseils. Profitant de l’exception mentionnée, je voudrais exprimer ma gratitude, en particulier au Dr EW West, notre principale autorité en matière de pahlavi, pour avoir mis à ma disposition diverses versions du texte pahlavi du Yasna, dont nous ne possédions jusqu’à présent qu’un seul manuscrit en caractères pahlavi, celui contenu dans le plus ancien écrit zend, le Codex numéro cinq, conservé à la Bibliothèque de Copenhague. Les variations mentionnées ont été transcrites par le Dr West à partir du vénérable manuscrit, propriété héréditaire du Dastur Dr. Gâmâspgi Minokihargi Asana de Bombay, et rédigées seulement dix-neuf (ou vingt-deux) jours après celui, numéro cinq, conservé à la Bibliothèque de Copenhague. Grâce à ce généreux prêt, j’ai pu imprimer ailleurs le premier texte du Pahlavi des Gâthas, édité par comparaison avec les manuscrits, et traduit pour la première fois dans son intégralité dans une langue européenne. À cet effet, le Dr West, au cours d’une longue correspondance, m’a fourni des informations sur le Pahlavi introuvables ailleurs, ainsi que des corrections et des révisions. Il existe un autre ami éminent dont les sacrifices de temps et de travail en ma faveur ont été exceptionnels, mais je ne mentionnerai pas les érudits du Zend.
Je saisis cette occasion pour exprimer ma reconnaissance au professeur Dr. von Halm de la Hof- et Staatsbibliothek de Munich, pour m’avoir permis d’utiliser gratuitement le Codex 12b de la collection Haug, à la fois à Stuttgart et à Hanovre ; également au professeur Dr. Wilmanns de Göttingen ; au Geheimrath Dr. Forstemann de Leipzig ; et à M. Rath Bodemann de Hanovre, pour le prêt d’un grand nombre d’ouvrages précieux de leurs bibliothèques publiques respectives, souvent renouvelés avec une grande générosité.
MOULINS LH.
HANOVRE, février 1886.
ix:1 Voir la Revue Critique, 26 novembre 1883. ↩︎
x:1 ‘Ces cinq Gâthâs, qui sont tous composés métriquement, forment la partie linguistiquement la plus importante, mais aussi de loin la plus difficile de toute l’Avesta ; en effet, on peut dire, sans crainte d’être accusé d’exagération, qu’ils forment la partie la plus difficile de toute la philologie indo-européenne.’ Ancien verbe iranien ; par C. Bartholomae; Introduction, p. 3. ↩︎
xi:1 C’est à peu près vrai ; une littéralité absolue, même traitée comme je le propose, serait ingérablement maladroite. Dans un autre ouvrage, je donne une traduction mot à mot des Gâthas. ↩︎
xii:1 Principalement en ce qui concerne ; mais j’écris
. ↩︎
xii:2 Comme dans Âramaiti, Vohu Manah, etc. J’écris aussi Neryosangh, et dans quelques endroits Gâtha(â), Ahunavaiti(î), etc. Je regrette de ne pas avoir écrit Mazdâh partout. ↩︎
xii:3 Là où je diffère du professeur Darmesteter, je souhaite être considéré comme proposant simplement des traductions alternatives. J’ai donc omis une masse de références aux volumes précédents, les jugeant inutiles. ↩︎
xiii:1 Les vestiges d’une « tradition » venue directement de la source sont présents dans les commentaires asiatiques, ainsi que les vestiges d’une tradition issue d’une érudition ultérieure, et pour ainsi dire moderne ; et, enfin, il y a aussi les résultats directs d’une érudition ancienne ; mais parler des traductions pahlavi comme de « tradition » n’est pour nous qu’une expression commode. Je ne connais aucun érudit qui suppose que ces commentaires sont, au sens simple du terme, une « tradition » des premiers auteurs zend. ↩︎
xiv:1 Il faut espérer que nos occupations sont suffisamment sérieuses pour nous permettre de passer sous silence les imperfections du style sanskrit de Neryosangh. Il était particulièrement gêné dans sa façon de s’exprimer par une supposée nécessité de tenter de suivre mot pour mot son original (qui n’était pas le Gâtic mais le Pahlavi). Ses services furent des plus éminemment érudits et, compte tenu de ses inconvénients, parmi les plus grands qui aient été rendus. Le professeur R. v. Roth et le Dr Aurel Stein ont aimablement transcrit pour moi de précieuses variantes. ↩︎
xiv:2 Il sera cependant considéré comme particulièrement souhaitable que, dans un rapport d’un spécialiste au public érudit en général, les textes ne soient en aucun cas violés par des améliorations conjecturales là où ils sont traduisibles ; des alternatives sont donc ajoutées. Comme l’a fait remarquer un critique récent de la nouvelle version des Écritures, il n’y a guère de ligne d’écrits très anciens que les érudits ne soient tentés de modifier ; mais de telles corrections sont rarement acceptées par les spécialistes. Une première traduction pourrait toujours être tentée avec les textes tels qu’ils sont. ↩︎
xiv:3 Voir l’Athénée, 12 avril 1884 ; et l’Académie, 13 septembre 2884. Sur l’ensemble du sujet dans son rapport avec les philosophies gnostiques et modernes, les travaux spéciaux ont inclus une période de temps beaucoup plus longue que celle mentionnée. ↩︎