© 1998 Jean-Claude Romeuf
© 1998 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
Une des grandes tragédies intellectuelles de l’aventure humaine est de ne pas savoir qui de la poule ou qui de l’œuf est apparu en premier. C’est la question à laquelle nous allons essayer de répondre. Pour cela, plusieurs cheminements de la pensée sont possibles et bien qu’ils puissent paraître en opposition, ils ne sont pourtant pas contradictoires.
L’ami qui va lire ce texte sera un peu plus éclairé sur le sujet ; mais je l’avertis toutefois, que selon ma fâcheuse habitude, je vais tenter d’influencer son opinion.
Pour ne pas perdre le fil de la démonstration, il faudra toujours avoir à l’esprit le fait que l’œuf soit la préréalité de la poule bien que ce soit la poule qui ponde l’œuf.
Paragraphe dans lequel c’est l’œuf qui fait la poule
Les pages 6 et 7 du Livre d’Urantia suggèrent que la Réalité s’actualise à partir des trois Absolus. Ces derniers sont par définition issus de la pensée conjuguée des Déités trinitaires (LU 0:11.1) et sont le potentiel de la Réalité. Ils sont en quelque sorte la Pré-réalité absolue.
1º L’Absolu Non Qualifié va amener à l’existence la réalité non déifiée que l’on pourrait appeler aussi réalité non personnalisable. Jamais et nulle part dans le maître univers, la personnalité et la déité ne seront le fruit de l’Absolu Non Qualifié. Celui-ci ne s’occupe que de ce qui deviendra substance ou forme.
A l’état pur, la réalité non déifiée se rencontre uniquement dans l’énergie du Paradis. Elle est stabilisée depuis toujours dans Havona. Elle est évolutionnaire dans les sept superunivers ainsi que dans les royaumes extérieurs de l’Ultime.
La réalité non déifiée est représentée aussi dans la substance chimique et organique formant les êtres de chair qu’ils aient reçus ou non le don de personnalité.
Elle est aussi la substance et la forme des créatures morontielles animales ou végétales.
Elle est le moyen de reconnaissance des esprits les plus purs.
Elle est en quelque sorte le terrain sur lequel tous les êtres de l’immense création s’appuient, évoluent, communiquent et se reconnaissent. Elle est leur lieu et leur moyen d’échanges.
2º L’Absolu Qualifié ou de Déité va amener à l’existence la réalité déifiée. On pourrait l’appeler aussi réalité de personnalité, mais le terme serait insuffisant car les domaines d’action de l’Absolu de Déité s’étendent de la personnalité humaine à la déité paradisiaque.
A l’état pur, la réalité déifiée se rencontre dans les trois Déités du Paradis. Elle englobe les Déités évolutionnaires, les superpersonnalités des Etres Transcendantaux, toutes les personnalités plus ou moins parfaites et les pré-personnalités des divins Ajusteurs.
Elle est l’essence des êtres soumis à l’esprit mais n’est ni leur substance, ni leur forme.
3º L’Absolu Universel coordonne la tension des deux autres Absolus. Cette tension est rendue inévitable par le désir de la Trinité d’amener à l’existence des créatures douées de volonté, d’intelligence et susceptibles d’adoration et de sagesse.
La réalité universelle, issue du troisième Absolu, correspond à l’interassociation des réalités du déifié et du non déifié. C’est alors qu’une personnalité et un Ajusteur (issus de la réalité déifiée) peuvent être conférés à un corps et à un mental matériels (issus de la réalité non déifiée). L’ensemble forme un être unique doué de libre arbitre : l’Homme. De la même manière, la réalité interassociée sera aussi effective chez le médian, le séraphin ou l’archange.
Paragraphe dans lequel c’est la poule qui pond l’œuf
On peut supposer après tout que la réalité universelle soit le fruit de la volonté et du désir d’une entité originelle, mais ne dérive pas directement des Absolus. Il est vrai que toute action est précédée par la pensée (représentant ici une pré-réalité créative) mais toute pensée nécessite un Penseur. Toute pensée créatrice nécessite un Créateur pour être actualisée.
La toute première et primordiale volonté serait le fait d’un Penseur et Père Originel. Elle aurait été soumise à la Parole du Fils et actionnée par l’Acteur Conjoint. Les Absolus ne joueraient alors qu’un rôle de réservoir ou de machine et ne seraient que de vastes engrenages lancés une fois pour toute selon un ordre pré-établi et immuable d’action de réaction et de coordination. Ils seraient le moyen par lequel toute actualisation serait possible, mais seraient automatiques et dépourvus de volonté intrinsèque.
Comme nous venons de le voir, ce paragraphe montre que la réalité déifiée (la Déité volitive) est antérieure à l’apparition de son désir de créer (les trois Absolus).
Paragraphe dans lequel, la poule ne pond pas
Avant l’instant zéro où apparaît la réalité universelle on peut définir hypothétiquement une période où une entité pré-créatrice est seule. C’est ainsi que naît la notion du Je Suis.
Le Je Suis contient alors en lui-même tout le potentiel de la réalité des personnalités (c’est à dire l’Absolu Qualifié) et tout le potentiel de réalité cosmique (c’est à dire l’Absolu NonQualifié).
Ce concept peut satisfaire celui qui ne reconnaît pas l’existence de Dieu: la réalité d’univers serait alors causée uniquement par la tension exercée entre les deux premiers Absolus et ne serait pas obligatoirement d’origine divine.
On peut modifier à volonté le concept du Je Suis et dire aussi qu’avant l’instant zéro, Dieu, futur Père des personnes était seul au milieu d’un immense chaos cosmique qu’il créa et décida d’organiser harmonieusement : le croyant préférera sans doute cette solution. Dans ce cas, la Réalité du Père Originel précède les Absolus.
La Grande Cause Première est aimée et respectée dans toute l’immense création en tant que Père Universel ; elle est adorée en tant que Déité. Les trois Absolus ne le sont pas. Ils peuvent être considérés comme le désir des Dieux dans l’aboutissement et le bien être des choses et des personnes; ils ne sont pas l’objet d’un culte mais peuvent être l’objet d’une recherche purement mentale.
Au terme de ces pérégrinations intellectuelles, chacun peut maintenant avoir une idée sur l’apparition première de l’œuf ou de la poule. Quant à moi, il y a longtemps que mon opinion est faite. Ayant toujours eu une préférence affective bien plus prononcée pour les poules que pour les œufs, je préfère croire que c’est la poule qui la première fit l’œuf et non le contraire.