© 2009 Jean-Claude Romeuf
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Philosophie humaine et mota (2) | Le Lien Urantien — Numéro 48 — Automne 2009 — Table des matières | Le bonheur |
Je ne peux pas me passer de l’ostéoclaste. Je sais cela par expérience. Chaque fois que l’os subit un traumatisme, les ostéoclastes, qui sont de petites cellules, sont mobilisées à l’endroit meurtri. Elles ont pour but de digérer la partie osseuse devenue inutile. Cette destruction, permise par Shiva, fait affluer une multitude de jeunes cellules sécrétrices d’un os nouveau. Dans ce cas et sûrement dans la plupart des cas, la régénération est obligatoirement postérieure à la destruction.
Je sais cela par expérience. L’autre jour, une amie, heureusement qu’elle en était une !, est venue me voir pour que je mette en charge un implant que j’avais posé trois mois auparavant. J’étais sûr de mon affaire. Un truc simple et je n’avais fait aucune faute technique. Tout aurait dû marcher comme sur des roulettes ! « Qu’est-ce que tu as pris comme médicaments, depuis ?» « Rien d’important, juste quelque chose pour fortifier les os, c’est mon toubib qui me l’a prescrite ». Je vérifie sur le Vidal : substance à base de biphosphonates, molécules inhibitrices des ostéoclastes. J’ai tout de suite compris ! J’ai compris que mon implant avait eu peu de chance de s’intégrer dans l’os, car les ostéoclastes avaient été dans l’impossibilité de jouer leur rôle activateur de l’ostéosynthèse.
Alors je me suis mis à méditer. Je me suis dit que ce qui se passait pour l’os, se passait pour la création entière. Je me suis dit que pour grandir, il faut immanquablement subir une destruction permanente de soi-même. Le Dieu Shiva le veut ainsi! Si l’on se tourne vers le passé, on s’aperçoit que nos expériences malheureuses ont fait de nous ce que nous sommes ; on s’aperçoit qu’on a grandi depuis. On s’aperçoit aussi qu’il nous a fallu renoncer à nos antiques croyances pour en accepter de nouvelles. Nous aurions pu vivre dans les rails tracés des croyances populaires et se fier à l’opinion majoritaire, entrer en religion, nous avons préféré la tangente et nous avons bien fait. Devant nous se présentent maintenant de nouveaux horizons parce que nous avons renoncé à une partie d’un passé qui ne nous satisfaisait pas intellectuellement.
Nous vivons donc dans un éternel présent, c’est de lui seul que nous devrions nous soucier. Lui seul a de l’importance et devrait être la seule valeur qui nous préoccupe. Le futur ne devrait pas être envisagé avec crainte, il ne devrait être qu’une source d’espérance, une certitude dans la bienveillance de l’univers ou plutôt, dans la bienveillance de celui qui le dirige, un Dieu qui n’est pas un rédempteur, mais un être doté d’infinies propriétés salvatrices. Nous avons échangé nos croyances contre une foi véritable, la foi dans un Dieu de bonté ; c’est pourquoi, en mettant notre destinée sous son emprise, nous n’avons plus peur de l’avenir. Peu importe où nous allons ou croyons aller. Nous savons que nous sommes les citoyens d’un cosmos fraternel avide de perfection.
Je ne pense pas être d’un tempérament particulièrement jaloux, mais si les hindouistes ont un Dieu ostéoclaste, j’en veux un moi aussi ! J’ai tout d’abord pensé à un antagoniste de l’Absolu Universel. Cela ne colle pas si création et destruction sont inséparables. Il y a autant de potentialité dans la destruction que dans la création. Les trois absolus sont les activateurs des deux.
De plus ces trois absolus ne sont pas des dieux. On sait que la Seconde Trinité expérientielle sera ou pourrait être formée si elle arrive à aboutir, par Dieu le Suprême, Dieu l’Ultime et le Consommateur de la destinée.
Une Trinité ne pouvant être active que par des relations de déité et de personnalité, le Consommateur de la destinée est forcément une personne et un Dieu.
Il est un être expérientiel. Son concept prend nécessairement sa source dans les Maîtres Esprits. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il n’est pas absolu et qu’il est contemporain du Suprême et de l’Ultime. Comme eux, il a sa résidence principale au Paradis, mais il a un appartement secondaire dans les mondes du temps et de l’espace, habités ou non qu’il a tendance à engloutir.
Dire que j’aime ce Dieu qui ne m’a pas été révélé et pour lequel pourtant, j’ai émis quelques hypothèses serait un mensonge impardonnable. Je sais pourtant que ma destinée se consume et se construit en même temps. Je sais qu’il n’y a pas de croissance possible sans affliction, sans renoncement à soi et sans décision constructive, mais n’étant pas maso pour deux sous, je ne vois pas non plus comment je pourrais prier ce Dieu ostéoclaste de m’envoyer des souffrances supplémentaires. Le ciel s’en chargera tout seul, je sais bien que je ne suis pas au bout de mes peines. Is it the question? « To be or not to be. »
Jean-Claude Romeuf
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