© 2011 Robert Lamoureux
© 2011 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
Pardonner | Le Lien Urantien — Numéro 54 — Printemps 2011 — Table des matières | De la compréhension du Livre d’Urantia |
Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise raine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer :
Vous me dites, enfin, que je suis fatigué.
Oui, Monsieur, je suis fatigué : et je m'en flatte !
J'ai tout de fatigue, la voix, le cœur, la rate,
Je m'endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas.
Ou , quand je m'en soucie, je me ridiculise.
La fatigue, souvent, n'est qu'une vantardise...
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?
Je ne vous parle pas de sombres lassitudes,
Qu'on a, lorsque le corps harassé d'habitudes,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons...
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon.
Lorsqu'on n'a rien à perdre, à vaincre ou à défendre.
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre.
Elle fait le front lourd, l'œil morne, le dos rond
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond.
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont, un beau jour, on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est son lendemain.
Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le cœur :
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur.
Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre,
Et sûr qu'on est la route et le port et le gué,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure
Marquent chaque victoire en creux sur leur figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus,
Parmi tant d'autres creux, il passe inaperçu.
La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste.
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes.
C'est le prix d'un labeur, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie.
C'est la preuve, Monsieur, qu'on marche avec la vie.
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute mes sommeils et, là, je me sens fort !
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance
Et ma fatigue, alors, est une récompense.
Et vous me conseillez d'aller me reposer !
Mais si j'acceptais là ce que vous me proposez,
Si je m'abandonnais à votre douce intrigue,
Mais je mourrais, Monsieur, tristement de fatigue.
Robert Lamoureux
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