© 2024 Sophie Malicot
© 2024 Association Francophone des Lecteurs du Livre d'Urantia
Éditorial | Le Lien Urantien — Numéro 105 — Mars 2024 — Table des matières | Nouvelles de la Fondation Urantia |
Sophie Malicot
Janvier 2024
Certains sujets sont tabous dans la cinquième révélation. Lavortement en fait partie. Flirter avec lui en groupe d’étude est garant de polémiques certaines. Une élégance jaillit parfois: pour se soustraire aux dilemmes, certains messieurs concluent: « Je ne suis pas une femme et ne peux en parler; laissons-leur la parole ». Je la relève donc — cette parole à vif et nengage que moi. Et souligne en première instance le premier manquement: l’avortement concerne autant les hommes que les femmes. Car malgré les nouveaux us d’avoir des bébés en couple unisexe, il n’en demeure pas moins vrai que pour FAIRE ce bébé, un spermatozoïde et un ovule sont nécessaires. Donc un homme et une femme. Et il en sera toujours ainsi car l’humain ne saura jamais créer la vie.
« Les savants seront éternellement impuissants […] à jamais adjoindre à la matière ce que nous appelons la vie. » LU 42:1.4
« Les physiciens et les chimistes d’Urantia progresseront toujours dans leur compréhension des formes protoplasmiques de la vie animale et végétale, mais jamais ils ne seront capables de produire des organismes vivants. » LU 36:6.1
Sans doute plusieurs lectrices — et lecteurs — ont-elles/ils silencieusement cherché dans le livre une parole consolatrice, si leur périple de vie avait traversé cette étape; ou une réponse à cette question brulante lorsque la quête de vérité taraude l’éthique. Sans doute aussi cette interrogation cache une recherche de dialogue plus ouvert sur le sujet, moins empreint de préjugés et d’a priori — moins de disgrâce — pour faire évo- luer la réflexion avec les données divines mises à disposition.
L’avortement reste écartelé entre deux pôles aussi revendicatifs l’un que l’autre. D’une part les courants féministes veulent la liberté de disposer de son corps, impliquant les grossesses « si je veux quand je veux » (slogan du Planning familial)- avec les moyens contraceptifs à disposition. D’autre part les mouvements traditionnels crient au meurtre devant l’IVG.
Entre les deux, on peut ne s’identifier à aucun de ces extrêmes, lorsque la question appelle à plus de nuances sages et de compassion fraternelle.
Le Livre d’Urantia aborde le sujet en un seul passage:
« De nombreuses races apprirent la technique de l’avortement, et cette pratique devint très courante après l’établissement du tabou sur les enfants de célibataires. Les jeunes filles eurent longtemps pour coutume de tuer leur enfant, mais, dans les groupes plus civilisés, ces enfants illégitimes devinrent pupilles de leur grandmère maternelle. De nombreux clans primitifs furent pratiquement exterminés par les pratiques conjointes de l’avortement et de l’infanticide. » LU 68:6.9
À ce lieu, l’avortement est lié au tabou et le tabou est un puissant agent régulateur du développement des sociétés: il fut une réponse face aux peurs ancestrales des esprits invisibles, ces esprits fantômes apportant la malchance sur la personne ou la tribu entière.
« L’observance d’un tabou était l’effort de l’homme pour esquiver la malchance en s’abstenant de quelque chose, pour éviter d’offenserles esprits fantômes. Tout d’abord, les tabous ne furent pas religieux, mais ils acquirent de bonne heure la sanction des fantômes et des esprits; quand ils furent ainsi renforcés, ils devinrent des législateurs et des bâtisseurs d’institutions. » LU 89:1.1 L’interdit a valeur constructive, du plan matériel au plan spirituel.
Le tabou fut aussi un maillon essentiel de régulation des conduites entre hommes et femmes.
« Aux tout premiers stades du développement tribal, les mœurs et les tabous restrictifs étaient fort grossiers ; ils réussirent néanmoins à séparer les sexes, ce qui favorisa la tranquillité, l’ordre et l’industrie ; la longue évolution du mariage et du foyer avait commencé. » LU 82:2.4
Autant dire que le tabou est porteur des peurs et des instincts les plus primitifs de l’humain. Et si la teneur des tabous évolue avec les us, la valeur du tabou reste une constance utilisée au cours des civilisations. L’avortement entre dans un cadre fluctuant; parfois décrété comme une bonne manière d’éviter la malchance, d’autres fois décrié comme attirant la malchance, il reste une constance des mours.
Mais le tabou est aussi porteur d’avancée vers une meilleure MAITRISE de soi, qui se développe avec les progrès des civilisations. Cette MAITRISE — harmonisant les relations entre masculin et féminin — justifie le contrôle des conduites qui devraient éviter les grossesses intempestives.
« Le tabou est la source des normes cérémonielles et l’ancêtre de la MAITRISE de soi primitive. Il fut la première forme de réglementation sociale et, pendant longtemps, la seule ; il est encore un facteur fondamental de la structure sociale régulatrice. » LU 89:1.1
Du stade bestial à l’équité humaine, les 7 Esprits mentaux Adjuvats œuvrent avec nous à lévolution des mentalités dans l’harmonisation des pôles masculin féminin.
Dès lors, les virulences se comprennent mieux: l’avortement canalise les longues histoires de transmission des croyances où se cristallisent les peurs. Il canalise aussi le cheminement de régulation des relations hommes femmes. Cela revient à dire qu’il cristallise deux pôles difficilement conciliables de l’humain: d’une part l’impulsion de préservation de soi s’affirmant dans l’assouvissement des pulsions archaïques (la copulation); d’autre part l’aspiration de perpétuation de soi s’affirmant dans l’enfantement, impliquant une MAITRISE de soi (la famille).
Le paragraphe suivant soulève un autre aspect relatif à l’avortement:
« Il subsiste encore au vingtième siècle des restes de ces pratiques primitives de contrôle des naissances. Dans une tribu d’Australie, les mères refusent d’élever plus de deux ou trois enfants. Il n’y a pas très longtemps, les membres d’une tribu cannibale mangeaient chaque enfant cinquième né. À Madagascar, certaines tribus détruisent encore tous les enfants nés cer- tains jours néfastes, et cette pratique provoque la mort d’environ vingt-cinq pour cent des nouveau-nés. » LU 68:6.10
Ce paragraphe a pour thème général « L’évolution de la culture ». Il n’est plus question de tabou, ni de peurs et de croyances, mais de capacités éducatives. L’avortement fait partie des moyens utilisés pour garantir une certaine éducation, en supprimant le surnuméraire. Notons la mention unique des mères car il s’agit encore d’une « pratique primitive » où toute femelle mammifère garde seulement le nombre de petits qu’elle peut allaiter. pendant ce passage amorce le virage de l’aspect quantitatif des descendances pour assurer la vie à l’aspect qualitatif de l’éducation rehaussant la vie.
La formulation « pratique primitive de contrôle des naissances » induit deux problèmes corolaires ajoutés au contrôle des naissances et stipulés par ailleurs: d’une part la question de la surpopulation, d’autre part un thème lui aussi très sensible que nous nommerons ici le niveau humain.
« Du point de vue mondial, le surpeuplement n’a jamais posé de question grave dans le passé, mais, si les guerres se raréfient et si la science réussit à maitriser progressivement les maladies humaines, il peut devenir un problème sérieux dans un proche avenir. À ce moment-là, la grande épreuve de sagesse dans la conduite du monde se présentera. Les dirigeants d’Urantia auront-ils la clairvoyance et le courage de favoriser la multiplication d’êtres humains moyens et stabilisés, ou de favoriser celle des groupes extrêmes, d’une part ceux qui dépassent la normale et d’autre part la masse considérablement croissante des êtres inférieurs à la normale ? L’homme normal devrait être encouragé ; il est l’épine dorsale de la civilisation et la source des génies mutants de la race. L’homme inférieur à la normale devrait être gardé sous le contrôle de la société ; il ne devrait pas en être produit plus qu’il n’en faut pour travailler aux niveaux inférieurs de l’industrie, aux tâches qui demandent une intelligence dépassant le niveau animal, mais qui exigent des activités d’un niveau tellement inférieur qu’elles deviennent véritablement un esclavage et un asservissement pour les types supérieurs de l’humanité. » LU 68:6.11
La sélection naturelle prévaut pour le développement des civilisations: la loi du plus fort a dominé et domine encore le monde. Cependant les avancées technologiques, morales, intellectuelles des civilisations décalent la notion de « plus fort ». Avec l’industrie, la force physique passe en second plan par rapport à la force mentale — l’intelligence. La sélection perdure, mais selon d’autres critères qui amendent d’autres comportements face aux enfants à venir: non plus devenir une force de la nature mais une force mentale: un cerveau performant. Pour illustration: Stephen Hawking. La tâche est aussi sensible que lourde, d’autant notre isolement pour relever ce défi:
« N’ayant pas réussi à obtenir l’harmonisation de la race par la technique adamique, il vous faut maintenant résoudre votre problème planétaire d’amélioration raciale par d’autres méthodes, principalement humaines, d’adaptation et de contrôle. » LU 51:5.7
Présentée autrement, cette « amélioration raciale » est déjà en cours. Citons l’avancée de la médecine. Les progrès médicaux œuvrent sans cesse à enrayer les maladies et pathologies diverses, afin d’améliorer les performances humaines. Qui s’en plaindra? Concernant les grossesses, les examens prénataux détectent certaines pathologies et proposent alors des interruptions de grossesse. Quel critère condamnera les parents, surtout si cette même pathologie est déjà présente dans la fratrie?
Ainsi les croyances variantes, les tabous, la MAITRISE de soi, l’éducation, les progrès médicaux ballotent l’avortement entre manquement et amendement, entre transgression et rémission. Ces paramètres concernent l’environnement de l’avortement mais ne concerne pas le fotus. Quel est son statut? Peut-il être évacué simplement ou est-il une entité pleine, ayant des droits? Quels sont ses attributs?
La question est de savoir si le fortus est une personne. Si tel est le cas, alors il doit répondre aux
« Qualités de réalité universelle […] manifestes dans l’expérience humaine urantienne sur les niveaux suivants: le corps, le mental, l’esprit, l’âme et la personnalité ». LU 0:5.6 0:5.6
Le corps: « L’embryon humain est un stade transitoire parasite de la vie humaine. » LU 112:5.4
Médicalement, tout corps étranger est considéré comme parasite par le corps porteur, que celui-ci rejette. Seule exception à ce rejet: l’embryon. Élargissons à L’entité physique:
« Un enfant acquiert son entité physique lors de sa naissance terrestre » LU 49:6.12.
« Entité » au sens étymologique veut dire « être ». Par conséquent, tant que l’enfant n’est pas né, il « n’est » pas. Or le statut de personne implique d’être. Au niveau de la loi, le fætus n’est pas une personne civique et n’a pas de droits propres.
La personnalité juridique s’acquiert à la naissance, sous réserve que l’enfant naisse vivant et viable. Il en résulte que l’enfant mort-né n’est pas une personne; il est considéré comme n’ayant jamais existé. Selon cette perspective, un IVG n’est pas un meurtre.
Le mental: « mécanisme pensant, percevant et ressentant », préparé avant la conception de la personne.
« Les types et archétypes de mental sont déterminés par les facteurs d’existence précédant la créature. Après que ceux-ci ont été associés pour constituer une créature (personnelle ou autre), vient le mental » LU 21:2.7
Dans cette conception, le fotus est déjà porteur d’un prototype unique de mental, soigneusement préparé par les êtres divins. Un IVG détruit ce prototype unique, non avenu de par l’interruption de grossesse.
L’esprit: L’Ajusteur de Pensée arrivant vers les 6 ans de l’enfant, il nest pas concerné au niveau fotal.
L’âme: De nombreux courants véhiculent que l’âme, préexistante à la venue de l’enfant, choisit ses parents pour s’incarner. Citons le New-Age, mais plus largement les croyances en la réincarnation. La naissance de l’âme se situe vers 6 ans, avec l’arrivée de l’Ajusteur de pensée. Un IVG ne concerne pas l’âme.
Nous ne savons pas précisément quand elle arrive et les discussions sont vives à ce sujet. Est-elle en place dès la conception du foetus? À la naissance? Ou postérieurement? La personnalité est l’élément unificateur de la personne. Elle tire son origine de la scission de la Déité absolue originelle, JE SUIS, en Déité double PèreFils. Elle s’établit donc comme une relation. Par conséquent deux aspects sont à apprécier :
Si lon considère que la personnalité est présente dès la conception, il est certain qu’elle est en fonctionnement non effectif car elle ne peut pas exercer son rôle d’unificateur en plénitude avant que les 4 éléments à unifier ne soient présents (corps + mental + âme + esprit). Or il en manque deux.
« Quand des Ajusteurs de Pensée habitent le mental humain, ils apportent avec eux les carrières modèles, les vies idéales, telles qu’elles ont été déterminées et préordonnées par eux-mêmes et les Ajusteurs Personnalisés de Divinington, et dont la validité a été confirmée par l’Ajusteur Personnalisé d’Urantia. Ils commencent donc à travailler avec un plan défini et prédéterminé pour le développement intellectuel et spirituel de leur sujet humain. » LU 110:2.1
Ceci implique que, pour apporter ces carrières modèles et vies idéales en adéquation avec la personne, les Ajusteurs de Pensée se mettent au travail au préalable. Ce travail commence-t-il quand le foetus est en cours? Ou à la naissance de l’enfant? Nous voyons la minutie de ce travail préalable à l’incarnation dans la préparation des conditions de la 7 è effusion de Micaël sur notre planète, même s’il ne concerne pas sa personnalité. Dans ce cas, un IVG ne détruit peut-être pas la personnalité mais en annihile la stratégie préordonnée.
Ces points soulignés nous aident-ils dans les levées de houles vis-à-vis de l’avortement?
Le lien avec les mœurs et tabous en cours justifie probablement à lui seul une grande part de culpabilité vécue par les femmes et hommes / familles / tribus touchées par l’avortement.
Le récit d’Adam et Ève dans la Genèse biblique n’a fait qu’accentuer lourdement cette image de la femme pécheresse perdant l’humanité par son comportement déviant. Etre porteuse d’un acte ayant valeur destructive de la civilisation dans laquelle on vit eut et a encore valeur d’anathème religieux et social. La nuance suivante est cependant de taille:
« Le sens ou sentiment de culpabilité est la conscience d’avoir contrevenu aux mœurs ; ce n’est pas nécessairement le péché. Il n’y a pas réellement péché en l’absence d’une déloyauté consciente envers la Déité. » LU 89:10.3
Et l’espoir surgit lorsque:
« La possibilité de reconnaitre le sens de culpabilité est un signe de distinction transcendante pour l’humanité. Il ne classe pas l’homme comme un misérable, mais le situe plutôt à part comme une créature de grandeur potentielle et de gloire toujours ascendante ». LU 89:10.4
Les femmes portent davantage le symbole de la fidélité que les hommes. L’avortement les réduit à des personnes de petite vertu, de mœurs légères portant atteinte aux valeurs fondamentales structurant la société, alors que l’équivalent nest pas fait vis-à-vis de l’infidélité masculine.
« Les femmes ont toujours été soumises à plus de tabous restrictifs que les hommes. Les mœurs primitives accordaient aux femmes non mariées le même degré de liberté sexuelle qu’aux hommes, mais on a toujours exigé des épouses qu’elles soient fidèles à leur mari. Le mariage primitif ne restreignait pas beaucoup les libertés sexuelles de l’homme, mais il rendait la continuation de la licence sexuelle taboue pour la femme. » LU 82:2.5
Enfin est-il fort intéressant de remarquer les 9 autres emplois du mot « avortement » dans le Livre d’Urantia, uniquement à propos des êtres divins Adam, Êve et Caligastia. Un avortement est un plan préconçu par la divinité dont l’avènement n’a pu être mené à son terme comme prévu. Autrement dit: un potentiel débutant son actualisation dont l’actualisation n’a pas abouti selon les plans divins initiaux.
« Du point de vue des créatures, l’actualité est substance, et la potentialité est capacité. L’actualité existe au centre, et de là elle se répand dans l’infinité périphérique ; la potentialité part de la périphérie de l’infinité vers l’intérieur et converge au centre de toutes choses. L’Originel est ce qui d’abord cause, et ensuite équilibre les doubles mouvements du cycle de la réalité, où les potentiels se métamorphosent en actuels et où les actuels existants prennent un caractère potentiel. » LU 115:3.12
Traduites au niveau humain, les difficultés de l’avortement peuvent alors se comprendre ainsi: un foetus est un potentiel périphérique d’accomplissement du Suprême dont le Suprême — dans sa densité au centre — ne bénéficiera pas car ce potentiel ne s’actualise pas. Ceci est corroboré par le mental et la personnalité préétablis mais non advenus. Peut-être avons-nous un pressentiment de cette invalidité du Suprême, induisant notre culpabilité?
Si chaque foetus est un potentiel en herbe, alors chaque embryon du vivant l’est pareillement. Ainsi des milliards de milliards de plantes, d’animaux et d’humains sont ces potentiels non advenus. Car la nature est plus que généreuse et la fécondation réussie d’une plante, d’un animal ou d’un humain ne représente qu’une infinitésimale partie du potentiel de reproduction du vivant. Dieu fait don de ce potentiel colossal de reproduction sachant que la presque totalité de ce don sera avortée.
Et par glissement la Déité pourvoit le Suprême d’un potentiel colossal d’actualisation dont la majeure partie ne sera pas actualisée. Ceci veut dire que le plan de Dieu prévoit ce surnuméraire, puisque les lois de la matière rendent inéluctables ces pertes abondantes.
Devant tant de possibilités de fécondation, lorsque les « pratiques primitives » auront évolué et que les grossesses seront mieux maitrisées, est-ce à dire que les fécondations humaines seront toutes voulues et réussies, alors que la nature sera toujours aussi généreuse et elle-même assujettie à cette sélection monstre? Même dans ce cas, il restera toujours des milliards d’ovules et de spermatozoïdes destinés uniquement à l’humus de la terre.
Cette intégration de la notion de perte dans le plan divin n’est pas afférente au plan mortel. La même dynamique sélective touche l’âme et la personnalité :
« Au cours de la vie de mortel dans la chair, l’âme est à l’état embryonnaire » LU 66:4.9
« C’est cette même personnalité spirituelle, sous une forme primitive et embryonnaire qui, en la possession de l’Ajusteur, survit à la mort naturelle dans la chair. » LU 101:3.3
Si notre âme et notre personnalité sont des embryons, parviendront-elles à leur plein rayonnement?
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